Les partenariats entre ONG[[Organisations non gouvernementales.

]] et entreprises commerciales d’une part, et pouvoirs publics d’autre part, ont des conséquences importantes sur les ONG. A l’heure où un certain type d’ONG semble en voie de disparition, la présente analyse se propose de revenir sur les limites des ces partenariats et sur leurs conséquences sur les ONG de développement actives au sein de notre société civile.

1. Les ONGD Altermondialistes

On se limitera ici à un « certain type » d’ONG. En effet, quand il s’agit d’aborder la question du partenariat, la diversité des ONG ne permet pas d’appliquer à chacune d’entre elles une réflexion commune. On aurait même grand tort de les confondre.

Premièrement, les ONG humanitaires ou environnementales n’ont rien à voir avec les ONG de développement (ou « de coopération au développement » ou ONGD). Deuxièmement, toutes les ONGD ne sont pas simultanément des organisations d’éducation aux problématiques liées au développement et à la solidarité internationale, et ne sont donc pas toutes actives au sein de notre société civile. Enfin, il ne faut pas confondre les ONGD qui dénoncent le non-respect des règles du jeu et celles qui dénoncent les règles du jeu ! Il existe de nombreux exemples de grandes ONGD anglo-saxonnes connues se contentant de mettre en œuvre des projets de développement tout en dénonçant le non-respect de certains droits, mais qui se gardent bien, contrairement aux organisations altermondialistes, de dénoncer les législations, règles et accords de partenariat défavorables aux populations les plus appauvries. Ainsi, contrairement aux ONGD altermondialistes, il existe une catégorie d’ONGD qui ne remet pas en question les valeurs néolibérales comme modèle de développement. Toutes les ONG ne sont donc pas des ONGD, et toutes les ONGD ne sont pas des ONGD altermondialistes. L’évolution de ces dernières et de leur position au sein de la société civile nous intéressera plus particulièrement dans le présent propos.

En Belgique, le C.N.C.D.[[Le Centre National de Coopération au Développement (Belgique francophone).

]] constitue une plate-forme politique de défense idéologique des intérêts des pays les plus appauvris et pas seulement un organisme de représentation des ONGD. Ce travail militant, le C.N.C.D. l’exerce au sein du mouvement altermondialiste[[COOPMAN PIERRE & PATUELLI ANDRÉS,

« O.N.G. de développement et altermondialistes : alliés naturels », in : « La Revue Nouvelle », n°4/avril, 2005, p. 42, en ligne] U.R.L. [http://www.revuenouvelle.be/rvn_abstract.php3?id_article=215 (consulté en mai 2011).

]]. Toute une série d’ONG belges peuvent être identifiées comme étant issues de cette tendance. Pour ces organisations, la clé du développement des pays du Sud réside dans le renforcement de leur société civile, et dans la sensibilisation des populations du Nord aux mécanismes injustes de la mondialisation. Au Sud, ces ONGD soutiennent prioritairement des dynamiques culturelles et sociales. Au Nord, elles développent une éducation au développement qui donne une image positive du Sud, allant ainsi à l’encontre de la représentation misérabiliste des pays dits « en développement ». Elles se mobilisent également sur le plan politique pour faire entendre les revendications de la société civile du Sud. Pour le Nord comme pour le Sud, ces organisations voient dans la mondialisation plus qu’une dynamique économique, elles défendent le droit de chaque population à

choisir sa manière de vivre, elles promeuvent d’autres valeurs que purement économiques ou productivistes et elles militent pour un renversement des valeurs. En Belgique

francophone, il s’agit entre autres d’UniverSud-Liège, d’Aide et Coopération pour le Développement des Andes (ACDA), de Coopération par l’Education et la Culture (CEC), de Collectif Stratégie Alimentaire (CSA), d’Entraide et Fraternité (EF), de Frère des Hommes (FDH), de Peuples Solidaires (PS), de Solidarité Mondiales (SM), de SOS Faim et de Volens[[GRENADE FRANCOIS, L’engagement politique des ONGD de Belgique Francophone, mémoire de fin d’étude, Liège, Ulg, 2007, p.73-75.

]].

2. Les limites du partenariat entre ONGD altermondialistes et entreprises privées

Si la question du partenariat est importante pour les ONGD et spécialement pour les ONGD altermondialistes, c’est que pour garder pertinence, cohérence et efficacité au sein de la société civile, les ONGD doivent ménager leur indépendance. Sans plus aucune indépendance, que resterait-il aux ONGD comme légitimité – déjà durement mise en question – au sein de la société civile ?

Que la Croix-Rouge collabore avec Nestlé ou que le WWF soit partenaire de Coca-cola, c’est le choix d’organisations humanitaires et environnementales. L’alliance d’une véritable ONGD altermondialiste avec des entreprises comme Nestlé ou Coca-cola, paraît inconcevable. Les quelques engagements éthiques que ce genre d’entreprises prendraient dans le cadre d’un partenariat avec une ONGD altermondialiste ne constitueraient que le trop modeste prix d’une sorte de « sustainable developmentwashing » cousin du malheureusement déjà célèbre « greenwashing ». Sylvie Brunel[[Sylvie Brunel est géographe, économiste et écrivain française spécialiste des questions développement. Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne.

]] l’explique très bien : « contrairement aux ONG altermondialistes, qui s’inscrivent en marge du libéralisme, dont elles contestent les méthodes et les résultats et dénoncent les inégalités croissantes, les ONG environnementales travaillent de concert avec les entreprises et ne remettent nullement en question les mécanismes du capitalisme. Au contraire. « Bon pour la nature, bon pour les affaires », reconnaît avec pragmatisme l’une des plus puissantes d’entre elles, le WWF, au célèbre panda, qui fut créée en 1961 à l’initiative d’un grand laboratoire pharmaceutique, Hoffmann La Roche »[[BRUNEL SYLVIE, « À qui profite le développement durable ? », Larousse, Paris, 2008, p. 51.

]]. Rappelons au passage que les ONG environnementales, fidèles au capitalisme le plus libéral, comme le WWF, sont celles qui militent pour que soit mis sous cloche des morceaux de forêts vierges, futures aires protégées, au détriment de populations locales qui ont pourtant su les préserver durant des siècles.

Par ailleurs, quand les militants d’ONG altermondialistes boycottent Coca-cola ou Nestlé, c’est toujours pour plusieurs raisons pouvant être rangées sous différentes étiquettes : environnementales, sociales et économiques – faut-il encore séparer ces trois notions tant chacune d’elle renvoie inextricablement aux deux autres ? Concrètement, comment serait-il possible d’inviter les populations du Nord à manger naturel[[C’est-à-dire « bio ».

]], local, équitable[[Notion que nous entendons comme élargie aux économies du Nord.

]] et peu

emballé, et ainsi prendre soin de leur santé tout en étant solidaires des fermiers de leur propre région et des populations les plus marginalisées de la planète et, dans le même

temps, assumer un partenariat avec une chaîne de grandes surfaces, une entreprise agroalimentaire industrielle internationale ou une entreprise ultra-capitaliste qui produit des sodas trop sucrés au mépris des tissus économiques locaux, du droit des travailleurs, de la santé et de l’environnement ?

Evidemment, il sera reproché aux militants des ONGD altermondialistes de manquer de réalisme et de pragmatisme. Il leur sera expliqué alors que la logique des ONGD n’est pas celle « des bons contre les mauvais », que pour gérer la société il est nécessaire de réaliser des compromis, dont le partenariat est un exemple. Mais les ONGD peuvent-elles à elles seules « sauver » le monde ? Il ne leur appartient pas de gérer la société ! N’est-il pas tout aussi constructif, dans une dynamique de transformation sociale et culturelle, d’incarner l’ « extrême » point de vue, à la manière d’un avocat ou d’un lobbyiste, et qui plus est, ce faisant, ne pas prendre le risque de se voir dilué dans le « système » ou récupéré par celui-ci[[Une bonne illustration de ce problème est le cas de Max Havelaar, transformée d’ONG en entreprise privée, et à qui des pratiques peu éthiques sont de plus en plus souvent reprochées. 

]]?

En réalité, si les ONG en arrivent à se lier avec des entreprises, ce n’est pas par plaisir. Dans un contexte de crises des idéologies, du politique, des institutions et surtout des modalités d’action collective, les ONGD doivent répondre à des impératifs de notoriété, de gestion et de finance pour survivre dans un « secteur » de plus en plus concurrentiel où les ONG humanitaires et environnementales se taillent la plus grosse part du « marché des dons» en surfant sur la vague « populo-sensatio-émotionnelle ». La prolifération d’ONG accentue encore cette tendance. Sans doute est-ce également à lier à la nature même du troisième secteur de l’économie auquel appartiennent les ONGD. Perdues dans un monde néolibéral globalisé, les ONGD altermondialistes cherchent à se « professionnaliser », à être plus « efficaces ». Souffrant de la même carence d’imagination et de créativité que le reste de la société, incapables de mettre sur pied des alternatives crédibles dans leurs manières de s’administrer, ces ONGD cherchent à se gérer comme des entreprises du secteur privé, mais tout en restant humaines, proches du public et fidèles à leurs objectifs premiers, c’est-à-dire essentiellement humanistes.

Les dirigeants des ONGD, même altermondialistes, se recrutent alors, comme une partie du personnel, parmi les diplômés des Ecoles de Commerce ou de Gestion. Pourtant, les diplômés de ces écoles, qui constituent les élites et futures élites politiques et économiques de nos pays, ont trop souvent une compréhension limitée des enjeux sociétaux actuels. Tout simplement parce qu’elles n’y ont pas été formées. Non seulement la plupart d’entre elles sont toujours persuadées que l’argent suffit à résoudre les problèmes de société ou à « développer » les pays les plus appauvris, mais aujourd’hui encore, en matière économique par exemple, ces élites sont encore souvent convaincues par des conceptions économiques écologiquement et socialement analphabètes. Cette vision du monde constitue sans doute d’ailleurs la plus grande force de l’inertie actuelle de nos sociétés face aux crises. Que les ONG humanitaires et environnementales recrutent ces diplômés ne met sans doute pas en péril leur esprit. Que des ONGD altermondialistes fassent de même est

beaucoup plus problématique. Il s’agira alors de former correctement – et de convaincre – ce nouveau personnel à l’esprit de l’ONGD. Ce qui est paradoxal, c’est qu’en réalité, au niveau de la société tout entière, sensibiliser et « éduquer » les élites représente sans doute justement un des plus grands défis des ONGD altermondialistes.

Quoi qu’il en soit, beaucoup d’ONGD possèdent désormais des méthodes et une structure comparables à celles des organisations commerciales, se plient aux volontés des gouvernements et ne voient de salut que dans leur… croissance ! Nous voici à l’ère de la compétition entre O(N)G instrumentalisées par les pouvoirs publics et dénaturées par les pratiques du privé… Le modèle des ONGD porteuses d’alternatives politiquement et socialement significatives prend l’eau.

La stratégie des ONG évolue alors parallèlement à sa taille. Plus les ONG grandissent, plus leurs structures et méthodes s’apparentent à celles des organisations commerciales, et plus les partenariats avec le privé sont nécessaires. Dans ce contexte, la croissance d’une ONGD altermondialiste pourrait cacher la dissolution de son esprit fondateur, le détournement de ses objectifs, en un mot la fin de cette ONGD en tant qu’organisation altermondialiste. Les ONGD altermondialistes, pour garder leur esprit et rester efficaces, devraient donc sans doute se préserver de cette logique de croissance. Pour ces ONGD, la taille n’est sans doute pas gage d’efficacité. Probablement la capacité de travailler en réseau avec d’autres associations est-elle plus importante…

On pourrait finalement rétorquer que le problème n’est pas le partenariat ou l’argent gagné, mais que le problème est de savoir qui est le partenaire et d’où vient cet argent et surtout à quoi l’ONGD altermondialiste renonce – éthique, cohérence, indépendance – pour un partenariat, de l’argent ou de la notoriété. Des partenariats avec certaines entreprises de l’économie sociale, et/ou qui respectent l’environnement peuvent être concevables. Il y a là matière à créer et innover. Si les organisations altermondialistes ne placent pas leurs ambitions dans les alternatives, qui le fera ? Mais il faut reconnaître que dans le contexte actuel la plupart de ces entreprises de l’économie sociale souffrent beaucoup et que ce n’est pas là que se trouve l’argent –et moins souvent la notoriété.

Parrainage, publicité, soutien financier, échange de savoir-faire, et bien d’autres manières de mettre un partenariat en place entre ONGD et grandes entreprises peuvent déplaire aux militants altermondialistes. Cela ne signifie pas pour autant que les militants altermondialistes des ONGD altermondialistes ne sont pas soucieux de la notoriété et de la santé financière de leur association. Ils ne les conçoivent pas de la même façon, tout simplement. Pour eux, si la recherche de fonds et de notoriété est aussi importante pour la survie des ONGD altermondialistes, cela ne doit pas se faire en contradiction avec les objectifs poursuivis par celles-ci. En réalité, on l’aura compris, la crainte vis-à-vis des partenariats n’est pas uniquement d’ordre culturel ou éthique. Cette crainte est nourrie du fait que le danger pour l’esprit de ces ONGD vient peut-être moins du financement des ONGD par des entreprises commerciales que de l’intériorisation de leurs discours[[Concernant les craintes de l’intériorisation de l’approche gestionnaire, voir : NEVEU E., Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, Paris, 2002.

]] et pratiques.

3. Les limites du partenariat entre ONGD altermondialistes et pouvoirs publics

Il y a encore quelques années, les différents acteurs du Nord engagés dans le « développement » des pays du Sud étaient faciles à distinguer. Si l’on schématise, les pouvoirs publics du Nord coopéraient bilatéralement avec ceux du Sud, les entreprises du Nord investissaient dans les économies du Sud et la société civile du Nord au sens large, au travers des organisations de solidarité, travaillait à défendre les intérêts des citoyens du Sud et veillait à renforcer leurs institutions sœurs du Sud[Voir ACODEV, « Points de convergence et d’intersection, points de friction et osmose. Ou « Le match pouvoirs publics /ONG », 2004, p. 1. : [www.acodev.be/IMG/pdf/relation_Pouvoirs_publicsONG_trad_FR.pdf

]]. Mais depuis quelques années, pouvoirs publics et organisations de solidarité ont tendance à intégrer de plus en plus leur action. Cette évolution, qui a ses avantages et ses inconvénients, accroît toujours plus l’interdépendance entre ONGD et pouvoirs publics. En ce qui concerne les ONGD altermondialistes, une trop grande dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des gouvernements pourrait vite s’avérer dangereuse. Aujourd’hui, ce danger est bien réel.

Les relations qui lient les ONGD belges aux pouvoirs publics belges sont anciennes et sont essentiellement financières. En effet, une longue tradition de coopération unit celles-là à ceux-ci. Depuis le premier arrêté royal concernant l’envoi de volontaires d’ONGD en 1964, les formes de collaboration et les instruments d’appui se sont diversifiés. Les ressources financières publiques consacrées au soutien des activités des ONGD belges ont aussi connu une croissance soutenue[ACODEV, « Un partenariat renouvelé entre pouvoir publics et ONG pour combattre les inégalités entre le Nord et le Sud, promouvoir le développement durable et la solidarité », 2004, p. 1.[www.acodev.be/Publication/News-Letter/newsletter2-2004.pdf

]].

Aujourd’hui, les subsides octroyés par les pouvoirs publics nationaux constituent une source très importante de revenu pour la plus grande partie des ONGD. En Belgique, c’est la Direction Générale de la Coopération au Développement (DGCD), qui élabore également ses propres projets de coopération, qui cofinance des projets mis sur pied et menés par les ONGD belges. La DGCD finance quatre types d’activités : le financement de partenaires, l’éducation au développement, l’offre de service et l’envoi de personnel[[KNOTT Mélanie, « Les Organisations Non Gouvernementales de Développement en Belgique : un secteur sous perfusion ? », Mémoire de Licence, Liège, Ulg, 2006, pp. 34-35.

]]. La DGCD n’est pas l’unique entité publique à cofinancer des projets en Belgique. Des entités régionales et communautaires financent également des projets de coopération ou d’éducation au développement. Les subsides provenant des organisations internationales représentent aussi une source de financement intéressante pour les grandes ONGD. L’Union européenne est un bailleur de fonds très important. Il existe également de nombreuses organisations internationales qui octroient des subsides à certaines ONGD.

Cependant, l’octroi de subsides de la DGCD, obligent les ONGD à un agrément du ministre belge de la coopération au développement. Certaines conditions doivent être respectées, telles que l’obligation d’avoir comme principal objet social la coopération au développement, d’avoir une expérience pertinente et actuelle dans un ou plusieurs domaines de la coopération, et de mener des activités conformes aux objectifs de la

coopération internationale belge[Arrêté royal du 14 décembre 2005 relatif aux agréments d’organisations non gouvernementales de développement, [http://diplomatie.belgium.be/fr/binaries/KB_14_12_2005_tcm313-84407.pdf.

]]. Les ONGD doivent également élaborer un cadre stratégique pour une durée de 3 ans réalisé soit par des programmes, soit par des projets, et rendre compte annuellement de l’état d’avancement de ce plan d’action tant pour le volet Sud (coopération au développement) que pour le volet Nord (pour les ONGD qui sont actives en Belgique dans l’éducation au développement). Ainsi, si la possibilité d’être subsidiées constitue une force des ONGD, elle peut également représenter une faiblesse. En effet, on est en droit de se demander si l’indépendance des ONGD ne souffre pas trop de ces contraintes. Dans ce contexte, quelle pression peuvent-elles encore exercer sur le politique ? La question fait débat.

D’un côté, la DGCD rationalise la coopération en « structurant » l’action des ONGD, et contrôle légitimement l’investissement qu’elle fait avec de l’argent public. De l’autre, beaucoup d’ONGD acculées par la concurrence entre elles et par un contexte de crise, cherchent à renforcer leur budget et à maintenir leur capacité d’action en sollicitant le cofinancement. Mais, ce faisant, elles se contraignent de proposer des projets ou programmes de coopération « subsidiables », c’est-à-dire conformes aux objectifs et volontés de la coopération internationale belge, c’est-à-dire du gouvernement. Des ONGD altermondialistes sont alors tentées de réduire la part de leur soutien en fonds propres à des mouvements et associations du Sud en résistance ou « citoyennement subversives », pour « aliéner » une plus grande part de leurs ressources financières au cofinancement de projets plus « politiquement corrects ». Par projet plus « politiquement corrects », il faut comprendre projets moins marqués idéologiquement et politiquement, moins portés sur l’aspect socioculturel, des projets plus fonctionnels et plus axés sur les dimensions de l’organisation économique. Cette mutation a également un impact sur les campagnes d’éducation et de sensibilisation de ces ONGD altermondialistes au Nord, ces campagnes devenant également plus « politiquement correctes » puisque justifiables auprès de la DGCD – pour la partie subsidiée.

Ceci dit, jusqu’il y a peu, en Belgique, les pressions politiques subies par les ONGD restaient à relativiser. Ainsi, elles conservaient une certaine liberté d’initiative quant à leur secteur d’intervention et à leur rôle critique vis-à-vis des pouvoirs publics. De nouvelles dispositions risquent toutefois d’entamer cette indépendance déjà fragile. Tout d’abord la volonté de concentrer géographiquement le champ d’intervention des ONGD belges, c’est-à-dire que la DGCD ne cofinancerait plus que les ONGD actives dans un nombre restreint de pays, ou régions, qu’elle aurait choisis. L’intention ensuite de la DGCD de ne plus cofinancer que des programmes d’ONGD assurant un budget moyen par pays, ou région, qui ne soit pas inférieur à 500.000 € pour les trois ans de programme[[Voir l’accord entre le Ministre de la Coopération au Développement et les Organisations non gouvernementales belges de Développement d’avril 2009 :

http://diplomatie.belgium.be/fr/binaries/Accord_Ministre_ONG_04-05-2009_tcm313-63462.pdf

]]. Les ONGD auraient négocié un plancher revu à 400.000 €.

Il est difficile de ne voir dans ces mesures qu’un dessein de rationalisation et d’efficacité du secteur. Beaucoup de petites ONGD et d’ONGD altermondialistes auront certainement de plus en plus de difficultés à se voir octroyer des cofinancements et auront sans doute

encore plus de difficulté à survivre. En agissant de la sorte, le gouvernement semble vouloir limiter l’influence des organisations qu’il jugerait trop subversives. Il semble aussi conforter la légitimité et la prépondérance des grosses organisations, comme si la taille était un gage de qualité.

Ainsi, qu’il s’agisse des actions qu’elles mènent dans le Sud ou de celles réalisées au sein de la société civile du Nord, les ONGD altermondialistes doivent rester vigilantes. La recherche de cohérence par les pouvoirs publics et celle de soutien financier pas les ONGD ne doivent pas se transformer en instrumentalisation des ONGD pour le gouvernement. Pour la société civile, comme pour la démocratie, il est important que les ONGD, qui plus est les ONGD altermondialistes, continuent à pouvoir et à oser s’exprimer sans complaisance vis-à-vis des politiques menées par les autorités de leur pays.

4. Quelles perspectives pour les ONGD altermondialistes ?

Notre attention s’est portée sur les limites du partenariat entre entreprises privées et pouvoirs publics et un certain type d’organisation non gouvernementales plutôt altermondialistes actives dans le Sud et également au sein de la société civile du Nord.

Comme l’affirment Thierry Pech et Marc-Olivier Padis[[Voir : PECH THIERRY & PADIS MARC-OLIVIER, « les multinationales du cœur », Le seuil, Paris, 2004.

Thierry Pech est directeur de la rédaction du mensuel français Alternatives économiques depuis octobre 2010.

Marc-Olivier Padis enseigne la littérature à l’université de Caen et est rédacteur à la revue française Esprit.

]], il faut rester critique à l’égard d’un mythe qui voudrait faire des O.N.G. un îlot de pureté ne touchant ni à l’économie capitaliste, ni aux institutions publiques, ni aux pouvoirs. Cependant, et sans tomber dans les grilles d’analyse trop faciles et manichéennes, les ONGD les plus actives dans la société civile devraient rester vigilantes face à l’opportunité de certains partenariats.

Aujourd’hui, de nombreux responsables d’organisations non-gouvernementales pensent ne pas avoir le choix. Les partenariats avec les entreprises commerciales et les pouvoirs publics apparaissent comme le moindre mal. Après tout, c’est la survie d’organisations – et d’emplois – qui est en jeu.

Pour d’autres, les partenariats, plus spécialement avec le privé, sont vus comme une manière d’assurer une logique de subversion économique, une façon de changer le marché de l’intérieur sans que les ONGD restent d’éternelles naïves idéalistes.

Finalement, la question est de savoir si les ONGD altermondialistes ont un avenir. Existent-elles toujours alors que certains voient l’altermondialisme lui-même affaibli, en train de s’essouffler. Pour les tenants de cette thèse, dans cette perspective, les ONGD, auraient intérêt à d’ores et déjà préparer leurs stratégies d’action au-delà de la période altermondialiste[[COOPMAN PIERRE & PATUELLI ANDRÉS, « O.N.G. de développement et altermondialistes : alliés naturels », in : « La Revue Nouvelle », n°4/avril, 2005,

www.revuenouvelle.be/rvn_abstract.php3?id_article=215

]] et ainsi pouvoir se montrer parfaitement apolitiques. Mais dans une société où la dépolitisation et la dévalorisation du « politique » gagne sans cesse du terrain, ce caractère apolitique des ONGD n’est-il pas un écueil pour le Sud comme pour le Nord ?

La dépolitisation des ONG humanitaires n’est-elle pas déjà l’exemple d’un échec ? Peut-on concevoir un projet de société « apolitique » ? Et pour une ONGD, choisir de ne pas faire de « politique » n’est-ce pas laisser plus d’espace à ceux qui en font contre les intérêts de ceux que la mondialisation laisse de côté ?

Quoi qu’il en soit, voir l’altermondialisme, et donc un des moteurs de la société civile contemporaine, en train de disparaître est un peu hasardeux. Ce n’est pas parce que les militants altermondialistes perdent le goût pour les grands rassemblements internationaux –peu fructueux mais bien médiatisés– que la mobilisation elle-même a disparu. Au contraire, sans doute est-elle en mutation et se recentre-elle sur des actions plus locales – tout en gardant son sens de l’échange et du réseau.

Enfin, pour préserver leur indépendance, rester encore quelque temps les porte-voix des revendications du Sud et des alternatives face aux politiques néolibérales, éviter de multiplier les positionnements trop consensuels et travailler au renversement des valeurs (projet éminemment politique) les ONGD altermondialistes devront prendre des décisions parfois difficiles. Elles devront sans doute se passer des partenariats les plus juteux, cibler davantage leurs objectifs, se contenter d’une taille raisonnable, voire opter pour une décroissance heureuse – du moins tant que le contexte ne sera pas plus favorable –, mettre l’accent sur le travail en réseau, revaloriser le volontariat et veiller à ne pas aliéner tous leurs fonds propres. Après tout, dans une société en manque de repères au Nord comme au Sud, peu importe le nombre et la taille des projets pourvu qu’ils soient porteur de sens.

L’enjeu est de taille, il est lié au futur même des ONGD altermondialistes en tant qu’actrices de changement, en tant que rempart contre la pensée unique, il est lié à l’avenir même d’une société civile capable de trouver des alternatives aux errements d’un système qui s’impose sans convaincre.

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