Les pays du Nord auraient tort de moquer la Chine lorsque cette dernière affirme avoir intégré les objectifs de l’écologie dans son plan de développement. La taille même des défis écologiques auxquels le pays le plus peuplé de la planète a à faire face confère à la lutte pour un développement soutenable un caractère plus urgent qu’ailleurs. L’une des raisons pour lesquelles le gouvernement prête une attention soutenue à un véritables nouvelle donne (New Deal) verte est que celle-ci s’insère dans une stratégie de requalification (up grading) de l’appareil productif du pays qui dessine une colonisation capitaliste de l’Hinterland non Han. Il s’agit un coup de billard à trois bandes : le durcissement de la norme écologique permet de contraindre les entreprises étrangères à localiser une partie de leur potentiel de recherche sur la zone qui a été la grande bénéficiaire du développement ces 30 dernières années (premier effet), de délocaliser leurs ateliers dans l’intérieur en particulier vers Chong Qing mais aussi vers le Xinjiang, le Tibet et la Mongolie Intérieure où le développement industriel permettra une colonisation han plus rapide pour répondre aux problèmes des minorités.

La frontière chinoise.

Au delà désormais de l’ « atelier du monde »

Lorsque la Chine a commencé son ascension industrielle à la fin du XXe siècle, il était courant de faire le parallèle avec l’ascension japonaise après Meiji (1866)  ou l’ascension de la Corée du Sud après 1953 : elle allait se spécialiser dans l’industrie textile, puis dans les produits industriels de basse qualité, puis dans la sidérurgie et la construction navale. Et petit à petit elle noircirait lentement la matrice de Leontiev des tableaux des échanges interindustriels. La Chine serait longtemps « l’atelier du monde » pour le travail peu qualifié et la production ayant déménagé des pays du centre de l’accumulation. Elle édifierait une industrie « nationale » réempruntant le chemin suivi par les pays d’Europe, puis par les Etats-Unis, puis par le Japon et la Corée.

La croissance chinoise s’est avérée bien plus rapide que toute celles observées auparavant dans l’histoire du capitalisme, y compris celle des Etats-Unis, déjouant les théories des « étapes obligées » de la croissance.

La dimension du pays a joué car le développement d’une demande intérieure dans la bande côtière (l’équivalent dans le modèle brésilien du triangle Sao Paulo/ Rio de Janeiro/ Minas Gerais) pour limitée qu’elle soit, a fait entrer dans le marché mondial solvable entre 350 et 400 millions d’habitants et 100 millions de salariés l’équivalent du total de la main d’œuvre active américaine . Les 36 ans de socialisme réel et l’expérience de la gestion d’un secteur industriel d’Etat ont donné d’autre part une base de départ non négligeable au gouvernement chinois. Enfin et surtout, le passage à un développement capitaliste se situant résolument au sein de la mondialisation et donc ni dans une politique de substitution des importations, ni dans une spécialisation sectorielle, a créé un développement reposant sur l’installation durable de firmes multinationales occidentales et japonaises et une production de segments de produits monde. La Chine a attaché ainsi son char aux entreprises à fort degré de technologie (informatique en particulier) et pas seulement aux activités à faible valeur ajoutée comme le textile. Certes sa contribution aux segments supérieurs des produits à forte valeur ajoutée est encore modeste, mais il faudra bientôt parler de cette caractéristique au passé.

L’intrication que l’on constate entre la Chine et les Etats-Unis et décrite par l’historien américain Niall Ferguson comme la Chimerica[[Ferguson, Niall (2008-11-17). «Team ‘Chimerica’». The Washington Post.

]] et Moritz Schularick[[Moritz Schularick (2007), “Chimerica and the Global Asset Market Boom”, International Finance, 10(3)

]] et repris en France par le Cercle Turgot Chinamérique[[Le cercle Turgot , Jean-Louis Chambon, La Chinamérique Un couple contre-nature ? Editions d’Organisation, Paris, 2010

]], n’est pas seulement le cercle vertueux et vicieux découvert à partir de 2007. Certes, L’endettement des ménages (jusqu’au 130 % du revenu en 2006) et l’endettement public issus du déficit de la balance commerciale et du déficit budgétaire largement produits par les guerres (d’Irak, d’Afghanistan) n’étaient et ne sont tenables que parce que le dollar demeure la monnaie internationale[[La dette extérieure des Etats-Unis est payée par ces derniers en dollar, c’est-à-dire qu’ils ne rencontrent pas la contrainte extérieure comme l’Europe et le Japon y ont été soumis dès la crise pétrolière de 1974.

]] et que les bons du Trésor américains sont achetés et stockés massivement par la banque centrale de Chine dont les réserves de change sont passées de 156,1 milliards de dollars en janvier 2000 à 3 262,5 milliards en décembre 2011 soit une multiplication par 20 en onze an[[Sources Les Echos, Spécial Bilan, 2011-2012, Comprendre la crise, janvier 2012, p. 43.

]] par suite des excédents de sa balance commerciale. Les Etats-Unis ne peuvent donc pas trop exiger une réévaluation brutale du Yuan comme ils l’avaient imposé au Japon avec les accords du Plaza, ni laisser filer massivement le dollar à la baisse sans s’exposer de la part de la Banque Centrale chinoise à une vente non moins massive de la colossale quantité de bons du trésor américain qu’elle détient et donc à augmenter fortement le coût des emprunts pour l’Etat fédéral américains.

Ce mécanisme stabilisateur qu’on pourrait résumer ainsi : « les Etats-Unis et la Chine se tiennent par la barbichette » a fonctionné et fonctionne encore car la Chine pour tirer ses exportations vitales pour sa croissance tant que sa demande intérieure est très faible (à peine 30 % du PIB est dépensé en consommation intérieure) a besoin de la croissance américaine et donc soutient l’endettement américain. Mais il s’effondrerait comme un château de cartes au premier choc exogène comme une récession mondiale de grande empleur s’il ne reflétait pas assez fidèlement dans la sphère macroéconomique et financière ce qui se passe dans la production mondiale : une interdépendance croissante, transversale, trans branches et intra branche industrielle. Cette structure de dépendance comme un fractal, se reproduit à tous les niveaux : des industries de main d’œuvre aux industries de forte technologie. Du textile proche de la vente de matière première (soie traitée) aux nouveaux matériaux faits à partir de fibres de bambous ou de tissus intelligents avec capteurs.

Le débat actuellement en cours au Brésil est intéressant car il concerne le secteur de l’énergie. La découverte de très grandes réserves de pétrole à grande profondeur (5000 à 7000 m de profondeur dans l’Atlantique le long des côtes brésiliennes sous le dôme de sel, mais également dans le Bassin amazonien du Rio Negro proche de la frontière de l’Equateur, entraine un fort développement de l’industrie extractive sous la houlette de la Petrobras devenue l’un des toute première entreprise mondiale.

Contrairement à ce qui se passe pour le minerai de fer, le soja OGM, la bauxite, le bois pour la pâte à papier, la Chine ne s’est pas positionnée simplement comme importatrice du pétrole brésilien (comme elle le fait en Iran, au Soudan), mais comme fournisseuse de biens d’équipement de l’industrie du forage. Sinopec, une compagnie pétrolière chinoise est entrée pour 40 % dans le capital de la compagnie espagnole Repsol[[Chris V. Nicholson, Repsol Sells 40% Stake to Chinese Oil Producer, New York Times, October 1, 2010.

]] et s’en est servi pour pénétrer le marché brésilien. Le géant de l’Amérique Latine est maintenant préoccupé par le fait que le contenu en importation chinoise de ses futures exportations de pétrole sera important. Et qu’une partie substantiel de la valeur ajoutée associée à l’extraction des matières premières va tomber dans l’escarcelle chinoise.

De la transformation écologique à la production industrielle de cette transformation

Mais l’exemple de croissance le plus spectaculaire de la Chine concerne les industries « vertes », c’est-à-dire la fourniture d’équipement industriel pour la transition énergétique qui vise à remplacer les énergies fossiles (pétrole, charbon, lignite, gaz, gaz de schistes) et les énergies polluantes non carbonées (nucléaire, hydroélectrique à partir de barrages géants) par des énergies renouvelables (énergie géothermique, éolien, photovoltaïque). Récemment les industriels allemands, américains, français et japonais de la filière photovoltaïque se sont plaints de la concurrence écrasante de l’industrie chinoise au moment même où leurs gouvernements respectifs mettent fin aux dégrèvements fiscaux des ménages ou des entreprises qui s’équipent en énergie solaire. Le congrès américain sensibilisé propose déjà des mesures de rétorsion si les exportateurs chinois n’acceptent pas une auto limitation de leur pénétration sur les marchés, un peu comme les constructeurs japonais avaient du s’y résoudre dans les années 1970.

La filière française du photovoltaïque (fabrication de panneaux solaires) était sérieusement freinée dans son développement[[http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/03/10/coup-de-froid-sur-la-filiere-photovoltaique/

]] et Photowatt a déposé son bilan, en novembre 2011. La filière allemande et danoise pourtant plus avancée que la française, la filière américaine sont également en difficulté. D’où viennent les difficultés ? De la concurrence chinoise. Il ne s’agit plus là de la contrefaçon, de la sous traitance mais de secteurs stratégiques de la transition énergétique dans un pays dont la combustion permanente des mines de charbon à ciel ouvert en Mongolie Intérieure produit la moitié de ses émissions de gaz à effet de serre. Dans une interview au magazine Internet Plein Soleil (TECSO), Thierry Miremont, devenu fin 2010 directeur général de Photowatt, expliquait ainsi les difficultés de son entreprise. « L’entreprise chinoise Suntech Power, dirigée par lez milliardaire Shi Zhengrong qui produisait à peu près autant que Photowatt en 2004, est aujourd’hui le leader du marché avec une production annuelle estimée à 1.250 GW en 2010, alors que Photowatt n’était capable que d’en produire 70 MW sur la même année, soit près de 20 fois moins. »[[http://energie.lexpansion.com/energies-renouvelables/solaire-photovoltaique-les-raisons-de-la-puissance-chinoise_a-33-5506.html

]]

Certes, les partisans du protectionnisme invoquent les bas salaires chinois, les conditions de travail peu regardantes sur le maniement du silicium. Mais à la décharge de la partie chinoise, il faut remarquer que leurs concurrents payent l’absence de politique industrielle, c’est-à-dire la pauvreté des moyens, et le caractère timoré des politiques d’aide à la transition énergétique. Dès que les dispositifs incitatifs sont couronnés de succès, c’est-à-dire qu’ils commencent à ouvrir la voie à une diffusion massive, ils commencent à coûter cher aux pouvoirs publics, ces derniers reculent et reviennent sur leurs engagements précédents ce qui a un effet très négatif sur la crédibilité des politiques publiques. On a vu en France comment nombre d’engagements du Grenelle de l’environnement se sont évanouis ou se sont délités jusqu’à être vidés de leur contenu (ainsi le marchés des permis d’émission ou la taxe carbone).

Mais la deuxième raison du rapide succès chinois montre que la leçon écologique n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Tandis que les industriels des pays riches dans une logique de la perfection technique de la production industrielle se focalisaient sur le rendement énergétique des cellules photovoltaïques et essayaient de passer de à plus de 17 %, ceux de l’Empire du Milieu ont choisi de travailler avec du silicium le plus pur possible[[Voir par exemple l’acquisition en juin 2010 par Total de AE Polysilicon, basée à Fairless Hills près de Philadelphie aux Etats-Unis, une start up qui développe une nouvelle technologie de production de silicium de qualité solaire, utilisé pour la fabrication de panneaux photovoltaïques. Le silicium purifié sert à la fabrication des cellules qui composent les panneaux photovoltaïques. Il s’agit donc d’une étape clé, qui doit être sécurisée pour garantir l’approvisionnement de l’aval de la chaîne.

]]. Il s’agit pour l’instant d’une matière première couteuse tant que l’industrie électronique repose encore sur elle. Résultat, le coût de la production européenne, japonaise et américaine est demeuré élevé. Suivant les principes de la récupération (le fameux PLM, product life management, gestion du produit tout au long de sa vie), la firme chinoise guidée avant tout par une logique commerciale a privilégié la variable coût pour le consommateur et a entrepris de faire des panneaux photovoltaïques à partir du silicium déjà utilisé et recyclé. Ce silicium provient essentiellement des ordinateurs désossés en Chine (souvent par des enfants ce qui n’est pas sans poser de problèmes).

Dans la filière de l’énergie éolienne, la Chine a également conquis un rôle déterminant en dix ans[[http://lenergiedavancer.com/la-chine-un-poids-lourd-des-energies-renouvelables/2011/07/07/

]]. En terme de parc éolien installé, son rôle demeure encore modeste : en 2008 elle ne représentait que 1% des capacités de production mondiale installée contre 36 % en Allemagne, 23 % l’Espagne, 16 % le Japon, 8% les Etats-Unis soit le même pourcentage que la France (1%). Mais du côté de la production des éoliennes, tout autre est le tableau .En 2011, les entreprises chinoises Sinovel et Goldwin possédaient 21 % des parts du marché mondial très loin devant le danois Vestas (12%) l’américain GEWind (10%), l’allemand Enercon et l’espagnol Gamesa avec 7% chacun[[L’énergie éolienne chinoise  est passée de 146 MW (en 1997), à 764 MW en 2004 , à 5912 MW en 2007 et à 41800 MW fin 2010

]]. En termes d’investissement en 2010 les pays du Sud ont dépassé pour la première fois les pays développés. La Chine a elle seule a investi près de 49 milliards d’euros sur les 211 dépensés dans les énergies vertes[[L’École de finance et de management de Francfort, Programme des Nations unies pour l’environnement et Bloomberg New Energy Finance,« Tendance globale des investissements dans les énergies renouvelables 2011 »

]]. Elle a également pris pied sur le marché américain en acquérant le Shady Oaks en Illinois. Comme dans le cas des technologies des trains à grande vitesse (où l’offre industrielle chinoise se concentre sur le prix du paquet global en innovant sur le ballast), les solutions éoliennes chinoises sont moins exigeantes sur l’absence de variations du courant.

Le créneau visé par l’industrie chinoise est celui de produits et de solutions robustes et les moins chers possibles alimentant le marché intérieur chinois mais aussi le marché des pays émergents.

Le programme officiel du gouvernement de passer du « made in China » au « designed in China » révèle moins tant un effort sur les technologies de pointe que sur les technologies robustes, simples qui permettent d’abaisser les prix et de concurrencer les pays développés sur le marché mondial du sud, le plus dynamique.

Le bilan qu’on peut dresser sur le volet de la transition énergétique à partir des énergies renouvelables en Chine est donc loin d’être médiocre. Du point de vue écologique global cependant plusieurs limites apparaissent toutefois. La première est que comme l’Allemagne et la Pologne, l’économie chinoise continue de recourir massivement aux centrale charbon et ce d’autant plus que l’essentiel de la pollution locale générée (nous ne parlons pas de l’effet de serre global) touche le territoire de la Mongolie Intérieure où des troubles ont éclatés récemment. La deuxième limite est la filière du nucléaire civil que l’Empire du milieu n’a nullement l’intention d’abandonner malgré le risque sismique élevé qui touche une grande partie du pays. La troisième limite est l’épineuse question des barrages géants. Le nouveau projet de construction du plus grand barrage du monde d’une capacité de production d’énergie deux fois supérieure à celle du Barrage des Trois Gorges (38 GW) sur le Yarlung Tsangpo (le Brahmapoutre) suscite des inquiétudes. Enfin dernière limite, déjà signalée plus haut, les conditions de travail et de sécurité des industries de recyclage à la base du dynamisme de la filière photovoltaïque ne sont sans doute pas soutenable à long terme.

Une politique écologiste globale demeure un énorme défi

La transition énergétique par le passage à une croissance décarbonnée, n’est qu’un aspect du problème écologique en Chine. Le productivisme est encore au poste de commande d’autant que l’approvisionnement régulier en courant industriel demeure un problème encore récurrent. Si des efforts d’économie d’énergie sont faits en direction des ménages, la consommation d’énergie par l’industrie demeure forte.

Mais, les problèmes cruciaux pour la Chine de la quantité et de la qualité de l’eau, du traitement des déchets, de la pollution chimique des sols et de la désertification des sols arables, sont loin d’afficher un bilan aussi favorable. Le pays qui ne possède que 7% de terres arables perd 27 000 km2 par an. Les politiques de reforestation au Nord Ouest de Pékin pour freiner la désertification, largement compromises par les jeux Olympiques n’ont pas enrayé ce phénomène qui menace directement la capitale du pays. La pénurie d’eau dans la Chine du Nord est du Nord Ouest est une donnée plus que millénaire. Des systèmes de canaux d’irrigation couverts ont été mis en place depuis longtemps. L’écosystème de la Chine du Nord est déjà très sensible aux sécheresses dont dépendent les récoltes de blé. Les énormes besoins en eau de l’industrialisation et de la concentration urbaine ajoutent une charge supplémentaire sur un milieu naturel déjà fragile. Le grenier à eau de la Chine du Nord et du grand Ouest est le Tibet. Dans ce haut plateau de l’Himalaya la fonte des glaciers diminue la capacité de stockage et surtout la régularisation des débits des fleuves. Problème annexe, lié au réchauffement climatique, la fonte des glaciers a révélé et fait fondre l’iced oil, des gisements bitumineux à ciel ouvert. C’est dire l’étendue des défis qui restent à relever et qui s’ajoutent à la faible qualité environnementale (en matière de pollution atmosphérique, d’accidents industriels) d’un pays qui connaît une urbanisation massive et une fuite vers la zone coti ère que les autorités souhaitent freiner notamment par la réforme du Hu Kow (le laissez passer intérieur).

La pression sociale constitue un aiguillon de plus en plus présent. Nombre « d’incidents de masse » ont pour origine les négligences des autorités locales en matière de pollution ou de corruption, cette dernière expliquant largement l’inertie dans l’application des normes qui commencent à émerger.

Mais si dans ces défis écologiques (en particulier le traitement des déchets), le gouvernement adopte la même méthode que ce qui a été fait dans le domaine des énergies renouvelables, des progrès rapides pourraient s’opérer.

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