Parce que la culture peut être un merveilleux miroir de la civilisation, il est toujours révélateur de creuser les relations étroites qu’ont certains faits politiques avec celle-ci. L’écologie, dans son sens le plus large, la connaissance du milieu dans lequel nous vivons, se raconte aussi dans de nombreux espaces culturels. Et parce que le cinéma, comme l’écologie, est jeune au regard de l’histoire de l’humanité, fruits du vingtième siècle, il nous semble aujourd’hui intéressant de balayer le thème de l’écologie dans le champ cinématographique. Des premières images du cinématographe en passant par la conquête de l’Ouest face aux dangereux indiens jusqu’à Avatar, où les tribus locales sont désormais justement celles qu’il faut préserver. Ce voyage tout au long du vingtième siècle ne prétend pas à l’exhaustivité, mais essayera d’être assez complet pour être signifiant de l’évolution de la relation entre l’homme et son environnement au travers de la fiction cinématographique[[Nous avons délibérément décidé d’écarter le cinéma documentaire. S’il foisonne aujourd’hui, il nous semblait plus intéressant de pointer notre regard sur les œuvres de fiction populaires.
]].
Le cinéma populaire a toujours reflété et exprimé les inquiétudes de son époque. Apparaissant au début du 20ème siècle, en pleine période de conquête de l’homme sur son environnement, il va progressivement exprimer les premiers doutes envers le progrès puis mettre en récit la naissance d’une conscience environnementale pour en faire, à terme, le cœur de certains de ses films aux plus gros budgets.
1. Le temps de la conquête, des frères Lumière à Hiroshima
L’apparition du cinéma des frères Lumière à la toute fin du 19ème siècle s’inscrit dans la révolution industrielle et une période de conquête aussi bien technique que géographique. L’homme repousse les frontières, réduit les distances, à l’aide de la technique. Les premiers films des frères Lumières illustrent ce déploiement, comme ceux de Thomas Edison de l’autre côté de l’Atlantique: un train qui entre en gare, la conquête des grands espaces, la mer, les plaines… « Le voyage dans la lune » de Georges Méliès, en 1902, montre que la seule limite à cette conquête est désormais… l’imagination !
Les premiers westerns montrent que cette conquête est civilisationnelle. Plus qu’une avancée dans des territoires inconnus, c’est la civilisation qui est en marche et écrase tout sur son passage : la nature bien entendu, mais aussi la sauvagerie des peuples primitifs. Le conflit entre les cow-boys et les indiens l’illustre bien, tout comme la conquête de l’Ouest. Dans « The Last Drop of Water » (D.W. Griffith, 1911), les héros sont prêts à sacrifier leurs vies pour qu’un train, victime d’une attaque d’indiens, continue son chemin civilisationnel à travers le désert. Dans « Iron Horse » (John Ford, 1924) ou « Union Pacific » (Cecil B. DeMille, 1938) c’est la construction de la ligne ferroviaire entre l’Ouest et l’Est qui montre à quel point il s’agit de dompter la nature, d’apporter la civilisation et ses composantes comme le droit, la justice et la médecine moderne, et de s’opposer aux résistances des peuples primitifs indiens. John Ford, figure incontournable du cinéma hollywoodien de la première partie du 20ème siècle exprimera dans de très nombreux films la place de l’homme dans la nature et la volonté de dominer celle-ci.
Toutefois, ces images de conquête ne sont pas propres au cinéma américain. En URSS, le cinéma (…d’état) exalte le progrès industriel sur la nature sauvage. Dans « La ligne générale » (Sergueï Eisenstein, 1928), les paysans vivant dans les steppes reculées voient leurs vies bouleversées par l’arrivée des machines qui vont les sortir de la misère qu’ils ont toujours connue. C’est aussi une amorce de la fin du religieux voulu par « le Parti » qui se dessine là : les croyances ancestrales doivent et vont s’effacer devant la science.
Plus tard, dans « Le premier maître » (Andreï Konchalovsky, 1964), c’est le chemin d’un instituteur pour apporter la connaissance dans un village kirghize face aux traditions qui illustre parfaitement ce bras de fer entre les règles ancestrales et la modernité communiste. Avec le « dégel », le cinéma soviétique reprendra le thème de la conquête de l’homme sur la nature, mais pour en dépeindre une réalité plus nuancée que le cinéma d’État de ce début de 20ème siècle, par exemple dans « Sibériade » du même Konchalovsky (1979), « Dersou Ouzala » d’Akira Kurozawa (1975) ou « Urga » de Nikita Mikhalkov (1991).
Des débuts du cinéma jusqu’à la seconde guerre mondiale, cette expression de la domination de l’homme va aller crescendo. A ce stade, la question de l’impact de l’homme sur son environnement n’est pas posée, il s’agit d’un rapport de force, de lutte victorieuse. La locomotive remplace désormais les chevaux, réduit les distances, apporte la connaissance. Le cinéma illustre le progrès et la domination de l’homme sur la nature primitive hostile. Même si, déjà, les premiers doutes face à l’industrialisation triomphante apparaîtront fin des années 30, notamment dans le très célèbre « Our Modern Times » (Charles Chaplin, 1936).
2. Le temps du doute, d’Hiroshima à Raoni
La seconde guerre mondiale va marquer l’arrêt de cette conquête. La planète en guerre exprime pour la première fois ses limites géographiques et territoriales, et les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki montrent que la technique et la science, jusqu’alors symboles de progrès, peuvent aussi avoir des effets destructeurs considérables. La peur générée par ces potentielles dérives sera source d’un nombre incalculable de films dans les années qui suivront la fin du conflit.
Désormais, la peur devient globale : catastrophes massives ou fin du monde. Les premiers films post-apocalyptiques et films de survie font leur apparition. « Le jour ou la terre s’arrêta » (Robert Wise, 1951) raconte la visite d’un extra-terrestre chargé de convaincre les puissants de ce monde d’arrêter la course à l’armement. Pour l’anecdote, ce film sera sujet d’un remake en 2008 (Scott Derrickson), avec cette fois Keanu Reeves comme interprète principal, mais les enjeux d’armement seront alors remplacés par les enjeux… environnementaux.
C’est aussi l’apparition des premiers films de « monstres géants », la plupart du temps devenus mutants à cause de dérapages scientifiques. En 1953, « Le monst
re des temps perdus » (Eugène Lourié) ouvre le bal. Rapidement suivi par « Tarentula » (Jack Reynolds) ou « Them ! » (Gordon Douglas) en 1954. Ce dernier film raconte l’invasion d’une ville par des fourmis géantes, mais recontextualisé dans une période de guerre froide, incarne sous certains aspects la menace d’une invasion communiste.
Godzilla : une histoire du nucléaire. En janvier 1953, Harry S. Truman, 33ème président des États‐Unis annonce que son pays possède la bombe H. Il prévient qu’une guerre entraînerait la destruction de l’URSS. Plus précisément, cela implique que toute attaque contre un pays de l’OTAN par l’URSS l’exposerait à des frappes nucléaires massives, sans préavis et sans retenue. L’explosion moins d’un an après d’une bombe thermonucléaire soviétique inaugure l’ère de « l’équilibre de la terreur ». C’est dans ce contexte que sort en 1953, « Le monstre des temps perdus » (The Beast From 20,000 Fathoms) d’Eugène Lourié. Le film raconte que dans les années 1950, un test nucléaire, « Operation Experiment », a lieu en Arctique. L’explosion réveille une créature gigantesque, endormie sous la glace depuis des milliers d’années. Ce Rhedosaurus se dirige vers Manhattan où il sème le chaos et détruit tout sur son passage.« Le monstre des temps perdus » est en fait le premier film de l’histoire mettant en scène un monstre géant réveillé par l’explosion d’une bombe atomique et attaquant une grande ville.Dans le contexte politique et militaire de l’époque, les producteurs ont clairement joué sur lesangoisses et les paranoïas croissantes au sujet des armes nucléaires. Le monstre géant et dévastateur représente évidemment les représailles de la Nature contre le développement technologique militaro-nucléaire.L’année suivante sera marquée par un autre succès public, mais au Japon cette fois : 9 millions de spectateurs iront voir « Godzilla ». Dans ce film réalisé par Ishirô Honda, c’est Tokyo qui sera détruite. Et c’est également le premier épisode d’une longue lignée de films avec Godzilla.Le principe est le même que dans « Le monstre des temps perdus » : une créature est réveillée par des essais nucléaires et s’en va détruire villes et humains. La nature « atomique » du monstre n’est pas due au hasard. Comme évoqué plus haut, le contexte politique de 1954 se déroule dans un climat apocalyptique. Et fait écho, au Japon, à deux traumatismes liés à l’atome et aux États- Unis. Tout d’abord, les bombes sur Hiroshima et Nagasaki dix ans plus tôt, mais aussi, cette même année 1954, l’incident du Lucky Dragon, un chalutier japonais dont les marins ont été irradiés suite à des essais thermonucléaires menés par l’armée américaine sur l’atoll de Bikini. Ishirô Honda dira plus tard : « les essais nucléaires étaient menés en série à l’époque et je souhaitais ardemment l’arrêt de la production de ces bombes ». L’opinion publique japonaise, dans son angoisse par rapport au nucléaire, va adorer voir ses villes détruites par des monstres issus de ce qu’elle craint le plus…Plusieurs analystes ont évoqué une inscription de ces films dans le shintoïsme, dont le concept principal est le caractère sacré de la nature, qu’il faut par conséquent profondément respecter.Ce qui est assez marquant dans les films qui vont suivre le premier opus, c’est de voir l’évolution de la relation de Godzilla avec l’humanité. Petit à petit, le monstre va devenir un allié de la terre et de ses habitants et se battra contre des créatures plus hostiles encore, parfois envoyées par des extra- terrestres. C’est ce changement relationnel qu’il est intéressant de pointer. En effet, en 1954, l’hostilité contre le nucléaire est forte au Japon. Mais le pays va finir par soutenir la politique américaine « atom for peace », qui promeut le nucléaire civil (tout en augmentant en parallèle son arsenal militaire…). L’exemple le plus marquant sera celui de la centrale de Fukushima mise en service en 1971. En moins de 15 ans, on assiste à un renversement des opinions (via les sphères politiques, économiques et médiatiques) sur les dangers du nucléaire. Godzilla sera comme le citoyen lambda, prêt à changer de point de vue… Le nucléaire, comme le monstre, n’est plus une menace mais un moyen de se développer.Pourtant, en 2011, la catastrophe de Fukushima rappellera la fragilité d’un système qui s’est souvent proclamé sûr. Et c’est sur cette base que le dernier film (américain) Godzilla sortira. Réalisé en 2014 par Gareth Edwards, le film revient enfin sur la dangerosité du nucléaire. Et tout (re)commence au Japon, où les autorités annoncent qu’un tremblement de terre a détruit une centrale nucléaire. Sans dévoiler la trame, Godzilla retrouve un positionnement particulier tant vis-à-vis du nucléaire que de la nature. Le monstre est ici le héros principal du film. Il représente la Nature qui se défend (et défend en même temps ses habitants) face aux conséquences des expérimentations nucléaires. Nous sommes donc à nouveau dans un renversement de perspectives et de sentiments du public par rapport à des politiques énergétiques dont la catastrophe de Fukushima a rappelé toute la dangerosité.Dans la réalité, et malgré les morts, la pollution majeure et une opposition massive de sa population, les autorités japonaises ont quand même décidé de relancer les centrales, espérant sans doute que Godzilla viendra les aider en cas de nouvel incident… |
Nous sommes en pleine guerre froide, et la menace nucléaire prend de plus en plus d’ampleur. Dans « The World, the Flesh and
the Devil » de Randall Mac Dougall (1959), Harry Belafonte va devoir survivre dans une ville abandonnée par crainte d’une attaque atomique. Les images de ville complètement vide font penser aux plus récents films de zombies. La question atomique y est abordée, mais aussi la question raciale, et le film n’a pas manqué de faire scandale puisque le dernier homme survivant est incarné …par un noir, alors qu’en Amérique la ségrégation reste encore très pesante.
Dans « Panic in Year Zero » de Ray Milland (1962), une famille va devoir traverser les États-Unis dans un climat apocalyptique. Ce road movie rappelle lui aussi un cinéma de fin du monde, comme l’illustreront plus tard une série comme « The Walking Dead » ou des films comme « 28 jours plus tard » (Danny Boyle, 2002) ou « I’m a Legend » (Francis Lawrence, 2007). Ce n’est pas la pollution atomique qui est le risque principal du film, mais bien l’écroulement soudain de la société, et l’anarchie qui en découle (cf. texte Etopia sur les zombies).
La menace nucléaire ouvre la voie à un cinéma post-apocalyptique ou les thématiques plus politiques et environnementales vont progressivement apparaître. Ces thématiques sont aussi une résonance de la société américaine des années soixante, de l’apparition de la contre-culture, de la beat generation, dans un contexte international, politique, social et culturel de profonds changements. Cette soif de liberté qui s’exprime partout dans la société se développe en parallèle avec l’arrivée de la télévision dans les foyers américains, forçant l’industrie du cinéma à se réinventer tant sur le fond que sur la forme. De nouveaux publics apparaissent pour les studios hollywoodiens: les moins de trente ans représentent la moitié du « marché intérieur », il va donc falloir développer des thématiques « jeunes». Mais aussi démarcher des publics jusqu’alors oubliés: les communautés noires, italiennes,… et donc offrir des produits moins conformistes.
La fin des années soixante marque aussi l’aboutissement du mouvement contre-culturel américain, lui-même issu de la beat generation qui voulait se libérer du joug des valeurs traditionnelles, familiales, politiques pour explorer le monde, la nature, les sens… Le mouvement littéraire lancé par Kerouac, Ginsberg et Burroughs va s’étendre à la sphère cinématographique: il s’agit de transgresser publiquement, mais de façon populaire: il faut pouvoir toucher les masses. Fin des années soixante déjà, un film comme « Le Lauréat » (1967, Mike Nichols) bouleverse profondément les codes du jeune étudiant (Dustin Hoffman) bien sous tout rapport mais c’est avec « Easy Rider » de Dennis Hopper (1969) que le mouvement contre-culturel trouvera son film symbole.
En 1970, dans « No Blade of Grass », Cornel Wilde contextualise son film dans un monde pollué qui croule sous la surpopulation. Difficile pourtant d’en faire une lecture politique : l’histoire reste relativement classique dans la veine des survival movies. Mais il ouvre une veine que l’on retrouve couramment depuis, récemment encore : la pénurie de pétrole dans « Mad Max » (George Miller, 1981) , la fonte des glaces dans « Waterworld » (Kevin Reynolds, 1995), le virus mortel dans « Twelve Monkeys » (Terry Gilliam, 1995), la destruction d’origine non identifiée dans « The Road » (Jojn Hillcoat, 2009) ou la destruction nucléaire dans « The Book of Eli » (Albert et Allen Hughes, 2010).
Le film « Silent Running » de Douglas Trumbull en 1972 ouvre une nouvelle voie dans les films à conscientisation écologiste. Il s’agit d’un film de science fiction qui dépeint une humanité qui a quitté la terre devenue invivable, et retrace l’histoire d’un vaisseau spatial chargé de conserver les plantes de la planète terre. Véritable arche de Noé de la biodiversité, son existence se voit menacée pour des raisons budgétaires et verra le responsable en charge se révolter et tout faire pour protéger le vaisseau et les plantes. Le pitch de ce film sera repris de manière bien plus explicite, cohérente et subtile dans « Wall-E » (cf. infra) qui laisse un sursis à la biodiversité.
Dans la lancée, « Soylent Green » de Richard Fleischer sort en 1973. Ce film est considéré comme un des premiers vrais films écologistes. Dans le futur, le monde souffre de surpopulation et de famine, et un pouvoir centralisé fort, proche de la dictature, nourrit les foules avec du « soylent green ». La planète est devenue à ce point invivable que la population peut choisir la mort en échange de quelques heures de fin de vie agréable. Le héros réalisera que le « soylent green » est fait à base de chair humaine. Au delà des questions de surpopulation et de précarité, le film aborde les questions de l’alimentation, du totalitarisme et de l’euthanasie. Difficile pourtant de croire que le réalisateur ait vraiment voulu faire un film « écologiste ». C’est avant tout un film de science fiction assez pauvre. Mais celle-ci intègre désormais une projection d’un monde futur peu enviable, à cause de l’action de l’homme.
Et le cinéma français ?Force est de constater que le cinéma français reste assez pauvre sur les questions environnementales. Autant le cinéma documentaire français est très riche sur ces sujets (on pense à des succès populaires important de films tels « Le peuple migrateur » de Jacques Perrin ou « Microcosmos : le peuple de l’herbe » de Claude Nuridsany et Marie Pérennou par exemple), autant les fictions sont rares. « L’an 01 » de Gébé (1971) exprime sous les traits de la comédie les aspirations de mai 68, mais il est tiré d’une bande dessinée. Dans « La Zizanie » de Claude Zidi, Louis de Funès, industriel pollueur se retrouve en position de bras de fer face à sa femme fervente écologiste (Annie Girardot). En 1981, « Les Babas cool » de François Leterrier exprime dans une comédie lourdingue tous les clichés des communautés hippies. Un film comme « La belle verte » de Coline Serrault (1996) exprime beaucoup plus directement une critique écologiste de la société française mais il fait figure de rareté. D’une façon générale, on signalera que de nombreux films français mettent en scène dans l’un ou l’autre second rôle un « écolo de service », mais c’est souvent pour les caricaturer sous la figure de « bobos parisiens végétariens » plutôt qu’une occasion d’aborder les questions de fond… Quand ce ne sont pas carrément des écologistes radicaux fous serial killer (« Le pharmacien de garde » , Jean Veber, 2003). |
Les années 70 sont celles des grandes protestations : mouvement étudiant, droits civiques, guerre du Vietnam, et des premières révoltes générationnelles contre les conventions morales et la société de consommation. La scène finale de « Zabriskie Point » (Michelangelo Antonioni, 1970) en est la plus parfaite illustration : une maison bourgeoise américaine explose au ralenti pendant de longues minutes sous la musique de Pink Floyd faisant éclater dans le ciel tous les objets incarnant la société de consommation et le rêve américain.
3. Le temps de la protection : De Raoni à … aujourd’hui ?
La nature n’est plus un objet de conquête. L’idée de sa protection entre peu a peu dans le cinéma populaire. Lieu cinématographique et symbole environnemental de son époque, la forêt vierge devient un décor de film récurrent. Dans « Fitzcarraldo » de Werner Herzog (1982), dans « La forêt d’émeraude » (John Borman, 1985), dans « Mosquito Coast » de Peter Weir en 1986 ou encore dans « Medecine Man » (John McTiernan, 1992). Chaque fois, l’homme y voit sa volonté de conquête se fracasser sur la nature, vivante, et prête à se défendre face à l’agression humaine.
Notons, dans les années 80, la trilogie des « Qatsi » de Godfrey Reggio : « Koyaanisqatsi » (1982), « Powaqqatsi » (1988) et enfin « Naqoyqatsi » (plus tard, en 2002). Ce n’est pas du cinéma populaire, mais cela a battu tous les records d’audience dans les circuits de distribution alternatifs aux USA. Entre la fiction et le reportage, la trilogie met en scène l’humanité et son rapport à la nature, dans un feu d’artifice d’images plus spectaculaires et signifiantes les unes que les autres, sous la musique enivrante de Philip Glass. Les scènes d’ouverture et de fin de Powaqqatsi sont entrées dans l’anthologie du cinéma.
Les années 90 vont intégrer la menace écologique à grande échelle. Les films de catastrophes écologiques vont se suivre (et souvent se ressembler). Tornades : « Twister » (Jan De Bont, 1996), « Tornado » (Noel Nossek, 1996), « Mega cyclone » (Phillip J. Roth),… Tremblements de terre (« Le Pic de Dante » de Roger Donaldson, 1997)… Volcans (« Volcano » de Mick Jackson, 1997), dérèglement météorologique (« Pluie d’enfer » de Mikael Salomon, 1998)… Tempêtes (« En pleine tempête » de Wolfgang Petersen, 2000), séismes, tsunamis et fin de l’humanité (« 2012 » de Roland Emmerich, 2009)… La liste est (très) longue et les films très… inégaux.
Le réchauffement climatique fera son apparition dans la cour des superproductions dans « The Day After Tomorrow » (R. Emmerich de nouveau, en 2004). Le cinéma spectacle est à son apogée, les méga-productions hollywoodiennes ont intégré les enjeux écologiques comme des cadres cinématographiques puissants ou s’allient spectacle, héroïsme et morale. En 2000, « Erin Brokovich » (Steven Soderbergh) met en avant la figure de la femme seule (Julia Roberts) qui va défendre une communauté victime de la pollution d’une multinationale de l’industrie chimique. Tous les ingrédients du « bon » film hollywoodien sont réunis: jolie fille, histoire vraie, moralisme.
En 2008, alors que Disney lance sa maison de production de films « environnementaux » (Disney Nature : « Félins », « Un jour sur terre »…) sort sur les écrans « Wall-E », film d’animation des studios Pixar. Véritable chef d’œuvre du genre, « Wall-E » raconte l’histoire d’un robot chargé de nettoyer la planète Terre, abandonnée de ses habitants car devenue invivable, véritable montagne de déchets et de pollution. Le robot se verra propulsé dans les vaisseaux spatiaux sur lesquels se sont réfugiés les humains, devenus tous obèses et vivant devant des écrans en permanence. Tout au long de l’histoire, le robot fait preuve d’infiniment plus d’humanité que les humains, devenus presque… robots.
En 2008 toujours, sort « The Simpsons movie », à savoir le long métrage du dessin animé bien connu des enfants et adolescents du monde entier. La famille Simpson va se battre contre la pollution du lac de Springfield, avec l’humour à plusieurs niveaux de lecture propre à la série. La première scène du film ou Lisa Simpson tente d’interpeller les habitants de Springfield à la fin d’un concert de Greenday est particulièrement éloquente.
En 2009, alors que la « conscience verte » semble à son apogée, notamment via le film d’Al Gore (« Une vérité qui dérange ») et que la question environnementale est désormais au moins dans tous les discours, sort « Avatar » de James Cameron. Si ce film ne brille pas par l’originalité de son scénario (en effet, « La forêt d’émeraude » ou même « Pocahontas » racontaient déjà l’histoire d’une personne sensée coloniser un territoire et qui se retrouve finalement à le défendre avec les tribus locales), il a le mérite d’ériger en très grand spectacle un film de science-fiction mettant au centre la question de l’homme, de sa soif de conquête, de sa déconnexion avec l’environnement et de sa place dans la nature. S’y confrontent des colonisateurs avides de richesses et des tribus ancestrales aux coutumes riches et magnifiques. Avatar est aussi un des films au plus gros budget de l’histoire du cinéma.
Désormais la menace qui pèse sur l’environnement n’est plus uniquement due à l’homme et sa conquête, mais bien à l’homme et sa cupidité. C’est d’ailleurs de moins en moins l’homme en tant que tel qui est le coupable, mais bien des multinationales ou des entreprises mal intentionnées. Désormais tous les films de science-fiction intègrent dans leur histoire une crise environnementale. C’est le cas par exemple d’ « Interstellar » (Christopher Nolan, 2014) mais aussi d’ « Elysium » (Neill Blomkamp, 2013) ou même de « Mad Max 4 » (George Miller, 2015). Par ailleurs, des films plus intimistes ou des récits basés sur des faits réels apparaissent, racontant des conflits entre l’homme et les entreprises. « Promised Land » (Gus Van Sant, 2013) raconte ainsi le combat d’une petite entité face à l’industrie du gaz du schiste.
A l’heure de clôturer ce texte, il est intéressant de voir que depuis les récits de conquêtes du début du vingtième siècle, dans lesquels la nature était une entité hostile à conquérir et à soumettre, le paradigme s’est inversé. La nature aujourd’hui est à protéger de l’homme et de sa cupidité. « Avatar » raconte exactement le contraire des films de conquête du Far-West, par exemple «Iron Horse» que nous citions plus haut : là où les héros devaient conquérir la nature au prix d’une confrontation sanglante avec des indigènes arriérés, en moins d’un siècle le virage à 180 degrés à eu lieu, puisque à présent, les héros sont du côté des tribus résistantes face aux dangereux colonisateurs inconscients. Les enjeux écologiques font désormais partie intégrante du cinéma populaire. Ils permettent probablement une conscientisation plus large et universelle et une acceptation morale du combat environnemental.