Les débats sur la société multiculturelle, l’immigration et le vivre ensemble suscitent depuis de nombreuses années de vifs débats en Flandre, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres régions et de nombreux pays en Europe. Ces derniers temps, le terme « superdiversiteit » est ainsi de plus en plus utilisé en Flandre. Des chercheurs comme Jan Hertogen et Eric Corijn estiment, en effet, que le terme « diversité » ne correspond plus à la réalité de beaucoup de communes et villes en Flandre. Dans certains quartiers de ces communes et villes, une majorité des habitants a des origines étrangères. Certaines villes connaissent un nombre tellement important(de 30 à 45 %) d’habitants de personnes d’origine étrangère[[
- Il s’agit du total des personnes possédant actuellement une nationalité étrangère, une nationalité de naissance étrangère devenus belges entre-temps et de nationalité de naissance belge ayant au moins un parent avec une nationalité de naissance étrangère.
]], que le terme « minorité » perd du sens. De plus, la diversité est devenue de plus en plus.. diverse. Fini la prédominance d’un ou deux groupes, comme de personnes d’origine marocaine ou turque. Plusieurs communes et villes flamandes ont, aujourd’hui, des personnes de dizaines de nationalités différentes sur leur territoire. Autrement dit : dans certains quartiers, chaque habitant fait partie d’une minorité.C’est le cas à Anvers : 45 % de la population et 70 % des élèves en-dessous de 10 ans ont des origines étrangères. Dans certains quartiers anversois, ces chiffres sont encore plus élevés. Le terme « superdiversiteit » est donc pertinent.
1. Une société flamande en pleine évolution
Ce terme n’est d’ailleurs pas uniquement utilisé par des chercheurs ou sur les réseaux sociaux, mais également par des journalistes. En une très courte période, il a été accepté par les médias et le landerneau politique flamand, ce qui est révélateur en soi.Évidemment, certains journalistes flamands se posent des questions sur les défis que la « superdiversité » pose à la société. Mais en posant des questions sur ces défis, la superdiversité est en soi accepté comme un fait. Personne ne pense d’ailleurs que la tendance va se renverser à court ou même à long terme. Personne, en dehors quelques personnes d’extrême droite, , dont les caciques continuent de rêver d’une Flandre homogène et blanche. C’est ainsi que le visage de la Flandre devient réellement paradoxal : les nationalistes flamands qui se sont battus pendant des décennies pour une Flandre plus homogène, « débarrassée » de la complexité linguistique des structures belges, se retrouvent en 2015 dans une Flandre avec beaucoup de compétences, mais d’un point de vue sociologique plus diverse et complexe que la Belgique des années ’70 et ’80. Comme quoi la démographie et les évolutions sociologiques se moquent parfois des tendances politiques importantes.
2. Les positions des partis flamands
Cette nouvelle situation oblige donc le développement de nouveaux concepts, comme celui de « superdiversiteit ».À cela s’ajoute une nouvelle approche sociétale et politique. Des nuances sont ainsi apportées par les différents partis démocratiques : la gauche développe, de son côté, un discours accueillant et ouvert (à l’exemple de Groen). Du côté de la droite, le discours sur cette superdiversité met l’accent sur la nécessité d’une intégration accélérée et parfois stigmatisante, à l’image des propositions de la N-VA[[Tout en évitant de recourir à un tel terme, c’est bel et bien l’idée d’assimilation qui ressort du discours porté par la N-VA.
]]. Entre ceux deux mouvements se placent le CD&V et le VLD. Le CD&V, tout d’abord, adopte un profil bas dans ce dossier. Tandis que le VLD oscille entre deux positions : soit en mettant l’accent sur les opportunités de l’immigration pour le secteur économique, soit en se rapprochant de la ligne dure de la N-VA. Quant au Sp.a, sa position n’est pas toujours très claire. Le PTB, enfin, évite de se devoir prononcer. La raison en est compréhensible, ce parti sachant clairement que ses publics cibles sont en désaccord total sur ces enjeux, avec d’une part des électeurs très ouverts comme c’est le cas chez l’électorat de Groen, et d’autre part une partie de leur électorat qui ne voit dans les primo-arrivants que des concurrents sur le marché de l’emploi.
Les partis politiques regardent cette situation évidemment aussi d’un point de vue électoral et du casting. Déposer une liste aux élections locales à Anvers, Gand, Malines ou Vilvorde – pour ne citer que ces exemples – sans avoir de candidat d’origine étrangère, ne se fait plus (mis à part le Vlaams Belang). Tous les partis ont bien compris les enjeux électoraux en la matière. Certains partis, comme le SP.a et Groen, vont d’ailleurs régulièrement chercher des personnes d’origine étrangère pour être candidat sur leurs listes, afin de faire refléter la diversité de la société dans les conseils communaux et les parlements. Le fait que la présidente de Groen, Meyrem Almaci, est d’origine étrangère et que le candidat du SP.a pour succéder à Louis Tobback comme bourgmestre à Louvain,Mohamed Ridouani, ont d’origines marocaines, en dit beaucoup. La N-VA n’est pas en reste. Nadia Sminate est membre du Parlement flamand et Zuhal Demir député fédéral. L’optique est différente de celle partagée par les deux autres partis précités. La NV-A adoptant une posture plus droitière dans cette présence de candidats issus de l’immigration. Pour la N-VA, c’est bel et bien aux nouveaux arrivants de faire un effort, d’étudier, de travailler, de s’y mettre,… afin d’espérer le succès dans la société flamande, et la reconnaissance de ses pairs. Ainsi se réalise l’intégration. Le discours des deux députés cités met un accent très important sur la responsabilité individuelle des gens et écarte des effets structurels tels que la discrimination sur le marché de l’emploi.
La Flandre dispose, depuis 2005, d’un parcours d’intégration, obligatoire pour certains primo-arrivants. Lors de l’adoption du décret en 2003, la philosophie de ce programme d’accueil était basée sur l’émancipation et l’intégration dans la société, en évitant de stigmatiser ceux et celles soumis à l’obligation. « Nous vous voulons soutenir dans votre vie ici en Flandre, afin de mieux aider vos enfants avec leurs devoirs, afin de trouver plus vite un bon boulot, afin de pouvoir mieux communiquer avec vos voisins, votre médecin etc. », argumentaient les défenseurs du parcours d’intégration. Depuis sa mise en place à l’issue des élections de 2014, Le gouvernement Bourgeois I a insisté sur d’autres accents, partant de la philosophie de la N-VA. Dès le 1er janvier 2016, il ne suffira plus seulement de suivre le parcours d’intégration, mais également de réussir un test à la fin du processus. Le parcours pourrait devenir finalement un outil pour faire la différence entre primo-arrivants « intégrés » (ceux qui ont réussi leur test..) et ceux qui ont échoué, ces derniers pouvant être perçus, dès lors, comme des personnes ne faisant pas complètement partie de la société. De cette manière, le discours pourrait s’inscrire dans un récit de « wij & zij », nous et eux, c’est-à-dire le récit de la N-VA.
Le fait que les cours d’intégration soient une obligation pour de nombreux primo-arrivants a un effet budgétaire important. Cette obligation induit une autre obligation, pour la Communauté flamande : elle doit prévoir le budget nécessaire. Afin de pouvoir donner une réponse adéquate aux nouveaux flux de demandeurs d’asile les derniers mois, le budget a été fortement augmenté, passant à 78 millions d’euros. Il n’est toutefois pas certain que ce montant suffisse. La N-VA en a cependant fait un point principal de sa politique, souhaitant prouver coûte que coûte qu’ un soutien de la Communauté flamande existe pour tous les nouveaux arrivés prêts à faire un effort pour leur intégration,. En outre, la N-VA veut absolument démontrer sa capacité à « bien gouverner ». C’est en ce sens que le parti de Bart de Wever ne veut donc pas de listes d’attentes dans les secteurs pour lesquels il est aux manettes.
3. Dans le secteur audiovisuel
Autre milieu important concerné par ces évolutions sur la diversité : le secteur audiovisuel, et plus particulièrement la VRT. Le contrat de gestion entre le gouvernement flamand et la VRT contient un chapitre sur la diversité en matière de genre et d’origines étrangères. Ces objectifs sont chiffrés en matière de présence de personnes d’origines étrangères dans les débats, les quiz télévisés etc. La VRT doit se justifier chaque année sur les résultats concrets, ce qui suscite chaque fois un débat intéressant dans l’opinion publique et au sein du Parlement flamand. La question de l’opportunité et du succès de cette démarche peut se poser. Il n’est ainsi pas certain que cette approche permettra de résoudre toutes les questions soulevées par l’intégration des personnes issues de l’immigration au sein de l’audiovisuel public. Néanmoins, ces objectifs ont certainement aidé à faire des pas importants dans la bonne direction. La VRT donne réellement, depuis quelques années, une image plus réaliste de la Flandre qu’autrefois. La superdiversité devient, pas à pas visible, à la télé.
4. Pour aller plus loin
En conclusion, de nombreuses améliorations peuvent encore être poursuivies. Des éléments sont en cours de développement, même si de profonds doutes peuvent être portés sur les objectifs de certains partis politiques, NV-A en tête. Cependant, il est un fait : la Flandre, aujourd’hui, est en train de changer. Et tout retour en arrière est hypothétique. La notion de superdiversité permet de penser et de réaliser cette transition, en accordant une place aux personnes issues de l’immigration, correspondant mieux à cette nouvelle donne sociale, économique, politique et géographique. Il reste toutefois encore fort à faire pour que l’ensemble des mentalités évoluent dans le bon sens, et permettent à la région de pleinement dépasser ces tensions sur ce sujet[Dans le cadre de ce travail de recherche sur la superdiversité flamande,le« Vlaamse Migratie- en Integratiemonitor » représente une source d’information importante.Publié pour la deuxième fois au mois de novembre dernier, il s’agit d’une étude scientifique élaborée par le HIVA, un centre d’étude lié à la KUL.Ce document contient de nombreuses données et références sur les personnes d’origine étrangère en Flandre, à travers le marché de l’emploi, les problèmes en matière d’enseignement etc. (Van den Broucke, Sarah; Noppe, Jo; Stuyck, Karen; Buysschaert, Philippe; Doyen, Gerlinde & Wets, Johan (2015). Vlaamse Migratie- en Integratiemonitor 2015. Antwerpen/Brussel: Steunpunt Inburgering en Integratie/Agentschap Binnenlands Bestuur, [en ligne], [https://hiva.kuleuven.be/nl/nieuws/nieuws-items/Vlaamse-Migratie-en-Integratiemonitor-2015)
]].