« …les hommes, bien qu’ils doivent mourir,
ne sont pas nés pour mourir mais pour innover. »

Hannah Arendt,

Condition de l’homme moderne.

Dans le contexte politique actuel, le leitmotiv des écologistes doit être de ramener les capacités d’imagination, d’invention et d’expérimentation au premier plan de l’action et de la réflexion politiques. L’innovation est incontournable pour affronter les enjeux de notre temps : la régulation de la mondialisation, le combat contre le réchauffement climatique, la mise au pas de la finance, la lutte contre les inégalités, la refondation de notre protection sociale, la poursuite de l’intégration européenne, la lutte contre les populismes et, bien entendu, transversalement à l’ensemble de ces défis, la revitalisation de notre démocratie. Mais nous ne parlons pas d’abord de l’innovation technologique. L’ambition politique des écologistes réside davantage dans l’innovation sociale et son appropriation.

Pour apporter des solutions soutenables, justes et efficaces – c’est-à-dire écologistes – à ces défis, il faut éviter de céder à la tentation conservatrice. Le conservatisme, c’est déterminer ce qui est souhaitable et acceptable par la convocation des succès et des échecs antérieurs ou existant ailleurs (ainsi en est-il du « benchmarking »). Au contraire, c’est par l’innovation que l’on transforme les contraintes et les difficultés en opportunités. Et la première exigence de l’innovation, c’est l’ouverture d’esprit. Précisons : avoir l’esprit ouvert, ce n’est pas s’abandonner au pragmatisme, ni renoncer à nos valeurs. Mais accepter de renouveler notre langage et notre système d’action. Il ne s’agit pas de faire tabula rasa du passé ou de ce qui existe ailleurs, mais d’inventer du nouveau avec audace et courage.

C’est dans ce contexte que les fondations écologistes doivent réaffirmer leur mission essentielle : être au service de l’innovation sociale et politique, penser autrement pour agir différemment. Pour cela, elles doivent s’appuyer sur la créativité de la société civile. Nous, écologistes, devons réaffirmer que la société civile est plus que jamais le siège du changement social. C’est d’elle et de la pression qu’elle peut exercer sur l’État et le Marché, que nous espérons la sortie de crise. C’est en s’ouvrant à son dynamisme que nous constituerons le capital intellectuel qui permettra de gouverner intelligemment la transition écologique.

La position respective des fondations et des partis écologistes en Europe – que sépare une « distance bienveillante » – est un levier central pour y arriver. Il s’agit de trouver la bonne articulation entre eux, en fonction de chaque contexte national et politique. De manière générale, la distance optimale sera celle :

  • assez « longue » pour donner aux fondations les moyens de la réflexion à l’abri des trépidations du court terme de la vie politique, et pour leur permettre d’entrer en dialogue avec la société civile, par leur détachement partiel des pesanteurs partisanes ;
  • et assez « courte » pour leur permettre de se tenir au plus près de la réalité politique et contribuer à la feuille de route du parti en y intégrant des graines de long terme.
    Impulser une « nouvelle donne démocratique »

En assurant une fonction de médiation entre la créativité de la société civile et l’exercice du pouvoir, les fondations écologistes peuvent contribuer à l’invention d’une nouvelle manière de faire de la politique, à l’impulsion d’une « nouvelle donne démocratique ».

La démocratie représentative est partout en crise. La désaffection envers le politique n’a peut-être jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Les démocraties européennes sont minées par l’impuissance politique due à l’internationalisation des enjeux, la défiance croissante des citoyens et sa traduction abstentionniste (dans les pays où le vote n’est pas obligatoire) ou populiste. Dans le même temps, nous n’avons jamais vu autant de pétitions, mémorandums, grèves, manifestations, militantisme de terrain, initiatives de transition qui incarnent une forme bien réelle d’implication citoyenne, démentant ainsi le soi-disant repli individuel sur la sphère privée.

Ce n’est donc qu’en menant des réformes profondes que nous pourrons réenchanter la démocratie. Cette « nouvelle donne démocratique », nous la puiserons dans le « réservoir créatif » de la société civile où de nouvelles formes d’implication citoyenne s’expérimentent au quotidien pour redonner aux citoyens du pouvoir sur leur vie. Les nouvelles technologies leur donnent d’ailleurs des potentialités inédites dont nous n’avons pas fini d’explorer les conséquences. La mission d’une fondation verte est d’être au plus près de ces initiatives, des terrains, des interstices, des labos publics ou associatifs où s’inventent ces pratiques.

La contribution d’Etopia

Nous, écologistes, avons, au cœur de notre projet et depuis l’origine, le souci d’un fonctionnement de la démocratie plus éthique, plus transparent et plus ouvert à la participation citoyenne. Nous refusons l’idée que la démocratie se réduise à son volet représentatif. En Belgique francophone, nous n’avons pas été en reste ces dernières années[[Ecolo, par le biais de ses ministres et de ses négociateurs a ainsi obtenu la mise sur pied de consultations populaires d’initiative citoyenne au niveau régional, et a obtenu des réformes importantes en matière de gouvernance (décumul, réforme de la haute administration, réduction du poids des Provinces, etc).

]].

Contre le conservatisme des structures traditionnelles du pouvoir, Etopia a voulu impulser une nouvelle donne démocratique là où les Verts étaient « aux affaires gouvernementales » entre 2009 et 2014, à Bruxelles et en Wallonie. Voici trois exemples de la contribution d’Etopia à cette dynamique politique bottum-up, souvent réalisé avec l’aide de députés verts.

Citons tout d’abord l’aide à la conception de la politique de « Quartiers Durables Citoyens »[[www.quartiersdurablescitoyens.be

]] menées à Bruxelles par la Ministre écologiste de l’Environnement et de la rénovation urbaine. En misant sur l’empowerment citoyen du mouvement des villes en transition, cette politique publique vise à susciter et accompagner des initiatives citoyennes collectives durables à l’échelle des quartiers. Le rôle de l’Etat y est celui d’un fournisseur de ressources et d’un stimulateur d’implication citoyenne.

Citons également l’aide à la conception du premier Congrès interdisciplinaire des sciences du développement durable[[www.congrestransitiondurable.org

]], organisé par le Ministre écologiste wallon du développement durable et de la recherche. Une dynamique scientifique visant l’implication de la société civile dans les réseaux de chercheurs et le décloisonnement des réseaux de chercheurs entre eux.

Citons enfin le travail sur une des questions qui demeurent taboues dans l’exercice actuel du pouvoir politique : la croissance, alpha et omega de toutes les politiques publiques . Il est particulièrement malaisé de la remettre en question du haut d’un poste gouvernemental – en particulier dans le système de coalition typique de la Belgique – mais avec l’aide d’Etopia, le Ministre écologiste wallon du Développement durable a néanmoins réussi à implémenter de nouveaux indicateurs synthétiques « phares », complémentaires au PIB wallon[[www.iweps.be/indicateurs-complementaires-au-pib

]], après un long processus participatif. Préparer ce terrain idéologique pour impulser à moyen terme des politiques publiques qui ne soient plus indexées sur ce fétiche obsolète, constitue une des tâches les plus pressantes des fondations vertes. Loin d’être simplement technique, ce débat est de nature fondamentalement démocratique : s’y affrontent différentes conceptions des moyens et fins de l’organisation sociale. En outre, la désaffection croissante envers le politique n’est pas étrangère à l’accumulation de promesses non tenues de la croissance. En trouver d’autres, à la fois plus sensées et plus tenables constitue un des exercices les plus exaltants à soumettre à notre imagination démocratique collective.

Par ailleurs, avec une série de partenaires de la société civile, nous avons cherché à impulser de nouveaux thèmes dans le débat public. Deux exemples permettront de mieux comprendre.

Tout d’abord, Etopia a traduit et co-édité en français Prospérité sans croissance, de Tim Jackson. A cette occasion, un programme complet d’activités éditoriales et événementielles ont été organisées avec de nombreux acteurs (universités, revues, etc) afin de créer de la notoriété autour de ces thèses. Et par là propager une sortie par le haut du débat caricatural « croissance/décroissance » dans notre espace public francophone. Un travail similaire a été réalisé avec la traduction et la co-édition de Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, de Wilkinson et Pickett, avec des associations de la société civile.

Enfin, Etopia organise chaque année les Rencontres des Nouveaux Mondes, mobilisant des jeunes autour d’un sujet novateur. Et, à cette occasion, y fait intervenir un grand nombre d’intervenants de la société civile. Ainsi, la dernière édition avait pour objectif de faire monter en puissance le thème de l’économie collaborative.

Au vu de l’ampleur du défi démocratique, ces réalisations peuvent paraître bien dérisoires et, effectivement, elles le sont. Elles montrent toutefois qu’il est possible de faire « bouger les lignes » du système politique à condition d’investir dans la société civile, là où les citoyens n’attendent pas le politique.

Cette stratégie politique trouvera les moyens de se réaliser à une échelle plus large – celle où l’ensemble des citoyens font société ensemble – lorsque pourra se construire une coalition politique qui en fera sa priorité.

Pour Ecolo – les écologistes belges francophones, réduits de moitié aux dernières élections générales – miser sur une telle stratégie est de toute évidence devenu vital.

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