A propos des trois grands axes thématiques mis en avant par Etopia – « l’économie collaborative, une alternative au modèle de compétition », la « prospérité sans croissance » et « l’égalité profite à tous » -, je voudrais montrer que le troisième conditionne le progrès des deux autres, que ce soit, subjectivement, pour la majorité de la population ou, objectivement, pour l’avenir de notre économie et de l’écologie politique.

Les trois crises et la quatrième

Face à la crise relative de la prospérité économique occidentale (crise abusivement appelée mondiale) et surtout à la crise sociale de la répartition de ce qui constitue encore très largement cette prospérité en Europe, en plus de la crise écologique qui menace la planète, il peut paraître étonnant que les partis écologistes n’entraînent pas l’adhésion des populations de nos pays et en particulier des électeurs belges. Par-delà les maladresses de la gestion de tel ou tel ministre écologiste ou l’évanescence de la communication de tel ou tel dirigeant, le motif déterminant de cette désaffection tient au sentiment d’inquiétude, sinon de désespoir, qui domine aussi bien les chômeurs que les travailleurs, au sens le plus large, non seulement salariés mais privés, entrepreneurs, commerçants, professions libérales, sans oublier ceux qui, jeunes encore aux études, sont presque exclusivement préoccupés de leur avenir économique.

L’identification entre l’action d’Ecolo et l’espoir d’une solution à ces trois crises -économique, sociale et écologique – par des transformations de la société grâce à des mesures écologiques n’est pas ressentie comme vraisemblable. En regard des menaces liées au « modèle de la compétition » (mais ce mot est insuffisant pour saisir dans toute son ampleur la situation du marché néolibéral, le développement des pays émergents et la mutation technologique de l’économie), l’idée d’ « économie collaborative » reste à peu près opaque (par exemple, si cela y correspond, le partage des voitures ira-t-il jamais au-delà d’une mesurette ?) et celle de « prospérité sans croissance » semble bel et bien douteuse, d‘autant que dans la réalité elles ne sont concrétisées qu’à travers des propositions contre le gaspillage énergétique, le réchauffement climatique ou la pollution atmosphérique, des propositions écologiquement bienvenues, mais dont l’apport en emplois demeure aléatoire. L’épisode des panneaux solaires, ruineux pour la collectivité et profitables principalement aux entreprises chinoises, emplois compris, donne un exemplaire contre-exemple qui condense les raisons du peu de crédibilité de mesures strictement écologiques face aux trois crises.

Or, comment occulter que ce qui est subjectif – désespoir, inquiétude, scepticisme… – prend racine dans la réalité objective ? La sortie du marché néolibéral ne correspond à aucune politique économique d’aucun pays du monde. A l’exception peut-être de la Corée du nord, mais sûrement pas de la Chine et même pas de Cuba ou du Vietnam, aucun pays ne compte assurer son développement en négligeant la compétition et l’échange internationaux, ou même en se passant de la participation du capital financier. Autrement dit, hors des utopies toujours dangereuses quand elles se veulent révolutionnaires, rien ne permet de prédire un renoncement au « modèle de la concurrence ». Au contraire, les pays émergents ne cessent de réclamer à juste titre plus de libre-échange afin de consolider leur croissance intérieure grâce aux progrès de l’exportation. Contre les mesures protectionnistes, les pays d’Amérique du sud, entre autres, ne cessent d’exiger, ratifiées par des traités en bonne et due forme, plus de possibilités d’exportations vers l’Amérique du nord ou l’Europe.

Cependant, l’Europe et la Belgique subissent une compétitivité accrue non seulement du fait des autres pays développés, mais de plus en plus du fait des autres pays du monde, Afrique comprise qui ne stagnera pas longtemps et ne stagne déjà plus dans des pays comme le Rwanda, le Nigeria ou l’Afrique du Sud. A cela s’ajoutent les progrès fulgurants de la troisième révolution industrielle : la course aux innovations technologiques plus performantes grâce à l’informatisation et l’automatisation provoque à la fois plus de productivité et moins d’emplois. Je vais y revenir.
Pour bien connues qu’ils soient alors même qu’Ecolo ne semble pas en avoir tenu compte, ces rappels pointent vers la quatrième crise, celle de la représentation politique. Le divorce entre dirigeants et dirigés, la perte de crédibilité du monde politique dans la société civile, le sentiment répandu dans la population de ne pas être relayé par les élus, comment ne pas voir que, malgré les débuts prometteurs de la pratique démocratique des écologistes, Ecolo s’y trouve associé ? Croire que la crise écologique peut servir à résoudre la crise techno-économique, politique et sociale, trahit une réelle méconnaissance non seulement de la mentalité dominante, mais de la situation effective.

La mutation technologique

Une parenthèse s’impose ou plutôt, car il ne s’agit nullement d’un point secondaire, une précision décisive. Le monde actuel est dominé par la puissance fusionnée de l’économie et de la technique dont la pointe est financière et numérique-robotique, ce qui entraine l’impuissance politique réduite à la gestion (du budget de l’Etat). Cette puissance éco-technique va accentuer la diminution des emplois, spécialement dans nos pays de prospérité en même temps qu’elle accroîtra la productivité et l’accaparement des bénéfices par un très petit nombre de détenteurs du capital numérique-robotique.

Si la démocratie gestionnaire nous déçoit tout en nous rassurant vaille que vaille et si l’économie technologique nous effraie tout en nous procurant des satisfactions, c’est qu’elles ont d’abord institué et constitué notre monde actuel et qu’elles sont nos appuis avant de constituer des menaces. Les idéaux de liberté et d’égalité ainsi que la richesse productive de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, sans oublier les progrès de la médecine et de l’éducation, sont bien là, à notre portée ou plutôt à la portée partielle ou d’une partie seulement des membres de nos sociétés. Autrement dit, la question décisive est à la fois celle du partage et de l’usage de nos appuis. Puisque ces appuis, s’ils sont nos acquis, sont aussi ce qui nous menace, comment ensemble les favoriser et les ajuster ? Concrètement, pour nous, ici, maintenant, comment donner des emplois à chacun tout en contenant la course à la consommation destructrice ?

Repartons de notre acquis technologique et de sa plus que probable évolution. Dans L’humanité augmentée, l’administration numérique du monde (Paris, éd. l’Echappée, 2013) comme dans We Owns the Future ? (New York, Simon & Schuster, 2013), Eric Sadin et Jaron Lanier, deux penseurs du XXIè siècle informatique et robotique, nous ouvrent la voie. Il en ressort, pour le premier, que l’accélération de l’ère numérique, avec l’interconnexion presque permanente, nous introduit dans un nouveau cycle, celui de la « gestion de nos existences par des systèmes robotisés ».[[D’autres sources vont dans le même sens, ainsi d’Alex Williams et Nick Srnicek dont le manifeste est paru en français dans le dernier numéro de la revue « Multitudes » (octobre 2014).]] Le rapprochement physique, quasi organique, des corps et des machines en découle, marqué par une sorte d’ « intelligence ambiante » de la technique par rapport à notre comportement singulier (surtout au plan économique, social et sanitaire) ce qui entraine un abandon ou en tout cas une « délégation progressive de nos actes à des systèmes électroniques ». Selon Sadin, « cette nouvelle souveraineté », outre le gain de temps par la vitesse de prédiction et de décision, nous « administre pour le meilleur et le moindre risque ». Mais il déplore en même temps que cette apparition d’une « transhumanité » se fasse dans l’opacité sur les centres de stockages de données (les data-centers). Nous savons bien que Google, par exemple, possède sur chacun de nous une quantité d’informations qui peut dépasser facilement notre capacité individuelle de mémoire. L’ « homme augmenté » au « corps-interface » a des facultés démultipliées grâce à la machine, mais devient aussi tributaire sinon soumis à ses informations dont il faut de plus et de toute urgence politique prévoir le contrôle et le contrôle des contrôleurs, fussent-ils désignés par les pouvoirs publics. [[Renvoi au numéro 72 (automne 2013) de la revue Alliage (Nice, 2013) qui met en garde contre le « Tecnobuzz » et les « buzzwords », les mots bourdonnants tels que « technologies convergentes », « énergie verte », « machines moléculaires », « développement durable », etc. et surtout « cloud computing » qui désigne sous le nom d’informatique en nuage « l’externalisation des ressources informatiques sur l’internet » : les information contenues dans nos ordinateurs seront désormais centralisées dans d’ énormes « fermes de serveurs ». « L’entreprise productrice du logiciel en détiendra l’unique instance, accessible en ligne moyennant location ». Qu’elle soit privée ou publique n’y change rien quant à la protection de la vie privée et la liberté d’information…]] De ce point de vue, à l’appui des suggestions récentes de David Van Reybrouck dans son livre Contre les élections (Arles, 2013, Actes Sud éd.) – un titre mal choisi parce que ne correspondant pas correctement à son contenu -, une intervention de citoyens tirés au sort sous certaines conditions peut seule favoriser un contrôle qui échappe aux pressions des partis, dont les intérêts sont liés à la reproduction électorale, à la bureaucratisation et au clientélisme, et même aux interventions des lobbys…

Ces questions peuvent être rattachées à celle de l’usage de notre appui sur le numérique. Elles sont abordées aussi par Jaron Lanier qui se préoccupe de la déshumanisation par le numérique qui modèle plus qu’il ne sert ses usagers. Les régularités statistiques fournies par les « big data » (la récolte massive et centralisée des données) déterminent les contenus standards sur le net et appauvrissent massivement la culture générale : le non-codable est exclu, autrement dit ce qui pourrait créer de l’inédit… Malheureusement, ce constat, comme l’a remarqué Thibault Le Texier [[« Misère de l’humanité numérique », La vie des idées, 29 octobre 2013.ISSN :2105-3030.
URL : http://www.laviedesidees.fr/Misere-de-l-humanite-numerique.html]], n’est pas suivi de propositions institutionnelles et politiques qui touchent non seulement à l’usage, mais au partage. Sans négliger complètement cette question, Lanier la réduit à la rémunération des émetteurs d’information (ceux qui fournissent les « nuages » de données personnelles) face au profit exclusif des propriétaires de serveurs comme Google ou Facebook. Mais cela reste une solution au niveau des élites. N’oublions pas que l’accès à l’internet reste limité selon les générations et les populations (à peine15,6 % des Africains en 2012). Or la question du partage inégal des gains, non seulement financiers, mais matériels, spatiaux et temporels, grâce au numérique comme à toutes les autres ressources de notre nouvel âge éco-technologique, cette question qui engage le progrès ou la régression sociale n’est pas moins importante que celle de l’usage déshumanisant. En fait, comment douter que l’avenir des deux soit conjoint ? D’autant que la solution donnée au partage nous fait toucher du doigt l’élément décisif pour notre futur démocratique.

Tout part du constat établi pourtant par Jaron Lanier : « Internet détruit plus d’emplois qu’il n’en a créés. ». Ce constat est largement partagé, ce n’est pas d’aujourd’hui que la robotisation réduit la main-d’œuvre. Mais ce qui touchait principalement le secteur industriel s’étend inéluctablement à tous les secteurs d’activité et détruit petit à petit la classe moyenne : ouvriers du transport, employés de bureau, musiciens, journalistes, photographes, enseignants, infirmiers, médecins, traducteurs, vendeurs, etc., aucune profession n’évitera son remplacement croissant par du capital informatique. Dans un article paru sous le titre « Non au techno-féodalisme ! », repris dans Le Monde du 15 février 2014, le chroniqueur Martin Wolf, éditorialiste économique du Financial Times, remarque que « Selon un récent article des chercheurs Carl Frey et Michaël Osborne de l’université britannique d’Oxford, l’automatisation pourrait mettre en péril 47% des emplois américains. » Près de la moitié ! Même si les chiffres restent à corroborer, pareille évolution est-elle contestable ? Favorisée par le nouvel âge technologique dont les bénéfices profitent de plus en plus exclusivement à ceux qui le financent, peut-on croire encore que la croissance permettra de retrouver le plein emploi ou même de réduire le chômage ? La question du partage des fruits de la croissance ou de la prospérité, est plus que jamais la question cruciale, mais elle ne se résout pas par la seule répartition plus équitable des bénéfices, telle qu’elle résulterait par exemple de l’augmentation des impôts sur les revenus des investisseurs et des spéculateurs.

Car la mutation technologique de notre civilisation exige une mutation de notre mentalité, à commencer par la mentalité économique. La situation est en effet la suivante : puisque la productivité augmente, grâce à l’innovation technologique, le travail diminue, constat aggravé pour nos pays naguère privilégiés : puisque la productivité et la production des pays émergents augmentent, le travail dans les pays déjà développés diminue. Il ne sert à rien, en effet, de passer sous silence que le développement des pays pauvres ne fera que diminuer lui aussi le travail dans les pays riches. Mais il n’en reste pas moins que la libération au moins partielle du travail est d’abord et avant tout un progrès historique. On doit certes garder en mémoire, comme aime à la souligner le philosophe Axel Honneth, le rôle émancipateur du travail dans le processus de « reconnaissance » [[La reconnaissance, jusqu’au sens de l’action de grâces, traduit l’eucharistia du grec…]] de chaque être humain. Mais ce point de vue ne peut être absolutisé : l’être humain est humain, se « reconnaît » comme tel, non pas essentiellement parce qu’il produit et se reproduit, mais parce qu’il parle, qu’il aime, qu’il invente, qu’il crée, qu’il pense et qu’il joue – au-delà de l’utile et face au défi de sa finitude. Il ne s’agit donc pas de lutter contre la diminution du travail, mais de poursuivre l’institution de nos sociétés de travail partiel. Il s’agit autrement dit de libérer le temps dit « de loisir » pour y favoriser pour chacun une autonomie émancipatrice, matérielle autant que culturelle, physique autant que mentale. L’usage et le partage se rejoignent bien sur ce point.

Un dernier point mérite d’être souligné : la productivité grâce aux technologies, outre qu’elle permet l’accaparement des profits qu’elle génère par un petit groupe de propriétaires-actionnaires, masque le fait qu’elle est le résultat d’une chaine innombrable de travaux et de découvertes et s’accompagne d’une activité de formation comme de culture au sens le plus large, sans limites. Il s’agit là d’un patrimoine commun issu d’un effort historique de tous que le capitalisme financier confisque à son seul profit.

L’égalité de base : à la condition du RBI

Si la peur pour l’emploi et le niveau de vie constitue bien la motivation de base de chacun, par conséquent de l’électeur, et si la diminution des emplois constitue bien l’horizon économique pour nos pays face à la concurrence des pays émergents et face à l’informatisation de tous les domaines de l’économie, industrie, agriculture et commerce, mais aussi du secteur tertiaire, santé, enseignement, administration, – quelle autre question devient-elle politiquement prioritaire ? Aucune. Mais y a-t-il une solution à cette menace de perte d’emplois et à la peur qui l’accompagne ?

Deux solutions s’offrent à nous, sans être incompatibles : l’une, la diminution du temps de travail, un processus engagé depuis plus d’un siècle et demi (nous sommes passés de plus de soixante à moins de quarante heures de travail par semaine, sans oublier les congés payés) ; et l’autre, le Revenu de Base Inconditionnel, connu aussi sous des noms divers comme l’Allocation Universelle, expression qui inscrit cette réforme fondamentale sur le modèle de l’Allocation Familiale : un même revenu primaire donné à chaque citoyen quelle que soit sa situation et qui supprime toute assistance sociale, hormis les soins de santé, et donc toute humiliante dépendance bureaucratique, en assurant un minimum vital, sans bien sûr supprimer l’aspiration complémentaire au travail. Jusqu’à présent, la première solution, diminuer les heures de travail, a la faveur des syndicats qui prolongent de la sorte un revendication ancienne, liée à la viabilité du travail, mais qui se heurte à des exigences de compétitivité et qui surtout n’entraîne que très peu d’engagements compensatoires. La seconde solution, le RBI, apparaît de plus en plus comme la plus incontournable, elle fait d’ailleurs partie des objectifs (lointains) d’Ecolo. Reprenons-les.

Tout d’abord, remarque économico-politique, quand il s’agit de réduction du temps de travail, les objections financières sont précipitamment avancées et elles redoublent face au RBI. Je renverrai, parmi bien d’autres, à deux publications qui y répondent en détail. La première, extrêmement informée et argumentée, de Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, est intitulée L’allocation universelle, elle a été publié aux éditions La Découverte (Paris, 2005) et se trouve disponible gratuitement sur le Net. La seconde, datée du printemps 2013, consiste en un numéro spécial de la revue Mouvements des idées et des luttes (éditions La Découverte encore) où se trouve expliqué entre autres « Comment financer un revenu pour tous ».

Ensuite, remarque philosophique, la question du temps, de sa libération par la délivrance de l’obligation du travail, de la production et de la reproduction liées à l’utilité, ouvre l’être humain à son être surgissant du langage par le jeu, l’invention et la création, la fête, le don et toutes les formes de ce que Georges Bataille appelait la dépense et que notre société de consommation réduit au « loisir ». Ce temps de désœuvrement est un temps de liberté. Cette liberté, avec la conscience de la finitude (conscience des limites autant que de la mort), fait l’expérience du dépassement ou du saut de côté ou en tout cas de l’affrontement par rapport aux déterminations. Il ouvre la possibilité du commencement, de la naissance et de l’initiative qui seules permettent l’émergence d’un autre monde et au moins son esquisse par l’apparition du nouveau, de l’œuvre et de l’action, mais aussi de la grâce du gratuit – faut-il rappeler le temps d’aimer – et des ressources de la paresse, du temps du « rien faire » qui ne se réduit pas à l’oisiveté définie en fonction du travail mesuré économiquement, mais qui peut favoriser la créativité. A côté des justifications par le juste partage du patrimoine commun qui nous précède tous, dont nous héritons tous et auquel nous participons presque tous, n’est-ce pas là, dans cette libre égalité du temps offert à chaque femme et chaque homme, le fondement même de toute réforme qui ouvre à la re-formation de la société, singulièrement la réforme du RBI ? N’ouvre-t-elle pas, en effet, les perspectives les plus diverses, de la modification de nos façons de nous instruire, de consommer et de nous « divertir » ou mieux de nous dépenser jusqu’aux nouveaux et nécessaires comportements écologiques ?

Y a-t-il une démocratie où la liberté ne se reforme sans tension constante avec l’égalité ? Deux remarques à l’appui…. Selon l’historien Paul Veyne, seuls l’empire romain et celui des Han ont tenu quatre siècles et n’avaient un écart différentiel de richesse que de 2 à 1 : ce faible écart entre « riches » et « pauvres » semble bien être un facteur décisif dans la longévité de ces empires. Selon une étude récente [[Kate Pickett et Richard Wilkinson, Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Paris, 2013, éd. Institut Veblen et Les Petits Matins.]] comparant la plupart des pays riches, la corrélation est patente entre la faible inégalité de revenus et le faible niveau de problèmes sanitaires et sociaux. Inversement, à l’exemple des pays où l’inégalité de revenus est la plus forte (Etats-Unis, Portugal et Grande-Bretagne en tête), les problèmes de santé, les échecs scolaires, la criminalité, etc., sont au plus haut. Plus encore, dans les pays plus égalitaires, la solidarité favorise non seulement la cohésion sociale et le niveau culturel, mais la créativité elle-même, ce dont un indice est fourni par le taux un peu plus élevé de brevets par habitant. Affirmé dogmatiquement, le point de vue néo-libéral selon lequel la richesse croissante d’un petit nombre profite à l’ensemble de la société n’est plus qu’un slogan médiatique, un mensonge subjectif, une erreur objective. Quelle que soit l’origine de la richesse, elle ne se répartit pas par automatisme dans l’ensemble des couches sociales. La politique économique n’obéit pas à une mécanique autonome progressiste.
Le Revenu de Base Inconditionnel n’est évidemment pas une panacée. Mais ne peut-on imaginer qu’un citoyen, assuré grâce à lui d’une égalité minimale dans sa condition d’être humain, libéré de la peur de perdre son emploi ou de ne pas en trouver, choisira plus librement son métier, le temps qu’il y consacre et le temps qu’il consacre à d’autres activités, qu’elles soient de divertissement, d’apprentissage intellectuel ou sportif, d’études ou de recherches, d’invention ou de création, d’éducation ? Ne peut-on imaginer, sinon que l’Etat sera moins obnubilé par l’impératif de la croissance et que les entreprises le seront moins par celui de la compétitivité, en tout cas qu’une part de plus en plus nombreuse des citoyens, découvrant les possibilités offertes par le temps libre, seront moins préoccupés de se procurer des objets nouveaux et de céder au « plus-de-jouir » (expression de Jacques Lacan) de la société de consommation ? Ne peut-on supposer même que de plus en plus seront enfin préoccupés des évolutions menaçantes de la planète ? Et qu’ils accepteront bien plus aisément de s’intéresser aux débats politiques voire de participer à l’action de l’Etat, entre autres grâce au tirage au sort, mais aussi bien grâce aux participations les plus locales ? Encore une fois, aucune conséquence n’est généralisable, des conséquences négatives peuvent même survenir : mais les rares expériences (en Inde et au Canada) qui ont déjà pu être menées ne vont pas dans ce sens…

Récapitulons :

  • La triple crise, surtout en Europe, techno-économique (qui résulte à la fois de la financiarisation, de la compétition et de la numérisation-robotisation), sociale (qui entraîne le chômage et la précarisation en plus d’une chute de la répartition) et écologique (des ressources énergétiques et du réchauffement climatique avec toutes leurs conséquences) explique la crise politique (démocratique gestionnaire, y compris de l’écologie politique);
  • Ces crises ont ressenties avant tout (même avant les menaces écologiques) par les populations, jeunes en premier, de façon inquiète et sceptique, principalement en fonction des emplois à venir et de la représentation politique;
  • Outre le développement de la démocratie participative et d’une dose de tirage au sort pour la représentation politique, apport à la liberté (d’initiative responsable), la mesure cruciale qui s’impose est celle d’un Revenu de Base Inconditionnel, apport à l’égalité (économique) et à la liberté (dans le choix d’existence) ainsi qu’ouverture favorisée au changement de la mentalité actuelle, de compétition et de consommation.
  • Si ce qui précède est ajusté, la conclusion s’impose : en considération de l’emploi, le souci majeur de nos populations, le soin majeur (souci et soin traduisent care) apparaît bien dans le RBI. La politique démocratique basée sur l’avenir techno-économique et écologique n’exigent-ils pas que cette revendication devienne le point de bascule du programme Ecolo, le seul à mettre les autres partis au défi et surtout à relancer son objectif fondamental de conscience écologique enfin répandue et activement partagée, face aux échecs passés et à l’impuissance actuelle ?
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