Les enfants sont les premières victimes de la diffusion dans l’environnement de nombreux produits toxiques utilisés par les processus industriels et se retrouvant dans les produits les plus banals de nos foyers et de nos lieux de vie. Les 12 et 13 avril 2011, des scientifiques venus de nombreux pays ont fait le point sur l’état des recherches épidémiologiques et toxicologiques sur les relations entre certaines substances polluantes et la santé des enfants. Le colloque était organisé par l’ARTAC (association pour la recherche thérapeutique contre le cancer) et d’autres partenaires.
1. Les effets à long terme des perturbateurs endocriniens
Les premiers exposés portaient sur les « perturbateurs endocriniens ». Il s’agit de substances qui ressemblent aux hormones naturelles et se retrouvent dans les pesticides (organochlorés), dans des objets courants en plastique comme le Bisphénol , et dans les émissions des véhicules (comme les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques – PAH) etc. De plus en plus, les études démontrent que même si les doses auxquelles nous sommes exposés sont très faibles, elles s’accumulent dans nos graisses et peuvent affecter notre santé ou, pire, la santé de nos enfants à travers le sang de la mère pendant la grossesse.
Ainsi, le principe de Paracelse selon lequel « la dose fait le poison » est mis en cause par le fait que « le moment de l’exposition fait aussi le poison ». Par exemple, si le cerveau d’un enfant dans le sein de sa mère est exposé à des toxiques au moment de sa conception, il peut y avoir des effets même à très faible dose et ces effets se feront sentir à plus ou moins long terme.
Un phénomène qui inquiète les scientifiques est l’augmentation du cancer des testicules chez la génération des 25-40 ans. Il augmente de 2% par an, et est aussi lié à la baisse de fécondité observée assez généralement dans les pays développés. Il s’agirait d’un cancer « oestrogénodépendant » lié à la pollution du sang des mères par les perturbateurs endocriniens. Le professeur Nils Skakkebaek, spécialiste de la reproduction au Danemark, établit un lien entre une exposition à des polluants chimiques dans l’utérus et une mauvaise différenciation des cellules germinales chez l’enfant. Ceci serait à la base de la réduction de la qualité du sperme ou de la stérilité, et de cancers. Le professeur Charles Sultan, responsable de l’Unité d’Endocrinologie pédiatrique de Montpellier nous a exposé ses travaux scientifiques qui démontrent le lien entre l’exposition chimique et la puberté précoce observée de plus en plus, dès 8 ans chez les petites filles, phénomène qui pose des problèmes médicaux et psychologiques.
Les perturbateurs endocriniens peuvent aussi être un facteur de troubles métaboliques comme l’obésité et le diabète 2, du fait qu’ils se logent dans les graisses.
L’exposition de la génération des années 1950 à 1976 aurait donc des effets sur la génération des jeunes d’aujourd’hui, et cela continue !
Car nous sommes encore exposés quotidiennement à des perturbateurs endocriniens puisque le bisphénol A est toujours présent dans une série d’emballages alimentaires. Il est enfin banni des biberons européens depuis le printemps 2011 , mais pas encore des autres emballages alimentaires, toujours sur la base de ce raisonnement désormais caduc selon lequel la dose est trop faible pour présenter des risques.
2. Les effets des champs électro-magnétiques
Les effets des champs électro-magnétiques ont été ensuite abordés. Dans ce domaine, il est frappant de constater le fulgurant développement de l’exposition aux rayonnements non ionisants à basse fréquence (radios) et hyperfréquence (GSM, DECT, Wifi, …) sans qu’aucun des avertissements au sujet des conséquences sur la santé ne soit pris sérieusement en compte. Les intervenants ont surtout parlé des dangers pour le cerveau de l’enfant que peut comporter l’utilisation du GSM ou du téléphone sans fil DECT. Ils déconseillent formellement que les enfants utilisent un téléphone portable avant que le cerveau ne soit complètement développé, après 15 ans donc ! Ils associent l’usage du téléphone sans fil à un risque de leucémie, de tumeur au cerveau et même de rupture de l’ADN. Tous préconisent l’application du principe de précaution, des normes plus sévères qu’aujourd’hui et dénoncent la logique de la Commission européenne et de l’OMS qui ne veulent pas agir « sans preuves formelles ».
3. Les métaux lourds et le « braindrain »
Un exposé particulièrement frappant a porté sur les effets des métaux lourds sur la formation du cerveau de l’enfant pendant la grossesse. Les enfants exposés à de faibles doses de mercure ou d’autres neurotoxiques, présents dans le sang maternel, peuvent souffrir de désordres de fonctionnement du cerveau, de retard intellectuel, etc. D’après le Dr Philippe Grandjean, professeur de médecine environnementale au Danemark et à Harvard, c’est un « braindrain » silencieux pour nos sociétés.
4. L’évaluation des risques
Le débat a longuement porté sur la question des méthodes utilisées par les autorités sanitaires pour évaluer les risques des substances chimiques ou des rayonnements ou aussi d’autres innovations comme les OGM ou les nanotechnologies.
Le professeur William Dab, ancien directeur général de la Santé français et médecin épidémiologiste, reconnaît qu’il est vain de chercher des relations univoques entre une substance et une pathologie ou un effet sur la santé. Par contre, il critique très durement l’insuffisance de la vigilance sur les niveaux globaux auxquels nous sommes exposés, le manque de transparence des institutions et l’inefficacité des systèmes d’alerte. Il tire ces conclusions de l’affaire du Mediator comme de l’affaire du chlordécone (pesticide utilisé en Guadeloupe et ayant des effets sur les travailleurs des plantations).
D’autres experts ont dénoncé le fait que les autorités n’agissaient que si on leur fournissait la preuve d’un tort causé à la santé, alors que l’absence de certitude ne voulait pas dire qu’il n’y en a pas. Autre critique entendue : les normes sont faites pour l’adulte en bonne santé et non pour les personnes les plus faibles, dont les enfants.
Nous sommes donc dans une situation de sous-estimation généralisée des risques, où ni les faibles doses, ni le moment de l’exposition, ni les effets cumulés ne sont pris en compte.
Un dernier exemple de cette « insouciance » a été donné par le professeur G. Seralini, biologiste moléculaire (Université de Caen), qui estime que les tests faits sur les OGMs en matière de santé sont insuffisants car réalisés sur de petits nombres, sur peu de temps et selon des critères établis par les producteurs eux-mêmes. D’après lui, 19 études (expérimentations animales) sur les risques des OGMs en matière de santé démontrent des effets significatifs sur la santé, surtout sur les reins.
Bon, mais c’est terriblement alarmant tout cela ! Excessif ?
Je n’avais vraiment pas l’impression d’avoir affaire à des charlatans ! Les professeurs et docteurs qui sont intervenus avaient tous une grande expérience et de nombreux titres et publications à leur actif.
Certes, ils sont des « lanceurs d’alerte » et, de ce fait, ils sont parfois marginalisés. Beaucoup sont aujourd’hui, vu leur âge, hors de danger dans leur carrière scientifique et donc sont très indépendants par rapport aux grandes institutions de santé et d’environnement.
Ainsi David Gee, conseiller scientifique principal à l’Agence européenne de l’Environnement, qui travaille depuis plus de 30 ans sur l’interface politico-scientifique de l’évaluation et de la réduction des risques, a fait part de son analyse de ce qu’il appelle les « biais de la science ».
Il en discerne trois :
la méthodologie d’évaluation qui est insuffisante (pas d’analyse des effets cumulés ni de long terme, recherche de preuves directes impossibles à trouver, etc.) ;
les sources d’information sont biaisées par le fait qu’elles proviennent essentiellement des producteurs ou des opérateurs du marché ;
et enfin, un biais intellectuel, fait de dogmes intériorisés selon lesquels « innovation = progrès » et du raisonnement selon lequel sans preuves il n’y a pas de risque.
La force des lobbies et l’attractivité ou la facilité qu’offrent les biens de consommation font le reste !
5. Des propositions, des solutions ?
Comme Gramsci : avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté.
A côté de ces personnalités scientifiques engagées, le colloque rassemblait de nombreuses associations de la société civile engagées pour mettre au grand jour ces questions de santé environnementale et inciter les politiques à agir. Associations de médecins, de patients, de mères, ou de simples citoyens, elles revendiquent des mesures réglementaires et de sensibilisation.
Sur le mode décisionnel :
André Cicolella du Réseau Environnement Santé (France) résume les changements attendus de la façon suivante :
Il faut passer d’un ancien modèle de décision où :
– le progrès est évident ;
– les scientifiques se considèrent objectifs et décident dans une tour d’ivoire ;
– le politique n’agit que s’il y a certitude.
Il faut passer à un nouveau modèle où :
– la santé est le 4e pilier du développement durable ;
– les scientifiques jouent la transparence et acceptent la contre-expertise ;
– les citoyens participent au processus de décision ;
– les politiques admettent l’incertitude et appliquent le principe de précaution.
L’indépendance des experts doit être mieux garantie par le renforcement des recherches épidémiologiques publiques et par l’usage de la contre-expertise, en intégrant entre autres les ONGs dans les organes d’avis.
Sur l’évaluation des risques : elle doit être pratiquée sur de grands groupes, durant des temps plus longs, et en intégrant les effets cumulés de plusieurs types d’exposition.
Mais le temps long de ces études ne peut justifier la non-décision et les études actuelles sur les animaux doivent être prises en compte.
Sur les normes de produits : De façon générale, il faut diminuer l’exposition de la population aux polluants, qu’ils soient atmosphériques ou présents dans l’alimentation ou le cadre de vie.
Bien sûr des normes plus strictes ou des interdictions sont urgentes pour de nombreux polluants : les perturbateurs endocriniens qui devraient faire l’objet d’une « annexe » particulière aux législations européennes, les métaux lourds (entre autres dans les alliages dentaires), etc.
L’information des consommateurs et la sensibilisation intense de certains publics (femmes enceintes) aux risques que nous faisons courir aux générations futures s’imposent bien sûr !
La formation des professionnels de la santé doit être organisée dans les études et de façon permanente, par des sources indépendantes.
6. Et quelques conseils pratico-pratiques !
Il est impossible de se protéger de tout. Nous sommes des êtres sociaux et la qualité de vie ne réside ni dans le repli, ni sur les îles désertes.
Cependant, nous pouvons garder la maîtrise d’un certain nombre de choix dans notre consommation et nos modes de vie :
éviter l’exposition à ces fameux perturbateurs endocriniens : éviter tout usage des pesticides dans la maison et les jardins, éviter de chauffer des aliments dans des récipients en plastique dur (qui contiennent du bisphénol A), manger Bio, et au maximum des aliments frais (éviter les transformations industrielles des aliments) ;
tapisser nos maisons de revêtements écologiques (peintures, colles, panneaux …) ;
éviter pour nos enfants l’usage du GSM, et pour nous l’utiliser avec modération loin de l’oreille ;
se renseigner dans les soins dentaires sur le type d’alliage (éviter les métaux lourds mais aussi le bisphénol, encore lui !) ;
et aller visiter le site http://www.ecoconso.be
le site de HEAL : http://www.env-health.org/
le site de WECF (women for environment and common future)et le projet Nesting ( pour les femmes enceintes et nouvelles mamans) : http://www.wecf.eu/english/campaigns/2008/nesting.php ou http://www.projetnesting.fr/