Tout au long de cet abécédaire transparaissent des préoccupations de type urbanistique.
Etait-il alors nécessaire d’accorder à ce mot un commentaire spécifique ?
J’ai pensé que oui : pour faire le point, avec le recul de mon expérience d’échevine.
Un domaine de réflexion et d’action passionnant
La géographie urbaine est une science.
Elle décrit les villes, leurs transformations et leurs fonctions.
L’urbanisme est une pratique. Il aménage la ville et en planifie l’évolution.
Ce qui différentie l’urbanisme de la géographie urbaine c’est qu’il implique
une volonté d’action au-delà de celle, préalable, de connaissance.
Géographe de formation, je ne suis pas urbaniste. Mais six ans de responsabilité en la matière m’ont appris à voir la ville avec d’autres yeux.
En géographe, j’avais l’habitude de privilégier l’analyse du plan d’une ville. Une observation des plus fécondes pour la compréhension de son histoire (celui de Barcelone est un exemple modèle à cet égard : on peut y lire toutes les étapes importantes de son passé). Je m’orientais aisément par rapport à des repères visuels rapidement intégrés. Mais mon regard n’était pas exercé à percevoir, sur le terrain, les grandes perspectives urbaines, les structures et les organisations fonctionnelles, les caractéristiques de l’aménagement des espaces publics. Je sentais les ambiances d’une manière plus intuitive que raisonnée. Mon observation spontanée était, inconsciemment, très sélective.
En tant qu’échevine, j’ai appris à replacer les bâtiments dans leur contexte et à identifier les différentes morphologies d’un tissu urbain ; à repérer les « édifices mémoire » comme à apprécier les innovations contemporaines. Je suis devenue sensible à la cohérence créée par une belle continuité de façades et l’alignement des corniches. Je perçois la laideur des pignons aveugles et la massivité des façades qui manquent d’animation. J’ai mieux compris l’importance de l’espace public et celle des ruptures d’échelle.
Le développement spontané d’une ville crée rarement de la beauté et il reflète les inégalités entre ses habitants. Une politique volontariste d’aménagement du territoire urbain concrétise, en l’inscrivant dans l’espace, un projet de société… mais qui n’est pas forcément égalitaire ! C’est dans le cadre d’une appréhension de la ville en tant que système qu’il faut organiser la répartition dans l’espace des différentes fonctions urbaines, y compris celle de circulation.
Planifier les affectations du sol ; organiser les réseaux de communication ; encadrer, en les régulant, les initiatives privées ; initier des projets publics ; sauvegarder les témoignages patrimoniaux du passé et les éléments du maillage vert et bleu… de manière coordonnée. Le morcellement des compétences ministérielles bruxelloises (Urbanisme, Environnement, Mobilité) n’est guère favorable à cette appréhension systémique de l’aménagement urbain !
L’urbanisme est un savoir très utile à la compréhension du passé des villes. Il est devenu aussi, en tant qu’art appliqué, indispensable à la construction de notre avenir. Que seront les villes du futur ?
L’exposition « Utopia : de l’Atlantide aux cités du futur » récemment présentée au Mundaneum de Mons (Centre d’archives de la Communauté française) nous y a fait réfléchir. Elle témoigne d’une évolution dans l’histoire de la pensée des « utopistes de la cité » : des préoccupations sociales ont d’abord dominé, puis l’idéal fonctionnel, pour arriver, de nos jours, à des priorités environnementales.
La ville parfaite n’existe pas. Mais de tous temps elle a alimenté les rêves. Que ceux des urbanistes d’aujourd’hui soient écologiques est un signe rassurant. Cela témoigne d’une prise de conscience responsable.
Le défi urbanistique est majeur : il s’agit de répondre au mieux et à long terme
aux besoins d’une forte densité d’habitants rassemblés sur un même territoire,
des points de vue social, économique, écologique et esthétique conjugués.
Une compétence échevinale importante
Une telle affirmation soulève la question de savoir quels critères permettent de juger de l’importance d’un échevinat !
Si l’on en juge par le nombre de fonctionnaires (une vingtaine) ou la part relative des dépenses dans le budget communal (relativement modeste), l’Urbanisme n’est pas un « gros » échevinat à Uccle. Son importance apparaît plutôt dans le grand nombre – et l’épaisseur ! – des rapports présentés et débattus en Collège ! La responsabilité est lourde à assumer, à la mesure des grands enjeux financiers privés concernés et des enjeux collectifs en matière d’aménagement du territoire.
Le groupe Ecolo a été agréablement surpris, en octobre 2000, lorsque nous fut proposée une telle compétence alors que nous étions prioritairement demandeurs de celle de l’Action sociale (revendiquée par le PS). Jusqu’à ce que je comprenne que le cadeau était empoisonné !
En effet, suite à la sécurité juridique garantie par l’entrée en vigueur du PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol) en 2001, Uccle « la verte » allait en effet devenir la cible d’une avalanche sans précédent de gros projets privés de promotion immobilière. Face à laquelle un échevin Ecolo allait être placé devant un sérieux conflit de valeurs … et cruellement offert à la vindicte citoyenne !
Un sujet permanent de contestation citoyenne !
Quelle que soit sa qualité, tout projet de construction nouvelle fait peur aux riverains.
Le rêve secret de beaucoup d’habitants des villes est celui du statu quo, d’une ville « qui ne grandirait plus ». Et chaque bâtisseur espère qu’il sera le dernier dans son quartier !
Impossible de suivre les habitants dans cette espérance largement partagée. Mais beaucoup plus légitime a été la revendication d’un droit de participation citoyenne aux décisions qui concernent leur cadre de vie.
Dans l’objectif d’un urbanisme plus participatif, des modalités de consultations des habitants ont été instituées en Région bruxelloise à la fin des années 70. Enquêtes publiques et commissions de concertation sont régulièrement organisées sous la responsabilité des Communes (le pouvoir le plus proche des citoyens). Désormais la procédure de délivrance des permis devait être publique. La société civile (habitants et associations) accédait au statut d’acteur potentiel aux côtés des maîtres d’ouvrage et des politiques.
A l’échelle internationale, dans la foulée du sommet de la Terre de Rio et sous les auspices des Nations Unies, la « convention d’Aarhus » a renforcé ce droit participatif. Entrée en vigueur en octobre 2001, cette convention élaborée avec la participation des ONG concernées est importante : elle consacre le principe d’une participation citoyenne au processus décisionnel en matière d’Environnement et impose aux Etats signataires de soutenir les ONG qui ont pour objectif la protection de l’Environnement.
La revendication citoyenne porte maintenant légitimement sur l’exigence d’une participation en amont dans le processus d’élaboration de grands projets publics d’aménagement du territoire. La loi impose en effet seulement de consulter les citoyens en aval, par une enquête publique sur un avant-projet finalisé.
Une telle participation a deux grands avantages : celui d’une meilleure réponse aux aspirations et besoins des habitants ; et celui d’une meilleure acceptation des décisions prises parce qu’ils y ont été associés. Elle pose cependant le problème de la représentativité des interlocuteurs qui émergent de la société civile.
L’on s’accorde cependant pour reconnaître que le pouvoir de décision en matière urbanistique doit demeurer la responsabilité des politiques.
C’est aux collèges communaux (avec ou sans l’approbation de la Région, seule habilitée à accorder les dérogations) qu’il appartient de délivrer les permis demandés par des maîtres d’ouvrage privés. Lorsque le demandeur est un pouvoir public, cette compétence revient toujours au Gouvernement régional.
La loi précise les nombreux cas où le projet doit être soumis préalablement à enquête publique.
Dans le cadre des séances publiques des commissions de concertation, les demandeurs (qu’ils soient privés ou publics) exposent leurs motivations et valorisent un projet élaboré par des spécialistes. Les riverains et les associations ont la possibilité d’exprimer leurs craintes en soulignant les nuisances de voisinage potentielles du projet ; et ils formulent des demandes, qui sont parfois contradictoires !
Il appartient ensuite au pouvoir public d’arbitrer, le plus objectivement possible… à la recherche d’un consensus qui ne satisfait jamais pleinement ni les uns ni les autres.
La tâche est difficile. Il faut prendre en compte des critères réglementaires et techniques, mais aussi la perception subjective des citoyens. Il faut apprécier ce qui relève d’un « bon aménagement des lieux » dans la perspective d’une politique d’aménagement du territoire durable. Il faut tenter d’imposer des exigences respectueuses des droits de chacun tout en servant l’intérêt général.
L’accès aux dossiers d’urbanisme est désormais garanti aux citoyens. Une certaine opacité demeure cependant quant à la suite de la procédure après l’avis rendu par la commission de concertation. La mise en place d’un nouveau programme Internet (à l’initiative de l’administration régionale) est en voie d’y remédier.
L’urbanisme démocratique est un urbanisme de compromis.
Il se conçoit aujourd’hui à une dimension plus humaine
que celle des urbanismes anarchique ou autoritaire du passé.