Parler d’une « vision systémique » c’est utiliser une expression savante.

Mais ce n’est pas du pédantisme.

Car il n’existe pas un mot plus courant pour exprimer ce qui est devenu aujourd’hui

le fondement de toute la pensée scientifique contemporaine


Il fut un temps où je recommandais à mes élèves de sciences sociales de parcourir un ouvrage de Joël de Rosnay intitulé « Le macroscope, vers une vison globale ». Bien que publié dans les années 70 il n’a rien perdu de son actualité. Parce que son objet est une nouvelle manière de voir, de comprendre et d’agir fondée sur la mise en évidence de grandes règles communes d’organisation et de régulation des « systèmes » que constituent la cellule, l’organisme vivant, la ville, l’économie, la planète…

Un système se définit comme un ensemble fonctionnel constitué d’éléments interagissant les uns avec les autres.

L’écologie identifie des « écosystèmes », ensembles fonctionnels formés des interactions entre une communauté vivante (« biocénose ») et son milieu inanimé (« biotope »). Les écosystèmes sont en équilibre dynamique : les très nombreuses espèces qui les constituent sont en interrelations et la disparition de l’une d’entre elle peut entraîner des modifications importantes de l’ensemble. D’où l’importance de préserver la biodiversité.

L’image d’un mobile (composé de pièces de tailles diverses attachées à des bras de leviers plus ou moins longs) suspendu au plafond est très parlante : la suppression de pièces modifiera l’équilibre ; le mobile changera d’aspect, il deviendra fragile. Et s’il s’agit d’une construction très dissymétrique, la suppression d’une pièce importante détruira immédiatement tout l’édifice… sans que l’on puisse prévoir à quel moment l’équilibre se rompra !

La cybernétique est fondée sur la théorie des systèmes. La physique distingue les systèmes ouverts et fermés. La pratique des thérapies familiales considère une famille comme un système. Les médecines alternatives appréhendent l’organisme comme un système. Les ethnologues mettent en évidence les interactions entre les divers éléments qui caractérisent un système culturel…

On parle aussi de systèmes en économie.

Dans certains manuels, on trouve des schémas pédagogiques des « circuits économiques » représentés sous la forme d’un système fermé. Comme si une économie fonctionnait sans consommer des matières premières et de l’énergie, ni rejeter de déchets ! Une telle vision témoigne d’une conception dépassée qu’elle contribue à perpétuer… avec des conséquences écologiques très graves pour notre avenir.

Notre planète elle-même doit être comprise comme un gigantesque système Terre au sein duquel l’atmosphère, les océans et les cours d’eau, les sols, le couvert glacé et la biosphère interagissent via des échanges d’énergie et de matière.

De multiples phénomènes de « feed-back » en accroissent la complexité : capables de réguler les évolutions (par des rétroactions dites « négatives ») mais aussi de les accélérer (à cause de rétroactions dites « positives »).

C’est ainsi, par exemple, que la diminution des étendues glacées générée par l’augmentation de l’effet de serre induit, par la réduction du pouvoir réfléchissant de la surface terrestre, une accentuation du réchauffement initial. De même, l’augmentation des températures dans les océans et dans le permafrost des régions polaires génère une libération de gaz méthane qui vient renforcer le réchauffement.

Approches systémique et analytique

La vision systémique s’oppose à la tradition cartésienne de la démarche analytique dans l’appréhension de la connaissance. Elle est une approche des réalités complexes axée sur la mise en évidence des interdépendances et des mécanismes de régulation. C’est une pensée globale et fondamentalement transdisciplinaire. Tout le contraire d’une multiplication de zooms par des photographes qui seraient devenus incapables de prendre du recul !

L’exigence d’une perception globale est merveilleusement illustrée par un livre qui a fait les délices de mes petits-enfants (et de leur grand-mère !) : « 7 souris dans le noir » d’un auteur américain dénommé Ed Young. Les images sont essentielles pour soutenir le propos. Je vais cependant essayer de vous en raconter l’histoire.

Un jour, sept souris aveugles découvrent une chose étrange.

Après avoir eu le réflexe de se sauver, elles osèrent, chacune à leur tour, partir en exploration.

Souriceau Rouge s’y risqua le premier. « C’est un pilier » dit-il aux autres à son retour d’expédition. Souriceau Vert lui succéda : « c’est un serpent » affirma-t-il.

Quant à souriceau Jaune, il émit l’avis qu’il s’agissait plutôt d’une lance.

« C’est une falaise » assura ensuite souriceau Violet !

Mais non, « c’est un éventail » cria souriceau Orange : « je l’ai senti bouger ».

Souriceau Bleu, le sixième, eut plutôt l’impression qu’il s’agissait d’une corde.

Ils commencèrent à se disputer. Jusqu’au jour où souricette Blanche eut l’audace d’escalader la chose et de la parcourir de bout en bout. Elle comprit alors qu’il s’agissait … d’un éléphant !


Telle est la morale des souris, conclut le livre :

« Savoir un peu est mieux que rien, mais le sage ne connaît vraiment que ce qu’il a vu en entier. »

Encore trop souvent, malheureusement, la réflexion et l’action politique demeurent cloisonnées, secteur par secteur, compétence par compétence. Les incohérences entre divers objectifs risquent de ne pas être perçues, et les rétroactions (que ce soient des feed back « positifs » ou « négatifs ») ne sont pas suffisamment prises en compte dans le choix des moyens mis en oeuvre.

En politique comme en science, une vision systémique des choses

permet une action plus efficace pour un mieux être et un mieux vivre en société.

Ce qui est bien, en définitive, l’objectif commun de toutes les politiques !

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