Focus et comparaison des Villes en transition et des Quartiers Durables Citoyens
1. Introduction
Nous vivons depuis quelques années déjà dans une société en forte évolution. Comme le souligne Guy Bajoit[[Bajoit G., Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Paris, Armand Colin, 2003
]], notre société évolue d’un modèle culturel industriel vers un modèle culturel post-industriel. Nous produisons beaucoup trop et pour écouler la marchandise, le consommateur lambda s’endette toujours plus, poussé par un matracage publicitaire dont l’unique objectif est de démontrer aux gens qu’ils ont besoin de posséder plus pour être heureux. La majorité de la population travaille donc pour dépenser son argent. Néanmoins, en parallèle au système dominant de consommation, une partie croissante de la population s’est arrêtée et réfléchit. Elle agit dans son quotidien pour acheter plus consciencieusement, en soutenant les agriculteurs locaux, en créant son propre potager, en sensibilisant son entourage à la question des ressources limitées de notre planète mais surtout en repensant notre système économique actuel. Cette étude a donc pour but d’étudier une tranche de cette partie de la population qui s’inscrit dans les démarches de Villes en transition et de Quartiers Durables Citoyens, sur le territoire de la région de Bruxelles-Capitale.
En 2006, Rob Hopkins a fondé le mouvement des Villes en transition (VT) dans la petite ville de Totnes en Angleterre. Ce mouvement remet en cause la croissance et essaie par des actions locales co-organisées par les citoyens, de s’adapter et de se reconnecter. Selon Rob Hopkins[[Hopkins R., Manuel de la transition: de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Les éditions Ecosociété, 2010 pour l’édition française
]], nous sommes entrés dans la seconde phase de l’ère du pétrole. Il faudra toujours plus d’énergie pour extraire les ressources fossiles dont notre économie a besoin pour continuer à produire encore plus.
La résilience[[« C’est à la base une notion de physique, ensuite de psychologie en 1939. En écologie, elle fait son apparition dans les années 70. Elle désigne la capacité d’un écosystème à se régénérer suite à un choc. » in Servigne P., La Résilience. Un concept-clé des initiatives de transition, Barricades, 2011
]], concept de base des Villes en transition, est la capacité d’un organisme à s’adapter face à un choc. Dans ce cas-ci, la résilience locale est la capacité des villes à pouvoir s’adapter à un manque de ressources pour manger, se chauffer, se déplacer. Nous dépendons du pétrole pour tout. Par exemple, les supermarchés ne peuvent nous servir en aliments que trois jours maximum, ensuite ils sont vides. Pour le mouvement de transition, il est donc essentiel que notre communauté soit prête à nourrir les citoyens grâce entre autres à des potagers locaux. Mais également que les individus soient eux-mêmes prêts à planter et à cultiver. Nous les appellerons des NIMAculteurs (des cultivateurs Non Issus du Monde Agricole) comme l’explique Pablo Servigne dans son livre «Nourrir l’Europe en temps de crise»[[Servigne P., Nourrir l’Europe en temps de crise. Vers des systèmes alimentaires résilients, Nature et Progrès, 2014
]].
Depuis 2006, les initiatives de Villes en transition éclosent dans le monde entier, du Brésil à la Belgique, toutes variées et spécifiques aux enjeux de terrain.
En Belgique, environ cinquante initiatives de transition existent. Dans le cadre de ce texte, nous nous concentrerons néanmoins sur la dimension urbaine des Villes en transition en étudiant Ixelles en Transition (XL en transition) et Bruxelles-Ville en transition (1000bxl en transition).
Nous les comparerons aux Quartiers Durables Citoyens (QD), initiative lancée par Evelyne Huytebroeck, Ministre bruxelloise en charge de l’Environnement de 2004 à 2014. En 2008, suite à l’engouement de quelques personnes, le cabinet de la Ministre a décidé de lancer ce projet ayant pour objectif de sensibiliser à la question du développement durable, de conscientiser et de promouvoir des actions citoyennes autour de la durabilité de son quartier, mais aussi de recréer du lien entre les habitants.
Nous étudierons deux Quartiers Durables Citoyens, le Quartier Wiels/Wijk sur Forest ainsi que le Quartier durable Logis-Floréal se situant à Watermael-Boitsfort.
L’objectif de cette étude est donc de faire une comparaison de ces deux mouvements, l’un insufflé par les citoyens (bottom-up) avec comme concept la résilience locale, l’autre par le politique (top-down), sur le concept de développement durable. Tous deux promouvant les mêmes urgences et poursuivant les mêmes objectifs : se recentrer sur le local, améliorer notre manière de consommer, de nous déplacer, de nous chauffer, et sensibiliser chacun et chacune à la question des ressources limitées.
2. RECITS DE TRANSITION
Nous avons voulu présenter ces initiatives de transition d’après le récit qu’en font leurs membres. Les quatre récits, décrits ci-dessous, sont basés exclusivement sur quinze entretiens réalisés de juillet à août 2015. L’évolution de ce type d’initiatives étant constante, il est probable que ces récits ne reflètent plus à 100% la réalité.
Récit n°1 – 1000bxl en transition
En 2013, François[[Par respect pour la vie privée, nous avons préféré utiliser des noms fictifs pour chaque personne rencontrée.
]], jeune papa, travaillant dans la communication, s’intéressait beaucoup aux questions de simplicité volontaire[Simplicité volontaire : est un mode de vie consistant à réduire volontairement sa [consommation, ainsi que les impacts de cette dernière, en vue de mener une vie davantage centrée sur des valeurs définies comme « essentielles » (définition sur Wikipédia, consulté le 10 avril 2016 ).
]]. Ayant la volonté d’essayer de se détacher du schéma classique « métro, boulot, dodo », il avait envie d’explorer d’autres horizons. De fil en aiguille, il s’est rapproché du mouvement de transition. En octobre, il a décidé de lancer un événement public sur Facebook en proposant une réunion d’information. Pour laquelle une dizaine de personnes, qu’il ne connaissait pas, se sont déplacées. Ce jour-là 1000bxl en transition est né. Marie a rejoint le groupe durant cette séance d’information. Elle a la trentaine, travaille comme avocate, et faisait déjà partie de groupements d’achats.
Je voulais aller plus loin et j’avais entendu parler des initiatives en transition par une amie qui était à XL en transition. Ça formalise des choses que je faisais déjà et ça donne beaucoup plus de moyens, fatalement on est plus nombreux, on sait faire plus de choses.
Jean, tout comme François, ce qui l’a le plus attiré, c’est le côté positif du mouvement de transition. C’est un mouvement voulant être une force de propositions aux enjeux d’aujourd’hui. Durant les premières réunions, le groupe a essayé de se définir en passant par l’écriture de textes de base portant sur les volontés de chacun autour de nombreuses réflexions. Marie évoque ses motivations liées à son implication.
Mon objectif est qu’on ne se balade pas avec des masques à gaz dans 60 ans. C’est la version alarmiste, mais c’est de montrer aux gens qu’il y a moyen d’être résilient et que ça apporte en qualité de vie aussi et qu’il n’y a pas besoin d’acheter à tout va, d’avoir 4 bagnoles ou même une, que c’est possible et que c’est pas des freins qu’on se met ni une austérité qu’on s’impose.
Le groupe voulait faire naître une conscience citoyenne sur les enjeux de notre époque, tout en étant rassembleur et tout comme Marie, en souhaitant montrer qu’autre chose est possible en s’adressant au plus grand nombre. Les quatre membres du groupe se rejoignent sur l’idée de vouloir organiser des actions agréables, conviviales, pour toutes les personnes habitant le quartier, jeunes, moins jeunes, belges, étrangers, etc. Des actions qui ne sont pas trop contraignantes ni trop lourdes pour le groupe et pour les personnes qui aimeraient s’y investir. Des actions qui pourraient également essaimer et être organisées par d’autres personnes à Bruxelles-Ville ou ailleurs.
Selon les quatre protagonistes, l’effondrement de la société se rapproche, ou en tous cas les manières actuelles de vivre, de s’alimenter, de se déplacer, de se chauffer vont changer, il faut donc s’y préparer. Selon ces derniers, que le politique change ou pas, c’est aux citoyens de se mobiliser. Pour Coralie, avoir un grand ennemi, ça ne sert à rien. (…) Personnellement, je n’ai jamais vu de bons résultats dans les groupes où il y avait un grand ennemi qui fallait combattre. Et j’ai l’impressio,n quand tu commences à critiquer, tu attires des gens qui aiment ça et qui sont forts dans l’ego, dans la critique de l’autre, et ça ne sert à rien, si on veut créer le monde de demain, de dire que c’est la faute de l’autre. (…) Il faut faire des choses en prenant nos responsabilités comme citoyen.
La vision pour le quartier, c’est une ville qui vit ! Plus de liens entre les voisins, une meilleure sensibilisation sur la manière de consommer et de vivre le quartier. Ainsi que la résilience du quartier en améliorant le vivre ensemble et la rencontre de différentes cultures.
Contrairement à 1000bxl en transition, le groupe d’XL en transition s’était déjà formé en 2011. Mais ça n’a pas pris, le groupe s’est réuni quelques fois sans que cela n’aboutisse. Ensuite, début 2013, trois personnes très engagées ont lancé une projection sur l’agriculture urbaine à Cuba, suivie d’un débat sur la transition. Ce jour-là est né XL en transition. Les quatre personnes rencontrées n’étaient pas présentes lors de cette projection. Elles ont rejoint le groupe par la suite. Julie était impliquée dans des mouvements associatifs déjà très connus comme le WWF. Elle n’y trouvait pas son compte et elle a décidé de s’investir dans des mouvements plus citoyens.
C’était très hiérarchique (WWF). Dès que j’avais une idée, on me faisait comprendre que je devais me taire. Donc j’étais vraiment frustrée. Après je me suis investie dans des mouvements plus citoyens comme « ça passe dans ma Commune ». Au final je suis tombée, je ne sais plus comment, sur la transition dès que je suis arrivée à Bruxelles. Je suis allée à un bistro transition qu’organisait XL en transition. J’ai rencontré Elena qui m’a proposé de venir à d’autres trucs et de fil en aiguille je me suis intégrée à l’équipe.
Selon Julie, la transition est un mouvement transversal qui relie à la fois le côté social, économique et environnemental dans le but d’accroître la résilience du quartier. C’est aussi, simplement, une idée de voisins qui veulent recréer du lien, ce qui s’avère difficile en ville.
Elena a rejoint le groupe un peu avant les autres. C’est le champ sur lequel le mouvement travaille qui l’a attiré, à la fois entre l’individu et les pouvoirs publics.
(…) Le champ local d’actions collectives, à l’échelle locale, qu’on peut influencer en agissant ensemble avec les gens qui sont autour de nous. Donc la transition est vraiment une technologie sociale conçue pour fonctionner à cette échelle pour débloquer l’action et un dynamisme au niveau du local qui est difficilement atteint dans l’activisme classique (lutte).
Selon Elena, le groupe de transition ne veut pas lutter contre quelque chose, mais l’objectif est de créer ce qu’ils voudraient voir comme solutions en recréant des connections au niveau social et économique.
Wendy a rejoint le groupe très récemment. Cela faisait longtemps qu’elle voulait s’investir mais n’avait pas assez de temps. Elle est devenue membre de Greenpeace. Il y a quelques années, elle s’est beaucoup investie dans la lutte contre le TTIP[Traité en cours de négociation entre les USA et l’Union Européenne qui devrait créer plus d’emploi et soutenir les échanges commerciaux entre ces deux nations. Cependant, il s’avère que ce traité ferait baisser les règles sanitaires, environnementales, de production, etc. européennes. Ce traité favorise les grosses « corporations » plutôt que les citoyens [https://stop-ttip.org
]].
Les quatre femmes se rejoignent sur l’aspect écologique et environnemental de leurs démarches, mais aussi sur l’aspect convivial et social : reconstruire du lien avec ses voisins, avec les cultures diverses et variées d’Ixelles, en montrant que les alternatives sont possibles et accessibles.
Pour Wendy, ce qu’elle apprécie dans la transition, c’est qu’il n’y a pas de gourou. Personne ne dicte leurs actions, c’est à chacun de trouver son propre chemin.
Pour les quatre femmes, la transition est une révolution silencieuse, lente, apolitique et non militante. Elle cherche à mettre en place des niches qui permettront de s’agrandir le jour venu sans forcer et sans bousculer le processus. Mais selon elles quatre, bon nombre de personnes sont prêtes à se préparer et à changer les choses et cela les rend positives. Le groupe essaie de ne pas se mettre trop de cadres, de contraintes, d’avancer en fonction de ses envies. Ils ne veulent pas planifier sur trois ans et se fixer des objectifs concrets. Ils ont vécu des hauts et des bas, moins de personnes se déplaçaient et s’investissaient, comme l’explique Julie.
Je pense que c’est normal, les « ups and downs », dans les mouvements citoyens. Je pense qu’on a voulu tester des choses qui n’ont pas nécessairement marché, mais ce n’est pas pour ça qu’on a perdu notre temps. On s’est concentré l’année dernière sur des réunions mensuelles publiques à la maison de quartier, en pensant qu’en étant plus transparent et public cela amènerait plein de gens. Ça a super bien marché les deux premiers mois. Et puis ça s’est totalement épuisé. Au mois de mai, il n’y avait plus personne.
Le groupe s’est un peu épuisé. Il veut dorénavant se regrouper sur le noyau dur existant en faisant plus de sensibilisation, d’échange entre eux. Pour le groupe, c’est important de faire des actions concrètes et conviviales et de créer des liens avec la société civile en servant de catalyseur. France pense que se recentrer sur le groupe est une bonne idée et que s’il n’y a pas d’amitié au sein du noyau, alors ça ne marche pas.
On ne va pas mettre de l’énergie à mesurer si on sensibilise beaucoup de gens et si c’est effectif. On fait ce qu’on peut et ce qui nous plait pour ne pas s’épuiser. Y a aussi l’idée dans la transition que s’il n’y a que trois personnes aux événements, ben c’est énorme trois personnes et c’est déjà génial. Si c’est que dix et que l’apprentissage est énorme, c’est mieux que trente qui ont juste regardé un film .
Récit n°3 – Quartier durable Logis/Floréal
Une trentaine de personnes se sont lancées dans la création de la ferme du Chant des Cailles à Watermael-Boitsfort. La ferme du Chant des Cailles[[http://www.chantdescailles.be/
]] regroupe un maraîchage, une bergerie, des herbes médicinales (Herbae) et un potager collectif. Comme le souligne Dina, pour ouvrir le Chant des Cailles à plus d’habitants du quartier, quelques personnes du groupe ont voulu s’intégrer à l’initiative de Quartier durable bruxellois fin 2013.
Le groupe qui a répondu à l’appel à projet venait déjà d’un groupe existant, la ferme du Chant des Cailles. Un espace fermé où on s’est rendu compte qu’on était fort repliés sur nous-même. Ce n’était pas du tout l’objectif. En fermant le jardin collectif aux chiens et autres, les habitants nous voyaient avec de la distance. On voulait sortir de là et on a vu l’appel à projet Quartier durable qui se rapprochait le plus à ce qu’on voulait faire.
Le Quartier durable Logis/Floréal se situe dans deux quartiers avec de nombreux logements sociaux qui appartiennent aux deux sociétés de logement; le Logis et le Floréal[[Elles ont d’ailleurs fusionné début 2016
]]. Marine, s’était beaucoup impliquée dans la ferme du Chant des Cailles et avait envie de se lancer dans le Quartier durable. Elle habite dans le Floréal, où il y a de nombreux soucis liés à la gestion du parc social. De nombreux logements sont inoccupés. Elle avait envie de faire revivre son quartier.
Pierre faisait partie du groupe qui a lancé le Chant des Cailles et d’un SEL (système d’échange local). Il est également le trésorier du Quartier durable. Lui et sa compagne se sont lancés dans le Quartier durable car ils venaient d’emménager dans le Logis. Ils voulaient recréer du lien avec leurs voisins. Pierre est au chômage, il a du temps, il veut surtout rester actif. Il veut aider les gens à être moins dépendants du système en améliorant leur quotidien. Il exprime ses principales raisons.
Mieux vivre, on a une façon de vivre qu’on nous a imposée dans notre vie depuis tout enfant. Je me suis rendu compte qu’il y a vraiment eu une manipulation qui a été faite sur notre société. Retrouver nos sources, sources de vie, et pouvoir être autonome financièrement, socialement et au niveau alimentaire. Et de le faire de la manière la plus naturelle possible. J’ai un jardin et on a des petits potagers, des légumes et des fruits. Retrouver nos origines, de l’utilisation de la terre.
Pour Dina, c’était important de se lancer dans une activité qui inclut tous les habitants du quartier, à la fois les anciens habitants et les nouveaux arrivés, souvent d’origine étrangère. Elle aime la dynamique du quartier et surtout toutes les personnes qu’elle rencontre au quotidien. Ceci l’enchante au point qu’elle serait prête à quitter son mandat de conseillère communale, s’il s’avérait qu’il y avait un conflit d’intérêt. Ce qui la motive surtout, c’est la dynamique du groupe. Dina voulait lancer un Quartier durable, pas simplement entre bobos ou les propriétaires du quartier.
Jean-Pierre est très intéressé par les questions de participation et de développement durable. Il est déjà impliqué dans bon nombre d’associations. Comme Dina, il faisait partie du groupe initiateur du Quartier durable Logis-Floréal. Pour lui, il est important que les habitants prennent en main la vie du quartier. Surtout avec les spécificités du Logis-Floréal, aujourd’hui, il y a une évolution de la population avec des clivages sociaux plus importants liés aux attributions des logements sociaux dans toute la Région de Bruxelles-Capitale. Certaines personnes arrivent sans rien connaître du quartier, ce sont souvent des personnes d’origine étrangère. Ils ont des enfants, ce qui était devenu rare au Logis-Floréal. Il existe dès lors un choc culturel entre les nouveaux et les anciens habitants du quartier, selon Dina.
Pour toutes les personnes du groupe, c’est essentiel de retrouver du pouvoir sur leurs vies.
Dina – On veut faire une projection : on le fait. On a du pouvoir sur nos vies, sur nos envies, sur notre Commune et ça c’est ce qui donne aussi la force au groupe c’est cette prise de conscience du fait que nous sommes agissants, nous avons du pouvoir. Sans avoir du pouvoir sur des gens mais sur nos vies. Si c’est la Commune qui le fait, tu te le réappropries difficilement.
Le groupe se gère de façon collective. Ses membres n’étaient pas sûrs que ça allait être facile, car les gens sont déjà investis dans de nombreuses activités. Mais la dynamique est très bonne. Même maintenant sans subsides, ils veulent continuer et ils ont beaucoup de projets.
Le projet s’est défini sur trois axes; le Festival des 7 lieues, le poulailler et les serres. Grâce aux subsides de Bruxelles-Environnement, ils ont lancé un poulailler et un compost au Floréal, un cinéma en plein air (régulier, à la bonne saison). Pendant deux ans, ils ont bénéficié d’un coach et de subsides pour les initiatives citées ci-dessus. Grâce aux deux sociétés de logements, ils ont eu des autorisations pour l’implantation du poulailler ou encore les projections de films.
Récit n°4 – Quartier Wiels/Wijk
En 2013, Claire avait envie de louer son rez-de-chaussée pour un magasin. Elle ne voulait pas le transformer en habitation car pour elle c’est important que le quartier vive. Claire a contacté Les Petits Riens et Oxfam, mais chacun trouvait qu’il n’y avait pas assez de passage. Ce ne serait pas assez rentable. Claire s’est dès lors demandée pourquoi son quartier était si triste et peu convivial. Elle a tout de suite contacté la Commune pour voir ce qu’ils pouvaient faire ensemble avec un Contrat de quartier par exemple. Comme elle habite près d’un axe régional, il lui a été suggéré de se lancer dans le processus des Quartiers durables. Avec une amie, elles se sont rendues à une séance d’informations. Hélène s’est lancée dans l’aventure avec Claire et a participé à la rédaction de l’appel à projet. Elle est allée à Totnes, dans la ville de Rob Hopkins, la transition l’attirait. Elle travaillait dans la danse, la culture mais elle avait envie de faire autre chose, plus en lien avec ses valeurs environnementales. Totnes était très inspirant et l’a poussée à lancer un projet semblable. Hélène a d’abord été à une ou deux rencontres au lancement de St-Gilles en transition mais elle trouvait que c’était trop théorique, pas assez sur le terrain et dans le concret, beaucoup d’intellectuels avec des projets trop ambitieux. Hélène aimerait également trouver ou créer un travail en lien avec ses valeurs.
Mon objectif à long terme, c’est d’avancer vers quelque chose qui pourrait me donner une expérience professionnelle. Encore aujourd’hui, mon objectif est de créer un job dans cette mouvance-là, comme la coopérative qu’on lance en ce moment. La coopérative est née de ce projet-là (Quartier Wiels).
Le projet du Quartier durable Wiels/Wijk portait sur l’embellissement du quartier. La marche à pied en était le point central mais aussi la rencontre et le bilinguisme (NL/FR). Grâce à la marche à pied, ils ont identifié différents axes tels la propreté, la verdurisation, la convivialité, etc. Le groupe voulait favoriser la rencontre entre les habitants. La marche à pied permet également d’utiliser moins la voiture, mais aussi de vouloir que son quartier soit plus beau, plus propre, qu’il soit un lieu agréable dans lequel se balader.
Dans l’appel à projets, le groupe n’avait pas envie d’utiliser du vocabulaire tel que durable et transition. Il trouvait que c’était trop élitaire, trop intellectuel ou encore lié à une couleur politique. C’était important pour le groupe de ne freiner aucune envie de la part des habitants afin de les rejoindre.
Dans ce quartier, il n’y a aucune petite place, commerce ou café agréables dans lequel se retrouver, se rencontrer. D’ailleurs, le Quartier Wiels/Wijk n’avait pas de nom et la notion de quartier n’existait pas vraiment avant l’initiative lancée par Claire et les autres. C’est un quartier qui n’a pas bénéficié de subsides pour un Contrat de quartier[[Subsides pour le réaménagement du quartier, lancé par la Commune, équivalant à 15 millions d’euros.
]] comme a pu en bénéficier le quartier Saint-Antoine ou le Pont de Luttre. Ce quartier est coincé entre des voies régionales, ce qui fait qu’il y a peu de passage entre les différents quartiers. On y retrouve dès lors des monocultures. C’est le côté négatif que Claire met en exergue.
Sara a aussi participé à l’appel à projets. Elle aimait le côté spontané et convivial du projet. Elle organisait déjà régulièrement des rencontres entre voisins dans son immeuble. Son objectif était de sensibiliser les habitants et de montrer qu’il est possible de faire et de vivre autrement. Sara était déjà attirée par l’environnement avant le QWW. Elle est également impliquée dans les États généraux de l’eau[« Les Etats Généraux de l’Eau à Bruxelles (EGEB) sont nés d’un appel à projets « [Réconcilier la ville avec l’eau » qui a été publié à la suite de la crise de la station d’épuration Nord de l’hiver 2009-2010, porté par une plate-forme de citoyens et d’associations. » – http://www.egeb-sgwb.be/
]] dans son quartier. Mais elle avait envie de faire plus de choses concrètes et surtout de toucher d’autres populations plus précarisées. Et elle se rend bien compte que l’aspect environnemental n’attire pas nécessairement les gens et encore moins les publics précarisés. Pour le groupe, il est également important que les habitants se réapproprient leur quartier. Quand le politique met en place certaines choses, les habitants le respectent moins que quand ils le font eux-mêmes.
Ce qui importe au groupe, c’est de solliciter la participation plus que de l’argent. Hélène rejoint Sara à ce sujet.
Un peu comme à Totnes, c’est ce que Rob Hopkins dit aussi, il vaut mieux que le projet soit au départ citoyen. Si le projet vient d’en haut ça ne marche pas. C’est un peu l’expérience qu’on a eu avec les Eco-Iris[[Eco-Iris, c’est une monnaie locale qui a été lancée en 2013 en Région bruxelloise sous l’impulsion du cabinet d’Evelyne Huytebroeck. Après la phase pilote de deux ans, ils ont abandonné le projet.
]], flop total alors que si c’était venu de la base, cela aurait pu marcher.
L’objectif du groupe, c’est d’œuvrer pour un mieux être urbain avec plus de rencontre, de solidarité, de propreté et de convivialité. En essayant d’améliorer l’existant sans changer fondamentalement les choses, mais en ajoutant un banc, des bacs à fleurs, un pied de réparation pour les vélos, etc. Pour Claire, c’est aussi la réappropriation du quartier par ses habitants.
Que ce (les actions du groupe) soit repris, que les habitants le fassent aussi, qu’ils se rendent compte que l’espace public est aussi à eux, un certain mimétisme en fait. Que les gens se sentent libres d’organiser des choses. En montrant qu’on peut aussi dialoguer avec les pouvoirs publics plutôt que de râler sans agir.
C’est également important pour le groupe de ne pas se définir comme étant contre quelque chose. Ils veulent rester positif, montrer qu’il vaut mieux agir que de se plaindre. Chacun à son niveau peut déjà agir, en ramassant ses déchets comme le souligne Claire.
3. L’analyse
comparative des initiatives de transition
3.1
Sphères individuelle et collective
Dans une période marquée, d’une part, par une désaffection inédite des citoyens à l’encontre des institutions traditionnelles (par ex. partis politiques ou syndicats), et d’autre part, par un sentiment d’urgence écologique et sociale, il n’est pas étonnant de voir fleurir ici et là un nombre croissant d’initiatives de transitions. Ces initiatives à Bruxelles, qu’elles soient impulsées par les pouvoirs publics ou non, stimulent la participation citoyenne dans l’espace public. Un nombre encore restreint de personnes ont la volonté de retrouver du pouvoir sur leur vie, leur alimentation, mais aussi sur la vie de leur quartier. Nous analyserons dans le paragraphe qui suit le profil des Acteurs et leur motivation, un des angles de l’étoile de Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès[[Franssen A., Orsini A., Syllabus du cours – Analyse de l’action publique, Université Saint-Louis Bruxelles, année académique 2014-2015
]], pour analyser l’action publique.
Dans les quatre initiatives, nous retrouvons des groupes homogènes. Des groupes rassemblant des individus ayant des intérêts et des valeurs en commun quant à la vie de leur quartier et le vivre-ensemble. Leur intérêt commun est lié à leur quartier et à la collectivité puisqu’ils y habitent. Ils veulent retrouver un sentiment d’appartenance et de communauté. Leurs valeurs sont individuelles mais rapprochent les membres des groupes. La solidarité au sein des groupes est fort développée, de même que la volonté d’avoir un éco-comportement et de démultiplier son action individuelle. Ils veulent aussi se réapproprier l’espace public, en l’utilisant à des fins collectives.
Avant de poursuivre, il est important de noter que, premièrement, chacun des acteurs rencontrés est déjà bien impliqué dans la vie de son quartier ainsi que dans le secteur associatif. Deuxièmement, ce sont des personnes qui disposent de revenus suffisants pour consacrer une partie de leur temps à la réalisation de leur engagement citoyen. Les personnes rencontrées ressortent principalement de la classe moyenne supérieure de type universitaire. Enfin, elles ont toutes entre 26 et 43 ans, d’origines belgo-belge ou européenne, plus souvent des femmes. Sur quinze personnes rencontrées, il s’est avéré que onze étaient des femmes. Par manque de temps, nous n’avons pas eu la possibilité de faire une étude approfondie afin de déterminer un profil plus précis de ces personnes.
2012/2013 est l’année clé pour ces quatre initiatives. L’idée a émergé collectivement pour XL en transition et le Quartier durable Logis/Floréal. Pour 1000bxl en transition et le Quartier Wiels/Wijk, par contre, c’est suite à la volonté d’une personne, sensible aux questions de simplicité volontaire pour l’un et une volonté de verduriser son quartier pour l’autre.
Dans les quatre groupes, chaque individu arrive avec son propre passé et surtout ses propres envies. Néanmoins, tous se rejoignent sur la volonté de recréer du lien social, de participer à un projet convivial, dynamique et surtout de se faire plaisir. La notion de « se faire plaisir » est un point important pour ces deux initiatives. Prioritairement, il n’est pas question de changer le monde ou la société mais bien de prendre du plaisir dans des actions collectives. Prendre du plaisir à rencontrer ses voisins, à faire des choses avec ses mains, à découvrir son quartier, à lancer des actions pour être bien ensemble. Un second point qui allie tous les acteurs, c’est de montrer aux habitants qu’il est possible de faire autrement, dans un esprit de collectivité et de changer les comportements individuels.
Selon Alexis de Tocqueville, pour parler des objectifs communs et donc du « pourquoi », nous pouvons nous pencher sur la théorie de la frustration[[de Tocqueville A. in : Franssen A., Cours OPES 2248 : Acteurs sociaux : mobilisation et démobilisation – notes de cours, Groupe FOPES-Libramont, UCL, année académique 2014-2015, p.53
]]. Ces acteurs se mobilisent aujourd’hui car chacun voit se dégrader, ou a peur d’une potentielle dégradation, de sa qualité de vie ou de la qualité de vie de son quartier. La peur d’être privé de certains biens ou services de base comme l’accès à une bonne alimentation, la volonté de retrouver les liens entre leurs voisins, de repenser et de s’approprier l’espace public. Selon Abraham Franssen[[Franssen A., id, p.53
]], il s’agit ici d’une privation anticipée qui les pousse à se mobiliser et à réagir aujourd’hui. Ils ne se sentent plus en phase avec la société actuelle et aimeraient recréer un système économique et social plus coopératif, plus local. Un système qui inclurait toutes les catégories sociales et les multiculturalités de chacun. La volonté des acteurs de la transition, est également, comme le souligne Paul-Marie Boulanger[[Boulanger P-M, Les initiatives citoyennes de transition : significations et perspectives politiques, Institut pour un Développement Durable, 20/03/2015
]], de pallier l’impuissance des institutions à agir dans le bon sens.
Dans aucun des entretiens effectués au sein des Quartiers durables, nous n’avons entendu parler d’effondrement[[« Un effondrement est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement,énergie,etc.) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. » Cochet Y., l’Effondrement, catabolique ou catastrophique ?, Institut Momentum, 27 mai 2011 in : Servigne P., Stevens R., Comment tout peut s’effondrer, Seuil, 2015
]] ou encore de devoir se préparer à l’avenir. Avec la volonté de moins dépendre des énergies fossiles en créant la société de demain, post-pétrole et post-matérialiste[[« Le post-matérialisme est un système de valeurs déterminé par l’expérience d’un niveau de bien-être et de sécurité économique et physique suffisant, lié à un niveau d’instruction élevé, qui voit l’affirmation de l’autonomie individuelle, de la liberté d’expression et de la démocratie participative, de valeurs permissives, libérales ou humanistes, de tendance plutôt de gauche. » in : De Muynck S., Initiatives de transition : les limites du mouvement, Barricades, 2011
]]. Les Villes en transition, néanmoins, insistent sur ces aspects environnementaux en expérimentant les solutions à petite échelle. Nous y reviendrons dans la partie Référentiel ci-dessous.
Nous nous retrouvons ici dans le paradigme du conflit (NOUS) étudié par Alain Touraine[[Franssen A., id, p.70
]]. Ils réalisent des actions grâce à leur unité, les intérêts collectifs doivent l’emporter sur les intérêts individuels pour que leurs groupes se maintiennent. Le Quartier Wiels/Wijk est un bon exemple. C’est une initiative qui a du mal à reprendre après deux années[[Un appel à projets, si accepté, est d’une durée de deux ans. Durant ces deux années, le groupe bénéficie du cadre et du coaching. Après les deux années, c’est au groupe à remettre un nouvel appel à projets ou à continuer seul. A ce stade, plusieurs groupes ne poursuivent pas.
]] d’existence. Plusieurs personnes au sein du groupe ont décidé de se lancer dans d’autres activités personnelles ou collectives. Les volontés « individuelles » ont donc repris le dessus. Hélène du Quartier Wiels/Wijk : Mon objectif à long terme, c’est d’avancer vers quelque chose qui pourrait me donner une expérience professionnelle. Encore aujourd’hui, mon objectif est de créer un job dans cette mouvance-là, comme la coopérative qu’on lance en ce moment. La coopérative est née de ce projet-là (Quartier Wiels).
Une initiative de Ville en transition à Bruxelles ne sera pas du tout la même qu’en Wallonie. Les enjeux de terrain et la proximité envers les pouvoirs publics ne sont pas semblables. A Bruxelles, il est évident que la multiculturalité, mais surtout l’intégration des nouveaux habitants, s’avèrent être un vrai enjeu. Nous avons pu l’observer dans les quatre groupes traités. La volonté est de toucher d’autres populations, souvent des populations plus précarisées, ainsi que d’apprendre à vivre ensemble mais également de faire naître une conscience citoyenne sur les enjeux de société. Que ce soit la sensibilisation sur les enjeux environnementaux pour les VT et le Quartier durable Logis/Floréal, pour que par exemple chacun soit moins dépendant du système, ou encore sur la propreté et le vivre-ensemble pour le Quartier Wiels/Wijk. Il y a également la volonté pour certains acteurs de se sentir moins seuls face aux enjeux environnementaux, de pouvoir échanger sur les mêmes valeurs entre militants apolitiques. Ce dernier point est crucial : ces initiatives se veulent être apolitiques et une confiance naît avec les citoyens parce que selon eux, ils ne sont pas de gauche ou de droite. François de 1000bxl en transition : Une confiance nait avec les pouvoirs publics mais c’est aussi parce qu’on est pas dérangeants, si demain on leur casse les pieds on n’aura plus rien. On préfère garder une relation saine avec eux plutôt que de cracher ce qu’on pense sur le bourgmestre, car c’est pas productif. On soutient d’autres luttes mais on ne veut pas diviser la population et être étiqueté gauche ou droite.
Ces deux types d’initiatives s’inscrivent en faux par rapport aux discours idéologiques et dogmatiques qui sont le lot des institutions (partis, syndicats, etc.). Ce qui fait leur originalité, c’est le rejet de l’idéologie en faveur de l’action concrète.
En terme de nombre, dans chacun des groupes, ils ne sont pas très nombreux. Le noyau fluctue autour de dix personnes. C’est une des difficultés rencontrées que nous évoquerons ci-après. N’étant pas très nombreux, il est essentiel pour ces acteurs d’organiser des actions qui sont simples, non-contraignantes, pas trop lourdes et qui peuvent être reprises par d’autres du quartier, tout en restant chapeautées par le groupe.
En termes de mode de fonctionnement interne, c’est une démocratie délibérative[[La démocratie délibérative implique que les décisions politiques/publiques soient prises en sollicitant la participation du plus grand nombre. Les débats permettent à tout un chacun de prendre des décisions ou de changer d’avis en comprenant les tenants et aboutissants de ce choix. Cette méthode est de plus en plus demandée par les habitants des quartiers, elle est inspirée de John Rawls et Jürgen Habermas.
]]. Il n’y a pas de leader ou de gourou. Les membres des groupes sont formés à d’autres manières de délibération et de gestion de groupe ce qui illustrent leur esprit innovant. Comme par exemple la Sociocratie[« Le terme sociocratie réfère à un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation de se comporter comme un organisme vivant, de s’auto-organiser. Cela devient possible lorsque toutes les composantes de l’organisation sont en mesure d’exercer une part du pouvoir sur la gestion de l’ensemble : c’est ce que permet le dispositif sociocratique ». [http://www.ecoattitude.org/ consulté le 11 avril 2016.
]]. Les habitants sont également conviés aux réunions de groupe via Facebook ou avec des toutes boîtes papier. Les groupes sont souvent entre eux, ils restent également fort homogènes. Pour XL en transition, la difficulté réside dans le fait que le groupe rassemble principalement des jeunes femmes blanches, ayant les mêmes envies et les mêmes compétences.
Pour inclure davantage les citoyens, le Quartier Wiels/Wijk a, par exemple, lancé une grande Assemblée participative à laquelle une centaine de personnes du quartier se sont jointes. Durant l’Assemblée, des groupes de travail se sont formés pour discuter et prioriser sur divers sujets. Par la suite, les priorités des habitants ont fait partie des lignes directrices du groupe. Cette Assemblée a aussi permis de « recruter » plus de participants ainsi que de se faire connaître. Un autre point similaire qui regroupe les quatre initiatives, c’est également la volonté de ne pas se fixer des objectifs qui pourraient cadrer l’action, qui doit rester spontanée.
3.2
Leitmotiv – Remise en cause du paradigme
Dans cette partie, nous essayerons de mettre en avant les intérêts partagés, la politique de conflit, pourquoi ces acteurs se mobilisent-ils et contre qui ? Nous approfondirons également la remise en cause du paradigme avec les coûts supplémentaires liés à leurs démarches et les difficultés qu’ils ont rencontrées.
Les quatre groupes traités font partie des quatre classes de la résistante ordinaire selon Michelle Dobré[[in IDDRI, Modes de vie et empreinte carbone : Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte carbone, Les Cahiers du Clip n°21, 2012
]] : la frugalité; la consommation « verte », le « faire soi-même » et la recherche d’un « style alternatif ». A la fois à travers des ateliers de produits cosmétiques, de cours de cuisine, les marchés gratuits, les confitures solidaires, le poulailler, etc. Un des leitmotivs partagés au travers des quatre expériences est la volonté que leurs actions essaiment, que les habitants puissent se les réapproprier. Pour ce faire, ils proposent des activités chouettes, simples à organiser, intergénérationnelles, à la fois didactiques mais aussi récréatives. Les VT veulent montrer qu’autre chose est possible, en venant en force avec des solutions. Le premier groupe d’XL en transition n’a pas du tout fonctionné et est tombé à l’eau, car il avait une approche trop théorique. C’est un point important pour les VT et les QD que de ne pas rester trop longtemps dans la théorie, mais bien de lancer rapidement des actions concrètes.
Ce qui ressort des entretiens, c’est la volonté de ne pas être « contre » quelque chose mais de proposer des actions positives. Selon eux, les groupes qui sont contre un « grand ennemi », cela ne fonctionne pas. Le fait de ne pas être contre ou de ne pas entrer dans une catégorie plutôt qu’une autre (ex. : écolo, bobo, gauche/droite) leur permet d’être plus « rassembleurs ». Ils nourrissent le sentiment qu’il y a moyen de rassembler très largement par-delà des catégories traditionnelles.
Nous pouvons dire qu’ils « désobéissent » d’une certaine manière. Ils essayent de ne pas passer par le marché, de créer des modes de fonctionnement parallèles (ex: Repair café, Marché gratuit). C’est en cela qu’ils sont dans la remise en cause du paradigme. Ils veulent faire évoluer les mentalités, que ce soit en termes d’action individuelle ou encore en réalisant que l’espace public est un lieu commun pouvant être « exploité » par tous. Les VT pensent que si tout le monde change, il y a encore moyen d’éviter l’effondrement[[« Un effondrement est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement,énergie, etc.) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. » Cochet Y., l’Effondrement, catabolique ou catastrophique ?, Institut Momentum, 27 mai 2011 in : Servigne P., Stevens R., Comment tout peut s’effondrer, Seuil, 2015
]]. Lors des rencontres avec les membres, on ressent un vrai sentiment d’espoir et de positivisme. Selon ces derniers, les gens se rendent compte qu’il faut changer et qu’il ne faut pas attendre que cela se fasse au niveau politique.
Les VT réalisent qu’à elles toutes seules, elles ne réaliseront pas un changement suffisant. Mais selon Rob Hopkins, le fait qu’il y ait de plus en plus de niches, de taches d’huile, cela permettra un changement culturel et de comportements auprès des habitants des quartiers, au sujet du vivre-ensemble et d’une société post-matérialiste. Le mouvement des VT doit dès lors générer des forces de changement ascendantes, celles-ci fourniront un cadre dynamique et créateur pour les initiatives à un niveau supérieur [[De Muynck S., Initiatives de transition : les limites du mouvement, Barricades, 2011
]]. C’est également plus important d’avoir des niches plutôt que de grosses associations car, selon les VT, si une niche tombe cela aura moins d’impact que si une grosse association s’effondre.
La remise en cause du paradigme n’est pas facile. Cela nécessite du temps, de l’énergie. Les acteurs rencontrés doivent faire des sacrifices[[« La désobéissance suppose d’accomplir un long parcours psycho-sociologique et on ne peut y accéder qu’au prix d’un effort considérable » in Franssen A., id, p.47
]], mais se heurtent aussi à quelques difficultés car le cadre administratif institutionnel n’est pas adapté à ce genre d’initiatives. Par contre, la société et les politiques permettent une démultiplication de ces groupes car ils restent des oasis déconnectés, ne remettant pas frontalement en cause le système.
La volonté des groupes est de rester des groupes de quartier informels, non contraignants. Mais ce point est une de leurs forces et une de leurs faiblesses. Une de leurs forces car ils attirent une multitude de personnes, certaines s’impliquant ponctuellement. Une de leurs faiblesses car le noyau n’est pas assez grand. Ils manquent tous de bénévoles pour faire plus d’actions mais aussi et surtout pour pouvoir se reposer. XL en transition a connu des « ups and downs » car il y a eu beaucoup de mouvements, les gens viennent et puis repartent. Selon François de 1000bxl en transition, ce n’est plus comme c’était avant : les gens s’impliquent de façon « zapping » et ne s’impliquent plus pour 20 ou 40 ans dans le même groupe comme le faisaient nos parents ou grand-parents. Une des difficultés liées à l’aspect urbain de ces initiatives est également liée au fait que les gens déménagent plus en ville. Concernant l’aspect urbain, le côté impersonnel de la ville a également été évoqué. Les habitants sont moins enclins à essayer de connaître leurs voisins, de créer, de rêver et de faire ensemble. Chacun est dans son rythme métro-boulot-dodo. La multitude d’événements, d’activités et d’initiatives en ville fait que les gens ont moins de temps à consacrer à un événement en particulier. Le succès des actions des quatre initiatives est donc cyclique. Une dernière difficulté par rapport à la ville, c’est le mélange culturel. Il est difficile pour les quatre groupes de toucher un public plus précaire et multiculturel.
Une deuxième difficulté, déjà évoquée ci-dessus, est bien entendu le manque de temps. Chacune des initiatives a exprimé cette difficulté. Ils ont tous beaucoup d’idées mais il n’y a pas assez de suivi. Nous avons ressenti de l’épuisement dans la plupart des entretiens, pour certaines personnes plus que pour d’autres.
Selon le QD Logis/Floréal, les personnes qui savent s’investir sont les personnes âgées (pensionnées), les chômeurs, les personnes sans enfants mais également les personnes à l’aise financièrement. C’est une des raisons pour laquelle les groupes sont fort homogènes et ont du mal à « recruter » en dehors. A XL en transition, ils se fatiguent à devoir sans cesse sensibiliser et fidéliser. Ils évoquent également la difficulté de toujours devoir être constructif en trouvant des solutions. Il est plus facile de critiquer ou d’obéir, mais cela va à l’encontre de leurs principes. A 1000bxl en transition, ils ont également évoqué la volonté pour certains de mettre des règles, de formaliser leur démarche, se rendant vite compte que cela va également à l’encontre de leur idéologie de base.
Il semble certes difficile de voguer dans la sphère sociétale tout en voulant faire changer le paradigme, changer les comportements. Ci-dessus, nous évoquions les difficultés rencontrées au niveau du groupe ou encore au niveau individuel. Ci-après, nous nous pencherons plus en détail sur le cadre politique et administratif dans lequel les initiatives doivent se confondre. Le cadre administratif actuel semble avoir du mal à absorber le type de demandes de ces initiatives mais également le rythme qui est plus rapide que celui de l’Administration. Par exemple, XL en transition avait reçu l’accord pour l’attribution d’un subside mais ils n’ont reçu l’argent qu’après l’événement. Mais pour un collectif de citoyens, il n’est pas évident d’avancer l’argent. Ou encore la Commune a accepté de leur prêter des chaises et des tables, mais ne voulait pas les leur déposer. La plupart n’ont pas de voiture, ni le temps de venir les chercher dans les plages-horaires, non-flexibles, de la Commune. Les quatre groupes ont exprimé beaucoup de frustrations et de découragement face aux contraintes administratives. Le problème étant également de devoir demander parfois à cinq guichets différents pour avoir les réponses à leurs questions. Un collectif de citoyens, spontané, ne rentre définitivement dans aucune case de l’Administration.
Dès lors, la plupart ont abandonné leur souhait de faire appel à la Commune ou même aux subsides communaux pour leurs actions. Malgré une volonté réelle des pouvoirs communaux d’aider et de soutenir ces initiatives, l’Administration reste cependant coincée dans le système avec de nombreuses règles et conventions. Beaucoup d’autorisations doivent être demandées pour organiser une action. Elles sont complexes et difficilement accessibles aux citoyens. Il est ressorti dans les entretiens qu’elles sont également trop lentes et étouffantes pour le groupe qui veut simplement organiser un Marché gratuit dans un lieu commun. Ils auraient effectivement besoin de plus de souplesse, de plus de rapidité (autorisation/subside) et encore d’un interlocuteur transversal au sein de l’Administration. Les QD et les VT ont cependant la volonté de collaborer avec les pouvoirs communaux.
La volonté d’avoir à leur disposition un local qui leur permettrait de laisser du matériel, d’organiser des rencontres est un autre aspect. Plus globalement, la Commune est en possession de foncier et pourrait mettre à disposition certains locaux, salles pour les initiatives de quartier, selon XL en transition. C’est une question qui fait débat au sein de 1000bxl en transition. Certaines personnes ont peur de dépendre des pouvoirs communaux, si ceux-ci leur laissent exploiter un local gratuitement. Oseront-ils, un jour, aller à l’encontre des pouvoirs communaux dans ce cas-là? Pour d’autres, c’est effectivement le rôle de la Commune d’être au service du citoyen, par exemple en donnant le libre accès à certains lieux communs.
Le manque d’argent n’apparaît pas tout de suite comme une contrainte. Pour les VT, c’est très important de commencer sans argent, de se lancer, car beaucoup peut être fait sans ressources financières. Ils ont bénéficié de quelques subsides ou dons. Pour les quatre initiatives, ce qui reste important, c’est bien entendu de garder leur autonomie, leur indépendance et leur liberté d’expression. Les QD ont, eux, bénéficié de plus ou moins 10.000 euros. Même si cette somme a apporté quelques contraintes au groupe, cet argent leur a permis de se lancer. Néanmoins, aujourd’hui, ils désirent « redevenir » indépendants et ne plus dépendre de subsides pour lancer leurs projets. Un dernier questionnement est présent dans la plupart des groupes : la volonté de financer un emploi. Pour les membres des quatre groupes, il y a une demande importante de la part des habitants et il y a de quoi faire. 1000bxl en transition réfléchit à l’idée de générer du profit grâce à un projet comme le Marché des Tanneurs[Marché (couvert) proposant des aliments locaux, de saison et bio. Ouvert six jours par semaine, rue des Tanneurs, 60 à 1000 Bruxelles ([www.terrabio.be)
]], le profit généré étant réinjecté dans le projet. Un profit qui pourrait subsidier un emploi rémunéré. Le Quartier Wiels/Wijk aimerait que cet emploi soit subsidié par la Commune. Alors survient le questionnement de la légitimité et de l’indépendance.
Les membres des quatre groupes sont satisfaits par leurs actions et leur implication. Chacun consacre beaucoup de temps au groupe et à la communauté. Du temps qui est repris sur la famille, même si la plupart des membres essayent de faire un maximum en famille. Dans le Quartier Wiels/Wijk, certains trouvent que cela prend trop de temps sur leur vie privée et aimeraient faire parfois autre chose. Mais pour la plupart, les gains sont plus importants que les coûts payés. Selon Abraham Franssen, les gains ne se limitent pas, dans ce cas-ci, à des biens économiques ou matériels. Le plaisir, les rencontres, l’apprentissage, le partage, la réappropriation de l’espace public sont, parmi d’autres, les multiples « gains » récoltés chaque jour par les membres des quatre groupes.
Dans un entretien au sein du Quartier durable Logis/Floréal, il a été évoqué l’allocation universelle et la réduction du temps travail comme solutions pour permettre aux personnes de consacrer plus de temps à ce genre d’initiatives.
3.3
Action collective – Self-Help
Leurs actions sont liées à des objectifs socio-politiques. Ils avancent en parallèle à la société et surtout à la politique belge. Ils naviguent tous dans une sphère sociétale, dans l’espoir de faire changer les mœurs, les cultures mais surtout les comportements. Nous sommes ici dans une action collective locale, à l’inverse d’un activisme classique (militantisme politique par exemple). L’action doit rester bottom-up venant d’un collectif de citoyens. La transition est ouverte à tous et surtout essaie de travailler sur tous les aspects de la société en étant transversale. Leur volonté est que tout avance dans le même sens. Les deux VT soutiennent d’autres luttes mais n’y prennent pas part, pour ne pas diviser le groupe. Idem pour les Quartiers durables.
Nous pouvons également supposer qu’il y a une culture de l’entre-soi dans ce genre de groupes qui attire un même type de personnes, de niveau académique similaire (universitaire). Une personne d’origine étrangère ayant étudié dans une Haute école ou une Université pourra s’intégrer dans ce genre de démarches contrairement à une personne n’ayant pas fini le secondaire même si il ou elle est d’origine belgo-belge. Ce point ne peut que rester approximatif, car le temps a manqué pour déterminer un profil exact des membres des groupes. Cependant, les personnes rencontrées rentrent dans ce cadre, comme nous l’avions stipulé ci-dessus.
Pour reprendre la typologie dite de Kreisi, la catégorie qui définit le mieux les quatre initiatives est le Self-Help[[« Self-help » : type d’action collective qui mobilise des ressources internes qui contournent le conflit en puisant au sein du groupe, les ressources internes in Franssen A., Cours OPES 2248 : Acteurs sociaux : mobilisation et démobilisation, 2014-2015
]]. Leurs actions mobilisent des ressources internes. Elles contournent le conflit en puisant au sein du groupe les ressources nécessaires. Reprenons ici Alain Touraine, selon ce dernier, l’homme n’est ni un produit du contrôle social, ni un être aliéné, ni un individu « égoïste » animé par la poursuite de son intérêt. Il est avant tout capable d’agir collectivement sur la société [[Franssen A., id, p.20
]]. Chaque membre se rend compte qu’il est plus fort en groupe. C’est la raison pour laquelle ils se sont impliqués pour que leurs actions aient plus d’impacts.
3.4 Ressources matérielles et immatérielles
Les ressources sont une partie essentielle des déterminants de la stratégie des acteurs[[Franssen A., Orsini A., id
]]. Les ressources matérielles et immatérielles sont mobilisées pour mener à bien les actions des groupes, qu’elles soient matérielles, humaines, de savoir et de compétence ou encore temporelles et politique. Un point commun aux quatre initiatives est leurs ressources limitées. Ils doivent les utiliser à bon escient. Les deux Quartiers durables ont bénéficié de ressources financières plus ou moins conséquentes suite à l’appel à projet, contrairement aux Villes en transition qui ont elles très peu sollicité les pouvoirs politiques pour de l’argent.
Le Quartier Wiels/Wijk a bénéficié de 15.000 euros, le Quartier durable Logis/Floréal a lui bénéficié de 10.000 euros et n’en a utilisé que 8.000. Les deux ont évoqué des difficultés suite au cadre et aux contraintes de justificatifs mais toutes deux pensent que sans cette somme d’argent et ce cadre administratif, les membres de leur groupe ne se seraient pas réunis pour faire des actions. Pour la suite, aucunes des deux n’a refait d’appel à projet, ils ont donc décidé de continuer par eux-mêmes. Une chose importante que le Quartier durable Logis/Floréal avait décidée en amont a été d’investir leurs 8.000 euros dans du matériel au lieu de les affecter aux frais de fonctionnement. A présent, ils veulent rentabiliser leurs ressources matérielles telles que le projecteur, une bâche pour projeter ou encore des gobelets réutilisables. Ils comptent également par la suite les prêter aux citoyens qui le désirent. Ils ont bénéficié à présent de 14.000 euros de la Région de Bruxelles-Capitale pour leur appel à projet d’« épicerie collaborative ».
Pour XL en transition, qui dépense en moyenne 50 euros en photocopies par an, il a été décidé jusqu’à présent de ne pas dépendre des subsides régionaux ou communaux. Le budget doit également être dépensé dans un temps imparti. C’est une contrainte supplémentaire. 1000bxl en transition, quant à eux, ont bénéficié de l’Agenda 21 pour une valeur de 1000 euros en 2015. Ils ont également reçu 500 euros de la Commune de Bruxelles-Ville pour le potager Alhambra et 600 euros des Quartiers verts (subside régional). Ils insistent sur le fait que l’argent ne peut pas être un moteur pour lancer une initiative. En termes de liens avec les pouvoirs publics, les quatre groupes ont toujours bénéficié des autorisations nécessaires pour organiser leurs actions. Ils souhaiteraient bénéficier d’une convention qui permettrait d’organiser des actions mensuelles ou régulières sans devoir demander une autorisation pour chaque action.
En termes de ressources humaines, comme nous l’avons évoqué plus haut, tous les groupes manquent de bénévoles et de personnes impliquées, surtout dans le noyau. Cependant, il émane une grande motivation et beaucoup de satisfaction de la part des acteurs. Certaines initiatives ont la chance d’avoir au sein de leur groupe des compétences intéressantes comme par exemple le graphisme, la communication, ou encore d’avoir un très bon réseau de contacts. Certaines personnes au sein des deux Quartiers durables sont habituées à répondre à des appels à projet, ce qui a fortement facilité les démarches. Les membres sont tous de très bonne volonté et apprennent en marchant. La bonne entente au sein des groupes est également une clé de réussite. Les réunions se font principalement chez les membres du groupe. A XL en transition, certaines personnes travaillent pour le réseau[Réseau de la Transition Wallonie-Bruxelles, fondé en 2012, [www.reseautransition.be
]]. Néanmoins, dans leur groupe, il manque de personnes avec des compétences plus variées.
Chacun s’accorde pour dire qu’il faut être motivé, patient et persévérant pour continuer dans une action citoyenne comme celles-ci. Pour les ressources temporelles, c’est également difficile. Cependant, plusieurs personnes sont au chômage dans les deux Quartiers durables ou encore ont diminué leur temps de travail, sont indépendants, ou sont en congé parental dans les deux Villes en transition. Cela permet de booster les actions en ayant des personnes qui peuvent s’y consacrer davantage. Mais chacun a émis la volonté que les actions soient reprises par d’autres car cela devient trop lourd sur le groupe et donc épuisant pour les membres. XL en transition, cependant, explique qu’il y a parfois un « effet doughnut », où beaucoup de personnes se lancent dans des projets et des actions mais délaissent le noyau. C’est une difficulté rencontrée à laquelle ils font maintenant plus attention.
Une ressource matérielle hyper efficace et essentielle pour les deux Villes en Transition et le Quartier Wiels/Wijk est le réseau social Facebook. Tous les trois ont une page, très active, sur laquelle ils partagent leurs informations. Par exemple, pour le Quartier Wiels/Wijk, ils sont très souvent lus par la presse et parfois relayés dans les journaux locaux pour leurs actions ou leurs commentaires face aux politiques communales. Ils ont également créé une page Forest Free, sur laquelle de nombreuses personnes de Forest mais aussi d’ailleurs se partagent, s’échangent, se donnent divers objets. C’est un Marché gratuit virtuel qui fonctionne très bien. Ils y trouvent également les ressources humaines et matérielles dont ils ont besoin pour leurs actions.
Concernant les ressources politiques et le soutien de médiateurs, le Quartier durable Logis/Floréal a de très bon contacts avec la Commune et le Logis.Watermael-Boitsfort est une commune très verte et avec un réseau associatif développé, ce qui leur facilite les démarches. Les habitants sont sensibilisés à leurs thématiques. Les deux Quartiers durables ont eu le soutien d’un coach durant les deux années. Ils les ont aidés pour l’enveloppe budgétaire mais également dans l’animation de réunions et l’organisation d’événements. Il y a eu de nombreuses formations organisées par Bruxelles-Environnement ainsi que plusieurs rencontres interquartiers qui permettent les échanges de bonnes pratiques. L’étiquette « Quartier durable » leur donne une plus grande notoriété auprès des acteurs de leur quartier. Les liens se font plus rapidement et plus facilement. L’aide apportée par Bruxelles-Environnement est très précieuse. Bruxelles-Environnement joue ici le rôle de médiateur. Selon Franssen et Orsini[[Franssen A., Orsini A., id
]], les médiateurs sont ceux qui se chargent de l’opération de construction et transformation du référentiel. En ce qui concerne les Villes en Transition, le Réseau transition Wallonie-Bruxelles existe. Celui-ci organise des formations et soutient les groupes dans leur démarche. La transition devient un concept de plus en plus connu à travers le monde. Cette étiquette leur permet aussi plus de facilités. Ils rencontrent d’autres Villes en transition et bénéficient des échecs et succès des autres pratiques. Rob Hopkins, dans ce cas-ci, fait partie de l’élite qui a permis aux membres des VT de sortir de l’aliénation[[Franssen A., id, p.30
]], surtout de prendre conscience des enjeux sociaux et environnementaux. Dans ce dispositif, il n’y a cependant aucun ego qui dirige. Les membres sont eux-mêmes en charge et chacun est libre. Il y a des outils et une base commune mise à disposition, mais ce n’est pas un dogme à suivre. Chaque VT a ses propres enjeux, envies et peut dès lors appliquer ces outils à son terrain. Le dispositif de transition permet surtout plus de visibilité et de sécurité.
Pour les Quartiers durables, il y a eu un appel à projets lancé en 2008 par le cabinet de la Ministre de l’Environnement, Evelyne Huytebroeck[[Ministre de l’Environnement en région de Bruxelles-Capitale de 2004 à 2014. Remplacée aujourd’hui par Céline Frémault.
]] et son Administration, Bruxelles-Environnement. L’appel à projets permet de mettre un cadre, cela suscite l’envie auprès des citoyens de se lancer dans une action. Toute liberté est également laissée dans la gestion du groupe et la programmation et l’organisation de leurs actions. C’est une bonne structure, même si plusieurs critiques constructives ont été émises.
3.5
Coalition de cause – Appui & Tension
Nous l’avons évoqué, à plusieurs reprises, les quatre initiatives sont en grande majorité bien soutenues par les pouvoirs publics, mais également pas la société civile constituée d’associations et de citoyens.
Le rôle des pouvoirs publics est un point essentiel dans la comparaison entre les Villes en Transition et les Quartiers durables. Dans le cadre de l’appel à projets, le rôle du pouvoir régional est de susciter l’action autour de la thématique du développement durable dans les différents quartiers de la capitale. Dans le prochain paragraphe, nous nous pencherons sur le Référentiel que suivent les personnes rencontrées.
Pour ce qui est des Villes en transition, c’est bien entendu l’inverse, il n’y a pas d’appel à projets et il n’y a certainement pas de cadre proposé par un pouvoir public. Ils bénéficient néanmoins, s’ils le souhaitent, d’un soutien du Réseau de la transition Wallonie-Bruxelles pour des formations, de l’aide et du suivi. Dans ce cas-ci, les pouvoirs publics sont plutôt des destinataires au lieu d’être des instigateurs,[[Franssen A., id, p.10
]] contrairement aux QD où l’Etat joue un rôle d’instigateur. D’une certaine manière, en montrant l’exemple, les VT veulent susciter une action du politique. En aucun cas, ils ne veulent dépendre du politique ni être étiquetés ou politisés. Cependant, ils attendent du politique plus de souplesse, de faire sauter les verrous des demandes d’autorisation. A 1000bxl en transition, ils ont rencontré la Commune qui est particulièrement motivée et réactive. Selon certains membres du groupe, leurs actions devraient venir du politique, selon Marie de 1000bxl en transition : Je pense que tout ce qu’on fait devrait venir d’eux, stimuler la construction de potagers, faire des projections de sensibilisation au développement, c’est eux qui devraient pousser à utiliser moins la voiture, etc. C’est parce qu’il y a un manque qu’ils doivent s’en occuper, alors que certaines personnes sont payées pour le faire. Les deux Quartiers durables les rejoignent à ce sujet (l’un concernant la propreté, l’autre l’intégration des nouveaux arrivants). Pour 1000bxl en transition, il y a la volonté de garder de très bons contacts avec la Commune. Ils souhaitent fortement trouver un répondant politique. Selon ces derniers, les politiques pourraient faire plus et surtout donner plus de subsides ou de dons matériels. Sur cette question, ils ne sont pas tous d’accord, car rentre en compte la question de la légitimité du groupe. Certains membres ont peur de perdre leur légitimité si les politiques les aident davantage. C’est similaire du côté du Quartier Wiels/Wijk et d’XL en transition. Cependant, ils minimisent leurs propos en mettant en avant le fait qu’ils peuvent accepter de l’aide mais ils doivent, dans tous les cas, garder leur autonomie. C’est un point très important pour tous les membres des quatre initiatives.
A 1000bxl en transition, la plupart des membres rencontrés – cela ne fait que quatre personnes – n’ont pas peur d’être récupérés par les politiques en place. Si cela peut faire avancer les choses plus rapidement, ils sont ravis. La récupération est une question délicate sur laquelle il y a des divergences dans tous les groupes. Chez XL en transition, ils ont peur que leurs valeurs soient diluées, s’ils s’allient davantage avec les politiciens communaux. La peur d’être récupérés est aussi bien présente. Ils sont d’ailleurs hésitants à solliciter la Commune pour cette raison. C’est un point de crispation. Il y a à la fois une crainte de la récupération et la conviction qu’il faut collaborer avec les autres acteurs de changement, qu’ils soient politiques ou syndicaux. Le Quartier durable Logis/Floréal part du principe que c’est un win-win, ils sont parfois récupérés par les SISP mais ils bénéficient fortement de leurs infrastructures et de leur soutien. Si les SISP les récupèrent, cela signifie qu’ils sont contents des avancées. Le Quartier durable pourra donc demander plus par la suite. Les relations ne sont pas toujours faciles avec le Floréal qui a d’ailleurs arrêté le projet de serres. Cela a fortement démotivé certaines personnes. Sur ce point, le Quartier Wiels/Wijk a également eu quelques mésaventures avec la Commune, ce qui les a un peu démotivés. La Commune de Forest est de bonne volonté mais inefficace, selon eux.
Le Quartier Wiels/Wijk a bénéficié de l’aide de la Commune et de l’Echevine des Affaires flamandes qui ont tenu le rôle d’intermédiaire. Le CPAS a trouvé deux logements pour les familles de Syriens qui ont été accueillies sous l’impulsion, entre autres, de certains membres du groupe.
Ils souhaiteraient également qu’il y ait plus d’interactions entre les citoyens et les politiques, que les citoyens soient davantage sollicités et inclus dans les décisions communales (par exemple d’aménagement urbain ou un budget participatif). Il y a un manque certain de dialogues. Les politiciens ne sont pas assez proches des gens en ville. Ils sont peu sensibilisés aux questions touchant leurs concitoyens et se déresponsabilisent trop facilement, selon les entretiens effectués.
Un point essentiel qui regroupe les quatre initiatives, c’est la volonté de ces gens de sortir de chez eux (où à leur niveau ils essaient de lutter pour la société qu’ils veulent voir éclore en adoptant une série de comportements écologiques ou solidaires) pour se rassembler avec d’autres personnes pour peser un peu plus sur le réel. C’est cette prise de conscience qui amène à s’engager dans une initiative de transition ou ailleurs. De manière plus poétique et philosophique, nous pourrions dire que c’est la volonté de mêler sa vie à l’Histoire.
En terme de coalition de causes, les initiatives sont en partenariat avec de nombreuses associations de quartiers. C’est important de se regrouper ponctuellement sur diverses actions pour chacune des initiatives. Ils veulent faire du lien dans le secteur associatif avec les initiatives citoyennes. Cela permet également de moins s’épuiser et de mutualiser leur réseau, leur matériel et leurs infrastructures. Un objectif commun est de privilégier les partenariats avec des associations touchant des publics plus précarisés pour sensibiliser d’autres populations.
Il est très difficile de quantifier les effets de ces actions sur la durabilité ou sur la résilience du quartier, de la ville. Nous pouvons parler ici de ressenti et d’impressions qui ne sont basés que sur l’avis des quinze protagonistes. Dans quelques années, nous pourrons mieux évaluer l’impact qu’auront eu toutes ces démarches citoyennes sur la Région de Bruxelles-Capitale. Nous diviserons cette partie en trois : l’impact sur les membres des quatre groupes, sur les participants aux différentes actions menées et en dernier lieu l’impact sur le quartier, la ville.
L’effet sur les membres est selon nous le plus visible et le plus important. Chacun et chacune est très satisfait-e de sa participation et de son action. Au sein de 1000bxl en transition, certains aspects sont fortement visibles. Certaines personnes ont diminué leur temps de travail, changé leur manière de consommer et de s’alimenter. Beaucoup font du lombricompostage sur leur terrasse ou encore n’achètent plus qu’en seconde main. Il y a, au sein des groupes de transition, de nombreuses discussions et réflexions. Chacun apprend et de son côté sème des graines. Il y a aussi un sentiment d’apporter sa pierre à l’édifice. Ils se sentent responsabilisés et acteurs, ils ont un certain pouvoir dans les médias, sur les politiques, auprès des habitants du quartier.
Il y a de nombreux participants qui se joignent aux actions, à la fois un groupe de personnes disponibles pour aider et aussi des personnes venant ponctuellement participer aux événements. Cependant, comme mentionné plus haut, il est très difficile de quantifier, car il n’y a pas d’inscriptions ou encore d’accueil lors de ces actions. Tout un chacun est libre de venir sans prévenir. Cependant, pour les Villes en transition et pour le Quartier Wiels/Wijk, ils utilisent des newsletters et des pages Facebook, avec quelques milliers de personnes touchées via ces canaux réguliers. Sur place, lors d’actions concrètes, il s’avère difficile pour les quatre initiatives d’arriver à fidéliser les participants, en voulant rester très informels et ouverts. Néanmoins, la population est très active dans les actions et se les réapproprie. Que ce soit un potager, un poulailler, un Marché gratuit, une Give box, nombreux sont ceux qui adhèrent à ces démarches et en prennent soin. Il y a, durant ces actions, des réflexions autour de la place du citoyen. Pour les quatre initiatives, il est difficile d’attirer des gens sur la thématique du développement durable ou de la résilience (en parlant d’effondrement à venir)[[Les VT veulent mettre en avant le côté positif d’un renouveau, d’une relocalisation de l’économie, d’un rapprochement entre voisins, dans le but d’éviter toute peur sclérosante. A travers les Transition Tales, le mouvement sollicite les personnes à écrire de nouveaux mythes et un futur désiré et réalisable.
]], ce qui explique pourquoi ils ont décidé d’engager les gens autour de thématiques plus. Selon les quatre groupes, il existe plus de solidarité, de convivialité, de rencontre, de respect car les gens se connaissent davantage. Les quatre initiatives insistent sur l’aspect participatif et n’hésitent pas à inviter les habitants à des rencontres, des assemblées pour mieux comprendre leurs priorités, leurs attentes.
Le quartier, la ville, c’est un ensemble constitué des habitants du quartier, du secteur associatif et des pouvoirs publics. En termes d’habitants, nous l’avons vu plus haut, l’impact est réel et le mimétisme est important, mais surtout les consciences évoluent petit à petit. L’action des partis politiques varie en fonction des Communes, mais reste à la traîne et surtout ne se rebelle pas face aux pouvoirs régionaux ou fédéraux, selon XL en transition. A côté de cela, les associations, les citoyens, eux, se mobilisent et avancent, même si cela implique d’avancer sans les politiques en place. Pour les quatre groupes, des alternatives émergent et de plus en plus d’actions se font. Certes, elles sont peut-être innocentes et restreintes, mais elles poussent les gens de différentes classes sociales à se rencontrer, à se connaître. Le tout n’est que tache d’huile, mais selon les membres, les taches d’huile se propagent au sein des quartiers. Le film Demain[[Dion Cyril, Laurent Mélanie, Demain, film documentaire, Décembre 2015. Premier documentaire de ce genre a avoir enregistré plus d’1 million d’entrées au cinéma (au 08/05/2016).
]] suscite également beaucoup d’actions de terrain, lancées par les citoyens. Suite à ce film, mais aussi à la conjoncture actuelle, plusieurs initiatives de transition se sont lancées à Bruxelles et en Wallonie. Les gens sont inspirés.
Evelyne Huytebroeck et son cabinet et Rob Hopkins ont permis la sortie de l’aliénation. La sortie de l’aliénation se traduit comme une prise de conscience des enjeux. Ces leaders projectifs ont pu leur permettre de mettre en action, en mouvement, collectivement, leurs démarches individuelles. Comme le souligne Franssen[[Franssen A., id, p.71
]], dans ce type de leadership, la réalisation n’est possible que par l’unité des acteurs. Les bases croient, ici, en un projet collectif et non en un leader ou en une organisation. Le mouvement des Villes en transition et les Quartiers durables ont permis à chacun de se lancer et de faire naître une volonté collective d’améliorer son quartier.
Les Quartiers Durables Citoyens ont pour objectif d’élargir la mobilisation dans le quartier, de réaliser un état des lieux partagés, d’élaborer et de mettre en œuvre collectivement des projets d’intérêts collectifs ainsi que d’évaluer et de transmettre aux autres citoyens. Ceci englobe toute la dimension normative, les valeurs qu’ils doivent respecter[[Franssen A., Orsini A., id, p.79
]]. Bruxelles-Environnement offre un cadre, avec des outils et un coaching spécifique et personnalisé. L’appel à projets est vivant et organique et s’améliore chaque année grâce aux remarques et aux suggestions des Quartiers durables, notamment via l’Assemblée participative. On atteint ainsi l’objectif global de rendre pérennes les activités menées par les Quartiers durables, si elles sont reprises par d’autres ou en s’autogérant. Le référentiel des Quartiers durables évolue et est organique. Néanmoins, c’est un référentiel qui se base sur le concept de développement durable qui suppose que nous sommes toujours dans la croissance, même si celle-ci est verte et durable. La transition, néanmoins, remet en cause le concept de la croissance[[« Au lieu d’aller chercher la croissance (objectif vu comme positif et comme symbole de prospérité par beaucoup), on ira chercher la résilience (nouvel objectif positif qui devrait devenir symbole de prospérité). » in Servigne P., La Résilience. Un concept-clé des initiatives de transition, Barricades, 2011
]]. Dans la pratique, les QD organisent des Repair café, des Gratiferia, etc. Des actions qui sont, par définition, non-inscrites dans la croissance et le marché économique traditionnel. En 2015, le mot résilience apparaît dans les documents de Bruxelles-Environnement. Evolueront-ils vers des Quartiers Résilients Citoyens ? L’avenir nous le dira. Pour l’appel à projets 2016, Ecores a d’ailleurs fait appel au Réseau de la transition pour les aider dans les formations et pour collaborer pour la suite des activités, en veillant à maintenir les deux organismes bien distincts.
Le référentiel des Villes en transition est effectivement similaire à ce qui a été écrit ci-dessus. Cependant il se différencie sur deux aspects : premièrement, la sensibilisation met son focus sur les ressources limitées de la Planète, la fin de la croissance ou encore le pic pétrolier et le réchauffement climatique. Deuxièmement, il existe un lien entre les pouvoirs publics subsidiants et l’autonomie de chaque groupe face aux politiques mais aussi face au Réseau de la transition.
La dimension instrumentale, le référentiel qui définit le principe d’action[[Franssen A., Orsini A., id, p.79
]], est de vouloir réinventer notre manière de vivre ; sans attendre que les politiques l’initient. Il est très important de garder une vision positive en imaginant un avenir positif, en choisissant de modifier son comportement avant de devoir subir les changements à venir. Promouvoir une vision tangible, claire et concrète, en organisant des actions concrètes, positives, engageantes et attractives, dans l’espoir de créer de nouveaux mythes[[« Transition Tales : chaque citoyen est invité à y prendre part pour coucher sur papier des futurs désirés, d’exalter l’imagination citoyenne en rédigeant un journal du futur décrivant les nouvelles de l’année 2030. » in De Muynck S., Initiatives de transition : les limites du mouvement, Barricades, 2011
]]. L’objectif n’est pas de jouer sur la peur, mais bien de donner accès à une information de qualité en communiquant sur ces enjeux existentiels de manière enthousiasmante, en montrant qu’il est possible de faire autrement. En mettant également l’accent sur la formation de partenariats avec la société civile, les entreprises et associations, et les pouvoirs publics. Une valeur importante est de ne pas se mettre dans la position du EUX et NOUS[[Les citoyens (nous) contre les pouvoirs publics (eux)
]].
Le pilier de base, la résilience, c’est bien entendu la capacité de chacun à survivre à un choc mais également la volonté de s’y préparer et de préparer toutes les personnes, associations, quartiers, entreprises qui le souhaitent. L’objectif étant une résilience environnementale à tous les niveaux (national et local). En soutenant chacun dans sa démarche d’acceptation d’un effondrement possible et envisagé, pour éviter d’être dans le déni, la peur et la douleur. La dimension cognitive, les éléments d’interprétation causale des problèmes à résoudre[[Franssen A., Orsini A., id, p.79
]], se portent sur une meilleure compréhension des enjeux qui permet d’accepter plus facilement et de créer un modèle de changements de comportement. La transition s’identifie grâce à la permaculture[[« Permaculture (contraction des mots permanent+ agriculture) fut inventé par B. Mollison et D. Holmgren au milieu des années 70 et désignait à l’origine le projet de créer un ensemble de « systèmes intégrés, évolutif de plantes et espèces (…) utiles à l’homme » qui s’éloignait de la monoculture » in De Muynck S., Initiatives de transition : les limites du mouvement, Barricades, 2011
]]. Elle est complexe, elle imite la Nature en étant collaborative et résiliente. Elle se veut également décentralisée, il n’existe pas un endroit de contrôle de la prise de décision. Les méthodes de travail sont faciles à copier et se diffusent rapidement au sein de toutes les initiatives si elles le souhaitent. Il n’y a pas de leader ou de cadre « top-down » à suivre.
Les référentiels des QD et des VT ci-dessus font partie du noyau central qui constitue l’ensemble des croyances et principes stratégiques[[Franssen A., Orsini A., id, p.80
]]. Les quatre initiatives suivent principalement ce noyau. Néanmoins, elles l’ont modifié et se le sont réapproprié. Leur ceinture protectrice se constitue de leurs particularités et spécificités, l’ensemble de plan, de programme et d’actions[[Franssen A., Orsini A., id, p.80
]]. Chaque groupe s’est assis, rencontré et a discuté de ses priorités et de ses volontés, que ce soit se concentrer sur la marche à pied à Wiels/Wijk ou encore offrir un aspect festif au Logis-Floréal ou proposer de découvrir leur quartier et faire se rencontrer les différentes cultures pour XL et 1000bxl en transition. Nous nous sommes efforcés d’étudier des cas dans la Région de Bruxelles-Capitale pour rester dans le même champ d’action. Cependant, s’il avait fallu comparer une Ville en transition en Wallonie avec une Ville en transition à Bruxelles, les différences auraient été plus importantes et la ceinture protectrice fortement différente. L’aspect urbain dans ce travail est essentiel à prendre en compte car les enjeux et les difficultés du terrain sont spécifiques aux grandes villes. Selon Franssen et Orsini[[Franssen A., Orsini A., id p.79
]], le référentiel global, concept développé par Bruno Jobert et Pierre Muller[[Jobert B., Muller P., L’état en action : Politique publiques et corporatismes, Presses Universitaires de France, 1987
]], est la représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les différentes représentations sectorielles. Pour ces deux initiatives, c’est la volonté d’un mieux-vivre ensemble, d’une plus grande collaboration entre tous les acteurs du quartier ou de la ville ainsi qu’une réappropriation des espaces publics et des modes de consommation. Rob Hopkins, le Réseau de la transition et Bruxelles-Environnement sous la coupe de Céline Frémault[[Céline Fremault, Ministre bruxelloise de l’Environnement, a remplacé Evelyne Huytebroeck aux élections régionales de 2014.
]], sont porteurs aujourd’hui d’un récit assemblé à travers leurs discours, leurs actions et leurs volontés d’agir.
4. Conclusion
Cette étude met en lumière une nouvelle forme de citoyenneté. Reprenons les mots de Paul-Marie Boulanger[[Boulanger P-M, Les initiatives citoyennes de transition : significations et perspectives politiques, Institut pour un Développement Durable, 20/03/2015
]], ces acteurs se mobilisent via la recherche d’une voie douce, non-violente pour une transformation sociétale telle la citoyenneté civique[[Trully J., On Global Citizenship, London, New-Delhi, New-York, Sidney : Bloomsbury, 2014
]] en opposition à la citoyenneté civile. Ces deux types d’initiatives entrent également dans la description d’Alain Touraine sur les mouvements sociaux des années 70, par le fait qu’ils s’émancipent du champ du travail et de la lutte des classes pour investir la vie quotidienne, contester les valeurs culturelles, les normes sociales et revendiquer l’autonomie du sujet [[in : IDDRI, Modes de vie et empreinte carbone : Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte carbone, Les Cahiers du Clip n°21, 2012
]]. Comme il a été souligné dans l’analyse, nous sommes en présence d’une volonté de pallier l’incapacité des institutions existantes à lutter efficacement contre les injustices du monde d’aujourd’hui [[Boulanger P-M, Les initiatives citoyennes de transition : significations et perspectives politiques, Institut pour un Développement Durable, 20/03/2015
]].
Pour revenir sur notre question de départ ; est-ce que la mobilisation des acteurs, qu’elle soit « bottom-up » ou « top-down », a un impact sur les résultats, les acteurs et les modalités de ces initiatives ?
Nous avons pu, tout au long de cette étude , mettre en avant les complémentarités multiples des deux types d’initiatives. Elles se rapprochent effectivement sur différents plans tels les résultats et la mobilisation des acteurs. Elles se rejoignent également sur des parties de leur référentiel, la volonté de mener des actions à l’échelle locale qui bénéficie aux habitants du quartier, dans l’espoir de sensibiliser, de se rencontrer et de partager. Ou encore, sur le plan environnemental, la volonté de relocaliser l’économie et son action sur le quartier, tout en travaillant étroitement avec la société civile composée des habitants du quartier mais aussi des associations et des entreprises. L’accent est mis sur la participation, le rassemblement ponctuel pour des actions sur le terrain. Mutualiser ses réseaux, ses contacts et ses compétences, tout en restant bien indépendants et autonomes est une de leurs priorités. Nous avons pu également pointer le soutien de médiateurs, via Bruxelles-Environnement ou le Réseau de la transition Bruxelles-Wallonie qui les accompagne. Ou encore de leaders qui ont permis à chacun de se lancer ou de transformer son action individuelle en une action collective. En termes de résultats, l’effet sur les membres, leur famille, l’entourage mais aussi sur les habitants du quartier et sur le quartier en lui même, peut, par contre, être souligné. Il a été question des difficultés rencontrées qui se sont avérées lourdes pour les membres du groupe : le manque de temps et de bénévoles, la lenteur de l’Administration, etc. Les contraintes sont effectivement bien présentes dans les deux types d’initiatives et cela ralentit le groupe. Mais les quatre groupes continuent leurs actions et la motivation est encore bien présente même s’ils ne sont pas assez nombreux.
Les deux divergences principales que nous avons pu soulever lors des quinze entretiens mais également grâce à divers documents du Mouvement de transition et de Bruxelles-Environnement, sont le rapport aux institutions, ce qui inclut le financement et le système de croyance qui comprend le concept d’effondrement pour les VT. Le côté institutionnel reste fort présent dans les groupes de Quartier durable sous la forme de rapporting (budget/communication), d’appels à projets, de rencontres interquartiers, de budgets participatifs, d’assemblées et surtout du soutien d’un coach personnel pour l’ensemble du groupe. Il va sans dire que les QD restent une initiative politique financée par l’Institution et encadrée jusqu’à la fin du processus (deux ans). Mais les QD restent indépendants dans leur gestion de groupe, les prises de décision, actions et individualités. C’est seulement après les deux années du processus qu’il sera question de la continuité et de « l’envol » des groupes. Il existe, depuis 2008, trente-deux Quartiers durables encore actifs (en juillet 2015) sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC). Du côté des VT, il est difficile d’évaluer, car il y a eu de nombreux « ups and downs » et cela n’a pas commencé en 2008. Aujourd’hui, il existe cinq Villes en transition sur la RBC dont XL et 1000bxl en transition qui sont les plus « anciennes », datant de 2013. Comme l’évoque Tim Jackson, il existe de réelles potentialités des collectivités locales, mais il souligne surtout l’importance d’un puissant appui des gouvernements dans l’encouragement des comportements en faveur de l’environnement. L’institutionnalisation insuffisante (et donc le financement non-structurel et non-permanent) du mouvement de la Transition pourrait constituer une des limites du mouvement à long terme. [[in De Muynck S., Initiatives de transition : les limites du mouvement, Barricades, 2011
]] Les VT ont une peur importante de la récupération de leurs idées et actions par les pouvoirs publics, ce qui les paralyse pour des demandes de subsides ou des partenariats.
Les quinze personnes rencontrées se rejoignent autour d’un premier leitmotiv : la convivialité. Au sein des VT, la plupart des personnes rencontrées ont témoigné vouloir ralentir et/ou, se préparer à l’éventualité d’un effondrement. Ceci ne signifie pas que toutes les personnes impliquées dans les VT, de par le monde, sont sensibles à ce concept, mais parmi les personnes interrogées, ce plausible phénomène a pris une place importante dans leur vie. Soulignons de nouveau que les écrits et les dires de Rob Hopkins ne sont pas des dogmes mais simplement des lignes directrices empruntées par les membres de VT ou non. De nombreuses personnes dans les VT n’ont d’ailleurs jamais lu les livres de Hopkins.
Pour pallier l’accélération sociale, concept étudié par Hartmut Rosa, sociologue et philosophe allemand, les membres tendent à se recentrer sur le vivre-ensemble. Selon le rapport de l’IDDRI, sur les Modes de vie et empreinte carbone[[IDDRI, Modes de vie et empreinte carbone : Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte carbone, Les Cahiers du Clip n°21, 2012
]], il y a trois signaux faibles écologiques : la résistance au consumérisme, l’essor de nouveaux modes d’habiter en milieu urbain et l’économie de liens plutôt que l’économie de biens, qui se sont développés grâce à un terreau fertile. Le point principal qui a permis à ces signaux de se développer, est la volonté de décélération. Selon Hartmut Rosa[[Rosa H., 2010. Accélération. Une critique sociale du temps, La Découverte, Paris
]], l’accélération sociale est due à la modernité et à la mondialisation. L’accélération technique, incluant l’accélération des communications et des transports, a permis aux individus de récupérer du temps. Mais le temps libre est de plus en plus rempli d’activités variées. Dès lors, pour essayer de récupérer du temps, les individus raccourcissent leurs temps de manger, de se rencontrer, de dormir. La postmodernité est ainsi « riche en vécus immédiats et pauvre en expériences », ce qui entraîne un rétrécissement de l’identité, un « soi ponctuel » [[IDDRI, Modes de vie et empreinte carbone : Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte carbone, Les Cahiers du Clip n°21, 2012
]]. Cette forte tension temporelle liée à l’accélération sociale ainsi que la remise en cause de l’impact écologique des modes de vie et l’instrumentalisation de la Nature poussent les individus à créer des initiatives collectives faisant écho aux signaux faibles. Toujours selon le rapport de l’IDDRI, la récupération du temps à soi est un motif majeur pour les individus à adopter des modes de vie alternatifs. À travers la reconquête du temps de vie se joue une reconquête de l’autonomie.
Un aspect commun et spécifique est le côté urbain des quatre groupes. A plusieurs reprises le côté froid, impersonnel de la ville a été évoqué. Nous insistons ici : une initiative de VT à Bruxelles ou en Wallonie sera complètement différente. Par contre les deux types d’initiatives, QD et VT à Bruxelles, se rejoignent sur l’aspect multiculturel et la difficulté de toucher des populations plus précarisées.
Pourquoi ces initiatives restent-elles à un niveau de niche ?
Tout d’abord, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus et les difficultés rencontrées. Ensuite, comme le souligne Simon De Muynck, le changement de comportements, qui est attendu, nécessite d’agir sur tous les volets (psychologiques, sociaux, normatifs, etc.) qui leur sont associés. Une tâche immense et très complexe.
Quelques pistes peuvent néanmoins être évoquées pour faciliter et aider les initiatives à s’agrandir et à ne pas s’épuiser. Premièrement, pour libérer du temps, perdu à cause de l’accélération sociale, nous pouvons ici parler du concept de la réduction du temps de travail. Si chacun avait le droit de choisir de travailler quatre jours par semaine tout en gardant le même salaire ou presque, le cinquième jour pourrait être consacré à la collectivité. Ce temps permettrait peut-être aux initiatives d’attirer plus de bénévoles. Egalement, s’il existait une allocation universelle, les habitants pourraient faire le choix de diminuer leur temps de travail pour se consacrer à leur famille, à eux-mêmes et pourquoi pas à la collectivité. Il a aussi été évoqué la difficulté pour les personnes au chômage de s’impliquer dans des activités qui produisent du profit comme les épiceries coopératives. Alléger les règles autour du travail bénévole des allocataires sociaux permettrait à un plus grand nombre de personnes de s’impliquer dans ce genre d’initiatives, qui même si elles vendent et participent au marché, ont fortement besoin de bénévoles.
Deuxièmement, les démarches administratives restent trop lourdes, compliquées, et lentes. Il est du devoir des institutions, qu’elles soient communales ou régionales, d’être accessibles au plus grand nombre et de faciliter la participation citoyenne. Dans ce sens, une solution serait de mettre en place un guichet qui rassemblerait une série de démarches administratives pour les citoyens et qui pourrait répondre à toutes leurs questions. Également, l’approbation d’autorisations et l’acceptation de subsides plus rapides, respectant le rythme des initiatives citoyennes et non de l’Administration. Une convention pourrait être signée pour les demandes d’autorisations régulières. Il serait aussi intéressant que les droits d’un collectif de citoyens soient revus et que les montants des subsides soient au même niveau que pour une asbl afin de permettre à l’Administration de mieux absorber les demandes de collectifs de citoyens comme les VT et les QD.
Si cette étude
a pu mettre en évidence les difficultés rencontrées et le besoin grandissant des institutions de s’adapter pour mieux coopérer avec les citoyens motivés, il a aussi pu mettre en exergue la mobilisation et la motivation de tous ces acteurs. Du temps consacré qui est essentiel, car il pallie le manque important des pouvoirs communaux sur des sujets comme l’intégration des nouveaux arrivants, la propreté, la participation publique, le réaménagement de certains lieux publics, etc. Il y également une délégitimation aux yeux de l’opinion publique de la capacité du politique à pouvoir résoudre les problèmes contemporains.[[IDDRI, Modes de vie et empreinte carbone : Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte carbone, Les Cahiers du Clip n°21, 2012
]]
Ces personnes prennent conscience de l’importance de recréer du lien en cette période difficile d’un point de vue économique et social, où de plus en plus les médias et les gouvernements font preuve de déshumanisation et de cynisme face à des crises comme celle des réfugiés. Le message de ces personnes : il est possible de vivre mieux ici et maintenant. Ces niches permettent l’apprentissage, l’expérimentation et la construction progressive d’un meilleur vivre-ensemble. C’est sur la durée que nous pourrons témoigner de cette transformation sociale. Nous terminerons ici sur une note du rapport de l’IDDRI : ils (les mouvements) dessinent une évolution, voire une révolution (à plus long terme) psycho-politique : psycho-politique dans le sens où ce changement ne s’intéresse pas de prime abord aux institutions politiques ou économiques, mais à la réappropriation de l’espace-temps des vies individuelles, par une révolution « en son for intérieur », qui n’en est pas moins collective et politique.[[IDDRI, Modes de vie et empreinte carbone : Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte carbone, Les Cahiers du Clip n°21, 2012
]]