Le gouvernement par le peuple.
Une invention grecque, qui aurait été plus belle encore
si les femmes et les esclaves n’en avaient pas été exclus !
« L’essentiel dans une société est d’organiser l’attribution du pouvoir ».
(Albert Jacquard)
Qu’est-ce qu’une démocratie ?
Si la démocratie peut être définie classiquement (d’une manière générale et par opposition à la dictature) comme un « régime où l’individu possède à l’égard du pouvoir un droit de participation et un droit de contestation », elle se concrétise par des modalités qui peuvent être très diversifiées.
Démocratie « représentative », « participative », « délibérative »,
démocratie « directe », démocratie « politique » et « sociale »…
autant de concepts différents qui méritent tous réflexion.
Une autre façon, plus actuelle, de définir la démocratie est elle aussi à méditer :
« L’exercice du pouvoir dans une société qui se reconnaît divisée et qui cherche à travailler ses contradictions ; en se donnant comme finalité d’impliquer chacun de ses membres dans le travail d’analyse et de délibération nécessaire préalablement à la prise de décision ;
le pouvoir politique ayant, in fine, un rôle d’arbitrage et de décision ».
Le niveau de pouvoir local : un laboratoire potentiel en matière d’expériences démocratiques
Plusieurs formes de démocratie peuvent y coexister qui, loin de s’opposer, sont utilement complémentaires.
- La démocratie représentative y fonde l’exercice du pouvoir communal.
Le principe de sa légitimité n’est pas remis en question, bien que l’on doive faire aujourd’hui le constat général d’une démocratie représentative en crise par perte de confiance des citoyens à l’égard des gouvernants.
Sa grande faiblesse est qu’elle passe nécessairement par la conquête répétée d’un électorat et donc par un processus de séduction. La volonté d’une réélection infléchit l’action des mandataires ; rares sont ceux qui oseront prendre des décisions impopulaires qui s’imposeraient dans la perspective d’une vision à long terme. La démagogie n’est-elle pas un des grands dangers de la démocratie ?
Le problème est aussi posé du choix des systèmes électoraux. Le scrutin proportionnel tel que nous le connaissons en Belgique a des avantages certains : meilleure représentativité du pouvoir, possibilité pour les petits partis de se valoriser et de grandir. Mais il conduit à l’obligation de former des coalitions fondées sur l’arithmétique des résultats électoraux plus que sur un projet politique commun. Et l’électeur n’a plus aucune prise sur les accords de majorité postélectoraux.
- La démocratie participative (appelée parfois à tort démocratie directe) est une exigence complémentaire dans l’optique d’une légitimité « de proximité ». _ Défendue, depuis ses débuts dans les années 80, par l’écologie politique, elle est de plus en plus revendiquée par le monde associatif. Différentes modalités sont possibles.
La participation aux enquêtes publiques et aux « commissions de concertation » en matière d’aménagement du territoire
Une pratique déjà ancienne, imposée par la loi. Elle se déroule à Uccle dans un climat propice au dialogue entre les acteurs concernés.
Elle s’est vue renforcée par l’entrée en vigueur en Belgique de la Convention d’Aarhus depuis 2003. Cette convention consacre le droit de chaque citoyen à s’impliquer dans les domaines qui touchent à l’environnement ; par le droit à l’information, le droit de participation au processus de décision et le droit de recours judiciaire.
Le droit d’interpellation citoyenne en Conseil communal
Un droit désormais reconnu par la loi communale, dont les modalités peuvent différer d’une commune à l’autre.
Les « conseils consultatifs »
Ce sont des institutions permanentes représentatives d’un groupe social particulier, mises sur pied au gré du choix de chaque pouvoir communal. L’objectif est une meilleure prise en compte des besoins et des souhaits par le pouvoir public.
A ma connaissance, Uccle n’en a connu que deux (Jeunesse et Handicapés). D’un impact limité faute de réunions assez fréquentes.
Les « panels » ou « conférences citoyennes »
Il s’agit de réunir, à l’initiative du pouvoir public, un panel de personnes issues de la société civile. D’un nombre qui peut être variable, ces citoyens sont invités à débattre d’une importante question thématique et chargés de faire un rapport aux autorités politiques qui sera un outil d’aide à la décision.
Une telle initiative n’a jamais été prise dans notre commune d’Uccle. Signalons pourtant que la décision prise en 2007 d’élaborer un agenda 21 local implique un appel à une participation citoyenne volontaire (via la constitution de groupes de travail des « comités 21 »).
La Ministre bruxelloise de l’Environnement, Evelyne Huytebroeck a mis sur pied via l’IBGE (au printemps 2006) un panel citoyen sur la problématique de la pollution atmosphérique générée par la circulation automobile en ville. Son travail a été qualifié de « remarquable ».
Autre exemple : à l’initiative de l’Ondraf (l’office belge chargé de la gestion des déchets nucléaires), 32 citoyens (16 néerlandophones et 16 francophones comme il se doit !), éclairés par 17 experts et pilotés par la Fondation Roi Baudouin, ont rendu un avis sur le grave problème que posent les déchets de l’industrie nucléaire. Un avis nuancé qualifié de « sage » ; qui insiste sur la nécessité d’un débat sociétal élargi « dans un domaine aux dimensions éthiques où le pouvoir décisionnel est fortement influencé par le secteur de l’électricité et par des multinationales étrangères ».
Il est aujourd’hui question de la création de panels citoyens à l’échelle européenne. Quel que soit l’échelon de pouvoir qui initie une telle démarche, il est important d’assurer que ces représentants de la société civile bénéficient d’une formation adéquate et puissent faire appel à toutes les expertises qu’ils jugent nécessaires.
Les milieux associatifs
Ils remplissent un rôle démocratique essentiel d’interface entre le pouvoir et les citoyens isolés. Et sont détenteurs d’une précieuse compétence trop peu exploitée par le politique.
Ils sont très dynamiques dans la plupart des communes. A Uccle, on leur octroie volontiers des subsides mais on les intègre rarement au processus de décision.
Le budget participatif
Une innovation brésilienne (instaurée par le pouvoir communiste de la ville de Porto Alegre) qui pourrait être expérimentée dans nos communes sous l’arbitrage du conseil communal.
Quelle que soit la modalité, les pratiques de démocratie participative ont en commun d’impliquer les citoyens dans le débat public, ce qui suppose qu’on leur reconnaît une capacité de réflexion et de proposition. Elles permettent d’éclairer et d’élargir le débat grâce aux capacités de mémoire, d’expertise et d’inventivité de la société civile.
La première exigence à respecter est alors celle d’une large diffusion de l’information, transparente et sous une forme accessible au plus grand nombre.
Par ailleurs, le problème fondamental se pose de la représentativité des interlocuteurs citoyens (non garantie par les dynamiques spontanées). Il faut bien reconnaître que l’offre de participation par les autorités publiques ne suscite généralement que la participation d’une frange réduite de la population, déjà impliquée dans la vie associative. Quant aux demandes citoyennes de participation, elles ont le grand mérite de construire des dynamiques d’action collective susceptibles de mobiliser des personnes qui se sentent impliquées individuellement par une situation d’injustice ou de souffrance sans le soutien d’une identification à une communauté.
Remarquons enfin que la gestion des réunions publiques n’est pas chose facile quand certains forts en gueule monopolisent l’espace de parole ; et aussi que les pratiques de démocratie participative risquent d’engendrer un sentiment de frustration des citoyens dû au fait que le pouvoir de décision continue néanmoins de leur échapper !
Il s’agit d’une nouvelle culture politique à inventer, à partir des réalités de terrain.
Le niveau local s’y prête plus particulièrement.
- Quant à la démocratie directe, elle exige que chaque citoyen puisse exprimer individuellement son opinion sur une question.
Cela peut se faire dans le cadre d’une « consultation populaire ».
Le referendum décisionnel n’est pas prévu dans la Constitution belge. C’est une pratique discutée. N’a-t-on pas accusé le référendum d’être « l’arme des démagogues » ?
Mais la loi belge permet les consultations populaires. Y participer n’est pas obligatoire et elles n’ont pas valeur de décision (contrairement à la pratique suisse qui conduit souvent à un conservatisme frileux). Mais cette « prise de température » peut être l’occasion d’un débat fructueux (s’il est fondé sur une information largement diffusée) et contribuer à éclairer utilement les futurs décideurs.
Le groupe d’opposition ucclois de l’ « Union communale » a repris l’idée, avancée par l’actuel Bourgmestre avant les élections, d’une consultation populaire sur l’éventualité d’une ligne de métro à Uccle. Il faut reconnaître qu’il s’agit bien là d’une question qui concerne tous les habitants. Mais qu’il n’était pas opportun de poser au moment où est mis à l’étude un projet de nouvelle ligne vers Uccle dont on ignore encore les aspects concrets.
La pression exercée via des manifestations et des pétitions peut être considérée comme une autre forme de démocratie directe.
Il s’agit alors d’exercer la pression la plus massive et la plus intense possible dans le but de forcer une décision à prendre ou de s’opposer à une décision qui va être prise.
C’est une forme d’action fréquemment utilisée à Uccle par les associations issues de la société civile. A commencer par les « comités de quartier » (le plus souvent constitués dans le but de contester un projet d’urbanisme). L’objectif est alors de forcer la décision, dans des cas précis, en n’hésitant pas à exploiter le souci électoraliste de la plupart des élus. Le meilleur exemple récent d’une telle action fut celle concernant l’avenir très discuté du plateau Avijl.
Le droit de recours en justice contre une décision du pouvoir public s’inscrit également dans l’esprit d’une démocratie directe.
Il s’agit là aussi d’obtenir gain de cause par la force, mais via l’intermédiaire d’un tiers, un autre niveau de pouvoir ou un juge (d’un tribunal ou du Conseil d’Etat).
D’aucuns ont dénoncé, à juste titre, les excès de l’exercice de ce droit citoyen qui entame les prérogatives des élus. Mais, comme l’écrit Vincent de Coorebyter dans le Soir, il s’agit le plus souvent « non pas de produire du droit mais de faire respecter le droit existant, celui-là même que les élus ont élaboré ».
Dans un contexte de crise de la démocratie représentative en Europe, il est important de souligner avant de clore cette énumération que toutes les formes de démocratie participative contribuent à renforcer la légitimité de la démocratie représentative. Elles changent la façon de poser les problèmes et de comprendre les décisions prises. Elles forgent le jugement des citoyens en matière de gestion publique.
A la condition, toutefois, d’assurer une diffusion la plus large possible de l’information nécessaire à la compréhension des enjeux.
Par contre, la pratique de la démocratie directe peut avoir des effets très pervers lorsque les consultations populaires portent sur un sujet à lourde charge émotive avec un pouvoir décisionnel.
La récente votation suisse contre les minarets des mosquées en offre un bien triste exemple.
Démocratie « politique » et démocratie « sociale »
Quand il est fait référence aux « droits de l’homme » chacun pense d’abord à la déclaration universelle de 1948 qui consacre des libertés essentielles.
Il s’agit d’une déclaration d’intention approuvée, à l’époque, par 48 Etats avec 8 abstentions (l’URSS et les cinq pays d’Europe de l’est, l’Arabie saoudite et l’Afrique du sud). Elle proclame un idéal : le respect des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de chaque individu, tous les êtres humains étant considérés comme égaux en dignité et en droit.
Une déclaration des droits de l’enfant a suivi en 1956. Mais il fallut attendre près de 20 ans pour que soient adoptés les textes des deux « Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme » en tant que normes de droit à respecter par tous les Etats qui les ont ratifiés (35 en 1966).
Signe des temps, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est ajouté et il figure en première place ; on est enfin passé dans l’ère de la décolonisation !
Cette reconnaissance des droits de l’individu et des peuples est certes le premier fondement de la démocratie. Encore faut-il qu’elle soit suivie d’une application dans la réalité. Un combat de tous les jours et de tous les lieux !
La conception libérale traditionnelle des droits de l’homme privilégie les droits civils et politiques au détriment de la dimension socio-économique de la démocratie. Sans reconnaître que ces libertés individuelles risquent de n’être que formelles pour ceux qui ne sont pas en capacité de les exercer faute de voir respectés leurs droits sociaux.
Comment considérer qu’un Etat est « démocratique » s’il tolère en son sein la reproduction de profondes inégalités entre groupes de citoyens ? Si tous n’ont pas un même accès à l’éducation, à la justice, au logement et à la santé ? Si sa richesse économique est mal répartie faute d’une fiscalité suffisamment redistributive ? S’il génère des exclus sociaux ? Si les medias sont de plus en plus monopolisés par quelques grands groupes privés ? Si le respect des droits des minorités n’est pas garanti ? Si sa politique étrangère ne respecte pas le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Et si sa politique économique maintient des populations « du Sud » dans un état de dépendance ? …
Cet éclairage plus social de la démocratie, je l’ai trop peu entendu s’exprimer à Uccle pendant mes deux mandats politiques. Chacun comprendra qu’il serait trop long de m’étendre dans ce chapitre sur ce thème qui est pourtant, lui aussi, au cœur de la pensée de l’écologie politique.
Démocratie…
S’il est un mot qui fait consensus en Occident c’est bien celui-là.
La démocratie est considérée comme un idéal fondé sur une conviction:
l’égalité de tous les êtres humains en dignité et en droit.
Mais elle reste à construire et n’est jamais définitivement acquise.