Etopia parle de prospérité sans croissance
Depuis le mois d’octobre 2010, Etopia, le « Centre d’animation et de recherche en écologie politique » associé à Ecolo, réalise une action de sensibilisation et de réflexion autour du travail de Tim Jackson sur la « prospérité sans croissance ».
Un travail salutaire, dans la mesure où Tim Jackson propose un certain nombre de réflexions et de données qui prouvent que les politiques de « développement durable » sont très insuffisantes et ne permettent pas de sortir de l’impasse dans laquelle nous plonge notre mode de développement basé sur le productivisme et la croissance infinie.
En remettant en cause l’idéologie de « la croissance », Tim Jackson réalise un travail utile. A vrai dire le travail de critique de la croissance est réalisé depuis longtemps, mais Tim Jackson l’a porté dans des cénacles officiels (la commission du développement durable du Gouvernement du Royaume-Uni), et a compilé des données récentes, ce qui a donné un écho particulier à ses travaux.
Le caractère très « officiel » de ce rapport explique sans doute aussi, pour une part au moins, que les pistes que propose l’auteur n’aillent pas au fond du problème et ne s’extraient pas complètement de l’idéologie de la croissance :
Qu’en est-il par exemple de la nécessaire décroissance de la production et de la consommation là où les seuils écologiques sont dépassés (c’est le cas en Belgique) ? Suffit-il de dire que « la décroissance est instable », comme l’affirme Tim Jackson ?
Quid des rapports de forces propres à la société capitaliste dans laquelle nous vivons ? Comment faire changer les entreprises les plus destructrices de l’environnement et les plus injustes socialement, qui sont aussi souvent les plus puissantes, qui orientent de très larges pans de l’économie et influent en profondeur sur le processus démocratique ?
Peut-on réellement sortir de la croissance économique tout en mettant l’entreprise au cœur du nouveau modèle économique proposé ?
La « prospérité sans croissance » est un questionnement utile du système intenable actuel. Les pistes proposées sont malheureusement insuffisantes et abordent peu les problèmes politiques qui empêchent la transition vers une société juste et soutenable.
Le travail réalisé par Etopia, centre de recherche du parti Ecolo, à propos de la « prospérité sans croissance » est néanmoins louable et appréciable. Ce faisant, une réflexion est menée qui pourrait contribuer à faire avancer ce parti et la société vers des solutions pour sortir de l’impasse de la croissance et du productivisme. Cependant, Etopia n’est pas tout Ecolo, et le travail de sensibilisation et d’éducation du Centre d’animation et de recherche en écologie politique n’est pas le travail politique du parti Ecolo.
Si Etopia organise des conférences et ateliers sur la prospérité sans croissance, Ecolo inscrit encore sa politique dans le système et l’idéologie de la croissance et du productivisme. Voici quelques exemples parmi d’autres :
Ecolo vote pour la croissance du PIB
Le traité de Lisbonne :
Le traité de Lisbonne remplace entre autres l’article 2 du traité sur l’Union Européenne en y insérant notamment le passage suivant : (…) 3. L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. (…)
Ecolo a voté pour, et ce faisant a appuyé de facto une organisation de l’Europe basée sur la croissance, le « développement durable » et la compétitivité. Ce traité constitue le socle politique européen actuel, il a une influence directe et majeure sur les états membres, dont bien sûr la Belgique. Il est fondamentalement orienté vers la croissance économique et la compétitivité.
Déclaration de politique régionale Wallonne 2009-2014
Intitulée « Une énergie partagée pour une société durable, humaine et solidaire », cette Déclaration constitue l’accord et la ligne politique du Gouvernement Wallon actuel auquel Ecolo participe, avec le PS et le cdH qui sont ouvertement en faveur de la croissance économique.
On lit notamment dans cette déclaration : « Les partenaires veulent porter un projet permettant la croissance soutenable, équitable et humaine de notre Région. » (p.18) … « Le « capital humain » constitue la finalité de tout projet politique. Il s’impose aussi comme le facteur essentiel de l’épanouissement de la personne et d’une croissance soutenable et équilibrée de l’économie moderne. » (p.19)
Le « plan Marshall 2.vert » prévoit, quant à lui dans sa première mesure, l’objectif de « Soutenir la croissance des entreprises », sans distinction entre les différentes activités.
La croissance et le productivisme sont donc au cœur de la politique gouvernementale d’Ecolo à la Région Wallonne. Que la « croissance » soit affublée d’adjectifs rassurants comme « soutenable », « équitable » ou autre ne fait pas de différence sur l’orientation générale du modèle, ce qu’indiquent d’ailleurs clairement les travaux de Tim Jackson.
Déclaration de politique régionale Bruxelloise 2009-2014
La déclaration de politique régionale Bruxelloise est quant à elle intitulée « Un développement régional durable au service des Bruxellois ». Elle lie les partis présents au gouvernement auquel participe Ecolo-Groen avec le PS, le cdH, le CD&V, et l’Open VLD, quatre partis ouvertement en faveur de la croissance économique.
On lit notamment dans cette déclaration que « Le Gouvernement réunira sans délais les partenaires sociaux afin d’élaborer un Pacte de Croissance Urbaine Durable », p. 8.
Comme au gouvernement wallon, Ecolo, ainsi que son partenaire de groupe à la chambre Groen, se profile pour la « croissance ».
Un manque de clarté du programme d’Ecolo à propos de la croissance et du productivisme
Ecolo est un parti « traditionnel » selon le mot d’Olivier Deleuze dans La Libre Belgique du 25 septembre 2010. Là où effectivement Ecolo participe au gouvernement, c’est à dire à la Région Wallonne et à la Région Bruxelloise, il a conclu des accords avec des partis qui sont ouvertement en faveur de la croissance économique et qui défendent des politiques basées sur l’augmentation perpétuelle de la production.
De manière générale, on observe un manque de clarté dans l’orientation politique d’Ecolo sur les questions cruciales abordées par Etopia, à la suite de Tim Jackson. Ainsi, les violentes secousses financières de 2007 et 2008 et leurs conséquences économiques, sociales et environnementales majeures n’ont pas donné lieu à un changement programmatique d’Ecolo.
Alors que la faillite du système « croissantiste » et productiviste est chaque jour plus visible, Ecolo maintient la ligne qui est la sienne, celle du « développement durable » basé sur la croissance du PIB.
La divergence entre le discours d’Etopia d’une part et les actes d’Ecolo d’autre part pose donc question.
Être ou paraître ? Les actes ont la parole
Etopia « met le paquet » sur la prospérité sans croissance, c’est une bonne nouvelle. Ecolo se définit pour sa part comme un parti traditionnel et vote pour la croissance.
Le parti Ecolo va-t-il réaliser un virage politique et se (ré)orienter vers une écologie politique qui rompt avec le productivisme et la croissance ?
Ou bien le travail réalisé par Etopia a-t-il pour fonction d’occuper les esprits des militants qui comprennent de plus en plus que le « développement durable » est un piège, sans pour autant prendre le risque de changer de politique ? Est-ce que parler de « prospérité sans croissance » est une manière d’éluder la nécessaire décroissance de la production et de la consommation en Belgique, au moment où l’objection de croissance prend pied partout en Europe et notamment en Communauté française ?
Une seule façon de le savoir : scruter les choix politiques que réaliseront les mandataires Ecolo dans les semaines, mois et années à venir.
Pour combler le fossé entre les espoirs de « prospérité sans croissance » et le développement durable de la croissance, il faudrait par exemple qu’Ecolo déclare publiquement et ouvertement qu’il change de cap et prend la voie de l’antiproductivisme, dénonce le dogme et le système de la croissance économique, ne vote plus de lois et règlements favorables au productivisme aveugle, propose des voies de transition pour sortir de l’ornière productiviste et croissantiste.
Sans ce genre de signal clair, chacun pourrait alors tirer une conclusion évidente : le travail autour de « la prospérité sans croissance » serait une opération de communication destinée à embrouiller les esprits et « occuper le terrain », plus qu’un changement de cap pourtant désiré par un nombre croissant d’écologistes.
A nouveau aurait alors gagné la logique électoraliste au détriment de l’écologie politique : logique qui consiste à paraître plutôt qu’à être, à capter l’attention plutôt qu’à créer des solutions, à accompagner la fuite en avant plutôt qu’à changer de cap, à se maintenir au pouvoir plutôt qu’à remplir son devoir.
Puisse l’action de tous les mandataires Ecolo démentir cette hypothèse et contribuer ainsi à réduire le fossé béant entre le peuple et ses élus censés les représenter.
Nous souhaitons recevoir de la part d’Etopia et d’Ecolo une réponse à nos interrogations, réponse qui pourrait éventuellement nous permettre de nous réjouir d’un réel soutien dans la diffusion des idées et la mise en œuvre de la nécessaire sortie du productivisme et de la croissance économique.
Bruxelles, le 25 février 2011