Ce vendredi 14 juin, pour la 11ème fois depuis la révolution islamique de 1979, les Iraniens se rendront aux urnes pour élire leur président et trouver un successeur à Mahmoud Ahmadinejad. Ce qui pourrait sembler être devenu une routine, au vu du nombre et de la régularité de ces élections, représente cependant un moment où se mêlent aussi bien désillusion qu’espoirs trahis.

Désillusions en effet. Tout d’abord envers le système politique lui-même : l’élection présidentielle de 2009 reste encore en mémoire, marquée par de profonds soupçons de fraudes à l’égard du vainqueur, Mahmoud Ahmadinejad, et entachée par les violences qui auront secoué le pays durant presque un an. La répression des différentes manifestations qui se seront succédé dans les mois qui suivirent ce rendez-vous électoral auront fini de désillusionner une grande partie de la population sur les quelques ouvertures que le régime avaient autorisées durant la campagne de 2009. L’essor du Mouvement vert, autour de son leader alors charismatique qu’était Mir Hossein Moussavi, n’aura été qu’un court moment durant lequel l’espoir des réformes aura rassemblé différents mouvements de plus en plus critiques envers la direction autoritaire du régime en place. Bien vite cette ouverture se sera refermée, renforcée par une prise de position inédite du Guide Suprême, Ali Khamenei, contre les manifestations. Cette désillusion populaire n’aura pas été la seule. À celle-ci se sera ajoutée la désillusion politique, marquée par de profondes luttes intestines au sein des rangs conservateurs, cristallisées par les luttes fratricides entre les défenseurs du Président Ahmadinejad, et de sa conception du pouvoir de plus en plus hostile à celle du Guide, et le camp des défenseurs du Velayat-e faqih, ou gouvernement du docte, qui consacre l’autorité suprême d’Ali Khamenei. Ces désillusions réciproques auront amené les espoirs trahis, où chaque camp n’aura eu que pour seul objectif celui d’imposer les siens. Et l’échec du président sortant de faire valider la candidature présidentielle de son dauphin, Esfandiar Rahim Mashaie, aura prouvé de manière publique que le seul véritable détenteur du pouvoir aujourd’hui en Iran est bien le Guide Suprême.

Les problèmes ne manquent pourtant pas en Iran. L’économie est dévastée. Depuis fin 2011, le rial, la devise iranienne, a perdu 2/3 de sa valeur. Et la signature le 3 juin dernier par le Président des Etats-Unis, Barack Obama, d’un neuvième train de sanctions a contribué à renforcer l’affaiblissement économique de l’Iran, en visant notamment le secteur de l’automobile, jusqu’alors un des plus rentables de l’économie du pays. À cela se joint une situation toujours difficile pour le secteur pétrolier, qui n’a jamais retrouvé son niveau de production antérieur à 1979, et une inflation record, dont même la Banque centrale d’Iran avoue le statut hors contrôle. Englué dans un profond marasme économique, dû pour une grande partie au renforcement des sanctions économiques, le pouvoir peine à faire marcher l’économie et à répondre aux besoins de base. Un des exemples révélateurs en a été la crise du poulet de juillet-août 2012, qui aura vu passer le prix du poulet de 3 000 tomans (1,40 euro) au kilo à 9 000 (4 euros), en seulement 3 semaines. Dans tout le pays, d’interminables files d’attente se seront ainsi formées devant les magasins vendant du poulet au prix subventionné par l’Etat de 4 700 tomans. De même, de nombreuses manifestations auront secoués le pays en 2012, dont des manifestations ouvrières dénonçant l’appauvrissement croissant de la population et les fermetures d’usines en série, à la suite de coupes dans les subventions d’État sur l’énergie et les produits de première nécessité mises en œuvre par le président Ahmadinejad en 2010. Car jusque là généreux envers la population par l’octroi de nombreux subsides, notamment sur l’énergie, le pouvoir aura au d’autres choix que de revoir à la baisse ses cadeaux financiers, ayant vu ses revenus dramatiquement s’effondrer.

À cette situation critique intérieure, la scène extérieure n’aura offert que quelques paravents à la déroute gestionnaire du pays. Malgré les relations positives avec quelques pays, dont le Venezuela et la Syrie occupent le haut du podium, le pays souffre toujours de son isolement international et du refus des principales puissances de le convier aux différentes tables des négociations sur les grands dossiers en cours, hormis celui du nucléaire. De plus, alors que les interventions en Afghanistan et en Irak avaient permis au régime de bénéficier d’un relâchement de la pression à ses frontières, le retour en force des talibans et la crise syrienne auront vu s’effacer les quelques marges gagnées jusque là. L’envoi d’instructeurs et de troupes issues des Gardiens de la Révolution en Syrie prouve d’ailleurs toute l’attention que le régime iranien accorde à la survie du régime de Bachar el-Assad. Bref, la situation du pays est profondément instable, marquée par les contestations internes et les remous externes.

Dès lors, les élections présidentielles ouvrent-elles de nouvelles perspectives ? Sans pouvoir répondre de manière absolue, il semble cependant probable que la réponse penche vers le non. Étroitement verrouillé par Khamenei et son clan, le régime a empêché l’émergence de toute figure permettant une remise en cause des grandes lignes décidées par le Guide. Alors que depuis 1979, la gestion du pays avait été marquée par un subtil et complexe équilibre entre différentes tendances, l’affirmation ces derniers mois du pouvoir d’un seul ne laisse que peu de place aux négociations et aux compromis. Cependant, cette situation bouchée à court terme soulève de nombreuses questions à long terme. Car sortant de sa neutralité et se mêlant à la gestion quotidienne du pouvoir, le Guide prend le risque de se mettre en danger et de voir son autorité ouvertement remise en cause, en cas d’échec dans les décisions à prendre pour résoudre les crises politiques, socio-économiques et internationales, qui bousculent l’Iran. La figure tutélaire, en devenant politique, renforce autant son pouvoir qu’elle ne l’affaiblit. Et, pour avoir osé contester pendant de nombreux mois les résultats de l’élection présidentielle de 2009, la population iranienne aura montré, aussi bien envers elle-même qu’envers les tenants du régime, qu’elle était capable de se mettre en mouvement pour réclamer une autre gestion du pays. Même si la contestation fut un échec, sa valeur d’avertissement continue encore de résonner.

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