Depuis le début de cette semaine, je suis sur ma planche à dessin, à tenter de trouver un petit gribouillis rigolo sur ce qui m’est arrivé ces derniers temps, ou sur l’actualité, en détournant la réalité bien entendu, car c’est plus drôle quand c’est déformé.

Mais je n’y arrive pas.

Le trait ne veut pas sortir, la saillie humoristique peine, l’image est mauvaise. Ça cale.

Depuis hier j’ai un goût bizarre dans la bouche, une impression un peu dégueulasse, un truc qui te fait pas te sentir à l’aise, qui te chiffonne, que tu voudrais bien faire sortir mais qui te reste quand même au fin fond, là, loin dans ton petit toi-même. Oh, ça doit pas être grand chose me dira-t-on, ça passera, va dormir là dessus, ça ira mieux demain.

N’empêche.

Hier soir, en allumant la télé, j’ai quand même eu l’impression d’avoir perdu ce petit truc qui jusque là me rendait insouciant, et m’aidait à faire ce genre de choses un peu stupides comme un dessin sur un mur, ou un gros zizi sur de la buée d’une voiture, ou simplement s’asseoir dans la rue comme ça, pour montrer qu’on peut aussi s’asseoir dans les rues, et qu’elles n’appartiennent pas qu’aux grosses bagnoles moches et qui puent. Ce genre de truc qui te rend heureux sur le moment, et où tu te dis que finalement c’est chouette d’être libre et de pouvoir de temps en temps se lâcher.

Hier soir, donc, en allumant ma téloche, je suis tombé sur le journal de la RTBF. Tu te dis que c’est encore bien la RTBF, que c’est un service public, donc on peut croire ce qu’il s’y dit. Au journal de la RTBF, donc, on montrait des images des élections de dimanche en Europe, tout ça quoi, un processus qui normalement est positif, qui rend les gens libres et leur permet de se dire qu’ils ont leur monde dans leurs mains. Au journal de la RTBF hier, on a montré la Grèce. Et on a vu, qu’en Grèce, des néo-nazis étaient parvenus à maintenir leur score, alors que les derniers sondages les annonçaient perdants. Des nazis. Moi, les nazis, ça me fait penser à ma grand-mère, au musée, à des trucs du passé, qu’on nous dit depuis l’école que ça doit pas revenir. Que c’est un peu comme la peste quoi. Mais que maintenant on a appris et qu’on sait comment faire pour que ça revienne pas. Hier donc, au journal de la RTBF, on montrait le retour de nazis dans un parlement européen, pour le deuxième scrutin consécutif. Et dans un même temps, on poussait un « ouf de soulagement » parce que les Grecs avaient votés pour la droite conservatrice, plutôt que pour un parti désigné comme « gauche radicale ». La droite conservatrice, ce sont les gentils, ceux qui vont bien obéir, ne pas trop la ramener, et surtout bien exiger de leur population que les sacrifices, c’est important, même si on n’en est pas responsable. Surtout si on n’en est pas responsable. Hier donc, au journal de la RTBF, on a montré que sur le continent européen, il était possible de mettre les libertés sous cloche, dans le pays qui a inventé la démocratie.

Puis ensuite, dans ce même journal, on a parlé de la France. La France ! La terre des droits de l’Homme dit-on régulièrement. Cette France donc renouvelait ce dimanche son assemblée nationale. Et ce dont tout le monde se réjouissait, c’est que la gauche était parvenue à asseoir son autorité. Oh, il y avait bien des déceptions de ci de là. Mais pour le reste, la démocratie avait parlé, et c’était chouette. Il y avait aussi un petit truc qui dérangeait, mais ce n’était pas grave. Ce petit truc, c’était le retour dans cette assemblée de députés du Front National pour la première fois depuis 25 ans. 3 députés. Dans un scrutin majoritaire. Pour obtenir des députés dans un scrutin majoritaire, c’est simple : il faut arriver le premier et vous raflez le seul siège dans la circonscription où vous vous êtes présenté. 3 circonscriptions, c’est pas grand chose sur près de 600 au total. Non. Mais quand on sait que presque 100 d’entre elles ont eu une finale avec un député d’extrême-droite, on se dit qu’il y a peut-être un problème. Enfin, « on », ça dépend qui. Car il paraît qu’il ne faut pas trop se tracasser. 3 députés d’un coup, c’est moins qu’en 1987, où ils étaient plus. C’est un peu comme quand on dit : « oh, vous avez trois petites taches brunes là, sur l’avant-bras, mais faut pas vous tracasser, ça partira », sans regarder ce qui vous court sous la peau…

Et puis, dans ce même journal, on est passé à autre chose. On est revenu en Belgique. On est allé à Bruxelles. On a vu une manifestation, de gens assez remontés, qui dénonçaient le « fascisme vert[[désignant les musulmans radicaux]] », et qui exigeaient qu’aujourd’hui, dans leur pays, on s’intègre ou on dégage. Derrière ces gens, on voyait défiler des types un peu bizarre, en gros godillots noirs, avec un bon t-shirt bien moulant, et presque plus de cheveux sur la tête. Et ces types, tout aussi remontés, et gentiment encadrés par la police, celle qui doit assurer l’ordre public, ces types donc criaient que ce pays était le leur, et qu’il lui fallait, à ce pays, de l’ordre, de la justice et de la sécurité. Moi qui pensait que ce boulot là, d’habitude, c’était le boulot des policiers qui encadraient ces types un peu bizarre, ben j’avais l’impression que finalement, c’était l’inverse qui se produisait. Et ça, ça m’a fait peur. Mais ce n’était pas tout. Car le reportage dans ce journal a montré ensuite des jeunes avec le visage en sang. Et ces jeunes, avec le visage en sang, ils étaient entourés de ces mêmes policiers qui encadraient les types un peu bizarres. C’était à Bruxelles, dans la station Trône, où je passe parfois quand je vais au boulot, à mon boulot de mec qui souhaite un monde plus juste. Ces jeunes donc, on a appris sur ce journal de la RTBF que c’était des jeunes antifascistes. Qu’ils n’étaient pas contents que dans cette ville, leur ville, des types bizarres puissent défiler impunément et faire résonner leurs chants, leurs pas et leurs godillots en criant que ça, c’était à eux. Et que les autres pouvaient en dégager. Ces jeunes là, donc, ils étaient venus montrer leur refus de cette situation. Parce que peut-être qu’à eux aussi, comme à moi, on leur a appris que dire que ton pays, tu l’aimes ou tu le quittes, c’était un peu ridicule, et qu’au fond, l’ordre, la justice et la sécurité mis ensemble, c’étaient des mots dangereux. À ces jeunes là donc, la police a montré que manifester sans autorisation, ce n’était pas bien. Que c’était mal. Que si ta manifestation est autorisée, tu peux crier sans crainte les pires insultes. Mais que si tu n’as pas le droit d’être dans la rue à ce moment là, tu ne peux pas défendre la démocratie. Cette vérité là, les policiers l’ont apprise à ces jeunes en le leur faisant bien rentrer dans le crâne, pour être sûr que l’info circule autour d’eux. C’est important l’éducation des jeunes. Parfois il faut simplement leur mettre les poings sur les « i ».

Tout cela c’était dans le journal d’hier, sur la première chaîne publique francophone belge.

On parle beaucoup de valeurs ces derniers temps, d’identité, de nationalité, de bon belge, d’intégration, et d’autres mots qui sonnent bien comme il faut dans la tête et dans les rues. Liberté par contre ça a disparu. Égalité, n’en parlons pas, c’est devenu grossier. On fustige beaucoup, ces derniers temps, ceux qui ne mettent pas leur poubelle quand il faut. Ou qui ne vont pas au travail à l’heure qu’il faut. Ou qui ne vont pas se coucher au moment qu’il faut. Ou qui ne regardent pas les chaînes qu’il faut, en supportant l’équipe de foot qu’il faut et en dépensant son argent là où il faut tout en ayant fait les études qu’il faut pour avoir le job qu’il faut. On nous dit de plus en plus, ces derniers temps, que c’est mal de ne pas penser comme il faut.

Dans un petit peu plus d’un mois, je serai papa. Pour la première fois. Une chouette petite fille, j’en suis certain. À cette petite fille, je souhaite plein de rencontres, plein de bêtises, plein d’expériences, plein de vécus, plein de choses fortes qui feront d’elle une personne entière, avec la tête bien remplie, avec la croyance que la vie d’aujourd’hui est belle et qu’il y a pleins de choses à découvrir. Et tout ça dans une société qui respecterait ses choix.

Jusqu’à hier, je pensais que c’était possible. Depuis hier, je doute.

Hier soir, je ne suis pas parvenu à dessiner mes espoirs.

J’espère que demain, on me laissera encore le droit d’y croire.


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