Dans le cadre de son cours de français, l’un de mes petits-enfants doit imaginer le scénario d’une Antigone moderne. Il songe au duel Ségo-Sarko. Idée amusante, bien que l’analogie soit fort discutable. Ségolène Royal a-t-elle transgressé un interdit implicite ? Peut-être : celui d’être femme et de prétendre cependant à la conduite des affaires suprêmes de l’Etat.
Mais est-ce Nicolas Sarkosy qui, tel Créon, le lui reproche ? N’est-ce pas plutôt toute une frange de la société française qui est réticente à accorder sa confiance à une femme, y compris dans son propre camp ?
Le concept de « sexe » se réfère aux différences biologiques entre hommes et femmes ; celui de « genre » au processus de la construction sociale de la « masculinité » et de la « féminité ». C’est de ce dernier qu’il sera surtout question ici.
Hommes et femmes en politique
Comme dans les milieux professionnels, la « question du genre » demeure d’actualité dans le monde politique ; et ce malgré l’obligation légale récente en Belgique de la parité sur les listes électorales.
Pourtant, s’il est une commune qui ne peut être accusée de sexisme en politique c’est bien celle de Uccle !
Les nombres parlent d’eux-mêmes : près de la moitié des élus sont des femmes et le Collège est passé en 2007 de 3 femmes sur 9 à 4 sur 9 ; 4 partis avaient choisi une femme comme chef de groupe au conseil communal lors de la précédente législature ; nous avons une secrétaire communale et une receveuse ; de même les deux seuls grades administratifs de « directeur » et bon nombre de chefs de service sont des femmes. Il ne nous manque que l’expérience d’un bourgmestre féminin !
Voilà un aspect de notre vie politique locale d’autant plus positif qu’il est fort rare ; et qui ne peut que me réjouir. C’est au point que, quand une des conseillères Ecolo a interpellé sur le sujet de la féminisation des noms de profession, elle n’a rencontré que bien peu d’échos en conseil communal.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y ait pas matière à une réflexion
sociétale plus générale ; à laquelle je me livre ci-dessous.
Un sexisme encore très présent dans les mentalités
Le racisme scandalise, à juste titre.
Le sexisme indigne moins, souvent même, ne fait-il pas sourire ?
Le mode de raisonnement implicite est pourtant bien le même !
Le nœud du problème de l’émancipation féminine m’a toujours paru être la persistance des stéréotypes relatifs à la « nature biologique » des hommes et des femmes et aux rôles sociaux qui en découleraient « naturellement ».
La survivance de nombreuses expressions de notre langage courant en témoigne :
« Le panier de la ménagère » (pourquoi pas des ménages ?)
« Le chef de famille » (le père bien entendu)
« Une gestion de bon père de famille »
« C’est un garçon manqué »
« L’intuition féminine » …
Sans oublier la « Journée des secrétaires »
qui fait annuellement le bonheur des fleuristes.
Les modèles proposés aux enfants vont dans le même sens :
Les petites filles sont encouragées à être « gentilles et jolies » ;
les petits garçons doivent être « forts » et « courageux ».
Dans les magasins les jouets « pour filles » sont d’ordre ménager ;
ceux « pour garçons » sont souvent des engins d’aventure.
Avec la femme-objet, la publicité continue de jouer sur ce registre.
Et c’est toujours un homme qui vient sauver la ménagère
assez sotte pour avoir acheté l’anti-calcaire le moins cher !
Et, lorsqu’il s’agit d’un homme en politique,
se pose-t-on la question de savoir « qui s’occupe des enfants » ?
Des rôles sociaux d’origine culturelle
Notre conception traditionnelle des rôles sociaux masculins et féminins est profondément marquée par la pensée chrétienne pour qui la femme est d’abord « épouse, mère et ménagère ».
L’Eglise considère que la hiérarchie entre les sexes résulte de la volonté divine.
Elle est donc indiscutable et définitive.
Le mariage chrétien soutient cet ordre « naturel » et la complémentarité des rôles.
(Exposition « Garçon ou fille, un destin pour la vie ? » au musée Belvue)
Pourtant, dans les acquis les plus récents de l’étude du cerveau rien ne permet d’affirmer l’existence d’une détermination génétique du comportement humain.
L’être humain est certes bien programmé, mais programmé pour apprendre ! Ce qui signifie que l’influence de l’acquis domine très largement celle de l’inné. L’importance des acquis culturels est d’autant plus grande que le bébé humain a cette particularité de naître avec un cerveau à peine ébauché (pour que la grosseur de sa tête ne s’oppose pas à une sortie à travers un bassin maternel de taille limitée !). Il poursuit donc son développement à l’extérieur de la matrice maternelle.
Le cerveau d’un bébé possède un bon stock de neurones (100 milliards !) mais ils sont encore très peu connectés entre eux. Les connections (les « synapses ») vont se multiplier, après la naissance, jusqu’à atteindre à l’âge adulte, l’ordre de grandeur d’un million de milliards !
De plus, nous apprend la neurobiologiste Catherine Vidal, « dans le cerveau adulte, les processus de formation et de destruction des synapses sont à l’œuvre en permanence ».
Pour l’essentiel, la construction de notre cerveau se fait donc sous l’influence du milieu. Il se construit à partir de nos rencontres et de nos expériences personnelles. Et, plus particulièrement, le développement de notre cerveau est profondément imprégné de l’éducation que nous avons reçue depuis notre plus jeune âge.
« On ne naît pas femme ; on le devient »
écrivait déjà Simone de Beauvoir en 1949.
Les découvertes les plus récentes des neurosciences concernant le cerveau nous le confirment aujourd’hui.
Les cerveaux des hommes et des femmes sont très similaires. Certaines recherches ont toutefois mis en évidence (grâce aux techniques d’imagerie cérébrale) l’existence de différences statistiques significatives de volume relatif de zones particulières du cortex par rapport au volume global du cerveau (qui pourraient être en partie dues à l’influence des hormones sexuelles sur le développement cérébral). Mais il n’est pas démontré que ces différences anatomiques soient susceptibles de déterminer des différences majeures sur les capacités cognitives et les comportements.
Par ailleurs, de nombreuses études sociologiques ont mis en évidence la précocité d’une influence discriminante des milieux éducatifs sur l’enfant,
Dès les premières heures de la vie, les parents se conduisent différemment (le plus souvent inconsciemment) avec un bébé garçon ou fille ; et il en va de même, par la suite, dans le chef des paroles et des pratiques des professionnels de la petite enfance et des enseignants.
« Le fait de traiter les enfants différemment selon leur genre,
est une habitude profondément ancrée dans notre culture »
« Nous favorisons une meilleure prise de conscience dans les milieux de la petite enfance
afin que tous les enfants aient la même possibilité de se réaliser en tant qu’individus »
Carina Carlén (enseignante préscolaire en Suède)
De leur côté, les ethnologues ont étudié les rôles sociaux masculins et féminins à travers les diverses cultures. Une telle différenciation s’observe partout ; mais elle s’exprime selon des modalités étonnamment diversifiées. Ce qui confirme les acquis de la biologie et de la sociologie.
Il découle de tout ceci que le déterminisme biologique qui prétend expliquer par la nature les différences de capacités et de comportement observées entre les hommes et les femmes ne résiste pas à la critique scientifique. Ce sont des faits de culture et non de nature. Seuls sont génétiquement déterminés les complémentarités des mécanismes de procréation et de gestation.
L’idée d’un tel déterminisme biologique peut apparaître comme sécurisante. Mais elle enferme les individus des deux genres dans des modèles culturels qui répondent mal à la diversité de leurs aspirations individuelles profondes.
En cantonnant les hommes et les femmes dans certains rôles et comportements on restreint le champ des possibles ; avec les ravages psychologiques auxquels cela peut parfois conduire.
Pourtant, le postulat d’un déterminisme biologique des capacités et des comportements est loin d’être mort.
Il revit même, de nos jours, dans le cadre de recherches « scientifiques » sur le cerveau menées aux Etats-Unis au service d’une idéologie de droite discriminatoire qui se veut justificatrice des inégalités sociales (malheureusement largement diffusée par les magazines et quelques livres de vulgarisation).
En matière de sexe il repose souvent sur une confusion entre causes et conséquences. Mais il persiste sous l’effet d’une pression sociale très forte. Ceux qui osent se mettre en marge des stéréotypes sont sévèrement stigmatisés.
Les stéréotypes marquent profondément les représentations mentales que les hommes et les femmes se font d’eux-mêmes ; et ils s’auto-reproduisent en tirant argument d’un état de fait qu’ils ont créé !
« Comme les femmes baruyas de Nouvelle-Guinée n’avaient pas le droit
de grimper aux arbres, elles ne savaient pas le faire.
Mais, pour les Baruyas, si elles ne savaient pas le faire,
c’était parce qu’elles en étaient par essence incapables »
(Maurice Godelier)
Une dominance masculine non justifiée mais toujours présente
Dans notre société la femme est devenue, en principe, l’égale de l’homme. Des lois ont garanti progressivement l’égalité des droits des deux sexes.
En Occident, après l’obtention tardive du droit de vote (1948 seulement en Belgique !), le combat féministe tenace de la fin du siècle passé a progressivement fait changer les lois en faveur d’une libération de la femme : droit à l’éducation et à l’exercice de tous les métiers, droit de disposer de son corps, droit à l’indépendance économique…
Le partage de l’autorité parentale instauré par notre droit civil est relativement récent. Ce fut certes un pas très important ; qui n’a pas empêché les administrations communales et scolaires de continuer d’envoyer des papiers à signer avec la mention « le chef de famille » !
Le sexisme ne figure cependant pas comme tel dans le droit belge !
C’est pourquoi deux parlementaires Ecolo (Muriel Gerkens et Meyrem Almaci) ont déposé une proposition de loi visant à introduire dans la loi-antidiscrimination de 2007 une série d’articles légitimant explicitement la répression des représentations offensantes ou réductrice d’un groupe sexuel ainsi que toute ségrégation entre les sexes.
Une démarche législative complémentaire bien nécessaire ; car, dans les faits, si le sexisme postule l’existence de traits de caractères innés « masculins » et « féminins » et qu’il se poursuit par la légitimation, au nom de ces différences « de nature », d’une discrimination sociale, il est évident qu’il est très loin d’être mort dans nos sociétés occidentales (même si celles-ci sont les premières à l’avoir mis en question !).
Les mentalités n’ont pas évolué au même rythme ; et le pouvoir est loin d’être également partagé.
Quelques exemples : en Belgique, 10% seulement des parlementaires sont des femmes ; 80% des tâches ménagères continuent d’être exercées par les femmes ; à compétences égales, les femmes sont souvent moins bien payées que les hommes ; les femmes sont très sous représentées dans les postes de direction… sans même insister sur le grand nombre de femmes qui osent aujourd’hui témoigner du fait qu’elles sont battues par leur conjoint.
Les mécanismes de contagion culturelle se heurtent ici à une redoutable inertie malgré une mixité des genres de plus en plus généralisée officiellement dans les institutions.
Rien ne justifie plus aujourd’hui les inégalités de fait entre les sexes, si ce n’est la volonté plus ou moins consciente des hommes de voir se perpétuer un système qui leur assurait un statut dominant. Mais les femmes ont aussi leur part de responsabilité dans l’inertie des mentalités ; car le changement restera très difficile tant que persistera, chez les uns comme chez les autres, l’idée d’un « masculin » et d’un « féminin » immuable par essence avec les stéréotypes qui y sont associés.
« Ce sont des modèles qu’il faut déconstruire ensemble »
(Patric Jean)
Le partage très inégal des responsabilités « domestiques » (ménage et enfants) m’apparaît comme un facteur essentiel de discrimination dans la vie sociale.
La femme vivant en couple est souvent confrontée à l’obligation d’une « double journée » de travail ; à moins qu’elle ne soit poussée à « choisir » un travail à temps partiel avec les conséquences futures que cela implique pour sa promotion professionnelle et son indépendance financière. Toutes les enquêtes récentes en témoignent. Et ce n’est pas par hasard que c’est toujours aux mères (et jamais aux pères) que l’on pose la question de savoir comment elles font « pour concilier les responsabilités d’une vie professionnelle avec leur vie de famille » !
Bien difficile, dans ces conditions, d’envisager une implication dans l’action politique. Celle-ci demande d’avoir du temps disponible et des capacités d’affirmation d’une autonomie personnelle au sein du couple et de la famille. Ne faut-il pas voir là l’explication principale du nombre réduit de femmes qui accèdent à des responsabilités politiques de haut niveau ?
Remarquons que dans notre société sont apparus de « nouveaux hommes » qui n’ont pas peur de perdre leur virilité en partageant les tâches du foyer… surtout lorsqu’ils sont pères (non sans vivre un certain désarroi face à ce nouveau statut social qui leur offre la possibilité d’exprimer tendresse et émotion).
Un signe des temps, enfin ?
« Derrière chaque femme qui réussit en politique il y a un homme qui accepte »
(Magda de Galan, Bourgmestre de Forest))
Un constat dont je déplore la triste véracité.