La synthèse proposée par Tim Jackson dans « Prospérité sans croissance » a le mérite d’être fondamentalement ouverte. Les pistes qu’il propose constituent autant d’horizons… Il s’agit désormais de penser collectivement, avec l’ensemble des acteurs économiques, sociaux et intellectuels, les étapes permettant d’y mener, de dessiner le chemin vers une destination précisée. Et de mettre les mains dans le cambouis des politiques publiques afin de penser une transition qui soit à la fois juste, efficace et stable.

En amont même de ce travail, qui constituera sans aucun doute l’un des principaux chantiers qui s’offre à la pensée écologiste au cours des prochaines années, il s’agit évidemment d’étayer les fondements des constats établis par Tim Jackson, et d’en affiner la problématisation. Ce double travail constitue l’objet du présent dossier – qui sera d’ailleurs poursuivi dans la prochaine livraison de la Revue Etopia.

La diversité et la qualité des contributions au présent dossier témoignent de l’intérêt partagé à l’égard de ce chantier, ainsi que de la richesse de pensées et de débats qu’il peut produire. Je sais gré à l’ensemble de nos interlocuteurs, qui ne partagent pas nécessairement les valeurs et prémisses de la pensée écologiste, de s’être prêtés au jeu avec autant d’intelligence et de respect pour la règle fondamentale de l’éthique de la discussion que constitue le principe de charité. Pour serrées qu’elles soient les analyses proposées de « Prospérité sans croissance » constituent autant de pierres à un débat qui ne fait que commencer. Gageons que Tim Jackson y verra matière à amender, compléter, voire modifier les blocs de sa construction intellectuelle.

Il est vrai que l’argumentation et les chiffres délivrés par Jackson ne sont pas de ceux qui se laissent facilement balayer d’un revers de la main. C’est le cas en particulier lorsqu’il s’affronte à la question des limites du découplage – cette « pierre philosophale » des temps modernes, dont l’existence supposée a pu constituer aux yeux beaucoup une sortie indolore et facile du dilemme de la croissance.

Si Jackson montre de façon extrêmement convaincante que ce dilemme en constitue bel et bien un, s’il en établit avec justesse et pédagogie les coordonnées, s’il en thématise utilement les dimensions, il offre cependant peu de pistes de solutions susceptibles d’être mises en œuvre à court terme et de rassembler un consensus politique suffisamment large. En effet, au-delà du Green New Deal, que les écologistes se sont attachés à défendre depuis plusieurs années et à illustrer depuis leur entrée dans les gouvernements wallon et bruxellois en 2009, les propositions de Jackson balisent un chemin encore totalement inconnu pour les politiques publiques et les activités économiques.

Pour convaincantes qu’elles soient, ces propositions heurtent de front les inerties, les verrouillages institutionnels et les bases mêmes (via leur mode de financement) de nos systèmes sociaux et économiques, y compris ceux auxquels les écologistes sont les plus attachés – au premier rang desquels, la sécurité sociale.

Ce sont donc de toutes les énergies et les intelligences que la société aura besoin pour parvenir à résoudre au profit de tous, et principalement des plus défavorisés, l’ensemble de ces micro-dilemmes : l’heure n’est plus aux prophètes – je fais le pari que ce travail d’élaboration d’une vision d’avenir claire, stimulante, mobilisatrice et juste a été, si pas épuisé, très largement entamé par Tim Jackson –, elle est aux hommes et femmes de bonne volonté prêts à mettre leurs compétences et leur créativité au service de la transition et de la sortie par le haut de l’ensemble des dilemmes si bien mis en évidence dans « Prospérité sans croissance ».

Enfin, il apparaît clairement que l’établissement d’une « prospérité partagée à l’intérieur des limites écologiques de notre planète » ne saura faire l’impasse sur les questions de répartition – et donc de conflictualité – dont cette prospérité est porteuse. Nombreuses sont les contributions de ce dossier qui le rappellent. Faisons confiance à la capacité maintes fois démontrée des écologistes de transformer les conflits stériles en tensions productives et de renouveler, en les approfondissements, les termes du débat sur l’égalité, pour affronter ces débats de manière lucide plutôt que de les évacuer ou les renvoyer à un long terme où, la chose est bien connue, « nous serons tous morts ».

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