Ma première approche de la planification urbanistique se fit dans le cadre des cours que je donnais aux élèves de l’option « géographie » au niveau secondaire. J’en avais dégagé une impression positive : PRD (Plan régional de développement) – PCD (Plan communal de développement) – PRAS (Plan régional d’affectation du sol) – PPAS (Plan particulier d’affectation du sol, à l’échelle d’un quartier) ; cette nouvelle hiérarchie des plans d’aménagement du territoire en Région de Bruxelles-Capitale était le fruit d’une réflexion mûrie qui me semblait prometteuse.

Après m’être engagée en politique, j’ai été concernée par de multiples plans dans les domaines de l’Urbanisme et de l’Environnement : à l’énumération citée plus haut sont venus s’ajouter les PCM (Plan communal de mobilité) – Plan déchets régional – Plan fédéral de développement durableAgenda 21 local – Plan national de réduction des risques liés aux pesticides – Plan climat national …

C’est pendant mon échevinat que la commune d’Uccle a repris l’élaboration de PPAS (une planification locale qu’elle avait prudemment suspendue dans la période juridiquement incertaine de la conception et de la première jeunesse du plan régional supérieur qu’était le PRAS). J’étais loin de me douter, en 2002, de l’ampleur d’un tel travail, du temps nécessaire pour le mener à bien et des difficultés de procédure que j’allais rencontrer !

Le monde occidental aime faire des plans.

Le moins que l’on puisse dire est que les pouvoirs publics planifient beaucoup depuis quelques décennies ! Mais, face à l’échec des expériences d’économie planifiée des régimes socialistes de l’Est, il ne s’agit pas d’une planification contraignante imposée d’en haut.

Notre planification se veut en effet démocratique. Elle est le fruit d’un long travail : des projets sont conçus par des experts puis soumis à enquête publique et quelque peu modifiés en conséquence. L’élaboration d’un plan est coûteuse. Mais c’est l’occasion de poser de bons diagnostics et de mener une réflexion collective prospective, souvent motivante pour le personnel des administrations comme pour les citoyens et associations qui s’impliquent dans la participation à l’enquête publique.

La plupart de ces plans sont à relativement court terme (celui d’une législature) ; malheureusement, après la longue démarche d’élaboration, il reste peu de temps pour leur exécution ! D’autres, comme le PRAS, les PPAS, les PCM ou les agenda 21 sont élaborés dans une perspective beaucoup plus longue.

Ces plans sont-ils les guides de l’action politique tels qu’ils devraient être ? Il faut bien reconnaître que c’est loin d’être toujours le cas.
Lorsqu’il s’agit de plans indicatifs, sans force légale contraignante, les acteurs de terrain privés ne s’y réfèrent guère ; et les politiques eux-mêmes ont tendance à les oublier !

Les mesures préconisées ne sont pas toujours concrètes. On trouve trop peu d’objectifs chiffrés ; et les plans sont rarement soumis à une évaluation en cours d’exécution. Un second plan est présenté sans dégager un bilan clair du plan précédent (par exemple le Plan déchets régional ou le Plan fédéral de développement durable)…

Trois exemples urbanistiques contrastés intéressants à commenter

  • Le PRAS, un plan contraignant, une référence légale au quotidien.

    L’adoption de ce plan était très attendue : il devait en effet mettre un terme aux dérives passées de la « bruxellisation » et à une situation d’insécurité juridique préjudiciable au futur développement de l’espace bruxellois. Depuis juillet 2001 chacun sait quel(s) usage(s) il pourra faire d’un terrain qu’il possède ou envisage d’acquérir. Une information d’autant plus sûre que la loi prévoit qu’on ne peut déroger à une affectation légalement imposée par le PRAS ou un PPAS (plan communal à l’échelle d’un quartier, qui précise le plan régional).

Les défenseurs ucclois de l’environnement reprochent au PRAS de ne pas avoir affecté en « zone verte » des espaces verts de fait qu’ils souhaiteraient préserver de toute urbanisation. Le plateau Engeland en est le meilleur exemple. Un examen objectif de la carte du PRAS montre pourtant
l’existence sur Uccle d’un maillage vert légalement protégé qui est sans équivalent en Région bruxelloise. Il n’est certes pas parfait, notamment du point de vue des « couloirs relais » entre noyaux principaux (dont l’importance est essentielle pour assurer la survivance de la biodiversité). Mais sa qualité est indéniable.

Le sort des deux plus grands espaces verts privés ucclois fut l’objet d’un débat difficile : le Kauwberg fut intégralement affecté en zone verte (au grand dam de ses nombreux propriétaires privés) ; le plateau Engeland en partie seulement (plus de la moitié étant destiné soit à du logement soit à des services d’intérêt collectifs). A l’époque, la mobilisation citoyenne s’était polarisée sur la défense du premier (pour des raisons qui se sont avérées tout à fait justifiées). Conseillère communale dans l’opposition au moment de l’enquête publique, j’avais plaidé pour le maintien du second en « zone de réserve » (ce qui était son statut au « plan de secteur » de 1979)… sans être entendue !

Le PRAS résulte d’un compromis entre des intérêts divergents, voire contradictoires. Les enjeux financiers étaient énormes pour tous les propriétaires privés de terrains non encore construits ; et des pressions se sont exercées en tous sens. Un arbitrage s’imposait, qui appartenait au pouvoir public régional.

Aujourd’hui, le PRAS, tel qu’il a été adopté en 2001 et malgré les critiques qu’on peut adresser à ce plan d’inspiration libérale, est le premier cadre légal dans lequel doit s’inscrire l’instruction de toute demande de permis ; et il le restera probablement pour un grand nombre d’années. Il est difficile d’admettre que certains s’y référent lorsque ses règles leur conviennent tout en demandant d’y déroger lorsqu’elles vont à l’encontre de leurs intérêts.

  • Le PRD, un catalogue de bonnes intentions ?

    Le premier gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale créée en 1989 s’attela à l’élaboration d’un Plan régional de développement dont le maître mot fut la mixité urbaine (en réaction aux effets pervers de l’investissement immobilier privé non contrôlé dans des immeubles de bureaux) avec comme premier objectif la volonté d’enrayer le dépeuplement de la région. Il fut adopté en 1995. Un second PRD suivit, mis à l’enquête publique fin 2001. Tous deux furent l’occasion d’un vaste brain-storming et d’une grande médiatisation dans toutes les communes de la Région.

« Bien qu’indicatif, ce plan a la vocation de définir les objectifs et les priorités de développement de l’ensemble du territoire de la région de Bruxelles-Capitale, requis par les besoins économiques, socioculturels, de déplacement et d’environnement.

Il définit les moyens à mettre en œuvre et détermine des zones d’intervention prioritaires. Ses dispositions conditionnent l’octroi des aides accordées par les pouvoirs publics ».

Voilà bien un objectif ambitieux, tel que le plan le définit lui-même.

Toutefois, lorsque l’on confronte les 12 priorités mises en exergue dans le plan avec les réalités bruxelloises de 2007, on a des raisons d’être déçu.

Deux exemples : « Garantir à tous les Bruxellois l’accès à un logement décent et abordable » et « Un transfert modal de la voiture vers les autres modes de déplacement ».

Reconnaissons que dans d’autres secteurs la politique menée a été plus efficace : renforcement du maillage vert, politique de l’énergie… Et n’oublions pas que les pouvoirs publics, dans les projets qu’ils initient, sont tenus de respecter les plans indicatifs qu’ils ont adoptés !

  • Le PCD ucclois, un bilan mitigé

    Les plans communaux de développement sont en principe des plans indicatifs valables pour une législature. Ils particularisent au niveau local les grandes options du PRD.

    La commune d’Uccle a pris la décision originale (en 1996) de faire élaborer le dossier de base de son premier PCD par les services communaux. Plus précisément, ce travail considérable fut réalisé par une équipe restreinte de hauts fonctionnaires de l’urbanisme. Une décision qui s’avéra très fructueuse tant du point de vue de la qualité du constat que de la pertinence des mesures préconisées pour exploiter les atouts et remédier aux faiblesses, dans le cadre d’une vision transversale de la gestion communale.

Approuvé par le Gouvernement régional en 1998, ce dossier de base devait logiquement être suivi de l’élaboration du projet de plan proprement dit. Ce travail fut confié à un bureau d’étude privé. Le collège MR-PS de la législature 1994-00 ne l’ayant pas finalisé, il m’appartenait, en tant que nouvel échevin de l’urbanisme, de prendre le relais. Mon objectif d’aboutir rapidement à un « plan communal de développement » n’a pas été atteint ; j’estime que la responsabilité en incombe essentiellement à la tutelle régionale.

Tel qu’il m’a été transmis, le projet de PCD m’a semblé de qualité très inégale (faute d’une participation effective de tous les services communaux à la réflexion, les domaines social et culturel avaient été manifestement négligés). Par ailleurs, des instructions avaient été données par la Région, permettant la réalisation d’un PCD selon une procédure accélérée (sans dossier de base). J’ai donc proposé au Collège d’opter pour cette possibilité qui permettait l’élaboration rapide d’un PCD mieux en adéquation avec les options politiques de la nouvelle majorité arc-en-ciel. Nous avons ensuite attendu en vain les directives relatives au contenu de ce PCD nouvelle mouture… Elles sont venues trop tard pour qu’une étude actualisée et complétée puisse être envisagée avant la fin de la législature (le ministre Draps, en charge de l’urbanisme à l’époque, n’accordait guère d’importance aux PCD !).

Pendant toute la législature 2000-06, la référence uccloise est donc restée celle d’un « dossier de base », à valeur non réglementaire, mais qui demeure (dans les domaines de l’urbanisme et de l’environnement plus particulièrement) un fil conducteur cohérent de qualité pour la politique communale ; et dont un grand nombre des propositions ont été concrétisées.

En guise de conclusion

Au terme d’une expérience politique de 12 ans, je dois avouer, que j’ai quelque peu déchanté en matière de planification ; au point de me poser parfois la question de savoir si cet effort prospectif particulièrement lourd a bien le résultat qu’il mérite.

En ce qui concerne plus particulièrement les PPAS, j’en étais venue, compte tenu des exigences imposées par la tutelle régionale, à penser que réaliser des « schémas directeurs » (outils d’aménagement conçus dans le cadre du PRD de 2002 pour le développement des 14 « zones leviers », qui sont malheureusement sans valeur légale contraignante) serait plus rapidement efficace pour baliser le développement urbanistique futur d’un quartier.

J’ai cependant appris avec satisfaction l’aval donné par le conseil communal de novembre 2007 à l’élaboration d’un PPAS pour le quartier du Groeselenberg. Une décision qui s’inscrit dans la continuité d’une proposition de principe que j’avais faite au Collège en 2004. Cet îlot est en effet devenu un enjeu urbanistique important dans le double contexte du prochain déménagement de la clinique des Deux Alices vers le site De Fré et de la volonté de la congrégation religieuse voisine de valoriser sa propriété foncière (une vaste surface de 20 ha qui éveille l’appétit de nombreux promoteurs !). Fixer les règles du jeu est nécessaire pour assurer un aménagement cohérent et mesuré de l’ensemble de cet îlot. Espérons qu’il n’est pas trop tard.

Quant aux plans qui ne sont qu’indicatifs, je constate qu’ils n’en restent trop souvent qu’à la formulation de bonnes intentions, faute de s’être doté des moyens nécessaires. Et bien peu d’entre eux sont réajustés, si nécessaire, à la lumière des résultats et des difficultés rencontrées en cours d’application.

Le dernier rapport du Bureau du Plan sur le développement durable (2008) dresse le bilan des politiques menées jusqu’à présent en Belgique en soulignant que près de la moitié des mesures du plan précédent (2004-08) n’ont pas été mises en œuvre !

Planifier, c’est se fixer des objectifs pour l’avenir,

avec des échéances et des modalités de mise en œuvre.
Une démarche collective responsable, qui doit laisser une place à l’incertitude.

Agir pour concrétiser un plan, c’est un défi, difficile à relever.

Faire des plans et ne pas passer à l’action, c’est se bercer d’illusions.

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