Tout a déjà été dit sur l’absurdité d’une capitale enclavée, corsetée, privée de son _ hinterland géographique « naturel » et sous financée parce qu’une grande part des emplois

qu’elle procure génère une fiscalité qui bénéficie aux deux autres régions.

Inutile d’en rajouter. Si ce n’est pour rappeler clairement quatre réalités distinctes.


La commune de Bruxelles-ville :

Une des 19 communes bruxelloises ; la plus grande et la plus peuplée. Visiblement marquée par la participation d’Ecolo à la majorité.

Par un après-midi du printemps 2007, un jour de semaine,

je décide de (re)visiter ma ville, avec les yeux d’un touriste :

 Descente vers le quartier des Marolles par l’ascenseur vertical, très fréquenté, de la place Poelaert.

– Surprise de voir ce quartier populaire progressivement occupé par de luxueux commerces d’antiquités qui cohabitent sans problème avec les bains publics, le CPAS de Bruxelles-ville (et sa nouvelle antenne sociale futuriste), ainsi que le désormais célèbre « Melting pot café ». Clin d’œil à la fresque murale de Quick et Flupke épiés par l’agent n° 15 (il paraît que la grand mère d’Hergé était une pure marolienne !).

 Découverte du superbe parc pour rollers décoré de graphes (aménagé au dessus de la voie ferrée de la jonction nord-midi face à l’église de la Chapelle) ; et du « dédoublement » contemporain de la chapelle des Brigitines (devenue musée et salle de spectacle).

 Soupir en traversant la saignée des « boulevards de la jonction » balafrant le tissu urbain à mi-versant de la vallée de la Senne ; mais sourire en découvrant l’importance croissante des espaces réservés aux piétons dans les anciennes voiries.

 Beaucoup moins de chancres. La nouvelle cité sociale accueillante de la rue rempart des Moines. Les anciennes halles de la place St Géry rénovées et leur centre de documentation sur l’environnement urbain.

 Un quartier nord qui se remet doucement du massacre de son tissu urbain dans les années 70 ; avec l’enfilade des sculptures contemporaines du boulevard Albert II.

 Des cyclistes au quotidien ; un bus navette.

 Le bloc de glace qui résiste à la fusion grâce à l’isolation de sa maisonnette au Mont des Arts ; l’exposition des photos aériennes de Yann Arthus-Bertrand au parc de Bruxelles, agrémentées de très intéressants commentaires incitant à un développement durable (deux marques particulièrement visibles de la Ministre régionale de l’Environnement Evelyne Huytebroek).

La Région de Bruxelles-Capitale :

  • Un territoire au statut officiel bilingue, arbitrairement délimité à 19 communes et enclavé en terre flamande (au statut de « région » depuis 1989).
  • Un peu plus d’un million d’habitants sur 162 km (une superficie relativement faible par rapport à celle d’autres « villes-régions » comme Berlin, Hambourg, Vienne…).
    .
  • Une région politique dotée, depuis 18 ans, d’un Parlement et d’un Gouvernement mais non d’une autonomie constitutive juridique équivalente à celle de la Flandre et de la Wallonie.
  • Un pouvoir de tutelle sur ses 19 communes.
  • Une triple capitale : fédérale belge, flamande et européenne.
  • La principale région économique de la Belgique (20% du PNB belge et près de 700.000 emplois), avec un grand développement récent du secteur tertiaire.
  • Mais une grande dualisation sociale avec un taux de chômage de 20% et une part importante de la population de plus en plus précarisée (8% seulement des recettes fiscales).
  • Une région qui accueille quotidiennement 365.000 navetteurs (qui occupent 60% des emplois bruxellois).
  • Une minorité néerlandophone d’à peine plus de 10% (largement surreprésentée au Gouvernement).
  • Une population de plus en plus cosmopolite (avec un jeune sur deux d’origine immigrée) dont la croissance est à nouveau significative (1,2 million d’habitants sont prévus à l’horizon 2020).
  • Un foyer riche de nombreuses cohabitations culturelles (l’aspect « zinneke » de Bruxelles) dont l’essor est bridé par l‘imposition légale d’un clivage bicommunautaire omniprésent.
  • La ville européenne la plus verte après Vienne (notamment grâce à ses intérieurs d’îlots) ; mais avec une répartition trop inégale des espaces verts accessibles au public.
  • Une « ville-région » sans réelle autonomie financière, sous financée d’une situation sociale difficile et des surcoûts et moindres recettes liés à ses fonctions de capitale (sécurité, mobilité, propreté, nombreuses implantations dégrevées d’impôt…).
  • Un important pôle international, à développer par l’aménagement d’infrastructures plus adéquates (ce qui ne devrait pas impliquer une focalisation sur des réalisations architecturales de prestige !).
  • Un enjeu politique majeur, dont l’avenir est d’autant plus incertain que l’est devenu celui de la Belgique fédérale.

 « Beliris » est une réponse partielle du fédéral au sous financement de la Région de Bruxelles-Capitale. Une contribution motivée par les surcoûts liés à ses fonctions de capitale ; qui n’en compense malheureusement qu’une faible part et qui est soumise à l’arbitraire des choix politiques fédéraux en matière de subvention !
Uccle bénéficie des accords Beliris sur deux sites : le parc de Wolvendael et la halte RER du Vivier d’Oie. Deux chantiers importants que la commune n’aurait pas eu les moyens de financer ; au sujet desquels elle a heureusement eu un pouvoir d’avis dans le cadre des enquêtes publiques d’urbanisme.


 Le projet de « Plan de développement international » (PDI) commandé par le Ministre président Charles Piqué a de quoi laisser perplexe. Parce qu’il mise trop exclusivement sur des projets immobiliers d’envergure susceptibles d’attirer les investisseurs privés dans le cadre d’une promotion marchande de l’image de la ville, il risque d’avoir des effets économiques incertains et des conséquences sociales négatives (marginalisation voire éviction des populations les plus fragiles).

 L’existence incontestable d’une identité bruxelloise pourra s’affirmer davantage par la lutte contre les fractures (socio-économique, culturelle et scolaire) qui divisent la société bruxelloise.

L’agglomération urbaine de Bruxelles :

  • Une agglomération en rapide augmentation depuis le 20ème siècle, qui dépasse aujourd’hui le million et demi d’habitants en s’étant élargie, inexorablement, sur le territoire des régions flamande et wallonne voisines.
  • Une bonne trentaine de communes urbanisées qui témoigne d’une discordance croissante entre deux réalités : la réalité géographique, objectivable et la réalité politique, arbitraire.
  • Le principal bassin d’emplois du pays.

L’agglomération urbaine de Bruxelles s’est étendue par un mouvement bien connu en Europe de « périurbanisation », plus particulièrement marqué suivant des axes sud et sud-est. L’évolution cartographique en témoigne.

Les causes en sont bien connues :

 exode des classes aisées et moyennes, motivé par leur désir de verdure et d’espace face à une dégradation de la qualité de vie en centre-ville ; encouragé par l’attrait d’une offre immobilière à des prix moins élevés dans le contexte des taux d’intérêt du crédit hypothécaire en diminution ; sans oublier le développement (reconnu aujourd’hui comme inconsidéré) – de voies pénétrantes routières.

 implantations économiques périphériques.
La délimitation jadis nette entre ville et campagne s’est progressivement estompée. Chacun peut constater, notamment, la continuité de l’habitat entre la région de Bruxelles et les communes de Waterloo et de Dilbeek. Une rupture paysagère subsiste cependant encore localement à la limite des communes de Uccle et de Linkebeek.

Les communes « à facilités » :

  • 6 communes limitrophes de la région de Bruxelles-Capitale intégrées à la Flandre par le tracé des frontières linguistiques de1962, malgré leur très forte proportion de francophones (majoritaires dans plusieurs d’entre elles).
  • Un régime de facilités linguistiques administratives pour les francophones, fortement compromis par les actuelles revendications nationalistes flamandes.
  • Une situation limitrophe d’Uccle pour trois d’entre elles : Rhode St Genèse, Linkebeek et Drogenbos.

Depuis la fin du siècle précédent, des relations d’amitié ont été institutionnalisées entre les communes d’Uccle et de Linkebeek… à titre officieux s’entend, car notre volonté commune d’une charte officielle de coopération n’a pas été acceptée par le Gouvernement flamand !

Une grande disparité démographique : environ 75.000 habitants d’un côté de la frontière linguistique et 4.000 de l’autre. Mais une similitude sociologique et urbanistique.

Une rencontre annuelle entre les deux collèges. Des participations réciproques aux fêtes du carnaval et de la jeunesse. Un parcours d’artistes organisé conjointement par les deux communes. Des concertations du point de vue de la mobilité et quelques collaborations pour l’instruction de permis d’urbanisme.

Peu de choses en vérité et qui n’impliquent guère les citoyens des deux communes. Mais un symbole politique fort. Il préfigure un grand rêve … qui deviendra peut-être un jour réalité.

En guise de conclusion

Les tensions communautaires ont engendré un véritable déni de la réalité urbaine bruxelloise objective. Se contenter de réclamer du côté francophone un élargissement territorial qui engloberait dans la région bilingue les 6 communes à facilités ou une partie d’entre elles, me parait un compromis peu satisfaisant.

C’est à l’agglomération urbanisée toute entière, avec son hinterland, qu’il faudrait envisager d’étendre les limites de la région pour répondre aux logiques géographiques et économiques qui transcendent largement les limites politico-linguistiques qui ont été négociées difficilement en 1962 (sans consultation des habitants concernés). Cela se justifie plus particulièrement en matière d’aménagement du territoire et de mobilité.

Le cas du grand ring autoroutier (y compris ses relations avec les pôles intermodaux bruxellois) dont le tracé est presque intégralement en terre flamande, illustre de manière exemplaire les absurdités fonctionnelles auxquelles conduit cette réalité politique. De même celui de la prolongation refusée par la Flandre du tram 55 sur le territoire de Linkebeek.

Dans le même ordre d’idée, cette situation de non collaboration entre régions explique le retard pris par la réalisation du collecteur d’égout de la vallée de Verrewinkel attendue par Uccle depuis des années.

Une région de Bruxelles-Capitale ainsi redéfinie dans une logique rationnelle aboutissant à un délimitation à discuter sur la base de critères objectifs, comporterait une proportion beaucoup plus importante de néerlandophones (probablement de l’ordre de 30%). Ce qui justifierait l’application des principes de parité linguistique similaires à ce que la Constitution prévoit pour le niveau fédéral ; et fournirait à Bruxelles les ressources fiscales nécessaires pour assumer son rôle de grande capitale internationale.

Tous les Bruxellois (flamands comme francophones) en tireraient avantage ; et le dynamisme économique moteur de la capitale, en relation fonctionnelle avec ceux de la Flandre et de la Wallonie, bénéficierait à l’ensemble des trois régions comme à celui du pays.

Cette Région-Capitale agrandie à l’échelle de la réalité urbaine telle qu’elle s’observe

de nos jours, constituerait (comme l’exprimait justement l’urbaniste Etienne Graindor dans le Soir

du 5 septembre 2007) un « miroir de la Belgique » (mais avec des proportions inversées des populations francophone et néerlandophone).

A défaut, est-il utopique d’envisager qu’à court terme :

« dans un périmètre correspondant grosso modo à l’hinterland de Bruxelles, les synergies puissent être améliorées avec les deux autres régions : soit vis-à-vis des accords de coopération, soit dans une logique de communauté urbaine formalisée d’une manière ou d’une autre ? »
(Christos Doulkéridis, député régional Ecolo, dans le Soir du 18 septembre 2007)

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