Il est loin le temps de Zola et de Germinal où nos sous–sols riches en charbon permettaient à la Belgique de regarder presque de haut les grandes puissances des temps modernes. Il s’agit d’un constat, sans nostalgie aucune : les choix énergétiques posés après la période charbonneuse de notre histoire nous ont rendus terriblement dépendants des importations et donc des politiques de prix pratiquées par les pays exportateurs.

Une dépendance qui coûte cher

Résultat, la Belgique importe aujourd’hui 94 %[[Chiffre Eurostat.

]] de l’énergie qu’elle consomme, que ce soit sous la forme de produits pétroliers, de charbon, de gaz naturel ou d’uranium. Certes, c’est mieux qu’en 2000 où nous importions alors 99 %[[Ibid.

]] de notre énergie ! Mais cela reste faramineux et coûte annuellement 18 milliards d’euros aux Belges, soit près des deux tiers du déficit de la balance commerciale de notre pays. À titre de comparaison avec les pays nordiques, la dépendance énergétique atteignait au Danemark 87 % en 2011, en Finlande, 68 % et en Suède, 53 %.

Dans le même ordre d’idées, je cite volontiers le président du Conseil européen Herman Van Rompuy qui lançait un cri d’alarme à la veille d’un important sommet des chefs d’État au printemps 2013 : « L’Europe risque de devenir le seul continent du monde à dépendre de l’énergie importée. » Et de poursuivre en rappelant que l’Union européenne paye chaque jour une facture de 1 milliard d’euros pour ses importations de pétrole.

Cette absence quasi totale d’autonomie énergétique est un péril à la fois économique et social pour notre pays. Chaque variation des prix des combustibles importés menace la santé de l’économie du pays[[Rappelons que selon la BNB, entre 2000 et 2010, les coûts des énergies fossiles pour les entreprises ont connu une hausse de 186 % alors que les coûts salariaux n’ont augmenté que de 28 %. Source : Rapports annuels de la BNB, Bureau fédéral du Plan.

]] et grignote le pouvoir d’achat des particuliers. Réduire notre consommation énergétique et ainsi notre dépendance aux variations de prix est sans aucun doute la première des priorités. C’est le sens des deux premières idées développées plus haut.

Mais cela ne suffira pas. Le temps presse. Séquencer les politiques est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre. Nous devons nous doter d’une ambition énergétique qui nous projette dans un avenir socio–économique aussi crédible qu’enthousiasmant.

L’heure des choix

Bien sûr, le choix du renouvelable s’impose pour des raisons écologiques. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est formel : pour limiter le réchauffement du climat à deux degrés maximum en moyenne (objectif qu’a d’ailleurs fait sien l’Union européenne), il faudra réduire de 25 à 40 % les émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés d’ici 2020. C’est un objectif minimum car, depuis la publication de ce rapport, de nouvelles études ont montré que les émissions continuaient de croître plus rapidement que prévu. Je ne vous ferai pas l’injure de m’étendre sur le rapport direct entre ces émissions de gaz à effet de serre et les énergies fossiles, quelles qu’elles soient. Je me limiterai à une réflexion que je me fais de plus en plus souvent : face à la multiplication des catastrophes naturelles, aux réfugiés qu’elles envoient sur les routes du monde, aux victimes – dramatiquement nombreuses ces dernières années –, l’inaction est criminelle.

Mais le renouvelable est également le maître achat tant du point de vue du coût pour les ménages, pour les entreprises et la collectivité, qu’en terme de -retombée d’emplois dans nos Régions, à la recherche d’un nouveau souffle économique.

Le raisonnement est limpide. Outre le fait qu’il est intrinsèquement dépendant des combustibles importés (l’uranium et le gaz en particulier), notre parc énergétique est vieillissant. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas les centrales nucléaires, une chose est sûre : elles n’ont plus 20 ans et vont tôt ou tard devoir fermer et laisser la place à de nouvelles installations de production d’électricité.

Ne dit–on pas que gouverner, c’est prévoir ? Le débat du moment, celui qui a plus d’une fois électrisé les assemblées parlementaires ces dernières années, est bien celui-là : quel modèle énergétique prendra progressivement le relais de nos vieilles centrales ? Avec quel volontarisme ? Et quelles retombées socio–économiques pour notre pays ?

Le choix est très simple : soit le tout à l’importation, notamment via des centrales au gaz ou au charbon, soit de nouvelles centrales nucléaires, soit le renouvelable. J’exclus immédiatement le gaz de schiste, vu l’énorme risque environnemental qu’il engendre et sachant que, chez nous, la forte densification de la population et la situation des nappes phréatiques redoublent le problème.

Le gaz, entre fossile et modernité

On l’a vu précédemment : l’importation des énergies fossiles coûte très cher aux Belges. Le gaz ne fait pas exception à ce constat et ne devrait pas plus faire exception à l’avenir : tout indique que le prix des énergies fossiles va continuer à croître dans les années à venir.

En outre, le gaz pèse négativement sur notre balance commerciale et ne crée pas de valeur ajoutée dans notre pays : quand on achète 100 € de gaz sur le marché extérieur, ce sont 100 € de gaspillés pour notre économie, aucune entreprise wallonne n’étant productrice de gaz. A contrario, lorsque 100 € sont investis dans de l’éolien, 25 €[[Source : Cluster TWEED et Agoria.

]] sont directement réinjectés dans l’économie wallonne à travers les investissements réalisés dans les entreprises installées chez nous.

Le « tout au gaz » n’est donc pas une solution socio–économiquement convaincante. Mais nous savons qu’il faudra dans un premier temps s’appuyer sur ce vecteur souple pour équilibrer le réseau électrique : lorsque le vent faiblit et que le soleil se cache, la centrale turbine gaz–vapeur offre cette flexibilité du on/off instantané. Dans un second temps, avec le développement des technologies de stockage de l’électricité renouvelable sous forme de gaz synthétique (procédé de méthanation), le gaz « indigène » pourra à la fois permettre de gérer les variations de demande sur le réseau électrique et être un moyen de stockage pour les demandes de chaleur en période hivernale.

Le nucléaire plus cher que le renouvelable

Alors, construire de nouvelles centrales plus modernes, plus sûres aussi, nous dira certainement le lobby ?

Comparons : la Grande–Bretagne vient de commander à EDF la construction de plusieurs centrales sur son territoire. Les exigences de rentabilité d’EDF sont très claires – et les élus britanniques ont visiblement avalé la couleuvre sans broncher : 110 € par MWh pendant trente–cinq ans. Sans compter notamment le coût des déchets et de leur gélatine, si je me réfère à l’actualité belge récente. L’éolien, c’est un engagement de rémunération de maximum 105 € par MWh pendant quinze ans !

Enfin, sans verser dans le catastrophisme, voyons les faits : les effets tout simplement ingérables du tsunami à Fukushima représentent un coût de dizaines de milliards d’euros, sans compter les vies durablement brisées. Face à un tel drame humain, écologique et économique, on ne peut que rester sans voix.

Qui veut créer des emplois ?

En 2011, le marché de l’énergie renouvelable, tous secteurs confondus, employait 16 650 personnes en Belgique, dont 9 400 en Wallonie. Capgemini et Agoria estiment que la Wallonie a un potentiel de création de 15 000 emplois supplémentaires d’ici 2020 dans le secteur de l’énergie renouvelable[[www.agoria.be/upload/agoriav2/PPT_Energie_renouvelable_FR.pdf

]]. Le Bureau fédéral du Plan estime quant à lui que la transition vers un système énergétique 100 % renouvelable en Belgique d’ici 2030 peut générer jusqu’à 60 000 emplois supplémentaires[[www.plan.be/publications/publication_det.php?lang=fr&TM=30&IS=63&KeyPub=1248

]].

Ces emplois ne se créeront pas tout seuls. Ils nécessitent une volonté politique claire, des décisions rapides, une vision commune et assumée. La plupart des responsables d’entreprises que j’ai rencontrés depuis le début de mon mandat me le disent : le pire, c’est l’hésitation et l’instabilité législatives. Monter une filière de l’énergie renouvelable en Belgique, c’est possible : des entreprises existent ; des patrons audacieux et des ouvriers hautement compétents, nous en avons.

À ce sujet, je me souviens de ma première visite officielle en tant que présidente du Parlement wallon. J’étais alors accueillie par la Champagne–Ardenne. L’objectif de cette visite : renforcer les liens transfrontaliers entre la Wallonie et cette vaste région de France. Parmi les projets visités, un avait particulièrement retenu mon attention : il s’agissait d’une formation en maintenance d’éoliennes. « Un nouveau métier », m’avait expliqué le formateur sur place, avec de hautes compétences techniques ; or, s’équiper d’une éolienne pour permettre aux jeunes diplômés de Wallonie et du Nord de la France d’apprendre leur futur métier revenait beaucoup trop cher aux régions respectives. Le Forem et son homologue français avaient alors uni leurs efforts pour partager les coûts et organiser cette formation en partie à Charleville–Mézières, en partie dans le Hainaut. Il ne manque donc ni l’envie des acteurs socio–économiques de s’emparer de ces nouveaux défis, ni leur inventivité. En revanche, il faut renforcer la vision politique, et la décision forte et structurante qui en découle ; autrement dit, les deux conditions nécessaires pour convaincre les investisseurs de lever les fonds pour créer, chez nous, une véritable filière économique intégrée.

Un investissement, pas une dépense

Beaucoup se sont émus ces derniers mois de l’impact des certificats verts, et donc du soutien au développement des sources d’énergie renouvelable, sur la facture des ménages et des entreprises.

Il est exact que ces investissements se répercutent sur le prix de l’électricité. Nous n’avons rien à cacher : en 2012, l’ensemble des investissements réalisés en Wallonie pour moderniser notre parc énergétique ont augmenté la facture moyenne des Wallons de 78 €, soit le prix d’un plein d’essence. En 2013, le montant est passé à 116 €.

Ils se répercutent sur le prix autant par exemple que le traitement des déchets nucléaires et des centaines de fûts qui débordent de gélatine après trente ans alors qu’ils doivent tenir trois siècles. Mais ces montants–là, les connaissez–vous ? Apparaissent–ils distinctement sur votre facture ?

Il en va de même pour les subsides publics octroyés aux énergies fossiles. Dans la dernière édition de son rapport sur l’état de l’énergie dans le monde, l’Agence internationale de l’Énergie (AIE) établit le montant global des subsides octroyés en 2009 : 312 milliards de dollars aux énergies fossiles – principalement dans les pays émergents – contre à peine 57 milliards aux énergies renouvelables. Les énergies les plus polluantes (charbon, pétrole…) sont donc cinq à six fois plus subsidiées dans le monde que les énergies renouvelables.
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Ils impactent enfin la facture au même titre que l’augmentation quasi ininterrompue du mazout de chauffage et du gaz depuis plusieurs années. Mais ces montants–là, que paient entreprises, particuliers, écoles, hôpitaux, maisons de repos, financent–ils de quelque manière que ce soit un investissement pour une autonomie énergétique demain ? Bien au contraire, ils vont directement enrichir des magnats du pétrole ou autres spéculateurs.

Car tel est l’enjeu : des investissements sont nécessaires pour moderniser notre parc énergétique. Certains sont plus chers que d’autres, nous l’avons vu. Qui plus est, certains, les mêmes, nous maintiennent, malgré tout et pour toujours, tributaires du prix d’un combustible que nous devons importer, alors que d’autres investissements nous offrent la liberté. Le vent, le soleil, sont gratuits. On ne doit les acheter à personne.

Et donc, sans surprise, scénarios et analyses prospectives convergent : une fois que les coûts unitaires d’investissements auront baissé et qu’une grande partie du parc sera amortie, le prix de l’électricité renouvelable baissera. Plus précisément, comme le montrent les graphiques de la Commission européenne, les prix de l’électricité ne diminuent que dans les scénarios développant les énergies renouvelables.

Plus près de nous, en Wallonie, l’étude Climact a estimé qu’en 2025, le prix de l’électricité connaîtra son point d’inflexion et diminuera, grâce aux investissements réalisés en amont dans le renouvelable.

Évaluation du coût de production de l’électricité
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Source : Étude Climact – Vers une Wallonie bas carbone en 2050 (base du plan et du décret climat). Scénario C : Demande moyenne en énergie, niveau d’intermittence de 50 %, réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80 % en 2050 par rapport à 1990.

L’Europe doit retrouver son rôle moteur

Aussi ambitieuses que soient ses politiques nationales ou régionales, que pèse une région, voire un État, face à des enjeux ayant atteint un niveau de globalité et de complexité inédit dans toute l’histoire des civilisations humaines ? Quel pays peut être assez inconscient pour penser se protéger seul, tapi derrière ses digues nationales, contre de pareils séismes ?

Les réponses aux dérèglements climatiques causés par les activités humaines constituent ainsi un défi majeur pour l’ensemble des institutions et des acteurs qui agissent au niveau des continents ou des relations entre eux.

En la matière, l’Europe a très longtemps été un fer de lance dans les négociations internationales, entraînant avec elle nombre de pays a priori moins volontaristes. Ce rôle, elle doit absolument le retrouver aujourd’hui, tant il est évident que les pays qui se seront orientés résolument vers la maîtrise des énergies propres seront à la pointe, non seulement en matière économique mais aussi concernant le bien–être et la protection de leurs citoyens.

Or, Il n’est pas spectaculairement évident que l’actuelle Commission européenne l’ait totalement compris, étant donné les renoncements qu’elle a multipliés face à quelques pays pétris de nouvelles formes d’égoïsmes nationaux. Même si ce n’est pas garanti, il faut espérer que la prochaine Commission saura mieux mesurer l’absolue nécessité d’être à la hauteur des enjeux et que le futur Parlement l’y aidera. Ce que je voudrais en tout cas ne pas craindre, c’est un scénario où, dans une sorte de nouveau culte nihiliste face aux inquiétudes du moment, l’on assiste à une alliance opportuniste entre climato- et euro-sceptiques, dont le seul résultat serait un inquiétant repli ténébreux.

Ce n’est pas de moins d’Europe dont nous avons besoin, mais de plus et de mieux d’Europe. Une Europe politique, une Europe citoyenne. Il est urgent d’inventer de nouvelles manières de débattre ensemble, non à la place mais avec et à côté de représentants élus, des politiques économique, culturelle, monétaire, sociale et environnementale qui nous permettront, à l’échelle du continent, d’accroître la prise de notre nouvelle collectivité sur elle-même. Et, à l’échelle de la planète, de contribuer à ce que l’humanité se constitue en sujet positif de sa propre histoire, face aux enjeux inédits et aux menaces de possibles catastrophes auxquels elle est confrontée.

Nous avons hérité de l’Europe, et il est temps de nous rappeler que ce qui vaut dans l’héritage, c’est ce qu’on est capable de transmettre, pas de recevoir.

Et concrètement, demain ?

L’ICEDD, le VITO et le Bureau du Plan estiment qu’il est possible de produire 100 % des besoins énergétiques belges à partir de sources renouvelables d’ici 2050[[Icedd-Vito-BFP, Towards 100% Renewable Energy in Belgium by 2050, 2012.

]]. Cet objectif est non seulement indispensable pour endiguer les dérèglements climatiques et ses effets meurtriers, mais il est aussi économiquement porteur et massivement pourvoyeur d’emplois. En effet, dans la même étude, le Bureau du Plan estime que 20 000 à 60 000 emplois seront créés d’ici 2030 si on emprunte une trajectoire ambitieuse qui nous mènera à 100 % de renouvelable en 2050.

C’est la raison pour laquelle les Verts européens, dans le débat actuel dans les instances européennes, plaident pour 45 % d’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie d’ici 2030. Il nous resterait alors vingt ans pour faire les 55 % restant.

On le voit, il n’y a pas de temps à perdre, les délais sont serrés et le rythme sera soutenu. Le volontarisme des États et des Régions dans la mise en œuvre de cet objectif européen devra être sans faille. Écolo estime ainsi qu’au niveau national, les sources d’énergie renouvelable devront couvrir 35 % de la consommation en 2030, suivant ainsi l’objectif intermédiaire proposé par le Bureau du Plan dans son étude mentionnée ci–dessus. Un soutien coordonné aux entreprises du secteur, une augmentation des crédits de recherche et développement, et la fixation d’objectifs sectoriels ambitieux (électricité et chaleur, logements, entreprises, agriculture) permettront de remporter ce défi. Les efforts immédiats seront rapidement récompensés. Car, comme le disait récemment la Commissaire européenne au climat, Connie Hedegaard, « Qu’est-ce qui est le plus judicieux ? Financer Poutine et les régimes du Moyen Orient ou créer des emplois en Europe dans le renouvelable ? »

Ce qui reste absolument sûr, c’est que si nous devions renoncer à faire les efforts qui s’imposent pour endiguer la dégradation du climat, cela se traduirait par « des dérèglements de l’activité économique et sociale […] d’une ampleur similaire à ceux qui ont suivi les plus grandes guerres et la grande dépression de la première moitié du xxe siècle », comme l’a prédit Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale à l’occasion de la publication, en octobre 2006, du rapport qui porte son nom. Selon ses estimations, les pays doivent consacrer 1 % du PIB mondial par an à la lutte contre l’inéluctable hausse des températures. Ce pourcentage serait à mettre en balance avec la charge annuelle de 5 % du même PIB mondial si le choix de l’inaction l’emportait. D’autres chiffres existent, tous sont plus élevés : l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) situe le coût annuel de la passivité à 5,5 % du PIB mondial en 2050 et d’autres études récentes[[Études des réassureurs Swiss Re et Munich Re et celle du cabinet d’analyse de risques Maplecroft.

]] estiment que dans le pire scénario, ne rien faire coûterait « un tiers ou plus » du PIB mondial.

Nous ne renoncerons pas à ces efforts. D’abord parce que notre responsabilité vis-à-vis des générations à venir nous l’interdit. Mais aussi parce que de nombreux industriels, des chercheurs, des ONG et des citoyens n’ont pas attendu le politique pour bâtir ce monde plus durable. Nous ne manquerons pas le rendez-vous qu’ils nous fixent.

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