Que vient faire ce mot dans l’évocation d’une expérience politique à l’échelle uccloise ?

D’accord, vous avez raison de poser la question.


Je pourrais prendre comme prétexte le souvenir émouvant du mariage que j’ai eu l’honneur de célébrer entre le fils d’une famille amie et une jeune femme d’origine ukrainienne que je sentais très émue par les suites horribles de l’accident de Tchernobyl. Ou encore le fait que Uccle, comme la plupart des communes belges, a gardé Electrabel comme fournisseur de son électricité.

Eh bien non. Je plaide coupable ! Coupable d’un manque flagrant de pertinence. Mais est-il possible de ne pas parler du nucléaire quand on mène une réflexion politique axée sur le thème du développement durable ?

En guise de préambule :

A propos du mot « certitude », j’explique, qu’il m’est généralement difficile d’affirmer des prises de positions politiques tranchées, sans nuances. Le nucléaire fait exception. J’ai en effet progressivement acquis la conviction que cette énergie, sous sa forme actuelle, ne peut continuer d’être exploitée sans faire encourir à l’humanité des risques que nous n’avons pas le droit de prendre. Le texte qui suit expose les raisons qui fondent cette certitude ; dont découle, au nom d’une éthique de la responsabilité, l’expression d’un choix politique militant qui, j’en suis consciente, ne laisse guère la place au débat.

Dans le contexte du réchauffement climatique, le débat sur l’énergie nucléaire revient à la une de l’actualité. Des esprits très sérieux nous en vantent les mérites et en démontrent la nécessité.

« Elle, au moins, ne dégage pas de CO2 dans l’atmosphère » (affirmation à nuancer : la filière nucléaire produit un peu de CO2 pour la production du combustible et pour la gestion des déchets !).

« Compte tenu des capacités prévisibles en énergies renouvelables, il sera impossible de s’en passer à court terme, au moins en tant qu’énergie de transition » (affirmation discutable).


Le refus du nucléaire est alors souvent taxé « d’idéologique » par rapport à une attitude qui serait « réaliste ». Ne serait-ce pas, au contraire, un manque de réalisme à long terme que de se voiler la face par rapport à ses effets pervers ?

Le débat actuel de société à propos de l’énergie nucléaire est faussé

par le fait d’une information biaisée qui sous-estime les risques et les coûts ;

et surestime les potentialités en tant que solution d’avenir.

Les risques

Ils sont de plusieurs types : accident dans le fonctionnement des centrales, accident affectant une centrale (chute d’avion ou mouvement tectonique), pollution radioactive par les déchets, attentat terroriste.

Hiroshima et Tchernobyl ont marqué nos mémoires. Moins connu est le fait que les accidents se multiplient où l’on passe chaque fois à deux doigts de la catastrophe.

L’accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island aux USA résulte de la combinaison d’une défaillance technique (une soupape de décharge du pressuriseur ne s’est pas fermée) et d’une erreur des techniciens (ils ont fermé une vanne au lieu de l’ouvrir). Mais surtout, il est apparu que ces derniers étaient mal préparés pour affronter une situation critique, et que les dispositifs d’identification des pannes étaient insuffisants. Nous étions aux USA, pas dans l’URSS de Tchernobyl accusée d’archaïsme en la matière.
Beaucoup plus récemment, dans un contexte technologique en principe plus rassurant, un dysfonctionnement a entraîné l’arrêt de quatre réacteurs en Suède (en 2006), des pannes ont eu lieu dans deux centrales nucléaires allemandes (en 2007). Un grave accident est survenu, en 1999, dans une usine de fabrication du combustible nucléaire au nord de Tokyo.


La plus grande centrale du monde, japonaise, a été endommagée par un tremblement de terre en juillet 2007 (avec une fuite de radioactivité dans la mer du Japon) ; elle a dû être fermée.

Problème technique et erreur humaine sont deux causes de risque qui existeront toujours dans l’aventure de la maîtrise progressive de la nature. Mais dans le cas de l’énergie nucléaire, les conséquences d’un accident sont sans commune mesure avec celles liées à d’autres technologies.

Elles ne doivent pas être évaluées en nombre de morts. La radioactivité tue en effet, mais à petit feu. Elle provoque de graves malformations génétiques et elle détériore l’environnement, d’une manière irrémédiable et pour des siècles. Seuls les scorpions s’en trouvent peu affectés !

La publicité des producteurs d’électricité nucléaire a longtemps joué sur l’idée d’une « énergie propre », belles photos de bâtiments blancs à l’appui. Une désinformation qui était particulièrement mensongère : les déchets génèrent en effet une pollution d’autant plus insidieuse qu’elle est invisible et persistante (n’éludons pas le fait que certains déchets peuvent rester dangereux pendant des dizaines, voire des centaines, de milliers d’années).

Pendant longtemps les déchets nucléaires ont été jetés dans la mer (considérée comme une grande poubelle). Certains fonds marins sont tapissés de fûts radioactifs éventrés ! Depuis 1993, l’immersion des déchets nucléaires est interdite. Une part des déchets nucléaires européens ont été cependant largués en mer en bordure des côtes de pays pauvres tels que la Somalie.

La mise en attente dans des piscines ou des containers, solution provisoire souvent privilégiée, ne pourra être prolongée indéfiniment. Le stockage par enfouissement dans le sous-sol en profondeur réclame des moyens financiers importants et les techniques actuellement utilisées ne donnent pas garantie de sécurité pour le futur.

Une partie du combustible irradié est retraitée. Mais on ne peut pas parler d’un véritable « recyclage » parce qu’une très faible part seulement est réutilisée (sous forme de plutonium ou d’uranium réenrichi) et que le processus n’élimine pas toute radioactivité de la grande masse du rebut. De plus, le retraitement des combustibles usagés impose aujourd’hui des transports risqués de plusieurs milliers de kilomètres (par exemple de France jusqu’en en Sibérie !). L’usine française de retraitement des déchets à La Hague rejette chaque jour des grandes quantités de déchets dans l’océan (en toute légalité : le rejet par conduites terrestres n’est pas interdit !) ; elle pollue aussi la nappe aquifère et l’atmosphère… mais le mot « contamination » est tabou.


La gestion des déchets à long terme pose donc des problèmes toujours non résolus (qui « hypothèquent l’avenir » comme le dit Hubert Reeves). Quelle grave responsabilité prenons-nous à l’égard des populations d’aujourd’hui et des générations futures !

Quant au risque d’attentat terroriste, il ne doit pas être sous-estimé. Il est surtout lié à la nécessité de transporter les matériaux radioactifs sur de longs trajets, à des fins de retraitement et de stockage, et donc à la possibilité de détournements.

Il n’existe que deux grandes usines de retraitement des déchets en Europe (à Sellafield en Grande Bretagne et à la Hague en France). Mais le Japon vient d’ouvrir sa propre usine. Et leur concentration inévitable fait des centres de production nucléaire des cibles de choix pour des chantages terroristes.
N’oublions pas, par ailleurs, que l’on passe relativement aisément du nucléaire pacifique à la fabrication de l’arme de guerre ! Un des sous produits du retraitement des déchets est le plutonium (dont la demi-vie est de 25.000 ans), directement utilisable dans l’armement atomique.

Il faut ajouter à ce bilan déjà bien lourd les conditions de travail de la main-d’oeuvre chargée de la maintenance des centrales et des usines de retraitement des déchets.

Le fait que la maintenance des centrales EDF et Electrabel est majoritairement confiée aujourd’hui à des sous-traitants (très mal payés et non reconnus comme « travailleurs du nucléaire ») est passé sous silence. Une situation d’autant plus inadmissible que ce sont eux qui sont le plus régulièrement exposés aux risques d’irradiation et de contamination radioactives. L’insuffisance des mesures de sécurité ne permet pas de garantir à long terme la protection de la santé des ouvriers du nucléaire. Est-il admissible qu’ils soient sacrifiés ?

Enfin, les problèmes liés à l’extraction minière de l’uranium sont trop rarement soulignés : exploitation éhontée des travailleurs dans certains pays producteurs et danger des poussières faiblement radioactives rejetées dans l’atmosphère.

Un article récent du Monde Diplomatique (juin 2008) nous informe sur le cas du Niger. Ce pays est le troisième exportateur mondial d’uranium. Des concessions minières ont été accordées par le gouvernement à de nombreuses sociétés étrangères pour l’exploitation des gisements situés en territoire touareg (sans aucune consultation de ces derniers dont les aires de nomadisation sont gravement perturbées). Les déchets radioactifs sont stockés à l’air libre depuis des décennies. Certaines ferrailles sont vendues sur les marchés et récupérés par la population comme matériau de construction ou d’ustensiles de cuisine. Les risques sanitaires à long terme n’ont pas été évalués

D’une manière générale, l’impact sur notre santé de la radioactivité ne doit pas être sous-estimé. Faut-il rappeler que tous les matériaux qui entrent en contact avec la radioactivité sont contaminés et que les éléments radioactifs peuvent se retrouver dans toute la chaîne alimentaire ? Il faut aussi savoir qu’une soumission répétée à de faibles doses de radiation augmente sensiblement le risque de cancer et que les normes légalement en vigueur sont basées (depuis les bombes d’Hiroshima et Nagasaki) sur le modèle de risque d’une contamination intense mais courte.

Les coûts

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le nucléaire coûte extrêmement cher. C’est en réalité la source d’énergie la plus coûteuse !

Dans l’évaluation de son coût, il faudrait inclure en effet le prix de la construction des usines et de leur fonctionnement, celui de l’enrichissement du minerai en uranium 235 et de la fabrication du combustible, et ceux de l’assurance contre les risques d’accident, du retraitement et du stockage des déchets et du démantèlement des centrales. Une somme jamais comptabilisée en raison de la grande incertitude relative au coût des trois derniers postes !

Un rapport confidentiel de l’Ondraf (l’organisme qui gère les déchets nucléaires en Belgique) rendu récemment public grâce à l’opiniâtreté d’une députée Groen, fait le constat d’un « passif nucléaire » incertain et souligne le manque d’une obligation de constituer les actifs nécessaires aux charges futures !

En Belgique comme en France, le nucléaire a très largement bénéficié de subsides publics dans son financement. Et si l’on devait intégrer tous ses coûts, l’électricité produite ne serait plus compétitive. Le prix de vente de l’électricité d’origine nucléaire au consommateur ne reflète pas ce coût.

En Belgique, il est cependant relativement élevé. C’est d’autant plus anormal que dans le cadre du monopole passé d’Electrabel, les tarifs ont été imposés aux consommateurs belges dans l’objectif d’un amortissement accéléré des centrales belges sur 20 ans… Or, leur durée de vie a été prolongée bien au-delà ; ce qui permet aujourd’hui de dégager une rente cumulée de 11 milliards d’euro au bénéfice des actionnaires du groupe Suez !

Les potentialités
Si on se limite à l’énergie « de fission » du noyau d’un élément lourd (la réaction de fusion de deux noyaux légers d’hydrogène n’ayant pas encore été « domestiquée »), le potentiel du nucléaire comme substitut des énergies traditionnelles est beaucoup moins élevé qu’on ne le croit.

D’abord parce que le nucléaire ne produit que de l’électricité, soit une très faible part de la consommation globale d’énergie dans le monde (évaluée à 3%). Ensuite en raison d’une limitation du nombre de centrales possibles.

Il existe 440 centrales nucléaires en exploitation dans le monde actuel (dont 7 en Belgique, 3 à Tihange et 4 à Doel). L’âge moyen de ces centrales est de 23 ans. Compte tenu de leur degré d’ancienneté et des prévisions de l’augmentation de la consommation mondiale d’électricité, il faudrait en mettre en service des milliers de nouvelles pour répondre aux exigences de la réduction de la consommation des énergies fossiles nécessaire pour limiter le réchauffement climatique de la planète Où les mettra-t-on ? Où trouvera-t-on la main-d’œuvre suffisamment qualifiée ? Et qui acceptera d’accueillir leur masse énorme de déchets radioactifs à long terme ?

Par ailleurs le combustible utilisé est loin d’être inépuisable ; et il engendre une dépendance similaire à celle vis à vis du pétrole.

Les gisements connus d’uranium (qui, faut-il le rappeler est aussi une source d’énergie « fossile » !) représentent environ 20 ans de la consommation mondiale actuelle compte tenu d’une exploitation au coût d’aujourd’hui. Ils sont relativement concentrés dans l’espace et la plupart des Etats qui ont misé sur le nucléaire sont dépendants de l’importation du minerai. La quasi totalité de l’uranium consommé en Europe est importée. Le prix de l’uranium est en croissance explosive ; il fait l’objet d’une spéculation effrénée qui table sur sa raréfaction.

Il serait toutefois non objectif de ne pas signaler que les surgénérateurs (réacteurs de la nouvelle génération, dont les essais ont été arrêtés pour des raisons de sécurité) consomment de l’uranium 238 (naturel et donc beaucoup plus abondant que l’uranium 235) et génèrent moins de déchets radioactifs ; et aussi que la fusion nucléaire (à partir d’hydrogène sous de très hautes températures) est porteuse d’espoir… à beaucoup plus long terme.

La Belgique peut-elle se passer du nucléaire ?

C’est la grande question du jour…

A la lumière de ce qui précède ne faudrait-il pas

plutôt considérer que nous devons nous en passer

et donc nous concentrer sur les différents moyens d’y parvenir ?

Au début de la législature 1999/2004, le gouvernement fédéral arc-en-ciel s’est mis d’accord sur le principe d’une « sortie progressive de l’énergie nucléaire à des fins de production industrielle d’énergie électrique ».

Une sortie devant débuter en 2015 pour les trois plus vieux réacteurs et se terminer par la fermeture des dernières centrales en 2025. Une sortie annoncée dans le cadre d’une loi mûrement réfléchie… mais que le gouvernement libéral-socialiste suivant n’a en rien préparée !

Le spectre de la pénurie d’électricité est agité aujourd’hui par le lobby nucléaire (responsable d’une récente campagne « d’information » très insidieusement biaisée).

C’est oublier que le « tout au nucléaire » a inscrit la Belgique dans une logique de surconsommation d’électricité alors que tout doit (et peut) être fait aujourd’hui pour mieux maîtriser la demande. Et c’est taire aussi le fait que notre sécurité d’approvisionnement électrique est d’ores et déjà assurée, pour la fermeture des premières centrales en 2015, par les investissements énergétiques récents.

Par ailleurs la sortie du nucléaire belge n’aura qu’un impact limité sur la croissance de l’ensemble des émissions de CO2 (nécessaire pour limiter l’effet de serre).

L’énergie nucléaire représente en Belgique 60% de la production d’électricité mais seulement moins de 10% de la consommation totale d’énergie. Sans même prendre en compte le fait que les émissions de CO2 de la filière en amont vont croître à mesure que la teneur des minerais en uranium radioactif va diminuer. Un minerai, faut-il le rappeler, que nous devons totalement importer !
Bien plus grand sera l’impact d’un effort substantiel d’utilisation plus rationnelle de l’énergie et d’investissement dans les diverses énergies renouvelables possibles !

La prolongation du maintien en fonction de notre capacité nucléaire belge est considérée comme nécessaire dans une « phase de transition ».

Au nom d’inquiétudes relatives à notre approvisionnement énergétique futur et avec l’alibi d’une absence de dégagement de CO2 (« pour mieux respecter nos engagements de Kyoto »).

Cette approche du problème à courte vue témoigne de l’extrême difficulté d’un changement de paradigme dans une réflexion économique largement dominée par les milieux industriels et financiers intéressés.

Le lobby nucléaire multinational espère même introduire l’énergie atomique dans les mécanismes de flexibilité du second protocole de Kyoto : « n’importe quel pays industrialisé pourrait alors financer une centrale nucléaire dans un pays tiers et empocher les crédits d’émission de CO2 ainsi générés » lit-on dans le magazine belge Imagine de mai-juin 2007.

Elle compromet toute la dynamique à moyen terme initiée par le ministre Ecolo Olivier Deleuze avec l’accord du gouvernement fédéral « arc-en-ciel » de l’époque.

En effet, elle ne pourra qu’affecter négativement le développement des énergies renouvelables ; déjà, dans la situation d’incertitude actuelle, certains investisseurs potentiels hésitent à prendre des risques.

La décision finalement prise par le gouvernement fédéral de prolonger de 10 ans la vie des trois centrales belges les plus anciennes est un compromis boiteux (qui semble avoir été largement motivé par des considérations budgétaires).

Elle aura comme effets pervers un risque d’accident accru par le vieillissement des installations et le renforcement de la dominance du groupe Suez GDF face aux producteurs alternatifs.

En guise de conclusion

L’énergie nucléaire, d’abord exploitée à des fins militaires, s’est enferrée dans l’opacité du secret dans la plupart des pays du monde. Partout où existent des risques sanitaires les populations ont été désinformées.

En raison d’une technologie particulièrement complexe, l’exploitation de cette énergie demeure entre les mains de technocrates. La plupart des politiques,trop peu compétents en la matière, doivent s’en remettre à des experts dont les opinions sont divergentes.

La prise en compte des effets pervers du nucléaire est pourtant une des plus lourdes responsabilités du monde politique. Je pense qu’il ne pourra pas, demain, invoquer l’excuse de l’ignorance !

L’image de la politique de l’autruche n’est-elle pas ici particulièrement pertinente ?

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