Cette note de lecture est divisée en deux parties. La première est un résumé synthétique du livre. La critique du livre constitue la seconde partie.

1. Résumé synthétique

Dans son livre « Sauvons les OGM », Jean-Claude Jaillette ambitionne de traiter la question des OGM de manière raisonnée et objective. Son constat est une forme d’omerta et de rejet total de tout ce qui concerne les OGM en Europe contrairement à ce qui se passe dans le reste du monde. Il se demande pourquoi existe une telle différence entre l’Europe et le reste du monde. Il se propose dès lors de mener l’enquête.

21.1 Première partie2

Dans la première partie, l’auteur liste les raisons d’être favorable aux OGM. On peut distinguer trois types d’arguments:

  • les promesses des OGM : augmenter la production et la qualité des plantes tout en diminuant l’usage de pesticides. Ceci permettant de contribuer à la lutte contre la pauvreté des producteurs et le problème de la faim dans le monde. Tout ceci permettant in fine de ne pas devoir choisir entre produire et se reproduire.
  • les OGM ne sont pas si particuliers et/ou si dangereux : on retrouve dans cette classe d’argument, l’idée classique que les OGM ne sont que la suite logique de sélections de semences déjà présente dans des civilisations précolombiennes et que la sélection graduelle a déjà été dépassée par la transgénèse. Sur le danger potentiel des OGM, l’auteur estime exagérées les exigences des anti-OGM. Il se demande pourquoi ne pas exiger les tests requis pour les OGM par ses opposants aux plantes anciennes. Il estime qu’aujourd’hui les tests concernant les OGM sont tous rassurants et devraient nous donner confiance dans le fait qu’accepter les OGM est une prise de risque limitée.
  • l’Europe risque de rater le train des OGM : cette catégorie d’argument est dépendante des deux premières. Vu que les OGM sont plein de promesses et pas porteurs de tellement de craintes, le refus des OGM en Europe et particulièrement en France a comme conséquence que l’Europe va rater le train des OGM par rapport aux autres pays. De manière plus précise, l’auteur ne voit pas Monsanto comme un saint même s’il estime les reproches exagérés mais il se demande si la constitution d’un champion européen ou le soutien de la recherche par les pouvoirs publics ne seraient pas plus efficace que le refus des OGM pour limiter le pouvoir de Monsanto.

21.2 Deuxième partie2

Dans la deuxième partie, l’auteur dénonce

  • un pacte lors du Grenelle de l’environnement où des avancées sur les (limitations des) OGM auraient été échangées contre un tabou fort sur le nucléaire.
  • le fait que dès qu’un scientifique est favorable aux OGM, il est à la limite (parfois dépassée) injurié et considéré comme étant forcément un nervi des lobbies.
  • le développement d’une pensée unique anti-OGM qui se nourrit notamment d’un relais partiel des informations concernant les OGM. L’exemple utilisé est celui du maïs Bt. Un article dans Nature mettait en évidence un éventuel risque pour les larves du papillon monarque. Cette information fut largement relayée dans les médias ce qui ne fut pas le cas des conclusions de la controverse scientifique qui découla de cet article. Les débats scientifiques suscités par cette publication concernaient la reproductibilité en plein champs des conditions et donc des résultats utilisés par l’expérience. La conclusion (parue dans Proceedings of National Academy of Sciences) de cette controverse était finalement des plus rassurantes : le papillon monarque aurait peu à craindre du maïs transgénique[[D’après le titre d’un article paru dans Le Monde du 15 septembre 2001.

]]. D’ailleurs, dès le départ, un des auteurs de l’article dans Nature avait largement nuancé le risque.

  • le mélange des genres entre politique et science effectué par les anti-OGM qui risque de nous pousser dans une situation similaire à celle de la prédominance de Lyssenko en URSS des années 30 aux années 60 en dépit de l’évidence scientifique. Dans cette lignée d’argument, l’auteur souligne que la plupart des anti-OGM ont un CV académique léger en comparaison des scientifiques pro-OGM.

31.2.1 Troisième partie3

La dernière partie du livre s’attaque à la religion anti-OGM. Les critiques principales se concentrent sur le livre de Marie-Monique Robin Le monde selon Monsanto qui selon Jean-Claude Jaillette est une sommes d’amalgames, de raccourcis scientifiques, diabolisation, victimisation des scientifiques anti-OGM contestés pour leurs erreurs méthodologiques, voire éthiques […]

On peut voir trois grandes composantes dans cette partie.

La première est un rappel de la controverse autour du documentaire Voleurs d’yeux qui a valu à Marie-Monique Robin le prix Albert-Londres. Une controverse importante ayant existé pour savoir si l’enfant au centre de ce documentaire avait subit un prélèvement oculaire et de la cornée au profit d’un trafic d’organe. Il a été question alors de retirer le prix à Marie-Monique Robin. Finalement, le prix lui a été maintenu. Dans un communiqué, le comité Albert-Londres écrit Marie-Monique Robin nous semble s’être laissé emporter par l’émotion. Son reportage est ainsi devenu trop souvent une démonstration, l’illustration d’une thèse. Et si le même excès d’emportement caractérisait Le monde selon Monsanto, se demande Jean-Claude Jaillette.

La deuxième composante est une relecture de cas emblématiques de la lutte anti-OGM. Les histoires de Percy Schmeiser, Arpad Pusztai, Manuela Malatesta et Angelika Hilbeck sont donc reconsidérées avec une vision diamétralement opposée à celle généralement adoptée dans les milieux anti-OGM.

Cette dernière partie du livre se clôt sur une longue liste des évaluations contradictoires, débats parlementaires, débats publics et mesures destinées à l’information sur les OGM. Longue liste qui prouve aux yeux de l’auteur que le débat sur les OGM existe bel et bien contrairement aux affirmations des opposants aux OGM.

2. Discussion critique

22.1 Première partie2

À la lecture du résumé synthétique, on pourrait me reprocher d’avoir trop résumé et d’avoir de ce fait trop coupé l’argumentation de Jean-Claude Jaillette. En effet, à la lecture de ce résumé, on ne voit pas très bien en quoi la première partie du livre diffère d’une répétition des arguments des entreprises productrices d’OGM. Le problème est que cette impression n’est pas due à un résumé trop condensé mais à l’absence de plus d’argumentation dans le livre.

On peut regretter de sérieux raccourcis tels que Il faut augmenter la production alimentaire pour lutter contre la faim ou bien Si les gens adoptent les OGM, c’est que c’est bon pour eux qui bien que semblant de bon sens sont désespérément fallacieux[[Voir à ce sujet : http://www.rue89.com/2009/06/17/oui-les-anti-ogm-sont-accessibles-a-des-arguments-rationnels.

]].

Autres regrets, le livre ne va souvent pas assez loin dans sa réflexion. Pourquoi le livre ne compare-t-il pas les OGM à d’autres techniques ? En effet, certains choix sont incompatibles entre eux. Il est dès lors insuffisant d’arguer qu’une technique est prometteuse, il faut aussi montrer que les autres techniques écartées par le choix étaient moins appropriées.

Pourquoi refuser a priori le débat sur le contrôle de la natalité. Pourquoi vaut-il mieux les OGM qu’un découragement à la natalité ? Le livre est désespérément silencieux sur cette question.

Il y a un point qui bien que de nouveau insatisfaisant pose une question stimulante. Le troisième type d’argument développé par le livre revient à dire que si c’est le pouvoir de monopole de Monsanto qui pose problème, il y a peut-être d’autres actions plus efficaces que le refus.

D’un côté, Jean-Claude Jaillette ne va pas assez loin dans sa réflexion. En effet, il semble que Monsanto tende à devenir un monopole. Ceci nous indique que ce marché a une tendance à se diriger vers un marché monopolistique. S’il n’y avait pas autant d’opposition en Europe, cela n’aurait pas modifié la tendance monopolistique du marché. Cette affirmation a deux conséquences. Premièrement, rien ne garantit que le champion se fût retrouvé du bon côté de l’Atlantique. Deuxièmement, supposons que le champion ait été européen ou bien que la force de concentration n’ait pas été aussi forte et que le marché se soit stabilisé à un stade oligopolistique. Cela change-t-il quelque chose au pouvoir excessif et en tout cas craint par les opposants aux OGM ? Clairement non.

Néanmoins, cela pose la question de savoir si au fond, l’opposition aux OGM est de principe. La réponse nous place devant une alternative : ou bien, quelle que soit la structure économique dans laquelle les OGM se développeraient, ils ne sont pas souhaitables. Ou bien, l’opposition aux OGM trouve sa base principalement dans le fait que tel que le système socio-économique existe, ce système est incapable d’éviter un développement des OGM dans une direction néfaste.

Autrement dit serait-il possible d’avoir un compromis entre pro- et anti-OGM du type : Oui au développement des OGM mais dans un cadre de recherche publique et une possibilité réduite voire nulle de breveter les OGM ?

22.2 Deuxième partie2

La dénonciation d’un pacte lors du Grenelle de l’environnement est un élément original du livre mais particulièrement peu intéressant. Premièrement parce qu’il ne s’agit que de suspicions sur l’existence d’un pacte. Le livre ne fournit aucune preuve formelle. Deuxièmement et surtout, en quoi un accès de realpolitik des écologistes modifierait-il les termes du débat sur les OGM ? Sur cette question, le livre est parfaitement muet.

Nous ne nierons pas que dans le débat, une injure est toujours une injure de trop et que les opposants aux OGM comme n’importe qui d’autre doivent veiller à la plus grande honnêteté intellectuelle sans tomber dans la facilité de la phrase assassine, du slogan sans référence à un fond plus solide. Néanmoins, on suit plus difficilement Jean-Claude Jaillette lorsqu’il laisse implicitement penser qu’il n’y rien d’autre dans le discours des anti-OGM.

Nous n’avons pas la compétence pour juger sur le fond les controverses scientifiques, par exemple celle concernant l’influence du maïs transgénique sur les larves du papillon monarque. Néanmoins, à la lecture des articles parus dans Proceedings of National Academy of Sciences en octobre 2001[[http://www.jstor.org/stable/i354623

]] ; il nous parait que les conclusions ne sont pas aussi radicales que ne peut le laisser penser la lecture de Sauvez les OGM. Par exemple, certains effets non-létaux comme une prise de poids moindre est mise en évidence pour certaines espèces[[http://www.jstor.org.www.sipr.ucl.ac.be:888/stable/3056822

]]. D’autres auteurs soulignent que des études supplémentaires sont nécessaires pour estimer les effets à long terme[[http://www.jstor.org.www.sipr.ucl.ac.be:888/stable/3056826

]]. Nous répétons notre incompétence sur le fond du dossier mais on aurait aimé que Jean-Claude Jaillette ne reproduisent pas des travers qu’il dénonce chez d’autres : une simplification biaisée des conclusions d’études scientifiques pour soutenir une thèse particulière. Tout ceci souligne la difficulté de la vulgarisation scientifique particulièrement dans le cadre de débats passionnés.

Le passage se référant à Lyssenko est une des nombreuses occasions manquées du livre. Une réflexion sur l’attitude des opposants aux OGM sur le lien entre science et politique serait certainement très intéressante et nous ne serions pas étonnés qu’elle puisse mener à des enseignements pas tout à fait confortables pour les militants luttant contre l’imposition des OGM. Encore eût-t-il fallu que cette réflexion soit menée sérieusement. C’est-à-dire que l’analyse soit plus approfondie concernant les différents positionnements que l’on retrouve dans les milieux hostiles aux OGM sur cette question. Mais aussi et surtout que le lien proposé ne soit pas une dichotomie naïve entre science et politique telle que celle proposée par Jean-Claude Jaillette.

22.3 Troisième partie2

Il est clair que Jean-Claude Jaillette n’aime pas le livre Le Monde selon Monsanto. Il nous gratifie d’une mise en cause de la capacité de Marie-Monique Robin pour mener un tel type d’enquête sans se laisser emporter par ses émotions. Très bien et pas inintéressant. Il aurait été néanmoins encore plus convaincant de nous prouver que Marie-Monique Robin s’est effectivement laissée dépasser par l’émotion dans son livre sur Monsanto.

On peut voir dans la relecture des cas emblématiques de Percy Schmeiser, Arpad Pusztai et Manuela Malatesta comme une tentative de nous montrer que le travail de Marie-Monique Robin n’est pas tellement rigoureux. Il y a cependant vraiment très peu d’éléments neufs. Le jugement de Percy Schmeiser continue à ressembler à un jugement à la Salomon. En effet, Percy Schmeiser est reconnu coupable de non respect de brevets détenus par Monsanto mais n’est soumis à aucune amende ou dédommagement en faveur de Monsanto[[Internet fourmille de site sur le cas de Percy Schmeiser. La plupart lui sont favorables mais il y a moyen de trouver d’autres sons de cloche.

]]. Arpad Pusztai a bien subi un violent lynchage médiatique après avoir déclaré à la télévision qu’il trouvait injuste de prendre les citoyens britanniques pour des cobayes. Sur son analyse du cas d’Arpad Pusztai, Jean-Claude Jaillette fait preuve d’une conception extrêmement restrictive et ahurissante de la déontologie du chercheur qui ne pourrait pas du tout s’exprimer dans les médias avant que ses recherches ne soient publiées dans une revue scientifique.

Mais la plus grande faiblesse de la critique du Monde selon Monsanto par Jean-Claude Jaillette est qu’il ne s’attaque qu’à une toute petite partie du discours. Nous voyons au moins trois critiques que Jean-Claude Jaillette n’aborde pratiquement pas.

Les « revolving doors » entre expertise publique et recherche privée. Il y a une note de bas de page qui justifie les pratiques de l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) : les conflits d’intérêts doivent être déclarés et il est normal que si un spécialiste est bon, il ait déjà travaillé pour des firmes privées. C’est peu et pas très convaincant. Par ailleurs ce passage n’aborde pas du tout la question de ce qui se passe aux États-Unis.

Les firmes font preuve de mauvaise volonté en inondant les organismes de contrôle de tonnes de papier inutile. Mauvaise volonté qui se traduit également par un déni d’accès pour raisons commerciales à des données pertinentes pour l’évaluation.

Derrière les OGM, il y une extension des droits de propriété intellectuelle qui peut poser sérieusement question. Le livre expédie le sujet en une note de bas de page.

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