Ceux qu’enthousiasme un partenariat entre Chine et Europe invoquent en général deux arguments principaux pour lui annoncer un avenir radieux, le premier se fonde sur le fait que le commerce mènerait à la coopération, le second sur l’idée que la Chine n’est pas enfermée dans une lutte de pouvoir avec l’Europe comme elle l’est avec les États-Unis. Ces deux arguments pourraient se voir rapidement balayés, puisque la Chine et l’Europe sont sur le point d’entamer l’une des plus féroces compétitions possibles : la course à la prospérité.

Nous sommes certes tous familiarisés avec le prescrit de la théorie économique, selon lequel le succès d’un marché crée des opportunités pour d’autres et la concurrence est mère de tous les progrès. Mais ce n’est guère plus que cela : de la théorie économique. Il en va différemment dans le réel. Les citoyens sont réticents à changer leur vie en raison d’événements qu’ils ne contrôlent pas et il ne manque pas d’entrepreneurs politiques prêts à promettre la sécurité par le contrôle du cours des événements économiques. C’est ce qui explique directement pourquoi l’Europe et la Chine devront sans doute faire face un dilemme pressant en matière de sécurité économique. Autant les gouvernements européens ont cherché à protéger leurs citoyens de l’évolution des réalités économiques par l’érection de digues de dettes, autant Pékin a tenté d’accélérer le développement de son peuple laborieux par la réorientation des flux mondiaux de richesse vers son vaste marché. Tôt ou tard, ce hiatus mènera à la collision : une fois que s’effondreront les châteaux de crédits de l’Europe, il apparaîtra clairement que ses atouts initiaux, ses prouesses technologiques, son inventivité et son esprit d’entreprise sont largement dépassés par des acteurs plus ambitieux de l’Est.

Certes, de nombreux Européens sont encore dans un état de déni. Nombreux sont ceux qui se sont retirés dans leurs petits empires confortables remplis de livres de cuisine ou ont cherché refuge dans les alcôves de l’État-providence. Les chômeurs et les travailleurs pauvres qui ne peuvent guère s’organiser sont encore inaudibles. Les politiciens européens continuent à faire ce que la plupart d’entre eux ont fait depuis des décennies – laisser le secteur public compenser les nombreuses industries en perte de vitesse ou essayer de trouver un bouc émissaire capable de détourner l’inquiétude : que ce soient les régions adoptant un comportement de passager clandestin, les migrants, les capitalistes ou les eurocrates. Ce n’est que rarement qu’ils osent rappeler à leur électorat la règle de base de la cigale et de la fourmi : on ne devrait pas dépenser plus que ce qu’on gagne réellement et la prospérité requiert de travailler beaucoup et dur.

La question devient dès lors celle de la réduction de l’écart entre ce que les gens dépensent et ce qu’ils gagnent… C’est ici que la Chine émerge comme un défi de taille. Quelle que soit la manière dont l’Europe essaiera de relancer son économie, il sera très difficile de le faire sans provoquer une collision avec le géant d’Asie. Envisageons quelques scénarios.

Tout d’abord, l’Europe pourrait décider de suivre l’exemple américain et de demander à Pékin d’acheter ses obligations. À l’heure actuelle, le trillion de dollars de titres du Trésor américain que détient la Chine est incomparablement plus élevé que les quelques dizaines de milliards d’obligations souveraines achetées aux pays européens. Pékin répugne à dépenser beaucoup sur les obligations européennes, principalement en raison du fait que l’euro n’a pas le statut de monnaie de réserve du dollar et que le gouvernement chinois est en quête d’investissements plus rentables pour son trésor de guerre, comme l’achat de ressources, de marques connues, et de savoir-faire. Quand bien même elle le ferait, cela n’aiderait guère à soulager les problèmes de l’Europe.

Deuxièmement, l’Europe pourrait parvenir à attirer davantage d’investissements chinois et à exporter davantage. Mais la question est ici de tout simplement de savoir pourquoi les entreprises chinoises créeraient des emplois en Europe alors que les nôtres, y croulent sous le poids de salaires et d’impôts élevés en particulier dans les États membres les plus riches? Pourquoi, autrement dit, devrait-on s’attendre à voir nos exportations augmenter fortement si la plupart des industries européennes préfèrent produire leurs biens directement en Chine ?

Troisièmement, l’Europe pourrait passer au vert. Comme les ressources deviennent rares, la construction d’une économie verte est une option d’adaptation plausible à l’évolution des perspectives mondiales. Les industries sans carbone, le recyclage, l’ingénierie intelligente, la durabilité des produits pourraient aider l’Europe à créer des emplois, innover et réduire sa dépendance aux marchés turbulents des matières premières. Mais en vérité, sans taxation des produits moins chers et plus polluants venus de l’Est, les consommateurs européens risquent bien de ne pas être particulièrement acheteurs des biens verts.

Quatrièmement, le fait que les industries soient vertes ou non importe peu, du moment qu’elles créent des emplois. Les pays européens redécouvrent de plus en plus des concepts comme « politique industrielle » et « industries stratégiques ». La Commission européenne leur emboîte le pas. Mais la réindustrialisation sera difficile à atteindre, parce que, pour le moment, la Chine propose des salaires plus bas, un marché de consommation en expansion, du crédit pas cher accessible, des fonds énormes en faveur de l’innovation, et bien d’autres choses. L’économie chinoise est plus grande, plus dynamique, et mieux protégée. Encore une fois, sans barrières politiques, les projets européens de réindustrialisation ne mèneront à rien.

Ce qui précède ne doit pas être lu comme un plaidoyer protectionniste. Le protectionnisme est le moyen le plus coûteux pour essayer de retrouver de la croissance et entraîne, par définition, un impact désastreux sur la stabilité internationale. Le problème est bien que l’Europe a négligé sa compétitivité économique depuis si longtemps, que ses décideurs politiques ont à choisir entre Charybde et Scylla : soit opérer des coupes sombres dans l’État-providence, soit choisir de nouvelles stratégies de défense face à la concurrence chinoise.

La politique industrielle chinoise

En aucun cas, il ne faut s’attendre à ce que la Chine réforme drastiquement son économie. Elle poursuivra grosso modo sa politique industrielle, dont les racines plongent dans son histoire. Le souvenir des puissances étrangères attaquant la côte chinoise et de l’extorsion opérée par les deux superpuissances de la guerre froide a décidé Mao Zedong à viser la réduction de la dépendance aux marchés extérieurs. Cette tentative ne fut pas couronnée de succès – pensons seulement au désastreux Grand bond en avant. Après cette période, des réformateurs tels que Zhou Enlai, Zhao Ziyang et Deng Xiaoping ont toutefois continué à insister sur le caractère sélectif de l’ouverture. Il s’agissait d’utiliser dans le court terme les moyens de production étrangers, l’investissement et le savoir-faire, mais de construire des industries chinoises indépendantes à long terme. Cet objectif est toujours demeuré le principal depuis lors.

Les dirigeants chinois continuent à penser, aujourd’hui encore, que leur pays est beaucoup trop dépendant des intermédiaires étrangers. Les entreprises étrangères contrôlent environ la moitié des exportations chinoises et dominent les industries de technologie de pointe. Beaucoup de décideurs y voient une source de vulnérabilité : si certains investisseurs importants devaient s’en aller, ils plongeraient dans le désarroi l’économie nationale. Les plaintes portent également sur le fait que ces entreprises amassent d’énormes profits en se positionnant comme gardiens du pont entre marché du travail chinois bon marché et consommateurs étrangers. Comme l’a dit un fonctionnaire: « C’est simplement une question d’équité que de bénéficier plus de notre propre travail acharné, plutôt que d’assister aux retours des flux de profits vers les multinationales ou les pays développés. »

D’autres soutiennent que tant que la croissance repose sur les entreprises étrangères, la République populaire ne retrouvera jamais sa position légitime de grande puissance et demeurent très sensibles aux interférences des acteurs occidentaux. La plupart des Chinois reconnaissent certes avoir énormément bénéficié de l’adoption de quelques-uns des principes du libre-échange, mais ils ne veulent plus être soumis aux diktats occidentaux ou avoir à subir des négociations aussi pénibles que celles ayant conduit à l’entrée dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Les dirigeants chinois sont déterminés à établir leurs propres normes et à développer les capacités économiques nécessaires à l’accession au statut de grande puissance.

Inutile de dire qu’une bonne partie de l’élaboration chinoise en matière de sécurité et de puissance économiques a été inspirée par le comportement d’autres nations commerçantes. Les chercheurs chinois ont soigneusement étudié le nationalisme économique du Japon et de la Corée du Sud, qui les amenés à conclure à l’utilité de l’intervention gouvernementale dans la construction d’industries fortes. En outre, même les pays riches qui portent aujourd’hui la bannière du libre-échange doivent, pense-t-on, beaucoup de leur prospérité à leur politique passée de nationalisme économique. La Chine n’ignore pas non plus que nombre de pays continuent de protéger leur marché d’une manière ou d’une autre. C’est surtout dans les négociations avec les États-Unis que les diplomates tiennent à souligner combien il est difficile pour les entreprises chinoises de pénétrer le marché américain et à quel point Washington restreint encore l’exportation de technologies de pointe. Ailleurs, les sociétés minières chinoises ont souvent dû subir des négociations particulièrement dures lorsqu’elles essayaient de conclure des accords avec les gouvernements de pays riches en ressources. Les industries naissantes de Chine sont également confrontées à rude concurrence de la part d’entreprises soutenues par les gouvernement des autres pays émergents comme la Corée du Sud, le Brésil et l’Inde.

Tout cela conduit le gouvernement chinois à entretenir une vision très anarchique de l’ordre économique mondial – dans laquelle l’intervention étatique apparaît normale et où la seule manière de survivre demeure de devenir plus puissant que les autres. Wang Yizhou, un économiste influent, a déclaré : « La caractéristique fondamentale des relations internationales est la lutte de tous pour sa propre existence et son propre développement dans un contexte international relativement désordonné. » Dans pareille situation, la sécurité économique reste la pierre angulaire et, comme le formule un expert de l’École centrale du Parti, il s’agit de défendre « les intérêts économiques fondamentaux du pays contre le sabotage étranger et de créer un environnement sain pour le développement national durable. »

Ces opinions peuvent paraître un peu désuètes à beaucoup d’Européens. Plusieurs interlocuteurs chinois admettent également que de telles attitudes compliquent l’émergence de leur pays. En réalité, les décideurs ont également tendance à chercher un terrain d’entente entre l’objectif ultime de sécurité économique et la prudence que requiert le marché international. Mais tant que la Chine se sent incertaine, l’obsession de la puissance et de la sécurité économiques demeureront. Puissance, sécurité, stabilité et indépendance économiques continueront à constituer des repères par rapport auxquels seront évaluées les réalisations du Parti communiste, des arguments en vertu desquels les nationalistes pourront exiger que les nouveaux dirigeants du Parti se montrent fort, et des justifications utilisées par les influentes entreprises d’État pour s’assurer le soutien massif des pouvoirs publics.

Le gouvernement affecte une grande part de ce que les ménages parviennent à épargner à l’expansion de la capacité de production de son industrie. Celles en difficulté, comme l’acier, le textile et l’électroménager perçoivent encore des milliards de dollars de subventions pour relocaliser leurs usines dans des zones moins coûteuses de l’intérieur du pays. Ces secteurs enregistrent en conséquence des taux importants de surcapacité. Pékin veut également que ses champions nationaux excellent dans des créneaux de pointe. Ce sont pas moins de 25 milliards de dollars qui ont été engagés pour soutenir quelques grands producteurs chinois de puces informatiques, 15 milliards pour le développement de technologies chinoises en matière de voitures propres, et encore 12 milliards pour deux fabricants chinois d’équipements solaires. La surcapacité s’est donc également développée dans ces nouveaux secteurs. Des milliards ont été déboursés pour aider ces champions nationaux à augmenter leur production et des milliards supplémentaires sont désormais dépensés pour les aider à siphonner des marchés étrangers saturés. À cette fin, Pékin investit des efforts particuliers dans la construction de marques chinoises mondiales, la mise en place de réseaux de vente chinois globaux, et le dépassement des obstacles politiques dans les pays d’accueil.

La croissance verte en Chine

Comme indiqué précédemment, les technologies vertes constituent un élément particulier de la politique industrielle chinoise. En quelques années, la République populaire a commencé à transformer le redoutable défi de la dégradation environnementale en une opportunité de croissance verte – qui commence à préoccuper les entreprises occidentales. Chaque année, la pollution coûte environ quatre points du PIB chinois, soit pas moins de 170 milliards de dollars. La sécurité alimentaire est menacée par l’érosion des sols. Un sixième des rivières chinoises ne peuvent plus être utilisées à des fins d’irrigation. Les poissons, l’eau potable, et le lait contiennent des métaux lourds. Environ dix pourcents du riz chinois contient un excès de cadmium. La prévalence du cancer est en plein essor depuis les « villes tumeurs » de l’intérieur du pays – où un nombre anormalement élevé de résidents est affecté par les mêmes types de cancer – jusque dans les centres urbains grisâtres et les zones industrielles du long de la côte. Beaucoup de familles ont vu tout ce pour quoi elles ont travaillé si durement être détruit par d’étranges maladies, des coûts de soins de santé exponentiels et, dans un nombre croissant de cas, la mort.

Rien de surprenant dès lors à ce que la protection de l’environnement soit devenue pour le gouvernement chinois une question de sécurité nationale. De nombreux observateurs occidentaux sont impressionnés par le rythme de fermeture de centrales électriques polluantes, le lancement de grands programmes de conservation, l’obligation faite aux cadres locaux de privilégier la croissance verte, et l’implication progressive de la société civile dans la lutte contre les problèmes environnementaux. Mais, du fait du développement inégal de la prise de conscience écologique et de la nécessité pour les fonctionnaires de trouver un équilibre entre emploi et environnement, la situation sur le terrain ne progresse que lentement. « Des succès fragiles dans une ville sont souvent réduits à néant par un empoisonnement persistant quelques kilomètres plus loin », souligne un expert de l’Université de Pékin.

Montant

(milliard de US$)
Débiteur Secteur Créancier
8,9 LDK Solaire China Development Bank
7,3 Suntech Solaire China Development Bank
6,5 Sinovel Eolien China Development Bank
6,1 Goldwind Eolien China Development Bank
5,3 Yingli Solaire China Development Bank
4,4 Trina Solaire China Development Bank
4,4 JA Solaire China Development Bank
2,2 BYD Véhicules propres Bank of China
2,1 Geely Véhicules propres via Volvo Diverses banques
0,1 China Wind Power Eolien Agricultural Development Bank
0,1 China Longyuan Eolien N.a.

Sélection d’engagement entre producteurs de technologies propres et banques chinoises (en 2009 et 2010)

Le chemin de la croissance verte reste long et tortueux, mais s’il est un domaine où la Chine a progressé à la vitesse de l’éclair, c’est dans l’initiation d’une révolution en matière de technologies vertes. Aucun pays, et pas même les 27 États de l’UE dans leur ensemble, n’a dépensé autant pour l’achat d’éoliennes, de dispositifs d’énergie solaire, de centrales au charbon propres, de bâtiments énergétiquement performants, de voitures hybrides, etc. Rien que l’année dernière, ce sont 49 milliards de dollars qui ont été versés dans des projet d’énergie verte. La Chine dispose désormais de la plus grande capacité d’énergie éolienne du monde et vise également à devenir leader dans l’énergie solaire.

L’Europe avait toujours supposé qu’elle deviendrait numéro un du développement et de la commercialisation de technologies vertes. Plusieurs États membres et la Commission européenne, voyaient même dans ce secteur une nouvelle opportunité d’alimentation de la croissance européenne atone. Mais plutôt que d’acheter à l’Europe ses technologies vertes, les entreprises chinoises viennent rivaliser avec leurs pairs européens, tant à domicile qu’à l’extérieur. « La technologie verte est le prochain champ de bataille économique », soutenait un fonctionnaire allemand à Pékin. Et de poursuivre : « Nous voulons bien sûr lutter contre la contre la pollution, nous n’avons pas peur de la concurrence chinoise, mais nous voulons que ce combat soit mené à armes égales. »

La préoccupation la plus importante porte, sans surprise, sur la possibilité pour les entreprises chinoises de puiser dans les réserves financières infinies de banques dédiées à des politiques spécifiques. En 2010, la China Development Bank a annoncé qu’elle allait prêter plus de 35 milliards de dollars à des compagnies d’électricité éolienne et solaire. D’autres banques ont promis un montant supplémentaire de 54 milliards. En plus de cet énorme montant, le gouvernement central et plusieurs gouvernements locaux ont commencé à financer des projets de recherche ambitieux dans les universités et les entreprises. De surcroît, différentes politiques ont été mises en place pour favoriser les producteurs nationaux dans les appels d’offres gouvernementaux. Un énorme marché a donc émergé, en grande partie fermé aux compagnies étrangères, et dans lequel les entreprises chinoises se servent de leur monopole intérieur pour accroître leur investissement dans l’innovation et commencer à vendre à l’étranger.

La Chine poursuit donc bel et bien une espèce de mercantilisme vert mais, vu d’un peu plus près, ce ne peut être la source principale des craintes européennes de se faire dépasser. La vérité est plutôt que l’Europe n’a pas tellement d’avance. Dans le top 30 mondial des brevets de technologie verte, ne se trouve pas une seule entreprise européenne. La plupart des entreprises pionnières proviennent des États-Unis et du Japon… Le problème le plus fondamental est donc que l’Europe n’a jamais investi suffisamment dans les technologies vertes pour devenir un véritable leader mondial. L’obsession à l’égard du mercantilisme vert de la Chine ne constitue rien de plus qu’un simple symptôme de sa propre faiblesse et de son manque d’ambition.

Chine EU
2005 9 9
2006 13 11
2007 20 14
2008 25 15
2009 29 16
2010 42 19

Exportations de produits de technologies propres[[Systèmes et compsants liés à la production d’énergie éolienne, solaire photovoltaïque, lampes économiques et batteries pour véhicules électriques

]] (milliards US$). Source : Comtrade

Les ambitions économiques de la Chine en Afrique

Les aspirations économiques de la Chine continuent à orienter ses politiques vis-à-vis de l’Afrique, où elle répond de manière très pragmatique à l’instabilité dans la région. La part de la Chine dans le commerce avec l’Afrique a augmenté de façon spectaculaire et c’est même elle qui est désormais la principale source des nouveaux flux d’investissement et de crédit là-bas. Les entreprises chinoises sont maintenant présentes dans pratiquement tous les secteurs de l’économie africaine : l’exploitation minière, l’énergie, l’agriculture, les infrastructures, le commerce de détail, etc. Bien que le comportement chinois en Afrique soit sujet à de nombreuses critiques, on remarquera que plusieurs grandes entreprises chinoises ont ajusté leurs normes afin de répondre aux attentes locales : à contrecœur, bien sûr, mais elles semblent commencer à comprendre que leur présence à long terme dépendra en grande partie de l’avancement des sociétés africaines.

Pourtant, globalement, les politiques de la Chine à l’égard de l’Afrique restent caractérisées par les concepts de résilience et de pragmatisme, en particulier au niveau politique. Elle a par exemple fait preuve de beaucoup de résilience pour renouer des relations après des troubles politiques et des changements de régime. Les amitiés politiques dont Pékin aime parler ne sont des amitiés que dans la mesure où elles servent ses intérêts économiques. C’est à cette fin que la Chine diversifie de plus en plus ses partenariats avec les pays africains au-delà du gouvernement central : en se retenant de mener des discussions de couloir avec des groupes d’opposition, en entretenant des relations directes entre l’Armée populaire de libération et les hommes forts des armées locales, en établissant des partenariats économiques directs avec les gouvernements locaux, ou par le biais de l’impressionnante offensive de séduction du Parti communiste envers les mouvements politiques africains. Il est donc également faux d’affirmer que Pékin ne se soucierait pas vraiment de la façon dont les dirigeants politiques sont chassés et encore moins de la façon dont les organisations africaines régionales y répondent.

Plusieurs motivations guident cette diplomatie caméléon. En premier lieu, la plupart des fonctionnaires ont découvert que, en tant que pays en développement, la République populaire ne peut pas se permettre d’être pointilleuse et doit au contraire se montrer souple. En outre, la Chine ne considère pas les coups d’État comme une menace majeure à ses intérêts économiques. Certes, elle a dû évacuer un grand nombre d’expatriés (environ 35 000 rien qu’en Libye) mais dans l’ensemble, les menaces à sa sécurité sont restées limitées. Les changements de régime ont également renforcé la position de négociation de la Chine et ouvert aux entreprises des portes pour lancer des projets d’infrastructure de prestige. En outre, l’opinion commune est que la volatilité politique est inhérente au stade de développement de l’Afrique et que les coups d’État demeureront fréquents tant que ces pays restent bloqués dans la pauvreté. Un fort consensus existe parmi les décideurs chinois quant à la non compatibilité de la société africaine et de son développement avec la démocratie. Ils présupposent également que la promotion de la démocratie n’est qu’un prétexte dont les puissances occidentales se servent pour soutenir leurs intérêts. J’ai toujours été frappé de constater combien, pour beaucoup de fonctionnaires et d’experts à Pékin, la bannière de la démocratie n’est qu’un prétexte de l’Occident pour contrebalancer l’influence croissante de la Chine sur le continent africain.

Plutôt que d’essayer de façonner les réalités politiques en Afrique, Pékin préfère toujours s’ajuster de façon pragmatique à la situation volatile de la région. La grande question reste, cependant, de déterminer comment la Chine réagirait si l’instabilité politique devait engendrer pour elle d’importants sacrifices en termes de vies humaines ou d’intérêts économiques. Le gouvernement chinois entend être paré à de telles éventualités. Un consensus se dégage selon lequel sa présence économique mondiale en expansion exige également de meilleures capacités à protéger ses intérêts, dont une capacité militaire. Les puissances montantes n’aiment généralement pas être entraînées dans de lointains jeux géostratégiques, mais une fois que les enjeux deviennent plus importants, elles trouvent assez de raisons pour affirmer que ce n’était pas leur appétit de richesses et de puissance qui les a incités à changer de direction, mais seulement la grande incertitude du monde qui les entoure.

Un géant incertain

En dépit de ses ambitions et de sa croissance, la continuation d’une politique industrielle téméraire et sa forte dépendance aux ressources de pays instables d’Afrique montrent combien la Chine reste une puissance particulièrement incertaine. Cependant, la tragédie veut que dans sa quête de sécurité économique et de stabilité sociale, elle tend à ne faire qu’empirer la situation. Le nationalisme économique a piégé le pays dans un état de vulnérabilité de plus en plus profond. C’est ce puissant sentiment historique de vulnérabilité, fruit d’une longue période d’anarchie interne et de colonialisme, qui a permis au Parti communiste de mener la quête de la stabilité, quête réalisée sur la voie de l’industrialisation et de la substitution aux importations. Le stratégie d’ouverture sélective de Deng et Zhao a apporté la croissance, et de celle-ci a émergé une seconde vulnérabilité puisque la Chine est devenue de plus en plus dépendante des entreprises étrangères. Dans les années 1990, Pékin a donc élaboré un plan ambitieux de construction d’industries nationales dans la coquille protégée de son marché intérieur. La vulnérabilité a cependant refait surface rapidement sous la forme de surcapacité excédentaire et de dépendance aux consommateurs des marchés extérieurs. Cette situation a donné un surcroît de poids aux efforts déployés par le gouvernement pour produire des champions nationaux d’envergure véritablement mondiale. Tandis que cette politique n’a fait qu’aggraver le problème de surproduction, la présence mondiale croissante de la Chine la rendait en outre plus vulnérable aux réactions des pays partenaires allant du protectionnisme à l’égard des investisseurs chinois jusqu’à la sinophobie pure et simple. Une politique économique étrangère plus active et confiante n’en est que plus nécessaire. Prise aussi profondément au le piège de la vulnérabilité, la Chine arrive maintenant à un stade où son nouvel activisme global soulève de plus en plus de suspicions et encourage les autres puissances à contrebalancer son influence grandissante. La recrudescence des frictions économiques avec l’Europe ne sont probablement que le signe avant-coureur d’une nouvelle période de turbulences entre la Chine et le reste du monde.

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