Un ouvrage d’Alexandre Rojey, directeur Développement durable à l’Institut Français du Pétrole. Paru aux éditions Technip, Paris, 2008.

Par Jean-Michel Corre, chercheur-associé à Etopia


En un coup d’œil : ouvrage de synthèse et de vulgarisation pour l’« honnête homme » sur ces sujets brulants – traitant surtout du deuxième intitulé, la transition énergétique, d’une façon exhaustive et à jour du savoir courant décembre 2007. Une grande partie de l’ouvrage paraitra évidente pour le lecteur averti d’ETOPIA. L’intérêt est de noter les convergences sous la plume d’un ingénieur de formation, qui plus est directeur à l’IFP. Malgré une position ouverte sur le nucléaire, traité toutefois avec prudence, ce livre peut constituer un vade-mecum pour réfuter l’optimisme scientiste, ordonner dans le temps la mise en œuvre de solutions en parallèle à leur maturité scientifique, économique et sociale. Enfin la nécessité de modifications profondes dans les secteurs habitat, transport et comportements est également traitée. Le style simple et didactique ne parvient pas à celer une inquiétude quant à la mise en œuvre du possible pour éviter le scenario « business as usual » qui nous mènerait droit dans le mur..

1. S’il faut attendre le chapitre 3 pour aborder « la menace du changement climatique », mauvais titre car AR lui-même en traite comme d’un risque majeur, il reprend les constatations du 4° rapport du GIEC et celles du rapport Stern sur les aspects économiques. L’analyse du protocole de Kyoto et de ses limites, la problématique du facteur 4 et de l’après-Kyoto sont bien résumées.

AR avait commencé par une revue de l’énergie dans une économie mondialisée. Points à relever : a) le transfert d’activités industrielles vers les pays émergents, qui vont donc consommer et polluer plus pas seulement pour leurs propres besoins, mais aussi pour les nôtres, b) la mondialisation a peu bénéficié à la résolution collective des problèmes, alors que dès l’introduction il est noté que « les solutions techniques ne suffisent pas à elles seules. L’évolution du comportement ainsi que du contexte réglementaire fait partie intégrante de la démarche proposée ». Propos évidents… qu’on est heureux de retrouver ici.

2. L’indispensable transition énergétique pour agir dans une perspective de développement durable fait l’objet de chapitres très argumentés techniquement et scientifiquement, sur les réductions de la consommation, sur la réduction du contenu carbone de l’énergie (y compris l’utilisation du nucléaire, les énergies renouvelables, l’hydrogène), sur la maitrise des approvisionnements en énergie fossiles qui vont longtemps demeurer nécessaires, sur le captage et le stockage du CO2. Les idées qui se bousculent actuellement sur le marché sont ici passées à la moulinette de l’ingénieur bien informé. Ainsi, l’hydrogène est remis à sa place de voie de recherche intéressante mais d’application lointaine, le danger des biocarburants compétiteurs de la nourriture humaine et d’un rendement énergétique parfois illusoire est bien noté.
L’éolien, technologie reconnue mature, est étonnement traité très rapidement, comme une énergie à développer mais d’une production instable. De même la bio-masse (bien distinguée des agro-carburants) est traitée en passant, quantifiée au niveau mondial, sans plus de commentaires car les technologies sont éprouvées. Réactions d’ingénieur ?

3. La prospective ouverte par AR, empreinte d’un réalisme relativement pessimiste, est que le retour au charbon, notamment aux USA et surtout en Chine, est inévitable, de même que la relance du nucléaire visant sa troisième génération (futures centrales en Finlande et en France), dans le cadre d’un energy-mix et de politiques de recherche et d’économie d’usage. Son dernier chapitre, « Comment réussir la transition énergétique » reconnait que « c’est un nouveau projet de société qu’il s’agit de mettre en place » pour limiter à 50% l’augmentation mondiale d’émissions de GES pour la période 2021=2020 (base 1990) et la faire descendre en dessous de cette référence vers 2050. Le tout, pour limiter la hausse moyenne de la température à 2%, ce qui éviterait la catastrophe majeure.

4. Les innovations technologiques majeures attendues sont : a) la captation et le stockage du CO2 émis, principalement par les centrales au charbon b) le stockage de l’énergie solaire c) la 4° génération de centrales nucléaires (les fameux surgénérateurs, car la fusion est bien renvoyée aux oubliettes) qui permettrait d’utiliser moins de matériel fissible. Les dangers représentés par la disposition des déchets nucléaires et par la génération de plutonium et donc de composants d’armes nucléaires sont répertoriés

Cet ouvrage ne tombe pas dans le piège de la foi dans le progrès technique. L’auteur insiste sur le fait que, en parallèle à ces innovations, tous les autres leviers d’action doivent être mis en œuvre, qu’ils soient technologiques, économiques et comportementaux. La réglementation des activités, l’adaptation des comportements humains et des sociétés, qui supposent la mise en place d’un « gouvernement mondial » sont parmi les pré-conditions d’un futur possible.

« Enfin, une évolution de nos modes de vie est indispensable. L’imagination et l’innovation doivent être au rendez-vous pour inventer de nouveaux modes d’habitat et de mobilité. Plus qu’une évolution, il s’agit là d’une révolution. La réussir est une obligation, pour la planète et pour nos enfants… »

Cette conclusion d’Alexandre Rojey montre qu’un scientifique informé et honnête en arrive, après une analyse serrée des possibilités et des dangers, exactement aux mêmes conclusions que les Verts Européens. La différence de position sur le nucléaire est même particulièrement intéressante, puisqu’elle met en relief la faible contribution de cette voie dangereuse à la solution du problème de la transition énergétique. Rareté et insuffisance dès 2020 du minerai d’uranium pour le fonctionnement des centrales nucléaires existantes, tensions accrues sur le prix de ce minerai si la durée de vie de ces centrales est prolongée( !), poids financier des investissements dans les nouvelles filières (étonnamment, le coût de la recherche n’est pas mentionné, et son poids sur les investissements publics non plus), faible acceptation par les populations de la proximité aussi bien de centrales que de dépôts de déchets, autant d’arguments connus de nos amis, notamment lors des débats avec le Pr Berger, qui reçoivent l’aval d’un scientifique « non engagé ».

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