1. Mise en contexte

Les dix dernières années auront vu, tant en Europe qu’en Wallonie, le secteur industriel malmené voire mis en péril tant par une réduction de la production que par des fermetures liées aux logiques de délocalisations. Après les séismes posés par les fermetures de la phase à chaud d’Arcelor Mittal à Liège, de l’usine Ford Genk et des restructurations chez Duferco et NLMK, le débat sur la désindustrialisation de la Belgique est revenu sur le devant de la scène. La plupart des parties prenantes se sont accordées sur la nécessité de se battre pour conserver un tissu industriel sur le territoire et soutenu par une politique régionale volontariste. Les moyens pour y parvenir, cependant, divergent. Alors que certains prônent une plus grande compétitivité, notamment en diminuant les coûts salariaux, d’autres prônent une nationalisation des outils de production censée protéger les usines des menaces extérieures. L’inconscient collectif joue également un rôle dans ce débat : nombreux sont ceux qui assimilent l’industrie aux usines polluantes, au travail aliénant et aux structures énergivores gigantesques employant plusieurs milliers de personnes. À ce constat général s’ajoute une particularité wallonne liant industrie à une splendeur passée, proche des chromos du début du XXème siècle où la Belgique, tirée par la Wallonie, était la 3ème puissance économique mondiale[Philippe Destatte, L’économie wallonne dans une perspective historique (1886-2006), compte-rendu de l’Intervention au colloque ‘Développement économique, justice sociale et solidarité’, organisé par Picardie laïque et l’UMons, Salle académique de l’Université de Mons, 2 décembre 2010, Namur, Institut Destrée, [en ligne], [http://www.institut-destree.eu/Documents/Chantiers/ID-EP-2010/EP_E03_Philippe-Destatte_Economie-wallonne_UMons_2010-12-02qter.pdf.

]].

Loin de ces images un peu dépassées, il est cependant une certitude : celui d’un lent déclin industriel depuis 1960. Fermetures et délocalisations rythment la vie industrielle en Wallonie, laissant apparaître tout effort de réindustrialisation comme incertain, illusoire voire inutile. L’essentiel des activités économiques est ainsi concentré autour du secteur des services, perçu comme le pôle de développement économique essentiel à la Région. Ce n’est que depuis quelques années que des efforts sont mis en place afin d’inverser la tendance et de relancer un tissu industriel performant et novateur. Le plan Marshall 2.Vert en est la principale émanation, autour des différents pôles de compétitivité.

Cependant, ces éléments ne sont qu’une première étape. En effet, d’autres chocs sont à venir, outre ceux actuellement vécus autour des dégâts liés à la crise économique, à la présence d’un euro fort et à la concurrence des pays émergents, mettant à mal l’industrie wallonne. Les défis vont se poser à court et moyen terme autour de l’accès aux ressources et aux enjeux énergétiques. Il convient donc de réfléchir aux moyens permettant non seulement d’anticiper les chocs mais en plus d’éviter d’hypothéquer l’avenir industriel wallon, en portant le regard sur des enjeux importants tels qu’organisation de la production, structures de ces nouvelles industries, enjeux énergétiques et enjeux sociaux.

Les propositions rassemblées dans le présent document sont destinées à poursuivre le débat à d’autres niveaux et à œuvrer, de manière collective, au redressement économique de la Wallonie. Car face aux nouveaux défis se posant continuellement à notre société, c’est par l’action et la persévérance de tous les acteurs que nous parviendrons à rendre nos sociétés plus vertes et plus fortes.

2. État des lieux en Wallonie

2.1. Les chiffres du secteur industriel wallon

La définition classique de l’industrie, liée à celle des hauts-fourneaux et des grands ateliers d’assemblage, désigne les activités de production liées à la transformation de la matière au moyen de machines et de processus plus ou moins sophistiqués[[Alternatives économiques, « Cinq questions clés », in Comment sauver l’industrie ?, Alternatives économiques, Hors-série n° 93, Paris, 2012, p. 6.

]]. Cette définition ne colle plus à la réalité actuelle. Les grandes entreprises intégrées ont disparu, le processus industriel s’est diversifié et les limites entre industries et services se sont complexifiés.

En 2012, les branches industrielles les plus importantes en Wallonie, tant en termes de création de valeur ajoutée que d’emplois étaient[« La situation de l’industrie wallonne » in Union Wallonne des Entreprises, Wavre, [en ligne], [http://www.uwe.be/economie/industrie/la-situation-de-lindustrie-wallonne; « L’emploi dans les sous-secteurs de l’industrie wallonne entre 1995 et 2007 », in L’industrie en un coup d’œil, Namur, Portail environnement wallonie, en ligne], [http://environnement.wallonie.be/enviroentreprises/pages/etatEnviIndustrie.asp?doc=syn-ind-emp.

]] :

l’industrie pharmaceutique

la métallurgie

l’industrie agricole et alimentaire

la fabrication de produits en caoutchouc et en plastique ainsi que d’autres produits minéraux non métalliques (verre, chaux, ciment,…)

l’industrie chimique

Ensemble, ces 5 secteurs représentent près de 64% de l’emploi industriel wallon. Au sein de l’économie wallonne, l’industrie (industrie manufacturière et extractive), représentait, en 2012[[« La situation de l’industrie wallonne » in Union Wallonne des Entreprises, op. cit.

]]  :

7,1% des entreprises privées

12,7% de la valeur ajoutée

11,3% de l’emploi salarié

14,1% de l’investissement

86,5% du total de l’investissement en R&D (2011)
Comme ailleurs en Europe, l’économie wallonne se dématérialise. Depuis les années 70, le secteur tertiaire a pris une part prépondérante sur le marché du travail (il représente en 2007 un peu plus de 78% de l’emploi salarié) tandis que l’industrie voit son volume d’emplois décroître de plus de 35% sur la même période. En 2007, le secteur tertiaire offre près de 5 fois plus de postes de travail salarié que l’industrie qui emploie dans son ensemble près de 152 000 personnes soit 13% de l’emploi wallon.

La répartition de l’emploi salarié entre les différentes branches de l’industrie reflète encore clairement le modèle historique issu de la révolution industrielle quoique le contenu des branches se soit profondément modifié.

D’une manière générale, l’emploi dans l’industrie est en régression (-11% entre 1995 et 2007). Ce mouvement que l’on connaît depuis plusieurs décennies, est lié à plusieurs facteurs dont les mouvements de rationalisation de l’industrie enregistrés depuis le milieu des années 70, le recentrage de l’industrie sur son « core business », l’augmentation de la productivité de l’emploi par le renforcement de l’automatisation et la délocalisation de la production vers des pays où la main d’œuvre est moins chère et les normes environnementales moins élevées, liée à la mondialisation des échanges[[« L’emploi dans les sous-secteurs de l’industrie wallonne entre 1995 et 2007 », in L’industrie en un coup d’œil, op. cit.

]].

En 2011, l’activité dans l’industrie manufacturière wallonne a rapidement accusé un repli à un an d’écart, en particulier dans les biens intermédiaires et d’équipement. Davantage tourné vers la demande intérieure et soutenu par les mesures favorables à la construction résidentielle, le secteur du bâtiment s’est en revanche nettement redressé. Avec une croissance en volume de près de 8% de sa valeur ajoutée, le secteur a, à lui seul, autant contribué à la croissance du PIB wallon que l’ensemble de l’industrie manufacturière (+0,5 point de croissance)[[Iweps p. 34.

]].

En 2012, cette fois, le recul touche notamment aussi très nettement le secteur de la construction qui ne bénéficie plus du soutien des transformations de logement. Dans l’industrie, ce nouveau repli est lié au recul du commerce extérieur dont les comptes trimestriels du pays font notamment état. On pointera cependant un nouveau pic de production au sein de l’industrie pharmaceutique. Il constitue lui-même vraisemblablement la raison d’un fort regain des importations wallonnes au dernier trimestre[[Iweps p. 34.

]].

Au niveau du PIB par habitant, la Wallonie affiche un retard marqué par rapport aux autres pays ou régions d’Europe. La Wallonie produit donc, en termes absolus, moins de valeur ajoutée, écarts particulièrement importants avec des États tels que la Suède et les Pays- Bas. Le constat est identique en comparant les niveaux de valeur ajoutée industrielle par habitant, à l’exception de la France, dont l’industrie semble atteindre des niveaux relativement faibles. La Wallonie dispose donc d’un tissu industriel moins dense que ceux observés dans les autres régions. D’un autre côté, la valeur ajoutée par employé de l’industrie wallonne, c’est-à-dire la productivité apparente du travail, est excellente et surpasse pratiquement toutes celles des autres régions. La Wallonie semble donc disposer d’un secteur industriel exceptionnellement performant, mais dont le périmètre reste actuellement trop limité[[Union Wallonne des Entreprises, Une industrie Wallonne compétitive et durable, Rapport UWE 2011, Wavre, UWE, p. 21-22.

]].

2.2. Quelle évolution industrielle en Wallonie ?

L’Histoire industrielle wallonne est à la fois riche et longue. Dans le cadre de notre réflexion, il est cependant plus utile de s’interroger sur son évolution à partir des trente dernières années. Deux périodes se distinguent clairement. De 1980 à 1993, le poids de l’industrie manufacturière a progressivement diminué, passant de 18,5% à 16,7%. Un redressement important a néanmoins commencé à s’opérer à partir de 1994 et les années 2000 ont connu une véritable stabilisation. La part de l’industrie manufacturière wallonne était remontée à 18,5% en 2008, soit le niveau observé en 1980. Contrairement aux idées reçues, la Wallonie ne s’est donc pas désindustrialisée au cours de la période car la valeur ajoutée réelle est restée stable. Cependant, là où des pays comme la France, l’Angleterre ou la Grèce ont vu diminuer l’importance de leur secteur industriel, d’autres comme l’Allemagne, la Suisse et la Suède ont vu leurs industries gagner en importance sur la même période, ce qui n’est pas le cas de la Wallonie. Preuve que des progrès restent encore à réaliser.

Au sein de cette industrie manufacturière, l’industrie wallonne s’est progressivement spécialisée dans le secteur pharmaceutique. Celle-ci représente 19% de la valeur ajoutée de l’activité industrielle dans la région, occupant la première place. Cependant, bien qu’il soit bénéfique que l’industrie wallonne se développe dans des secteurs à haute valeur ajoutée, comme l’est la pharmacie, une concentration des activités dans un trop petit nombre de secteurs représente un risque pour la diversité de l’économie, ce qui la rend plus sensible aux crises conjoncturelles et structurelles. De plus, des secteurs porteurs dont les produits sont fortement demandés sur les marchés émergents, comme la fabrication de machines et d’équipement électriques, ne décollent pas en Wallonie. La région souffre donc d’une spécialisation insuffisante dans des secteurs à forts potentiels de croissance couplée à une tendance trop forte à la concentration dans un seul secteur.

Cependant, il est illusoire de penser, comme certains l’affirment, que les activités délocalisées dans les pays émergents puissent un jour opérer le chemin inverse et revenir dans nos régions. Le coût d’un retour de production en Wallonie de ce qui n’y est plus produit depuis plusieurs années ou décennies pèserait de façon dévastatrice sur la société et ses besoins sociaux. En effet, le nouveau ne naît pas de rien et ne peut que prospérer à partir de structures déjà présentes. Préserver les capacités de production sur le sol wallon opère donc dans le sens d’un redéploiement industriel offrant à la région les moyens de ses ambitions.

2.3. Les piliers de la structure industrielle en Wallonie.

Sur quoi repose l’ossature industrielle en place aujourd’hui dans la région ? Trois grands éléments sont à distinguer: l’organisation de la production, l’innovation et l’investissement.

2.3.1. Standardisation et organisation de la production

Le modèle taylorien ancien, où des salariés d’exécution peu qualifiés travaillaient à la chaîne ou aux pièces sous la surveillance de contremaîtres, a fortement régressé au profit d’organisations plus horizontales, associées à une hausse du niveau de qualification moyen. En Wallonie, Le faible niveau de qualification de la demande d’emploi et l’enlisement dans le chômage de longue durée demeurent problématiques. Plus de la moitié des demandeurs d’emploi inoccupés demandeurs d’allocations n’ont en effet atteint au maximum que le niveau de l’enseignement secondaire de deuxième degré et 44,6% sont inoccupés depuis au moins 2 ans[[Conseil Économique et Social de Wallonie, Regards sur la Wallonie – Edition 2012, Liège, CESW, p. 17.

]]. De plus, intensification et pénibilité continuent de caractériser de multiples tâches, tandis que le travail de nuit tend à se développer. Dans l’automobile, si les ateliers de carrosserie et de peinture sont désormais entièrement automatisés, l’assemblage final demeure largement manuel.

2.3.2. État des lieux de l’innovation et de la recherche-développement en Wallonie.

D’autres signes de faiblesse sont présents au point de vue de l’innovation, pesant d’autant sur les capacités de redéploiement industriel en Wallonie. Avec seulement 12 % des nouveaux diplômés de l’enseignement supérieur en sciences et ingénieurs, la Région wallonne se situe, en 2009, en dernière position des pays de comparaison, loin derrière les 22 % atteint par l’UE27. L’autre instrument d’amélioration des qualifications que constitue la formation permanente est aussi sous-utilisé en Wallonie. En 2009, moins de 5 % de la population âgée de 25 à 64 ans avait suivi un tel programme, le score le plus bas des pays de comparaison.

Un des atouts majeurs de la Région, la qualité de sa main-d’œuvre, est ainsi en train de se perdre, les autres pays et régions européens enregistrant des progrès importants. Si, en 2000, la part de la population âgée de 25 à 64 ans ayant suivi des études supérieures ainsi que la part de la population âgée de 30 à 34 ans ayant suivi ce type d’études (objectif de la stratégie Europe 2020) permettaient à la Wallonie d’occuper la troisième position du peloton de tête des pays de comparaison, en 2009, la Région n’occupe plus que la sixième position de cette comparaison. Cette situation pèse d’autant sur la qualité de l’innovation. De plus, les diplômés ne vont pas vers le secteur industriel pour leur avenir professionnel.

Enfin, le taux de création d’entreprises dans l’industrie de haute technologie est particulièrement faible en Région wallonne qui affiche souvent le taux le plus faible des trois Régions. En 2010, ce taux atteint 6,6 % en Wallonie contre 8,1 % en moyenne en Belgique. Le taux de création d’entreprises dans l’industrie de moyenne-haute technologie est lui aussi relativement faible par rapport aux autres Régions belges. En 2010, il s’établissait à 3,9 % en Wallonie contre 5,9 % dans la Région de Bruxelles-Capitale et 4,7 % en Flandre et en Belgique[Bernadette Biatour, Coraline Daubresse, Chantal Kegels, Le système d’innovation en Wallonie, Bruxelles, Bureau fédéral du Plan, 2012, [en ligne], [http://indicators.plan.be/pdf/Rapport_2011.pdf, p. 1.

]].

La recherche-développement (R&D), elle, se concentre dans quelques branches d’activité de haute technologie, en particulier dans la pharmacie qui représente, en 2009, 49 % des dépenses de R&D des entreprises alors qu’elle ne représentait que 23 % de ces dépenses en 1995, et dans les très grandes entreprises de plus de 1000 employés qui effectuent, en 2009, 56 % des activités de R&D des entreprises contre 39 % en 2002. Le seul point faible de ce pilier reste l’intensité de l’effort public en faveur de la R&D, particulièrement faible en Wallonie, et essentiellement laissé aux mains du privé[[Bernadette Biatour, Coraline Daubresse, Chantal Kegels, Le système d’innovation en Wallonie, op. cit., p. 90

]].

Cette situation fragilise le système wallon de recherche et développement industriel, qui pourrait être gravement affecté par les stratégies de quelques entreprises. Principalement réalisées dans des secteurs High Tech – en particulier la pharmacie – d’une part et dans des très grandes entreprises d’autre part, cette situation crée un déséquilibre en défaveur du développement expérimental et recherche de base qui pourrait, à terme, être dommageable pour le maintien d’un socle de compétences indispensable au développement d’activités créatrices de valeur ajoutée et d’emplois. Elle révèle également une insuffisance de la R&D dans les secteurs plus traditionnels et dans les PME, qui constituent pourtant l’essentiel du tissu productif wallon[[Conseil Économique et Social de Wallonie, Regards sur la Wallonie – Edition 2012, op. cit., p. 12.

]].

2.3.3. Investissements dans le secteur industriel en Wallonie

Si l’on se réfère aux statistiques officielles de la Banque Nationale pour cette composante de la croissance économique, on constate que les investissements consentis en 2008 sur le territoire wallon s’élevaient à 18,5 milliards€ (23,9% du total belge). Ils ont crû plus rapidement en Wallonie qu’en Flandre, tant en 2007 qu’en 2008. Entre 2000 et 2008, la Wallonie est la région du pays qui a connu l’augmentation la plus rapide des investissements de ses entreprises. Cette augmentation des investissements relativement plus soutenue que dans le reste du pays est en partie imputable à l’industrie manufacturière. Pour le premier semestre de 2011, la croissance des investissements dans le secteur secondaire a à nouveau été au rendez-vous en Wallonie. Malheureusement, les indicateurs issus des enquêtes de conjoncture s’orientent à nouveau à la baisse, ce qui confirme la crainte d’un ralentissement de l’activité économique en Wallonie, et partant un ralentissement des investissements des entreprises en 2012[[Ibid., p. 12

]].

Au niveau des secteurs d’activités, ceux qui ont attiré le plus d’investissements en Wallonie en 2011 sont :

Les sciences du vivant (30 %)

Le secteur des Mécatec (19%)

L’énergie (18%)

Les technologies de l’information et de la communication (16%)

La chimie (8%).

3. L’écologie industrielle : un nouvel élan

Quelles sont dès lors les pistes d’avenir pour le renouveau industriel wallon ? Tout d’abord, la nécessité de réindustrialiser les différentes régions d’Europe occupe bon nombre de discours ces dernières années. Alors que jusque là, le « tout aux services » était proposé comme le nouveau modèle de développement économique, de nombreuses critiques se sont exprimées, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, sur la désindustrialisation et sur le départ des principales unités de production jusque là présentes dans les économies occidentales. De plus, les questions soulevées par la crise financière, portant entre autres sur la financiarisation des entreprises, et les débats portant sur la crise énergétique à venir, sur l’augmentation du coût des matières premières et sur les effets du réchauffement climatique contribuent à repenser les fondements mêmes du projet industriel existant actuellement, dans lequel le pilier carbonifère est de plus en plus condamné. Une nouvelle Révolution Industrielle est ainsi proposée, représentant la nouvelle voie tant économique que productrice à suivre.

Force est de constater la dépendance particulièrement importante de l’Europe sur le plan énergétique. En 2011, les 27 pays de l’UE ont consacré 3,9% de leur PIB aux importations énergétiques, soit l’équivalent de 17 millions d’emplois au coût moyen de 28.000€ par emploi[[Philippe Frémeaux, « Le défi énergétique », in Comment sauver l’industrie ?, op. cit., p. 33.

]]. En Wallonie, la production énergétique se caractérise par une dépendance quasi complète en matière de source d’approvisionnement: l’indépendance énergétique reste limitée à 3,1 % de la consommation intérieure brute en 2006[[ICEDD, Bilan énergétique de la Région wallonne 2006 Bilan de l’industrie et bilan global, Namur, Ministère de la Région wallonne DGTRE, 7/2008 – V.2, p. 27.

]]. Au niveau sectoriel, 44% des consommations sont accaparées par l’industrie. La réduction de cette dépendance représenterait donc non seulement une obligation écologique mais également un formidable ballon d’oxygène pour l’économie de la région.

L’apport de matières premières (DMI) et la demande totale en matières (TMR) sont également très lourds en Wallonie : dépassant la moyenne de l’Europe des 15, ils classent la Wallonie dans les régions exploitant à grande échelle les ressources naturelles et étant particulièrement dépendantes des importations de matières[[Les indicateurs clés de l’environnement wallon 2012, Namur, SPW, 2013, p. 20.

]]. En 2009, la demande totale en matières se répartissait de la manière suivante : 39% de minéraux non-métalliques, 27% de métaux, 20% de biomasse, 7% de combustibles fossiles, 6% d’autres produits.

Pour parvenir à s’intégrer dans ce nouvel élan, de gros efforts d’adaptation sont toutefois nécessaires, à la fois de la part des entreprises, des salariés et des institutions[[Thierry Pech, « La troisième révolution, industrielle » in Comment sauver l’industrie ?, op. cit., p. 22-23.

]]. L’industrie d’aujourd’hui et de demain nécessite donc une nouvelle définition, où la norme n’est plus celle liées au « grand champion » industriel de l’aéronautique ou de l’automobile, mais plutôt à celui des secteurs intermédiaires, à la fois plus diversifiés, plus petits et plus difficiles à distinguer car absorbés dans la production de biens finaux. De plus, ce ne sont plus des produits, un secteur ou un marché qui définissent l’industrie, mais bien des logiques économiques, des contraintes, des comportements communs aux acteurs considérés. Un secteur donné n’est ainsi plus totalement industriel (donc coupé des services) ni complètement en-dehors de l’industrie[[Gabriel Colletis, L’urgence industrielle, Paris, Le Bord de l’Eau, p. 20-21.

]].

3.1. Les fondements de l’écologie industrielle

À cet impératif d’efficacité énergétique de l’industrie se joint une réflexion portant sur la productivité, inhérente au projet industriel, mais cependant incompatible avec le projet d’écologie politique. La logique industrielle repose sur la consommation renouvelée de biens produits, accessibles à un nombre de plus en plus grands de consommateurs. Les progrès continus de la productivité dans l’industrie permettent de consommer toujours plus de biens industriels, tout en consacrant de moins en moins de temps à les produire et de moins en moins d’argent à les acheter. Or, l’obligation de renouvellement, qui s’étend à une multitude de produits industriels, fonde une autre logique : celle d’un achat de plus en plus contraint, soit par une durée de vie faible du bien produit (l’obsolescence programmée), soit par des facteurs externes tels que mode et engouement collectif. Comme dit plus haut, la surconsommation qui en résulte entraîne celle des matières premières et de l’énergie, contribuant à accélérer l’épuisement des ressources et les émissions de CO2.

D’une manière générale, l’enjeu consiste à restructurer en profondeur le système industriel, ce que l’on nomme parfois «l’éco-restrucuration», pour tenter de le faire évoluer vers un mode de fonctionnement viable à long terme, compatible avec la Biosphère[Suren Enkman, Écologie industrielle : une stratégie de développement, Namur, Etopia, 22 mars 2009, [en ligne], [https://www.etopia.be/spip.php?article190.

]]. Concrètement, dans l’optique de l’écologie industrielle, différentes solutions sont envisageables pour sortir de cette fuite en avant destructrice et riche de conflits futurs pour l’accès aux ressources.

La première exigence, pour aller vers une économie réellement soutenable sans renoncer aux biens industriels, est d’imposer aux fabricants de produits manufacturés complexes (voitures, équipements ménagers, appareils électroniques, …) d’assembler des composants aisément dissociables et identifiables, afin d’en rendre le recyclage possible à des coûts limités et d’en faciliter le remplacement. De quoi allonger la durée de vie des produits. Cette logique du « cradle to cradle » crée une démarche où les biens produits sont entièrement recyclables à partir d’intrants eux-mêmes recyclés[Sylvie Castonguay, « Cradle to cradle » – une nouvelle marque certifiée, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, 2007, [en ligne], [http://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2007/02/article_0002.html.

]]. L’idée est ainsi, à terme, d’intégrer aux nouveaux produits des matières premières entièrement biodégradables ou recyclables en fin de vie. Aux éléments ne pouvant être recyclés, du fait notamment de leur composition chimique, se joint la nécessité de développer une chimie renouvelable, transformant des matières végétales et ne fabriquant que des molécules biodégradables, en insistant sur des méthodes de production peu coûteuses en énergie.

Une deuxième exigence serait de réfléchir à une autre manière de considérer les biens marchands, en adoptant une économie consistant à vendre non plus l’objet mais son usage. En effet, il ne suffit pas de produire autrement, mais bien d’utiliser autrement. D’où la nécessité de limiter le volume des productions en rendant les biens plus durables et aisément recyclables, et en transformant leur mode d’usage. Ce principe est celui de l’économie de fonctionnalité. Le principe des industries évoluant à l’intérieur de cette économie consiste à vendre un service plutôt que des produits, l’usage plutôt que le bien. L’utilisation du bien devient ainsi plus intense, nécessitant une production en moins grand nombre, et permettant à l’industrie d’en accompagner l’existence en-dehors de la seule vente du produit fini.

La troisième exigence serait de considérer l’industrie suivant un schéma cyclique, en s’inspirant de la nature, permettant ainsi d’évoluer vers un métabolisme industriel. Le système industriel actuel évolue essentiellement suivant une accumulation de flux linéaires n’ayant que peu de liens entre eux. Le fonctionnement actuel repose, entre autres, sur une extraction des matières premières et sur le rejet des déchets. L’économie circulaire vise à optimiser les flux d’énergie et de matière à l’échelle d’un système : site de production, zone d’activités, bassin d’emploi ou économie nationale. La prévention des consommations et des rejets est couplée à l’idée d’un fonctionnement quasi cyclique comme celui des écosystèmes. A la différence de l’économie actuelle dite linéaire, l’économie circulaire s’efforce de ne pas épuiser les ressources et permet de contrôler ses rejets et déchets. Très souvent, seule une fraction limitée de la consommation de matière première ou d’énergie est utilisée directement dans le produit fini. Le reste est soit perdu (par exemple l’énergie sous forme de chaleur dissipée ou d’effluent), soit transformé en sous-produit à faible valeur ajoutée voire en déchet. Or, ce déchet ou ce sous-produit constitue peut-être une ressource indispensable ou à forte valeur ajoutée pour une autre industrie située à proximité.

On le voit, l’écologie industrielle s’intéresse à l’évolution du système industriel dans sa globalité et à long terme. En tant que domaine explicitement constitué, l’écologie industrielle est jeune, à peine une dizaine d’années. Bien que l’idée en elle-même ne soit pas nouvelle, on peut dire que l’on assiste actuellement à la naissance d’un nouveau champ scientifique et technique, à la confluence de l’ingénierie, de l’écologie, de la bioéconomie et de nombreuses autres disciplines. Malgré sa jeunesse, l’écologie industrielle jouit déjà d’une reconnaissance académique certaine, comme en témoigne le lancement, au printemps 1997, du Journal of Industrial Ecology (MIT Press), la première revue scientifique consacrée à ce domaine en plein développement, ainsi que la création, début 2001, de l’International Society for Industrial Ecology. Le monde de l’économie n’est pas en reste : des entreprises comme AT&T,General Motors, Xerox, Dow, EDF, Gaz de France, parmi d’autres, intègrent désormais l’écologie industrielle dans leur réflexion stratégique.

L’écologie industrielle considère le système industriel comme une forme particulière d’écosystème. Elle cherche à y appliquer un ensemble de principes : la valorisation systématique de tous les déchets, la minimisation des flux totaux de matière tout en assurant des services au moins équivalents, la réduction de l’intensité d’énergie et de matière par unité de production, la prolongation de la durée de vie des produits en favorisant des activités telles que la réutilisation des ressources, la réparation, la remise en état et le recyclage.

Il s’agit d’une innovation économique et territoriale, en insistant sur les synergies entre pouvoirs publics, entreprises, associations,… afin de mettre des ressources en commun. Il s’agit également d’utiliser les externalités des uns comme intrants pour les autres pour passer d’une économie linéaire, particulièrement vorace en matières premières, à une économie circulaire, fondée sur les échanges et le recyclage. Les intérêts sont donc multiples et touchent à la fois aux gains sur les ressources, aux économies d’échelle et au marketing.

L’écologie industrielle touche toutes les activités humaines et pas seulement l’industrie ou les entreprises. Le principe est d’identifier s’il est possible de réutiliser les déchets d’une entreprise en tant que ressources pour une autre entreprise. Cette démarche accroît la résilience des entreprises, c’est à dire leur capacité à s’adapter aux changements, et permet des économies d’échelle.

Cette logique industrielle ne peut cependant aboutir à créer, en caricaturant, un capitalisme vert, autour de voitures vertes fabriquées dans des industries vertes et circulant dans des embouteillages verts, et pilotées par des ouvriers gagnant de moins en moins de billets verts… Pour réellement répondre aux chocs à venir, et donc à parvenir à les anticiper, il s’agit d’approfondir la réflexion sur notre conception même de la productivité et de la consommation. Ce questionnement peut se réaliser avec l’écologie industrielle.

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3.2. Les perspectives en Wallonie

La Déclaration de Politique Régionale reprenait comme objectifs d’adopter une politique industrielle ambitieuse et respectueuse de l’environnement. Il s’agissait ainsi de développer l’écologie industrielle dans la stratégie des acteurs concernés pour tendre vers une optimisation des flux entrants et sortants (énergie, matières, déchets, …).

Le Plan Marshall 2.vert reprenait, dans son Axe 4, le lancement d’un appel à projets d’éco-zonings, avec le développement de 5 expériences pilotes disposant d’un soutien financier. Le budget de la mesure représentait 2,5 millions d’€.

Comment faire de la Wallonie une plaque tournante de ces objectifs, à travers notamment des piliers que pourraient être le recyclage et l’économie circulaire ? Il s’agit maintenant d’analyser plus en profondeur quelques pistes d’actions à entreprendre.

3.3. La filière déchets

Plusieurs filières sont tout à privilégier si l’objectif est de mettre en place une logique d’écologie industrielle en Wallonie : la filière déchets, celle de l’eau et celle de l’énergie.

Dans le cadre des déchets, 2 étapes sont à distinguer : la collecte et le recyclage.

La collecte des déchets représente la première étape importante pour parvenir à tirer un profit intéressant des mines urbaines. Ces mines représentent des capacités de gisements importantes et à disposition sur le territoire wallon, face à une augmentation du coût des matières premières allant aujourd’hui croissant dans le monde et soumis aux aléas géopolitiques.

Or, il s’agit de l’étape pour laquelle les données manquent. Déjà, le chiffre du gisement régional de déchets en Wallonie reste flou, du fait de la difficulté de récolter les données. Ensuite, les PME en Wallonie ne disposent pas des ressources humaines et matérielles leur permettant d’assurer une gestion et un tri efficace de leurs déchets. La collecte de certains éléments est également difficile de part la difficulté de séparer certains composants, de part leur assemblage dans le produit fini. Parmi les pistes à suivre, il s’agit donc de collecter à la fois plus et mieux. Cette collecte et transformation efficaces passent par un renforcement des supports législatifs doté d’objectifs ambitieux. Il s’agit également d’accompagner les entreprises, et plus particulièrement les PME, dans leur prise de conscience de l’intérêt du recyclage et de la réutilisation des déchets en tant que matière première, notamment via la mise en place de structure de recyclages efficaces.

Collecter plus et mieux passe également par la mise en place de nouveaux modèles structurels (deposit systems) et une gestion efficace des données grâce à un inventaire des stocks disponibles.

Enfin, il est bon à savoir que les gisements ne concernent pas les seuls secteurs industriels mais également les secteurs domestiques. Encore trop souvent collectés en tant que déchets ménagers, beaucoup recèlent pourtant des ressources réutilisables dans le secteur industriel, en tant que matières premières.

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Seconde étape : le recyclage. Son importance est cruciale. Déjà, le recyclage des déchets représente une économie non négligeable en termes de dépenses énergétiques :

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De plus, son atout en termes d’économie ne peut être négligé. Face à la montée du coût des matières premières, notamment les terres rares dont les composants deviennent essentiels à notre économie, la solution du recyclage représente une opportunité à saisir. Il est ainsi important d’adopter une attention particulière envers les terres rares, nécessaires pour le développement durable. Ces éléments entrent ainsi dans la composition des éoliennes, des panneaux solaires, des batteries,…

Or, encore trop souvent, ces déchets sont soit exportés, notamment la mitraille, soit détruit, le coût du recyclage de nombreux matériaux nécessaires dans les secteurs émergents étant trop lourd. Ce secteur du recyclage représente pourtant un potentiel de création d’activité estimé à 300.000 emplois en Europe.

Il est donc nécessaire de certifier la chaine du recyclage à chaque étape pour l’efficacité de l’économie circulaire. Il s’agit dès lors d’augmenter la coordination et le contrôle des exportations pour lutter contre les exportations illégales. Il faut aussi un « écodesign » des appareils, afin de permettre le recyclage en fin de vie. Mais il est difficile de mettre en lien les différents acteurs de la chaine de conception d’un appareil.

Force cependant est de constater que les techniques de recyclage sont aujourd’hui déjà pointues dans les secteurs concernés, avec un taux maximum de collecte, et un recyclage efficace, même si des améliorations sont toujours possible. Il est donc nécessaire de continuer à investir dans la recherche afin de diversifier et développer des capacités de recyclage pour des secteurs encore sous-employés actuellement. Il est également nécessaire de mettre en place plus de synergies entre Flandre et Wallonie, la première étant spécialisée dans le recyclage des métaux par la chaleur, en gros en les chauffant et en les fondant, la seconde l’étant plutôt via la chimie.

Toutefois, toutes ces démarches doivent se joindre à une nouvelle culture de valorisation des déchets. Car le risque, face à une valorisation des déchets, est de voir la logique économique l’emporter sur la logique environnementale. Des filières plus efficaces environnementalement mais moins rentables économiquement sont ainsi parfois négligées.

Enfin, au-delà de cette logique de recyclage s’impose celle de la production réfléchie des produits destinés à être recyclés. Pour assurer cette efficacité de réutilisation des déchets, il convient de redessiner les cycles des matériaux. L’écodesign est donc important autour d’un design intelligent, axé autour du désassemblage en vue du recyclage des différents composants.

Comment, dès lors, légiférer ?

Il existe déjà une directive européenne dans ce domaine. Mais les directives ecodesign concernent surtout sur l’énergie. Toucher toute la chaine est donc un objectif à atteindre, tout en étant conscient d’une évolution technologique allant plus vite que les normes.

De plus, pour le recyclage des métaux, seule une économie circulaire à l’échelle d’un continent représente un réel moyen d’action, les économies d’échelle et les quantités disponibles n’étant pas suffisantes à l’échelle d’un petit territoire.

Néanmoins, il est possible d’utiliser un territoire plus petit dans le cadre certaines niches. Cependant, à l’heure actuelle, aucun appareil électronique n’est réellement produit de A à Z en Belgique. Il est donc nécessaire de créer un réseau en opérant un choix sectoriel ciblé, ou en se focalisant sur certaines étapes telles que la recherche, le recyclage, la conception, …

La filière des déchets n’est cependant pas la seule à pouvoir faire l’objet d’une telle approche. La mutualisation d’approvisionnement représente également une voie à suivre dans le contrôle des flux et dans leur rationalisation. L’exemple de l’eau et de l’énergie prouvent qu’il est possible, dès l’entrée dans le circuit, d’appliquer les principes de l’écologie industrielle dans leur utilisation.

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Cette gestion des filières ne peut réussir sans une approche globale, traitant aussi bien d’une nouvelle approche de la Recherche et Développement, de l’innovation, de la formation, et d’une approche territoriale et de gouvernance. Ce sont ces différents points qui feront l’objet des réflexions suivantes.

4. Autour de l’écologie industrielle

4.1. Axer la Recherche & Développement vers les innovations vertes

Tous ces engagements envers la promotion d’une autre organisation de l’économie et de l’industrie ne peuvent se faire sans le soutien d’une Recherche & développement axée sur les innovations vertes. Des unités innovantes de production et des centres de recherche existent sur le sol wallon. Comment dès lors favoriser le lien entre recherche – innovation – innovation de production et nouvelles voies industrielles ?

La Recherche et Développement (R&D) est nécessaire pour le développement industriel. Elle devrait dès lors aller là où le marché se trouve. Or les marchés de l’Union Européenne (UE) sont matures ; la croissance est donc ailleurs. On constate également le développement d’une sous-traitance de la R&D. Enfin, même si l’UE investit aujourd’hui dans la R&D, le nombre de brevets et productions reste trop peu élevé.

Or, le potentiel en redéploiement économique se trouve dans la recherche fondamentale et la recherche appliquée. La R&D est essentielle dans le contexte du redéploiement industriel, face aux défis qui nous attendent pour la transition de nos sociétés. Celles-ci doivent anticiper et être actrices de ces changements.

La recherche fondamentale et recherche appliquée représente un programme d’excellence dans lequel il faut s’investir, y compris en y impliquant les universités dont la recherche fondamentale par rapport à la transition écologique et les recherches technologiques et non technologiques autour du changement de société sont importantes.

Le Besoin d’innovation est essentiel, et pour ce faire il est nécessaire de susciter cette dynamique chez les jeunes et de promouvoir l’ouverture et la pratique pluridisciplinaire.

Ces différents axes sont scellés dans le plan Marshall 2.vert

L’état des lieux de la Recherche et Développement

Une réflexion est nécessaire en période de crise pour une perspective de moyen et long terme, sur la manière dont la R&D peut soutenir l’activité et l’emploi de qualité. La réflexion doit également se porter sur comment enclencher une troisième révolution industrielle durable dans notre région.

Dans un premier temps, il est nécessaire de procéder à un état des lieux des forces et faiblesses du système d’innovation wallon. Ainsi, sur base des travaux d Bureau Fédéral du Plan, de l’OCDE et du Conseil Wallon de la politique scientifique, le constat est le suivant: tant les points forts que les points faibles s’accentuent. La Wallonie est ainsi au dessus de la moyenne UE27 et les dépenses augmentent (2,2% du PIB), mais l’investissement public reste trop faible, même si il existe un engagement positif dans le Plan Marshall 2.Vert et dans une stratégie Recherche s’orientant vers 1% du PIB.

3 faiblesses sont à constater: Tout d’abord, l’existence d’une double concentration entre les grandes entreprises et le secteur High Tech, échappant aux secteurs traditionnels et aux PME. Ensuite, dans le cadre des ressources humaines la perte de l’avance jusque là réalisée est en cours. Il y a ainsi une très faible proportion de la population adulte qui participe à la formation continue (seulement 5% alors que la moyenne européenne est à 9%. L’objectif pour 2015 est, lui, fixé à 15%). Enfin, la valorisation : il reste ainsi des difficultés quand à traduire en innovation, en brevets et en activités ce qui est développé. Et les PME sont, encore une fois, à la traine. Même s’il faut reconnaître qu’en termes de valeur ajoutée, le rapport est bon, la création d’emplois reste trop faible.

Plusieurs recommandations existent pour renverser la vapeur : Tout d’abord sensibiliser afin d’augmenter les inscriptions dans les filières techniques et scientifiques. Il est également nécessairement de valoriser les qualifications acquises en formation continue.

Dans un deuxième temps, il est nécessaire de tirer parti de toutes les sources de financement et articuler les programmes wallons et européens. Enfin, il faut construire une politique de valorisation efficace et coordonner les aides sur toutes les phases jusqu’à la commercialisation.

L’importance de l’innovation

L’innovation doit ainsi être la première priorité, et non la recherche. Renverser la pyramide est le but, ou en tous cas un juste milieu est à mettre en place entre innovation et recherche. Le chercheur qui a l’idée et l’industriel qui a la vision marché doivent se rencontrer. Or, la tendance actuelle en Wallonie vise à faire trop de R&D, au détriment de la « robust innovation ». Un exemple est celui de Mittal : les recherches du CRM ne portent que sur les 5 lignes qualifiées de stratégique. On investit que sur les lignes à haute valeur ajoutée, et pour qu’elles continuent à avoir de la valeur ajoutée, il faut innover sans cesse.

Il est aussi nécessaire d’introduire une distinction entre produits de commodités (produits de base) et à haute valeur ajoutée, qui est artificielle. Il est ainsi assez « facilement » possible de transformer une commodité en haute valeur ajoutée. Mais des choix doivent être faits, surtout dans une petite région comme la nôtre, qui ne peut tout couvrir.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que la Chine possède 75% des réserves de métaux à l’échelle mondiale. Face à cette réalité, la recherche doit travailler sur des produits innovants afin d’être moins dépendant. C’est le défi européen et wallon, qui est aussi celui de faire plus avec moins. L’exemple de l’aluminium est représentatif, avec lequel en 25 ans, la fabrication est passée de 46 cannettes à 70 cannettes à partir d’un kilo d’aluminium.

Pour parvenir à cet objectif, il est donc essentiel d’investir beaucoup plus dans l’industrialisation, au-delà du seul fait de vouloir préserver la connaissance.

Il faut se réjouir que tous les acteurs partagent les mêmes constats : l’innovation est indispensable pour préserver notre économie. Il nous faut garder une industrie forte.

Il existe cependant un problème d’image de l’industrie pour l’opinion publique. L’UWE liégeoise a lancé une campagne de sensibilisation, notamment auprès des jeunes et des étudiants. Différentes visites ont dès lors été organisées auprès de ce public qui est ainsi familiarisé à une autre image de l’industrie, plus proche de la réalité, autour des potentiels high-tech et du développement durable que l’industrie wallonne représente.

Autre point important : celui de la nécessaire internationalisation. Il faut exporter plus. L’expérience de partenariat entre les PME et les grandes entreprises pour aller vers l’étranger est à valoriser. Il est également utile de se rassembler afin d’être important sur la scène internationale, au sein par exemple des programmes européens,… En effet, même si la Wallonie est en avance en termes de R&D, elle n’est pas assez visible.

Comment créer de la valeur ajoutée ? En exportant de la technologie, il est déjà possible de créer de la valeur ajoutée. La région dispose d’un tissu économique existant, qui doit évoluer. Certaines grandes entreprises s’insèrent déjà dans cette logique d’exportation (Prayon, Tecspace,…). De plus, le soutien aux PME est essentiel, mais les grandes entreprises sont structurantes et doivent tout autant être soutenues. Il faut donc éviter la désindustrialisation. Dès lors, comment les préserver ?

Une nouvelle industrialisation apparaît petit à petit avec, par exemple, EVS et les biotechnologies,… Cette apparition est importante car elle amène la diversification. Toutefois, l’emploi créé ne compense pas les emplois perdus au sein des industries plus anciennes. Il faut donc aider ces entreprises à se développer et à se rassembler. Le processus du Plan Marshall 2.Vert est ainsi plus que pertinent. Il permet de supprimer les barrières entre les acteurs. Un point faible cependant est qu’il en faut plus, et qu’il est important d’intégrer l’administration (avec moins de formalités et de délai et un meilleur soutien aux initiatives). Les subsides octroyés sont importants pour l’aspect technique, mais des subsides sont également nécessaires sur l’aspect commercial,
afin de « vendre » une idée jusqu’au bout.

La taille de la Wallonie est un atout : il est possible d’agir comme une PME, d’être réactif, innovant, mais se pose toujours la question de comment rassembler toutes les forces ? Avec des petits centres dynamiques, bien orientés, si les bons choix sont réalisés, il est possible de parvenir à surpasser des mastodontes indiens, chinois,…

Il ne faut donc pas être trop modeste. En étant conscient de nos atouts, et en s’appuyant sur eux, la région peut être un leader de la transition économique.

Intégrer une démarche permanente de Recherche et Développement dans une perspective de produits et de modes de production verts

Au final, sur quels leviers pouvons-nous jouer pour permettre à ces entreprises d’être plus innovantes ? Cela fait maintenant deux législatures que l’on se recentre sur la R&D à travers le plan Marshall et le 2.Vert, à travers les pôles de compétitivité. La part de technologies vertes est désormais la partie la plus importante de Mécatech. Donc la question des produits et technologies vertes est déjà bien intégrée. Il y a beaucoup d’innovation dans ce genre d’entreprises. Les avancées de ces PME sont impressionnantes. Mais comment permettre à une PME de se développer, comment lui permettre de s’exporter ? Comment pouvons-nous faire en Wallonie pour créer des filières complète sur ces produits ? Il y a toujours une part non-délocalisable dans une filière. Par exemple en ce qui concerne les panneaux photovoltaïques, les installateurs doivent forcément être locaux. Par contre la production de panneaux peut se faire ailleurs et cette partie devient donc délocalisable. Il faut recréer des filières complètes en Wallonie. Il est également difficile en Wallonie de permettre l’exportation des PME créatrices. Avec le soutien aux énergies renouvelables, le gouvernement wallon a créé un appel d’air massif, une demande énorme, mais la Wallonie n’a pas su répondre à la demande par une offre wallonne et s’est vite faite rattraper par des pays qui soit avaient déjà développé certaines filières, soit les ont développée rapidement (comme les panneaux photovoltaïques chinois). Comment faire pour que la Wallonie puisse répondre mieux à la demande par une offre provenant de Wallonie ? Comment faire pour que l’offre wallonne s’adapte à cette demande ?

Des technologies sont bloquées dans leur développement par des législations et réglementations qui n’y sont plus adaptées. Par exemple, nos législations en termes de gazéification font défaut. Il est dès lors difficile de faire du gaz à partir de déchets de part les vides ou les problèmes juridiques. Ce phénomène existe aussi pour la bio-méthanisation. Il est donc nécessaire de réaliser un travail de recensement des freins dont est responsable la législation pour le développement de produits et techniques innovant(e)s.

Il est également important d’intégrer les contraintes écologiques, c’est à dire les contraintes en termes d’émission de CO2 et les contraintes en termes d’empreinte écologique. Et parfois, l’une peut paraître s’opposer à l’autre, ce qui n’est pas facile à surmonter. Mais il faut se rendre compte que les « GreenTech » sont à notre époque ce qu’étaient les ICT dans les années 80. Dans le même temps, il ne faut pas faire l’erreur de penser que les greentechs vont remplacer l’industrie lourde. Le développement des greentechs ne résoudra pas les problèmes auxquels fait face aujourd’hui l’industrie lourde européenne. L’ensemble de ces nouveaux potentiels ne vient pas « à la place de » mais bien « à coté de ».

4.2. Métiers de demain : enseignement et formation

Comme nous l’avons vu, au premier abord, la situation des diplômés en Fédération Wallonie-Bruxelles ne semble pas problématique dans le cadre d’une base à disposer pour favoriser ce redéploiement industriel. En effet, selon l’étude du CESW sur les filières scientifiques, la FWB affiche un nombre de diplômés du supérieur plutôt élevé par rapport à la moyenne européenne. Cependant, en creusant quelque peu, ce taux s’affiche inférieur à la moyenne en sciences pour l’UE27 : (12% en FWB par rapport à 22% dans l’UE27).

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Le rapport du Bureau Fédéral du Plan (BFP) pointe les points forts et les faiblesses. Les dépenses en R&D sont ainsi très bonnes. Il y a cependant un souci sur la question de la formation continue, qui a subi un retrait depuis 2000. La population active ayant un diplôme de l’enseignement supérieur voit aussi un effritement. Il y a de bons scores en ce qui concerne la part de la population de 25 à 64 ans et la part de la population de 30 à 34 ans ayant effectué des études supérieures. Mais, la Wallonie est dans le bas du classement par rapport à l’UE 27.

Une idée fausse est qu’il y a une désaffection des jeunes pour l’option sciences. En secondaire, cette matière est une des premières sélectionnées. Il y a une perdition dans le passage du 2ème au 3ème degré et du secondaire au supérieur. L’impact du genre dans la désaffection est aussi fort présent.

Parmi les facteurs explicatifs :

un enseignement trop abstrait à repenser

les impacts du genre

une image erronée des sciences et des métiers scientifiques

De plus, nous avons, en Wallonie un foisonnement d’initiatives et d’outils de formation et/ou de sensibilisation visant à augmenter le nombre de jeunes s’engageant dans des études puis des métiers scientifiques. Mais avec des effets limités, faute d’une stratégie intégrée regroupant l’ensemble des acteurs (à l’exemple des bonnes pratiques en Scandinavie, en Allemagne, …).

Les résultats PISA dressent des constats intéressants : la Wallonie a 1,5 an de retard par rapport à la tête du peloton, où figure la Flandre. Des facteurs explicatifs permettent, néanmoins, de relativiser certains résultats, comme une enquête par classe d’âge et non par année d’études, ainsi que l’impact du redoublement). Il y a aussi une forte hétérogénéité entre les résultats, dû notamment aux différences entre établissements, certains aggravant les résultats tandis que d’autres ont de très bon résultats.

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Comment expliquer, cependant, la première déperdition entre le 2ème et le 3ème degré ?

L’effet « grille » joue. La limitation du nombre de périodes par semaine à 28h (attention au fait que c’est un minimum et qu’il est possible de prendre plus d’heures), l’obligation de prendre une heure de physique, … rendent difficile la possibilité de compléter sa grille horaire avec différentes matières. Les stratégies anciennes, influencées par les choix des parents, jouent beaucoup. L’approche abstraite et théorique ainsi que le peu d’expériences et de manipulations s’expliquent par une formation des enseignants parfois insuffisante, une difficulté d’accès à des locaux équipés dans le secondaire inférieur et une organisation des cours en périodes de 50 minutes. Il est à noter que les régents n’ont souvent pas accès aux laboratoires présents dans les écoles.

La seconde déperdition entre le secondaire et le supérieur voit 19% des étudiants des étudiants de l’enseignement supérieur choisir des formations du secteur sciences et techniques, soit 31 % des hommes et 9% des femmes. La question du genre se pose ici. L’effet est que les diplômés nécessaires à l’innovation pour la transition écologique en Wallonie ne sont pas disponibles, car trop peu nombreux. Une concurrence apparaît aussi entre sciences et sciences de santé, ce dernier pôle étant choisi de manière privilégiée par les filles, tandis que les sciences humaines et sociales restent le premier choix. Les sciences ne bénéficient pas non plus de la croissance de la population estudiantine.

Quelles pistes d’actions sont possibles ?

repenser l’enseignement des sciences

développer des actions visant spécifiquement les filles

mieux informer les jeunes et les parents sur les métiers scientifiques et techniques

renforcer les liens entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur

Il est dès lors nécessaire susciter des réseaux d’acteurs destinés à motiver et sensibiliser aux enjeux de la science, afin de ne plus laisser l’enseignant seul face à sa classe. Des approches centrées sur les filles sont aussi une piste, notamment dans l’information sur les filières scientifiques, tout en sensibilisant également les enseignants et les parents.

4.3. De nouvelles approches territoriales

Autre élément déterminant dans le redéploiement économique de nos régions et de facto vers la création d’emplois : l’implantation intelligente des entreprises sur le territoire.

Trois mots interconnectés résument assez bien cette nouvelle approche via l’écologie industrielle et son impact sur l’aménagement du territoire : intelligence, rareté, coûts.

Nous avons tendance à brader nos ressources foncières et à laisser à l’abandon des friches et des espaces qui pourraient être mieux utilisés. Il faut que nous arrivions à faire de l’efficience territoriale car nous sommes clairement au bout d’une logique. Celle de la croissance sans s’occuper des conséquences, notamment sur le territoire. Nous devons faire plus avec moins. Nous devons construire de manière plus compacte et envisager le développement de l’organisation de l’espace par étage. Il apparaît aussi important de mettre en place un système intégré de développement. Il faut éviter d’avoir un Plan Marshall, un SDER, un CODT, un plan de mobilité, chacun dans leur coin sans aucune cohérence. Au contraire, il est fondamental de mettre ces différents outils en synergie avec une vision intégrée. C’est bel et bien d’une intelligence de long terme qu’il faut parler.

Nous constatons actuellement un véritable gaspillage des terrains dans la périphérie des centres et ce quelle que soit la fonction (habitat, activités économiques, loisirs, etc). Un changement de mentalités est nécessaire globalement par rapport à ces questions et plus particulièrement en matière de mobilité. Il est également nécessaire que les entreprises s’adaptent aux nouvelles formes de travail comme le télétravail ou les espaces de « co-working ».

Dans une démarche d’écologie industrielle, c’est l’innovation économique et territoriale qui est visée, en mettant en place des synergies entre pouvoirs publics, entreprises, associations,… pour mettre des ressources en commun et utiliser les déchets des uns comme ressources pour les autres. De telles démarches peuvent parfois simplement être initiées en créant des espaces de discussion où les entreprises peuvent créer des liens. Il faut donc renforcer la mise en réseau et le soutien aux acteurs de l’économie circulaire, adapter la législation, renforcer la formation et mettre en place une stratégie territoriale via les intercommunales de développement économique.

Le rôle des intercommunales de développement économique est finalement central et il doit impérativement évoluer. Elles doivent progressivement passer de l’état de vendeur de terrain équipé à celui de recycleur et gestionnaire de terrains. Cela nécessitera aussi des investissements de la part des pouvoirs publics.

L’éco-zoning de Tertre-Hautrage-Villefort s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels pour faire évoluer le système industriel vers un fonctionnement plus durable visant à minimiser les pertes de ressources et d’énergie.

La stratégie poursuivie favorise une optimisation de la consommation de ressources et une pérennisation du tissu économique. Les synergies étaient déjà existantes entre certaines entreprises pour l’échange de matières et pour le transport. Mais certaines continuaient à travailler de manière isolée, tandis que d’autres négligeaient des domaines où ces synergies pouvaient être développées. Après une démarche de rencontres et d’échanges entre les différents groupes présents, un objectif commun a été défini en visant à consolider et augmenter la compétitivité économique tout en accroissant la performance environnementale. Et, après dépôt d’une demande de soutien, la zone d’activité économique du Tertre a été retenue parmi les 5 expériences pilotes, en devenant bénéficiaire d’une subvention de 285.000 €.

Le projet a rassemblé les 8 entreprises de la zone ainsi que la ville de Saint-Ghislain, toute proche, et l’IDEA, intercommunale de Développement économique et d’Aménagement du Territoire de Mons-Borinage et du Centre. Un comité de pilotage, réunissant ces acteurs et établissant des relations de confiance, fondamentales dans cette démarche, a identifié plusieurs thématiques à développer, allant de la détection de synergies industrielles en termes d’échanges de matières et d’énergies à l’étude paysagère et relative à la biodiversité en passant par une rationalisation de la consommation de l’eau au niveau du zoning.

Sur base de l’expérience de Tertre-Hautrage-Villerot, les industriels de Feluy, qui étaient méfiants, ont été finalement séduits par la démarche et soutenus par les autorités locales pour lancer leur propre dynamique. De même, l’exemplarité du projet a développé la volonté du Conseil de Développement du « Cœur du Hainaut, centre d’énergies » de généraliser les éco-zonings d’excellence à l’échelle du territoire.

Où cette démarche peut-elle donc se mettre en place ?

La Wallonie recense 222 parcs d’activités économiques dont 7 parcs scientifiques, 6 aires logistiques et 11 infrastructures multimodales de transport combiné sur une superficie de plus de 12.000 ha.

Il est important de recréer des chaînes « matières premières => déchets=> matières premières » et ainsi de suite. Certaines intercommunales sont intéressées par de telles méthodes. Cette démarche permet aussi de récupérer de l’énergie et de ne pas ou de moins la gaspiller. Elle permet également de sélectionner les entreprises qui désirent s’installer sur un zoning par exemple. Plusieurs projets se sont développés autour de ce concept notamment autour de Duinkerke. La méthodologie peut d’ailleurs s’organiser en 5 étapes avec les acteurs :

  1. Identifier les objectifs et le comité de pilotage qui sera à la manœuvre
  2. Faire un diagnostique du territoire étudié
  3. Mobiliser et convaincre les entreprises présentes sur le site afin qu’ils s’engagent dans le projet => partage de bonnes pratiques
  4. Détection et identification des synergies possibles entre les différentes entreprises parties au projet
  5. Faisabilité juridique, financière, etc.

=> recherche de financement pour soutenir le projet.

Il est important de susciter la collaboration entre les entreprises. Par exemple, pour revenir aux micros-algues, le CO2 rejeté par une entreprise peut être réutilisé par une autre entreprise pour produire des microalgues, qui elles même donneront du carburant etc. Une entreprise comme Yara (entreprise chimique de production d’engrais minéraux), par exemple, a compris qu’elle devait aller vers un tel modèle et y travaille. Il s’agit ici réellement d’une approche systémique.

4.4. Soutenir les innovations sociales

Dans une étude menée en 2012, deux auteures soutiennent que les entreprises adoptant des mesures environnementales voient également se développer un meilleur esprit de travail et de contacts entre les employés, contribuant à renforcer la productivité au travail[[Delmas, Magali A. and Pekovic, Sanja, Environmental Standards and Labor Productivity: Understanding the Mechanisms that Sustain Sustainability (August 10, 2012). Los Angeles, Paris, Journal of Organizational Behavior, 2012, p. 25.

]].

Cette réflexion sur l’écologie industrielle ne peut cependant se limiter aux seuls enjeux de production. Il importe également de réfléchir aux questions touchant à la gestion du travail, au statut même des entreprises industrielles et aux questions de fiscalité qui leur sont inhérentes. Un changement de perspective concernant le travail, la reconnaissance des compétences des travailleurs, le développement de production socialement utiles et l’ancrage des activités dans les territoires constituent des voies importantes du renouveau industriel[[Gabriel Colletis, op. cit., p. 111-112.

]].

Tout d’abord, la question de la fiscalité et de son efficacité vers la réindustrialisation des économies est ainsi de plus en plus posée aujourd’hui, notamment par les économistes s’étant, jusque là, fait les chantres d’une approche dérégulatrice. Bruno Colmant, ainsi, a reconnu en septembre 2012 les failles laissées par le système des intérêts notionnels, dans lequel il dénonçait le faible taux d’investissement des entreprises en bénéficiant. La financiarisation des stratégies produit ainsi des effets négatifs sur l’industrie, les investissements et les salaires. L’obligation de rentabilité à court terme impose des stratégies qui entretiennent, in fine, de moins en moins de liens avec l’économie réelle.

Outre cette question de la fiscalité et de la financiarisation des stratégies, il impose de se pencher sur une autre logique liée au travail et à son organisation. L’essor industriel post-1945 a été au cœur de la dynamique des Trente Glorieuses, qui a permis à un nombre jusque là jamais vu de salariés de bénéficier d’un pouvoir d’achat jusque là hors d’atteinte. Le chemin d’une éventuelle réindustrialisation devra dès lors passer par une réorganisation des qualifications, ainsi que par une réflexion sur les parcours professionnels. De plus, cette réflexion devra se porter sur l’avenir des métiers peu qualifiants, qui pourraient devenir le parent pauvre d’une réindustrialisation insistant sur des emplois hautement qualifiés, et donc excluant. Pour cela, les industries se doivent de changer de modèle de relations sociales. La place du travail dans l’entreprise doit être ainsi reconsidérée, autour d’un bien commun producteur de valeur et non plus comme un coût devant sans cesse être réduit. Il s’agit de rompre avec la logique de la valeur actionnariale pour plutôt s’engager dans un nouveau partenariat avec les salariés. La question de la démocratie salariale ne doit donc pas être négligée.

Une nouvelle conception de la centralité du travail ne se joue plus sur la question des gains de productivité et leur répartition, mais sur celle de la formation et de la reconnaissance des compétences[[Ibid., p. 120.

]]. À l’opposé des coupes dans les dépenses d’éducation, il est nécessaire d’engager une revalorisation de l’enseignement, tant dans la formation initiale que professionnelle. Mais l’état d’esprit de l’enseignement doit également changer, en formant des jeunes non pas adaptés au monde actuel mais disposant plutôt des moyens nécessaires pour le faire évoluer. Formation et dialogue social seront au cœur de la compétitivité. De même, à ces défis sociaux s’imposent ceux de la codétermination à mettre en place, où main-d’œuvre et patronat se réunissent dans les organes de décision[[Un des exemples est le Mitbestimmung allemand. Toutefois se posent les questions de flexibilité morale que la main d’œuvre est prête à s’auto-imposer au nom des impératifs de productivité et de rentabilité.

]].

Enfin, une autre piste à explorer est celle du statut même des entreprises et de leur organisation. Il s’agit également d’inventer de nouvelles institutions de valorisation du travail, de redonner leur place aux syndicats dans une conception renouvelée de leur rôle, de repenser les procédures de négociation en les considérant dans la visée du développement industriel. Il s’agit ainsi d’avoir un nouveau rapport au temps, sortant des obligations temporelles immédiates issues du poids de la finance, pour adopter une temporalité privilégiant développement durable, requalification des emplois, formation des compétences, déploiement des activités productives et luttes contre les inégalités. À certains niveaux, il peut ainsi être pertinent de s’intéresser à de nouvelles structures industrielles organisées autour de coopératives, telles que les coopératives citoyennes d’énergie renouvelable[[Collectif, Coopératives, un modèle tout terrien, Monceau-sur-Sambre, Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises, p. 96.

]], s’engageant dans la production énergétique à un niveau local et guidées par des logiques économiques, des contraintes et des comportements communs aux acteurs considérés. L’exemple de Mondragón, coopérative géante basque employant plus de 80.000 travailleurs représente un extrême, mais montre que de telles coopératives industrielles sont non seulement possibles mais tiennent le coup durant des périodes de crise[François Alfonsi, « Coopérative de Mondragon : l’exceptionnel modèle économique basque », in Europe-écologie-les Verts au Parlement européen, [en ligne], [http://europeecologie.eu/Cooperative-de-Mondragon-l; Jacques Prades, « Mondragón », in Alternatives Economiques, en ligne], [http://www.alternatives-economiques.fr/mondragon_fr_art_223_31275.html.

]].

5. Quelle gouvernance ?

Les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer dans cette dynamique. Les terrains industriels disponibles, friches ou non, sont les outils principaux de ce redéploiement industriel. Or, la logique actuelle, qui voit les pouvoirs publics vendre les terrains plutôt que les gérer, pèse lourdement sur la conversion des parcs traditionnels en parcs permettant l’écologie industrielle.

Les invests et les intercommunales doivent donc être conscientisées à ces problématiques, et devenir acteurs de conversions. Via les invests, par une approche spécifique des PME et via les intercommunales afin de développer les approches territoriales. La logique ne doit cependant pas être verticale mais bien horizontale : les rapports entre entreprises concernées, à l’échelle d’un territoire comme celui d’un parc d’activités, supposent relations de confiance et consensus dans les décisions. L’exemple des projets pilotes, comme celui de Tertre, démontrent que sans ces éléments, les projets de reconversion peinent à aboutir. De plus, la reconversion des parcs d’activités vers l’écologie industrielle se doit d’être réalisée en symbiose avec les milieux urbains proches, que ce soit dans les aspects de mobilité voire de cycles des déchets. La méthode de gouvernance publique doit donc intégrer l’idée que la reconversion ne réussira que grâce à une coordination efficace, plutôt que par une décision imposée.

6. Conclusion

Nous l’avons vu : il n’existe pas de solution unique pour le redéveloppement industriel en Wallonie. Or, le plus souvent, les solutions proposées sont monocausales, renvoyant à une des voies possibles de renouveau de l’industrie. Il ne s’agit cependant pas tant d’insister sur les voies du renouveau que sur les moyens de celui-ci. Dès lors, il convient d’en identifier les différents types et d’en faire « système ».

Selon l’Institut Inspire[[http://www.inspire-institut.org/

]], pour anticiper efficacement les changements en cours, il est essentiel de mobiliser les savoirs, de les transmettre et de les rendre opérationnels, pour relever les défis suivants :

  • Accroître, dans des proportions considérables, la productivité des ressources naturelles, notamment en appliquant les principes des “3R” (Réduire, Réutiliser, Recycler), mais aussi par l’innovation dans les procédés de fabrication et dans les modes d’utilisation,
  • S’inspirer des formes et des fonctions du vivant, pour innover durablement et créer les conditions d’une économie circulaire, par opposition à l’économie linéaire (Prélèvement, utilisation, rejet) qui représente actuellement le mode de fonctionnement dominant. A ce titre, le bio-mimétisme, la bio-inspiration et l’éco-conception seront des moteurs pour l’innovation technologique ou organisationnelle,
  • Mettre en place une économie de fonctionnalité, reposant sur la valorisation de l’usage et du service rendu, et changer ainsi de mode de création de richesses,
  • Ré-investir dans le capital naturel, pour restaurer la pleine fonctionnalité et le potentiel d’évolution des écosystèmes dont nous dépendons.
    Concernant la problématique liée à l’énergie et à la protection de la nature, l’industrie a lourdement pesé sur la qualité de l’environnement et sur l’exploitation des ressources naturelles et continue à être un secteur énergivore et polluant. Il est donc primordial d’imaginer des formes de développement industriel moins prédatrices pour l’éco-système.

Plusieurs priorités se distinguent, dès lors : il est important de réinvestir l’industrie, en ce compris ses centres et laboratoires de recherche/développement. Savoir, savoir-faire et faire ne peuvent plus être dissociés, comme le phénomène des délocalisations l’a permis par le passé[[Gabriel Colletis, L’urgence industrielle, op. cit., p. 16.

]]. L’action des pouvoirs publics doit se concentrer sur l’amélioration des facteurs de productions : le travail, la formation, la recherche et l’innovation, sources de reconquête d’avantages compétitifs par rapport aux pays bas salaires et donc de relocations dans les territoires européens et régionaux. A contrario, les subventions aux entreprises au fil des restructurations contribuent à enfermer le territoire dans ses difficultés, au de lieu de l’aider à se diversifier. Les aides se concentrent, en effet, sur les entreprises « mobiles » et laissent de côté les « immobiles », c’est-à-dire les hommes et les femmes qui vivent sur les territoires, vulnérables à la mondialisation et à la délocalisation.

La recherche effrénée de la productivité ne doit pas toutefois constituer le but unique de la politique industrielle : face à des concurrents disposant d’un avantage de compétitivité-coût non rattrapable, comme les pays émergents, cette solution représente une impasse et un danger social. Insister sur l’innovation et la créativité industrielles représente le nouveau but à poursuivre. Et cette innovation/créativité ne doit pas se limiter à la seule étape de la conception : elle concerne tout autant les activités liées aux méthodes et à la production physique des biens et services. Une plus forte participation des travailleurs au sein de l’élaboration et de la prise des décisions œuvre en ce sens.

Il s’agit également d’analyser ces différents enjeux de manières complémentaires et transversales, et cela également en-dehors du seul secteur wallon. En effet, la crise de l’industrie n’est pas seulement limitée au cadre régional mais le dépasse, touchant une vaste zone allant de l’Allemagne à la France. Et, à la différence de l’Allemagne, la Wallonie ne peut faire reposer l’essentiel de ses capacités industrielles sur son seul marché intérieur. Il s’agit donc de penser, à nouveau, le développement industriel de manière intégrée, à l’échelon européen. À nouveau car c’est bien cet horizon d’intégration qui a contribué au développement de l’Europe, avec une de ses première réalisation que fut la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Cette optique prend tout son sens dans le cadre de l’industrie sidérurgique : la reprise par le gouvernement wallon de la sidérurgie liégeoise aurait coûté 300 millions d’euros, dans un premier temps, avec une évolution vers les 800 millions d’euros dans une perspective à 5 ans, alors que les moyens affectés à la recherche et développement, pour tous les secteurs, n’excèdent pas 320 millions d’euros. Une des voies à suivre, dès lors, passe par la remobilisation de l’Europe pour un pôle sidérurgique intégré, mettant en avant les capacités à haute valeur ajoutée, et représentant en tant que tel un rôle de leader mondial sur les nouvelles technologies industrielles.

Il faut changer de cap : armer les territoires contre les délocalisations par une politique d’anticipation des chocs et concentrer les aides sur les travailleurs vulnérables et les infrastructures locales. Il est urgent de repenser les interventions publiques face à la nouvelle division internationale du travail, à l’orée de la « post-mondialisation » naissante. Les différents pôles de compétitivité, avec le pôle GreenWin en leader, et les réseaux d’entreprises wallons mis en place dans le Plan Marshall 2.Vert participent à cet effort. L’industrie ne peut cependant négliger l’effort d’une conversion écologique.

C’est donc vers un nouveau récit qu’il faut s’avancer. Il ne s’agit plus seulement de s’accommoder de projets pilotes et de programmes non reliés entre eux, mais bien d’exalter une nouvelle vision économique pour la Région. L’écologie industrielle pourrait être une des clefs du redéploiement industriel en Wallonie. Pour parvenir à anticiper les chocs à venir, il est impératif que la mutation industrielle s’opère autour d’une mise à disposition à moindre coût et de la façon la plus large possible d’équipements et de services nouveaux pour réduire les consommations énergétiques et exploiter le potentiel des énergies renouvelables, en insistant sur l’apport que représentent les TIC et en renouant avec le social par une nouvelle conception du travail. Il ne s’agira pas ainsi seulement d’un projet économique, mais bien d’un progrès sociétal.

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