A Uccle, l’avenue Churchill est une belle artère urbaine,

plantée de marronniers et équipée d’un tram en site propre.

Il s’agit d’une « voirie régionale » donc non régie par le pouvoir communal.


Une demande de permis d’urbanisme a été introduite en 2006 par l’Administration régionale de l’Equipement et des Déplacements (AED), pour un abattage de l’ensemble des arbres suivi d’une replantation.

Il appartenait à la Commune d’organiser l’enquête publique et de donner son avis sur ce dossier. C’est le pouvoir régional qui devait délivrer le permis.

Quatre éléments de réflexion fondaient le projet d’un abattage généralisé de tous les arbres de voirie avec remplacement par une autre espèce d’arbres, considérée comme plus résistante :

 un grand nombre d’arbres âgés en mauvais état sanitaire et la perspective connue de plusieurs maladies spécifiques des marronniers fragilisant l’avenir de cette espèce en région bruxelloise ;

 le risque d’accident dans une voirie à grande circulation avec site propre pour le tram ;

 l’importance de préserver une unité paysagère à cette artère de prestige ;

 et l’objectif du maintien d’un alignement d’arbres homogène du point de vue de la taille.

Ce projet a déclenché une vive opposition riveraine qui s’est rapidement emballée.

La contestation fut telle qu’il a dû être abandonné.

Il n’est pas sans intérêt d’analyser les étapes de l’évolution

de ce dossier délicat qui fut largement médiatisé.

Pendant l’enquête publique, la majorité des courriers reçus sont résignés à un abattage qui semble être une triste nécessité.

 Dans cette première phase de réaction citoyenne, l’espèce proposée pour la replantation est cependant vivement contestée : un conifère, le métaséquoia, jugé inapproprié parce que peu esthétique et disproportionné par rapport à la largeur de la voirie.

 Le service communal de l’urbanisme partage ce point de vue et rédige un projet d’avis en ce sens ; en insistant sur l’importance, du point de vue paysager, du maintien d’une seule espèce d’arbre.

 Certains spécialistes prônent au contraire d’envisager plutôt une diversité des essences dans le but d’une meilleure résistance aux maladies ; un point de vue lui aussi défendable.

La situation se retourne après la clôture de l’enquête publique.

 La nécessité d’un abattage généralisé des 310 arbres est alors mise en doute (« ils ne sont pas tous en mauvaise santé » ; « beaucoup ont souffert d’un élagage excessif par la STIB » « seulement 17 sont dangereux »…) et le ton des messages qui me sont personnellement adressés en masse devient plus passionnel. Une interpellation est faite au conseil communal et une autre au parlement régional.

 Avant la réunion de la commission de concertation, nous débattons longuement de la question en Collège (sur la base d’une analyse approfondie de l’état des arbres reporté sur le plan que j’avais réalisé et qui fait apparaître des différences frappantes entre les trois tronçons de l’avenue comme aussi entre ses deux rives). Nous arrivons à une proposition de compromis (abattage partiel par grands ensembles, replantation avec une autre espèce de marronniers plus résistante) qui s’efforce de prendre en compte l’ensemble des informations dont nous disposons et que je suis chargée de proposer, au nom du Collège, aux membres régionaux de la commission.

 C’est une salle difficilement gérable que je dois affronter en tant que présidente de la réunion de la commission de concertation le mercredi 28 juin 2006 (une date qui n’est pas sans importance : les élections communales sont proches ; le moment est donc opportun pour exercer une pression citoyenne sur les candidats !)

Je constate rapidement que le sauvetage des arbres est devenu une croisade ; l’attitude des riverains (dynamisés par un échange Internet préalable et les regrettables maladresses d’une brochure de l’administration régionale remise en séance) est d’une telle agressivité que les fonctionnaires régionaux ne parviennent pas à faire entendre l’argumentation rationnelle qui légitime à leurs yeux le projet tel que présenté. A la fin de la séance publique, certains citoyens se plaignent d’être méprisés ; et un vieux monsieur en larmes s’accroche à moi : « Madame, c’est le grand-père de ma femme qui a planté les marronniers ». Nous sommes en plein psychodrame collectif.

Après la commission de concertation, les habitants de l’avenue multiplient pétitions et démarches pour sauver « leurs » marronniers.

 Les esprits s’échauffent. Des informations contradictoires circulent. La presse suit le dossier de près. – Des rumeurs commencent à courir qui mettent en cause la STIB.

Le projet d’abattage massif s’inscrirait dans le cadre du projet d’un « nouveau dépôt de tram qui n’aura qu’une utilité temporaire ». La STIB s’indigne devant ces accusations, et dément formellement avoir été demanderesse d’un abattage généralisé.

 Surfant sur la vague citoyenne contestatrice, un des échevins y voit l’opportunité d’un électoralisme facile.

 Quant à la Ministre régionale en charge de la délivrance du permis, elle décide d’abord prudemment de ne pas trancher, dans l’attente d’une expertise supplémentaire ; si ce n’est pour quelques arbres seulement, ceux qui sont dans un état jugé réellement dangereux à court terme.

Le Bourgmestre décide d’ordonner l’abattage en urgence des seuls arbres jugés dangereux.

 De 17 sujets, ces derniers sont passés à 11, à l’issue d’une contre-expertise commandée par la Commune ; ce qui n’a pas empêché une des associations de quartier d’assigner la Région et la Commune en référé, avec l’exigence d’une expertise « indépendante ».

 Son recours contre la décision régionale ayant été rejeté par le Conseil d’Etat, un comité riverain s’est opposé, sur le terrain, à l’exécution des abattages prévus un matin de février 2007.

Les marquages épinglés sur les arbres concernés sont arrachés et remplacés par des grands cœurs peints à la chaux ! Des panneaux rappellent que l’arbre est un « être vivant ». L’arrestation de deux des riverains par les forces de l’ordre contribue à l’échauffement des esprits.

Par ailleurs, la Région délivre finalement un permis.

 En mars 2007, ce permis autorise l’abattage de 152 marronniers à remplacer par des tilleuls, « dans un souci de cohérence paysagère, biologique et de bonne gestion de l’espace public ».

Une décision qui surprend, tant par le choix des arbres à supprimer que par celui de l’espèce de remplacement ; et qui a surtout le tort d’avoir été prise sans aucune concertation avec la Commune !

 Celle-ci a donc déposé en avril 2007 un recours auprès du Collège d’urbanisme, avec l’espoir d’obtenir une modification du permis délivré.

Entretemps la mobilisation riveraine n’a pas désarmé.

 L’association qui avait intenté le recours en référé, devenue l’ASBL « Protection des marronniers » (à ne pas confondre avec le comité de quartier Longchamp-Messidor plus modéré), s’exprime dans un journal toutes boites (« Uccle mon village ») qui publie, en mars 2007, un dossier touffu sur la question. L’affaire y est présentée comme un scandaleux déni de démocratie et on y lit en filigrane la contestation de la politique régionale en faveur du transport en commun.

Une demande de permis alternative est introduite par la Région.

 Fin 2007, l’AED introduit une nouvelle demande de permis. Elle comprend cette fois trois aspects combinés : la gestion des arbres, l’élargissement de l’arrêt Vanderkindere pour y établir le terminus des trams 23 et 24 et le réaménagement de la voirie. Les marronniers demeurent condamnés (sauf ceux du Rond Point) : il est à présent question d’une replantation de 295 platanes.

 La séance publique de la commission de concertation témoigne du caractère toujours explosif de ce dossier aux yeux des riverains. La contestation de la Commune (Bourgmestre en tête) se focalise, elle, sur le terminus temporaire du tram 3 au rond-point Churchill (peu esthétique et dangereux pour les piétons).

 Ce permis ne sera pas délivré en ce qui concerne les arbres.

Place à une solution négociée

 Finalement sera délivré, en septembre 2008, un permis autorisant d’abattre les arbres qui se trouvent sur les quais de la STIB ainsi que ceux qui présentent un risque de chute dangereuse.

Réflexion plus générale en guise de conclusion

Il est peut-être utile de rappeler qu’il appartient au Bourgmestre d’assumer ses responsabilités à court terme dans le cas où des arbres s’avèrent dangereux.

En milieu urbain, les arbres de voirie sont une richesse particulièrement précieuse à préserver. Mais l’importance que prend l’arbre dans l’esprit des habitants dépasse largement la mesure de son apport écologique. Comme toute passion, celle des arbres génère une exaltation qui a ses bons et ses mauvais côtés. Quand le sujet touche au cœur, l’émotion prime sur la raison.

C’est pourquoi, il n’est pas facile pour les citoyens (pas plus d’ailleurs que pour les élus), d’accepter de reconnaître que la gestion des arbres c’est, d’abord, une affaire de spécialistes. Les riverains pas plus que les politiques ne maîtrisent toutes les données scientifiques à prendre en compte avant de proposer des solutions aux problèmes d’entretien et de replantation qui se posent inévitablement.

J’ai été notamment frappée par la difficulté de faire comprendre que la solution qui paraissait la plus simple à première vue (l’abattage des seuls arbres malades remplacés par des replantations ponctuelles de jeunes arbres) n’était pas la bonne.

Une brochure publiée par l’AED explique pourquoi :

« Ces jeunes arbres sont plantés dans de mauvaises conditions : à l’ombre des grands, en général encore vigoureux, qui captent à leur profit toute eau et lumière disponible. En outre, il n’est pas possible, en cas de regarnissage entre plantations, de remplacer un volume suffisant de terres épuisées par 100 ans de croissance de l’arbre précédent et généralement colonisées par des parasites qui l’ont attaqué. »

Par contre, il est évident qu’il doit y avoir place pour le débat démocratique. Et dans le cadre de ce débat, les citoyens ont droit à recevoir des informations claires et des réponses honnêtes à leurs interrogations.

Une réunion d’information, organisée à l’initiative de la Commune en dehors des séances publiques de la commission de concertation, aurait peut-être pu éviter les dérapages de la contestation riveraine. Mais je n’en suis pas sûre. Certains n’ont-ils pas intérêt, en effet, à les alimenter ?

J’ai vu dans ce dossier, un exemple type d’un militantisme citoyen

probablement sincère, mais qui, fondé sur une information lacunaire

et des procès d’intention, a témoigné d’une grande exaltation

et n’a pas hésité à faire des amalgames déplacés.

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