Le conseil communal ucclois du 24 octobre 2002 a adopté une motion
relative aux Organismes Génétiquement Modifiés,
déposée par la conseillère communale Ecolo Fathya Alami.
J’ai personnellement quelque doute quant à l’utilité des motions votées par les assemblées communales lorsqu’elles concernent des questions qui dépassent largement le cadre de leur territoire. Je me suis néanmoins associée à la rédaction de cette motion, par principe ; et aussi dans l’objectif d’une sensibilisation des conseillers à un problème d’avenir grave encore peu connu à l’époque.
Le génie génétique : une science relativement neuve en débat
De la découverte révolutionnaire de l’ADN dans les années 50 avec l’identification devenue possible du matériel génétique d’une espèce vivante, on est passé à des expériences d’insertion de gênes d’une espèce dans le patrimoine d’une autre en laboratoire ; puis à des essais, sur le terrain, de cultures de variétés agricoles artificiellement améliorées, dotées de propriétés nouvelles (par exemple résister à un herbicide ou fabriquer un insecticide).
Il s’agit d’expériences de biotechnologie fondamentalement différentes des pratiques traditionnelles d’amélioration des espèces par un processus de sélection et de croisements naturels ; et qui, depuis les années 1990, suscitent des débats animés, dans les milieux scientifiques comme dans toutes les enceintes parlementaires, du local à l’européen.
Parmi les raisons qui ont rendu ces débats souvent passionnels à l’aube du 21ème siècle, il y a beaucoup d’incertitudes et donc d’inquiétude en ce qui concerne les conséquences pour l’environnement et la santé d’une généralisation des cultures d’OGM.
Les opposants environnementalistes parlent d’un « gigantesque bricolage biotechnologique dont on ne mesure pas les conséquences » avec le risque d’une contamination génétique de l’environnement et se référent au principe de précaution.
Les défenseurs soulignent l’intérêt d’une augmentation substantielle de la production agricole, notamment au bénéfice des populations du Tiers Monde, avec la possibilité d’un usage moindre d’insecticides. Et ils stigmatisent les opposants accusés d’être contre le progrès scientifique !
Mais il est évident qu’il ne faut pas négliger l’impact des très gros enjeux économiques !
Un débat biaisé par de puissants intérêts financiers
Le marché des OGM concerne principalement de nos jours les cultures intensives de soja, de maïs, de coton et de colza destinées à l’alimentation animale et/ou l’exportation telles qu’elles sont pratiquées aux USA, en Argentine et au Canada.
Chaque nouvelle variété créée par l’industrie agro-alimentaire est brevetée, ce qui lui confère un monopole d’exploitation de 20 ans après l’autorisation de sa mise sur le marché. Un outil économique très efficace pour gagner de l’argent !
La possibilité de bénéfices s’accroît du fait que le brevetage oblige les agriculteurs à racheter des semences chaque année (certaines variétés contiennent même un inhibiteur qui rend la plante stérile !) ; et aussi par la vente conjointe d’herbicides auxquels la variété est capable de résister. Les agriculteurs des pays « du sud » deviennent donc totalement dépendants des multinationales productrices.
Il faut savoir que 90% des OGM cultivés dans le monde appartiennent à l’entreprise multinationale américaine Monsanto.
Cette société, crée en 1901, était à l’origine une entreprise chimique. Elle est tristement devenue célèbre par la production des PCB (ces polluants organiques particulièrement toxiques qui résistent aux dégradations naturelles en s’accumulant dans les tissus vivants tout au long de la chaîne alimentaire) puis celle de puissants herbicides utilisés à des fins militaires (comme défoliants) puis agricoles et qui ont été responsables d’une pollution très toxique par la dioxine. C’est elle qui a mis au point, dans les années 60, le fameux Roundup, « l’herbicide total » le plus vendu au monde aujourd’hui, dont le succès spectaculaire s’explique en partie par une campagne publicitaire mensongère vantant son innocuité environnementale (pour laquelle la firme a été condamnée).
La multinationale chimique s’est aujourd’hui reconvertie par le rachat de firmes productrices de semences dans le monde entier. Elle est devenue en 10 ans le premier semencier mondial. Et elle a donné la priorité à la fabrication d’OGM capables de résister au Roundup, dans l’objectif évident de préserver deux marchés particulièrement rémunérateurs !
On comprendra donc aisément que face à la puissance du lobbying exercé par Monsanto (sur les gouvernements comme sur un grand nombre d’institutions américaines et internationales) et dans le contexte d’une inquiétude qui se généralise il ne soit pas facile d’échapper à la désinformation pour faire un constat objectif de l’impact de la révolution des OGM.
Je m’y suis cependant essayée, non sans mal !
Il s’agit d’une technologie de pointe, difficilement accessible pour le non spécialiste en génétique. De plus c’est aussi un domaine à propos duquel (comme pour la téléphonie mobile aujourd’hui ou le tabac jadis) la « neutralité » de la science est mise en cause parce que certains scientifiques cèdent à des pressions économiques. Mais par ailleurs, il faut reconnaître qu’une certaine forme de militantisme contestataire pèche par un manque de nuance et de rigueur scientifique !
Essai d’actualisation des données scientifiques sur l’impact environnemental des OGM
Les mécanismes biologiques à risque me semblent être les suivants :
- La modification involontaire d’autres propriétés de la plante elle-même
Le gène étranger s’insère au hasard dans l’ADN avec des effets pouvant se répercuter à grande distance dans la structure de la molécule. - La pollution génétique irréversible de l’environnement
En milieu de culture ouvert, les gènes modifiés peuvent se transmettre facilement à d’autres espèces par le pollen ou par les déchets incorporés au sol. Des contaminations ont été observées à grande distance. L’agriculture biologique ne peut plus être garantie si elle coexiste avec des cultures d’OGM. - Le danger d’une augmentation de la résistance des bactéries pathogènes aux antibiotiques
Les transgènes sont parfois associés à des antibiotiques utilisés couramment en médecine (afin de pouvoir identifier les molécules modifiées). - Une réduction de la biodiversité
Une généralisation de la culture de ces variétés dominantes éliminera un grand nombre d’espèces dont la diversité est une richesse et une assurance pour l’avenir (en cas de changement climatique ou d’épidémies) - L’aggravation de la pollution chimique par les pesticides liés à la culture des OGM
Il s’agit de l’insecticide que la plante manipulée sécrète ou de l’herbicide auquel elle résiste.
Cette pollution induit un risque de contamination de notre alimentation, directement ou via l’alimentation du bétail. Des chercheurs indépendants dénoncent l’opacité des études toxicologiques et estiment qu’il serait justifié de tester les aliments à base d’OGM, pendant beaucoup plus longtemps et sur trois espèces de mammifères, avant d’autoriser leur mise sur le marché.
Or la plupart des cultures agricoles expérimentales ont pour but l’étude des propriétés agronomiques des OGM, non celle de leur impact sur l’environnement et la santé (qui demeure encore aujourd’hui incertain même si la compréhension des mécanismes a progressé).
La recherche s’intéresse aussi beaucoup aux OGM médicaux. La culture de plantes manipulées pour produire des principes actifs thérapeutiques est certes utile ; mais elle présente les mêmes risques.
Il devrait être possible, dit Nicolas Hulot, « de n’y avoir recours qu’après avoir épuisé
toutes les possibilités de manipulation en milieu confiné »
Les politiques européenne et belge à l’égard des OGM
Ces politiques sont marquées par beaucoup d’hésitation et de fluctuations, sous la pression des milieux économiques bien sûr mais aussi de celle des consommateurs.
Il n’est pas sans intérêt de récapituler les principales étapes au niveau européen.
La commercialisation des OGM était autorisée en Europe dans les années 90.
Cette position ouverte à la nouveauté s’est opposée à une forte réticence des consommateurs européens, inquiets des conséquences pour leur santé de la présence d’OGM dans leur alimentation. Les démarches de la société civile européenne (poussée au dos par des associations tiers-mondistes) se sont multipliées auprès de l’Union européenne et des pouvoirs régionaux et locaux ; c’est dans ce contexte que s’inscrit l’action de désobéissance civile d’un José Bové arrachant des champs d’OGM en France.
Ce mouvement de contestation a abouti à l’obtention d’un moratoire européen instauré en 1998 sur l’autorisation de nouveaux produits génétiquement modifiés (tant que leur traçabilité ne sera pas identifiable). L’objectif étant la possibilité d’un libre choix pour le consommateur.
A la réunion des Nations Unies de Montréal, en 2000, l’Europe s’est battue contre les Etats-Unis pour obtenir l’adoption d’un « Protocole sur la biosécurité » réglementant le commerce des céréales génétiquement modifiées. Un accord qui se réfère explicitement au principe de précaution comme un outil de décision politique (l’importation d’un produit peut être refusée en l’absence de certitude scientifique).
Le moratoire européen a été levé en 2004, suite à une plainte déposée par 4 pays dont les Etats-Unis devant l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce qui vise à la libéralisation de tous les échanges).
Il a été remplacé par une nouvelle directive européenne qui permet l’autorisation de cultures d’OGM (pour une durée de 10 ans), tout en renforçant le contrôle par les autorités (critères plus exigeants, possibilité de retirer l’autorisation) et la transparence à l’égard des citoyens (étiquetage imposé à tous les stades de la mise sur le marché, registre public de la localisation des cultures). En matière de traçabilité des OGM, la législation européenne est devenue la plus sévère au monde.
Dans le cadre de cette directive et sous la pression américaine, la Commission européenne a tenté, en vain, de faciliter l’introduction de nouveaux OGM dans les pays européens. Les réticences des Etats ont persisté ; ils exigent de pouvoir bénéficier de clauses de sauvegarde (une procédure prévue par la directive quand un Etat estime que de nouveaux éléments scientifiques permettent de considérer que l’OGM concerné constitue « un risque pour la santé humaine ou pour l’environnement »). Les collectivités locales se sont mobilisées toujours plus nombreuses à se déclarer « territoire sans OGM » (100 régions d’Europe en 2006 et plus de 3500 entités sous-régionales !). Le Maroc et le Japon ont fait de même. Les produits génétiquement modifiés ne percent pas sur le marché mondial.
Des autorisations ont cependant été données, au compte goutte, avec l’aval de l’Agence Européenne pour la Sécurité Alimentaire (AESA). La culture d’un maïs transgénique (le MON 810 de Monsanto, génétiquement modifié pour résister aux chenilles d’un papillon) est devenue possible en Europe ; mais ce feu vert doit être renouvelé en 2009 et de nombreux Etats européens se montrent rebelles (invoquant une clause de sauvegarde). Quant au colza modifié par Monsanto, l’importation est autorisée mais pas sa culture.
Par ailleurs, la législation européenne impose aujourd’hui que l’étiquette des produits alimentaires mentionne la présence d’OGM dès qu’elle excède 0,9%.
Et en Belgique ? Pendant longtemps cette question n’est pas apparue prioritaire dans l’esprit de nos gouvernements. Et aujourd’hui notre pays se montre profondément divisé sur la question.
La majorité « violette » (libérale-socialiste) s’était positionnée en faveur de la transposition de la directive européenne en droit belge. Mais les préaccords du gouvernement en formation de « l’Orange bleue » ne prévoyaient pas de politique en matière d’OGM (alors que les autorisations se multipliaient sur le territoire européen).
Le Gouvernement fédéral actuel (libéral-socialiste) plaide pour le renouvellement de l’autorisation de la culture du maïs MON 810, avec le soutien de la Flandre. Les Gouvernements wallon et bruxellois soutiennent les réticences de la France face à des risques environnementaux sérieux mis en évidence par de nouvelles études.
Trois réflexions en guise de conclusion
- La question des OGM est un enjeu éthique qui nous concerne tous car il s’agit de la modification et de la privatisation du vivant (avec des dégâts potentiels à long terme qui peuvent être considérables).
Les assureurs considèrent d’ailleurs ce type de risque inassurable et les producteurs de semences reportent la faute de la contamination sur les agriculteurs ! - On ne peut que s’étonner de l’absence d’une réglementation réellement efficace sur les OGM aux Etats-Unis alors que de très nombreuses études scientifiques appellent à la prudence.
Les contributions financières de Monsanto aux campagnes électorales des deux grands partis et sa stratégie de l’infiltration des institutions de contrôle n’y sont certainement pas étrangères ! De même que le fait qu’une grande part des actionnaires de la multinationale soient de petits porteurs. - L’exemple de la mobilisation européenne contre les OGM témoigne du pouvoir des consommateurs.
« Lorsqu’elle se mobilise globalement, la société civile est incontournable ».
écrit le biologiste Jean-Marie Pelt.
L’attitude politique responsable ne peut être celle de fermer les yeux ;
l’application du principe de précaution exige de l’action !