J’ai toujours eu une grande admiration pour les personnes capables de maîtriser les langues étrangères. Une estime à la mesure de ma propre « infirmité linguistique » ! Je ne vais pas jusqu’à croire que celle-ci est innée, mais le fait est que je n’ai pas réussi à la surmonter ; un handicap que je regrette vivement. Je dois donc avouer que je n’ai pas été une échevine bilingue !
Je déplore d’autant plus mon manque de maîtrise du néerlandais que la communauté néerlandophone uccloise, bien que relativement peu nombreuse, témoigne d’une vitalité culturelle très riche (animée par son centre du Canderlaerhuys à l’avenue Brugmann). Pendant des années, c’est dans son journal « den Hoorn » que l’on pouvait trouver les meilleurs échos du Conseil communal ucclois sous la plume d’un journaliste auquel je voudrais rendre ici hommage.
Le manque de bilinguisme fonctionnel des Belges francophones
L’apprentissage des deux principales langues nationales semble particulièrement prioritaire dans la région officiellement bilingue qu’est Bruxelles, où 9 emplois sur 10 requièrent le bilinguisme.
Tous les documents officiels émanant d’une administration communale en Région de Bruxelles-Capitale doivent être bilingues.
Dans certains cas, cela suppose un gros travail de traduction. Je pense notamment aux documents urbanistiques tels que les études d’incidences et les Plans Particuliers d’Affectation du Sol (PPAS) dont la traduction grève lourdement les coûts de diffusion.
Tout fonctionnaire communal bruxellois doit être bilingue. C’est loin d’être la réalité dans la pratique : la réussite de l’examen linguistique du Selor (Bureau fédéral de sélection de l’administration) est une condition nécessaire pour être nommé ; nombreux sont les fonctionnaires qui demeurent « contractuels » (et non « statutaires ») faute de l’avoir réussi. Ce qui empêche toute promotion professionnelle et ne garantit pas une stabilité d’emploi.
L’examen comporte une épreuve écrite et une épreuve orale. Sa réussite est notoirement difficile. Il est lui est reproché d’exiger la maîtrise d’un vocabulaire très technique qui n’a pas de rapport avec la fonction qu’exerce le candidat. Deux communes (Schaerbeek et Auderghem) ont introduit un recours au Conseil d’Etat contre l’arrêté royal fixant les conditions de réussite de l’examen du Selor, avec l’espoir que soit revue des exigences jugées excessives par rapport à la loi linguistique applicable à tous les fonctionnaires en rapport avec le public.
J’ai cependant constaté que les échecs répétés sont plus fréquents chez les francophones que chez les néerlandophones. Et j’ai côtoyé plusieurs fonctionnaires néerlandophones témoignant d’une connaissance remarquable du français, tant écrite que orale.
L’immersion linguistique à l’école : une question d’actualité
Le problème linguistique de nombreux francophones n’est pas nouveau, ni spécifiquement communal.
Mon expérience personnelle d’une scolarité bruxelloise réussie sans problèmes m’amène à douter de l’efficacité de l’apprentissage scolaire des langues étrangères, aussi bon l’enseignant soit-il.
Sans nier l’importance d’acquérir les bases grammaticales d’une langue, je suis frappée par le fait que le jeune enfant apprend à comprendre et à parler sa langue maternelle dans une totale ignorance des règles qui la fondent ; un des plus beaux miracles de la socialisation du petit d’homme, qui ne s‘explique que par une situation d’immersion linguistique au sein de sa famille. Une telle immersion au quotidien dans une langue étrangère est difficile à réaliser dans le cadre d’un cursus scolaire qui se doit de privilégier l’approfondissement de la langue maternelle des élèves.
L’immersion linguistique prolongée est la solution unanimement reconnue comme efficace. Mais doit-on pour autant la généraliser dans le système scolaire ?
La Ministre de l’Education, Marie Arena veut promouvoir l’immersion linguistique dans les écoles primaires et secondaires de la communauté. En soulignant l’exigence et la difficulté de trouver des enseignants dont la langue maternelle est le néerlandais. Le Gouvernement flamand est aussi tenté par la généralisation de l’expérience.
A Uccle, la question a été longuement débattue (en Collège et en Conseil communal) de l’ouverture de classes bilingues dans les écoles communales. Le débat fut riche. L’idée avait de chauds partisans. L’expérience est actuellement en cours d’un apprentissage précoce du néerlandais dans les classes maternelles de l’école de Calevoet. Le nouveau décret de la Communauté française permet une souplesse accrue dans les modalités qui va probablement inciter la Commune à poursuivre cette expérience par une immersion élargie à un nombre d’heures plus important.
L’école peut-elle et doit-elle offrir les conditions d’une réelle immersion linguistique ? Ceux qui le prônent visent avant tout l’efficacité d’un apprentissage des langues étrangères dans un but, pragmatique, de communication. Or je crois important de rappeler ici que l’objectif de la communication n’est pas la seule fonction de la langue.
Les fonctions multiples de la langue
Entre langue et pensée existe une relation dialectique : la langue apprise influence la manière de penser en même temps qu’elle est le reflet d’une façon de penser. Une bonne maîtrise de sa langue est donc à la base d’une structuration de la pensée et d’un développement des capacités d’abstraction. Chaque langue est le reflet d’une culture, l’expression collective du génie d’un peuple.
C’est pourquoi il me parait essentiel de veiller à ce que l’apprentissage fonctionnel d’une langue étrangère, aussi utile soit-il, ne se fasse pas au détriment de celui de sa langue maternelle.
Des études récentes montrent cependant que, jusqu’à la puberté, le cerveau reste très plastique pour l’acquisition d’une seconde langue sans effets négatifs sur la maîtrise de la langue maternelle. Un apprentissage précoce d’une seconde langue serait même bénéfique pour le cerveau (qui s’en trouverait en quelque sorte « libéré » pour l’accomplissement d’autres tâches que linguistiques). Par ailleurs, il apparaît que l’on puisse déjà conclure des premières expériences d’immersion linguistique en milieu scolaire que l’apprentissage de la lecture en flamand n’entrave pas la maîtrise du français des enfants francophones.
Le cas intéressant d’un couple de parents bilingues
C’est une situation qui permet à l’enfant d’atteindre l’idéal d’un bilinguisme véritable.
On se trouve alors dans une double immersion familiale si le père et la mère s’astreignent à ne dialoguer chacun avec l’enfant que dans leur langue respective. Ce qui permet à l’enfant d’acquérir simultanément une bonne maîtrise de deux langues « maternelles » (soulignons au passage le sexisme de cet adjectif traditionnel !).
De là à encourager les mariages entre flamands et francophones, il n’y a qu’un pas à franchir qui résoudrait peut-être mieux notre contentieux communautaire que les négociations politiques !
D’autres solutions possibles aux problèmes de dialogue interculturel
- Organiser le multilinguisme des services publics plutôt qu’exiger celui des fonctionnaires à titre personnel.
C’est une solution pragmatique que la loi empêche aujourd’hui de mettre en pratique. - Accepter le multilinguisme passif : chacun s’exprime dans sa propre langue tout en étant capable de comprendre celle de l’autre.
C’est une pratique habituelle dans les séances publiques des commissions de concertation en urbanisme. - Adopter une même langue véhiculaire au niveau international.
Mais laquelle choisir ? L’anglais ? L’espagnol ? Le chinois ? ou plutôt l’espéranto ?… - L’idée, défendue récemment par un groupe d’intellectuels, du choix par chaque citoyen européen d’une « langue personnelle adoptive » est intéressante parce qu’elle contribue à la préservation de la diversité linguistique.
La diversité linguistique est une richesse culturelle à préserver. A l’heure où l’on s’alarme à juste titre de la perte de la biodiversité, des mesures devraient être prises également pour enrayer l’extinction de milliers de langues que les enfants n’apprennent plus à maîtriser en tant que langue maternelle.