Sculpteur environnementaliste, architecte, créateur de paysages, figure de proue du Land Art, Grand Horloger, peintre modiste, agriculteur, Druide : en un mot comme en cent, nous qualifions Andy Goldsworthy d’artiste écologiste.
Andy Goldsworthy, un artiste écologiste ? Comme surgie des entrailles de la Terre, avec ce mouvement de cheptel en marche, en transhumance ou à l’étable, ce grand mouvement de vie de passage, son oeuvre vient à nous du fond des âges et perpétue un art qui a commencé depuis la nuit des temps. Elle affirme les grandes présences de ces dieux tutélaires que l’on ne nomme plus ainsi : Ciel et Terre, le Temps, le Soleil, la nuit et le jour.
Sculpteur avant tout. Mais de quelle matière ? Il sculpte l’aridité et l’énergie de la pierre, l’hiver des arbres, leur lent sommeil, la lumière du soleil là où il change. Vannes célestes pour quels miracles !
Galets griffés à blanc ou cuits au feu, glaçons collés aux rocs, dalles saupoudrées de neige, magie des statues de gel, ou de laine gelée, sarcophages de corps d’arbres, Andy Goldsworthy semble quêter le coeur de feu de la pierre, sa matière secrète, violence forgée de glace. Sculpteur forgeron, il soude la glace à la glace, inlassablement, la glace au roc. Il forge la pierre au feu des feuilles. Feuilles d’érable rouges, aux limites de pierres prenant le soleil ; feuilles de hêtres, jaunes, à attendre les saisons ; fleurs de pissenlit, entre la glace et sa trace. Hiver, frêne; printemps, hêtre; sycomore, été; noisetier, automne.
Voyageur infatigable, son Arche fait le tour de la Terre, comme un anneau protecteur.
Est-ce l’oeuvre d’un sculpteur, ces autels pour protéger le feu de la vie, témoigner d’une énergie éphémère, recyclable ? L’amour, comme un travail de paumes offertes. Une offrande de pierres, autour des arbres, le long des brise-lames, et quelquefois ces piles lavées par les marées, telles des mages, si belles à toucher qu’elles en évoquent celles de Brancusi, mais hors des lieux dits de culte de la culture, hors des musées. Il sculpte l’énigme des roches face au sable, le battement des vagues sur le silence des récifs, en équilibre frêle face à l’éternité. Sculpteur de vent, d’air et d’aubépine sauvage, sculpteur de la mémoire des siècles.
Paysagiste, qui habille l’homme de ses rêves. Infatigable Arpenteur du Temps qui passe et qui trépasse. Les saisons, les paysages défilent ; les couleurs, les visages, comme les paysages changent. La glace, le givre, le verglas, les immensités gelées, les grands lacs engloutis, tout se mêle et se démêle dans les mailles du temps. La main caresse le sol, étend son ombre sur les compositions bancales (cercles de feuilles, sculptures de sable), communique l’énergie de vie aux formes et aux couleurs. Un instant et tout a chancelé, les arches ont été balayées par les intempéries et les marées. Peintre modiste : la mode cette année encore sera à la neige, aux feuilles courtes, aux épines accrochées aux tiges, aux couleurs vives. Andy Goldsworthy découpe ainsi les saisons, à son gré, taille les branches dans une avalanche de souvenirs oubliés, de visages déchus. Amant des paysages, les formes n’existent pas pour elles-mêmes, elles renaissent éternellement et ce renouveau se présage dans leur chute même. L’ombre apprivoisée se cogne à la lumière et reste encore quelques instants alors que le sujet n’est plus – Andy Goldsworthy de toute évidence a peint l’arc-en-ciel de couleurs terrestres. Il colle un arbre mort au sable rouge et le rend au soleil, tandis qu’au clair de lune ses statues champêtres diffusent une lueur blanche, accompagnant le voyage des pierres dans l’au-delà.
De paysagiste, le voilà Grand Horloger, Grand Prêtre de la Nature, à apostropher le Temps comme l’on mesure l’érosion sur les falaises. Sa matière est l’action du temps, celle du ressac, de la parabole des astres et du circuit de la sève des arbres millénaires. Et qu’est-ce que cet «arbre chantant», monument futuriste à l’écart, qui siffle à tous les temps ? Des tuyaux métalliques susurrent au désert le mystère des vents … Andy Goldsworthy ne représente-t-il pas la rotondité de la planète, son amas d’atmosphère, son souffle de bruine solitaire ?
Il photographie ces tragédies et bacchanales de feuilles. Il guette les instants impossibles comme l’arbre de sable rouge, ou un serpent émergeant d’ossements dans un désert. L’infini dans le fini, la chair faite pierre.
Enfin, la trace qu’il laisse devient partie intégrante du lieu lorsqu’il imprime son ombre dans les carrières. « L’ombre que nous laissons est preuve de notre passage » dit-il.
A sculpter l’éphémère, il entre dans la représentation des choses et touche ce que l’homme était avant d’être et ce qu’il sera lorsqu’il aura disparu. Les signes sont là réduits à l’énergie qui circule, et à la couleur noire. Andy s’intéresse à cette « nuit elle-même, au travail accompli de nuit, pour la nuit et pour être vu de nuit ».
« Plumes de corbeau posées sur le sol tôt le matin, avant la montée du vent qui les a emportées ». Il est conscient de cette couleur noire contenue dans toutes choses « je parle d’une profondeur et d’un espace de la nature qui s’écoulent par la terre, la pierre, l’arbre … l’énergie qui suscite le changement et la vie».
Grande détresse des XXème siècles ! Faut-il représenter ? Photographier l’impromptu des couleurs, ces tons d’un jaune, d’un rouge jamais vus ? La tendresse révélée des pierres, la fluidité des formes, des arcs et des lignes, la sinuosité du périple, le cycle des saisons et des matières ? Mais les formes de Goldsworthy représentent, se fondent dans le cosmos auquel elles se confondent avant que l’on s’y abandonne. Ses oeuvres sont des pèlerinages, des rites magiques, qu’il greffe sur notre terre, sous le pas de nos errances, au plus visible de notre horizon – ou en contrebas.