Un texte de François Gemenne, chercheur-associé à étopia, aspirant FNRS chercheur au CEDEM (ULG) et au CERI (Sciences Po Paris).
Le Prix Nobel de la Paix 2007, récemment attribué conjointement au GIEC et à Al Gore, a mis en lumière les rapports étroits qui existaient entre environnement et sécurité. Le maillon qui relie ces deux concepts semble bien être celui des migrations que le changement climatique sera amené à provoquer. Pour autant, la réalité, complexe, des migrations environnementales ne saurait être réduite à une relation linéaire et causale. Le présent article tente d’organiser les différents aspects de la relation entre environnement et migration, encore peu explorée par la littérature, de manière à évoquer des pistes qui permettraient une meilleure (re)connaissance et une protection plus efficace de ces migrants d’un type nouveau. Ou peut-être pas si nouveau que cela.
Introduction
L’ouragan Katrina, qui a dévasté la Louisiane à l’été 2005, a aussi jeté sur les routes un million et demi d’habitants. Beaucoup ont trouvé refuge chez des proches, dans les États avoisinants. D’autres ont roulé en voiture jusqu’à trouver une chambre d’hôtel libre, ou un refuge installé par la Croix Rouge ou les autorités. D’autres, enfin, se sont trouvés piégés dans La Nouvelle-Orléans, submergée. Secourus par les garde-côtes, ils furent parqués dans le stade de la ville, le Superdome, puis évacués aux quatre coins des États-Unis, parfois sans même connaître la destination de l’avion ou du bus qui les emmenait. Voilà l’histoire que les médias ont rapportée.
Plus d’un an et demi après la catastrophe, même si des statistiques précises font encore défaut, et malgré les efforts du maire, on estime qu’environ la moitié des habitants de La Nouvelle-Orléans ne sont pas revenus dans une ville1 dont les trois quarts des logements ont été ravagés, et qui sont encore à l’état de ruine dans de très nombreux quartiers. Ceux qui ne sont pas revenus sont environ trois cent mille, dans les situations les plus diverses. Certains habitent dans des caravanes, dans des ‘trailer parks’ (parcs de caravanes), installés aux quatre coins de l’État. D’autres ont refait leur vie, à Baton Rouge, Houston, Atlanta ou plus loin encore. D’autres, enfin, ont loué un appartement et espèrent pouvoir un jour reconstruire leur maison. Pour tous ceux-là, ce qu’ils pensaient n’être qu’une évacuation de quelques jours s’est transformé en un exil de plusieurs années.
La catastrophe de La Nouvelle-Orléans est sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Le drame de ses habitants déplacés, incapables de rentrer chez eux, condamnés à reconstruire leur vie ailleurs n’est pourtant pas sans précédent, y compris aux États-Unis. Que l’on songe aux Honduriens, réfugiés dans le sud des États-Unis à cause de l’ouragan Mitch, en 1998, ou à ces fermiers de l’Oklahoma, du Texas et de l’Arkansas, poussés à l’exil par les orages de poussière et la sécheresse des années 30, dont John Steinbeck narre si dramatiquement la longue route vers l’Ouest dans Les Raisins de la colère.
En décembre 2004, le tsunami qui ravage l’Asie du Sud-est force aussi à l’exode plus de deux millions de personnes2, dont beaucoup vivent encore aujourd’hui dans des camps de réfugiés installés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). Plus près de nous, les boat people africains qui échouent régulièrement sur les plages des Canaries ou les côtes italiennes sont souvent poussés à l’exode par la désertification, qui les prive de moyens de subsistance dans les campagnes. Arrivés en ville, le manque d’emplois et de ressources pousse les plus nantis d’entre eux à s’embarquer sur des rafiots de fortune, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît3. D’autres entament un voyage similaire, des côtes de la Somalie à celles du Yémen. Nous pourrions allonger cette liste à l’infini.
Invariablement, chaque catastrophe naturelle jette sur les routes de l’exil son lot de déplacés et d’évacués. Certains reviennent rapidement, d’autres après plusieurs années, d’autres jamais. Certains sont évacués dans la hâte, d’autres mûrissent longtemps la décision de partir. Certains franchissent une frontière, d’autres – plus nombreux – restent à l’intérieur de leur pays. Certains décident librement de partir, d’autres n’ont pas le choix. Tous ont en commun d’être poussés à partir par des dégradations de leur environnement immédiat et d’être ce que l’on appelle aujourd’hui couramment, ou presque, des « réfugiés environnementaux ».
L’émergence d’un concept nouveau
Les migrations liées à l’environnement ne sont pas un phénomène neuf, loin s’en faut. Depuis l’Antiquité, de nombreux récits de catastrophes naturelles relatent déplacements, exodes et évacuations4. Des documents relatifs au tremblement de terre qui détruisit Lisbonne en 1755 mentionnent déjà des flux de réfugiés5, comme le rapporte aussi Voltaire dans Candide. Il faut pourtant attendre les années 1970 pour que la relation entre les dégradations de l’environnement et les flux migratoires soit évoquée. Elle est d’abord mentionnée dans les cercles et think tanks environnementalistes, avant d’être consacrée en 1985 par un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP), sobrement intitulé ‘Environmental Refugees’6. C’est aussi l’époque où l’environnement fait son apparition à l’agenda politique international : depuis le sommet de Stockholm, en 1972, l’environnement sera régulièrement inscrit à l’ordre du jour des Nations Unies.
Paradoxalement, même si la relation entre l’environnement et les migrations se fraie peu à peu un chemin dans les cénacles internationaux, elle reste largement méconnue du grand public et suscite peu de recherche scientifique. C’est la généralisation progressive des connaissances sur les menaces liées au changement climatique qui va transformer la perception du concept par le grand public et les politiques. Même si le phénomène est connu et mesuré depuis les années 1950 par les scientifiques, ce n’est qu’au cours des dernières années que le changement climatique devient véritablement un enjeu politique, et un sujet de débat public7. Plusieurs facteurs contribuent à cette prise de conscience : d’une part, les nouveaux travaux du GIEC8, plus médiatisés, couronnés d’un prix Nobel de la Paix, et surtout s’attachant davantage aux conséquences du changement climatique, mais également des initiatives individuelles et médiatiques, comme celle de l’ancien Vice-président américain Gore, lui aussi distingué par le Comité Nobel.
Alors que les conséquences annoncées du changement climatique sur les établissements humains gagnent en visibilité, les ‘réfugiés environnementaux’ semblent incarner les premières victimes du réchauffement global. Les premiers cas de déplacements forcés liés au changement climatique reçoivent un large écho médiatique, comme l’atoll de Tuvalu, dans l’Océan Pacifique Sud, menacé par la montée des eaux, ou le village de Shishmaref, aux confins de l’Alaska, qui repose sur un permafrost dont la fonte s’accélère continuellement. Des politiques commencent à se saisir de la question, et plusieurs résolutions sont déposées, notamment au Sénat de Belgique, au Sénat d’Australie, au Conseil de l’Europe et au Parlement européen. Les estimations les plus alarmistes quant au nombre de ces réfugiés commencent à circuler. Le rapport Stern sur les conséquences économiques du changement climatique9, reprend le chiffre de 200 millions de réfugiés potentiels d’ici 2050, chiffre avancé par l’écologiste Norman Myers en 199510. L’Institut pour l’Environnement et la Sécurité Humaine de l’Université des Nations Unies, établi à Bonn, s’en tient au chiffre de 150 millions. Plus récemment, en mai 2007, l’organisation non gouvernementale Christian Aid annonce carrément un milliard de ‘réfugiés climatiques’ à l’horizon 2050.
Ces chiffres, en réalité, reflètent simplement le nombre de personnes habitant dans les régions les plus exposées aux effets du changement climatique, et singulièrement à la montée des eaux : régions deltaïques et côtières, petits états insulaires, etc. Ils ne tiennent pas compte des efforts qui pourront être faits pour limiter l’élévation du niveau des mers, ni des mécanismes d’adaptation qui pourront être développés par les populations pour faire face à ces situations nouvelles. En ce sens, sans doute servent-ils davantage à attirer l’attention du public sur les effets dévastateurs du changement climatique qu’à produire une mesure effective des déplacements de populations engendrés par ceux-ci.
On le voit : le débat sur les ‘réfugiés environnementaux’ est aujourd’hui largement conditionné par le débat sur le changement climatique. Pour autant, ceux qu’on appelle désormais les ‘réfugiés climatiques’, et qui existent déjà dans diverses régions du monde, font partie d’une catégorie bien plus vaste, qui a largement précédé le changement climatique. Cette catégorie inclut tous ceux qui sont déplacés par des catastrophes naturelles, des accidents industriels, des projets de développement, des phénomènes de désertification et de déforestation, etc. Avant la prise de conscience du changement climatique, ces migrants d’un type particulier n’avaient reçu qu’une attention très limitée.
Des migrants méconnus, des recherches peu avancées
On a longtemps considéré que les principaux facteurs qui engendraient des flux migratoires étaient d’ordre politique ou économique. Ce n’est donc que récemment que les facteurs environnementaux ont également commencé à être pris en compte dans les recherches sur les migrations. Sur le terrain de la recherche, deux types de points de vue continuent d’ailleurs à s’opposer : d’une part, ceux, principalement portés par les spécialistes de l’environnement, qui mettent en garde contre des flux massifs de ‘réfugiés environnementaux’ ; d’autre part, ceux, principalement soutenus par des spécialistes des migrations, qui restent sceptiques quant à la prédominance du facteur environnemental dans la décision migratoire, allant même jusqu’à mettre en doute l’existence d’une supposée catégorie de migrants environnementaux11.
Une grande part de cette opposition tient à la complexité des phénomènes migratoires, et des migrations liées à l’environnement en particulier. La décision de migrer se fonde rarement, sauf dans les cas les plus extrêmes, sur un seul et unique facteur. Au contraire, les facteurs économiques, politiques et environnementaux s’imbriquent régulièrement les uns dans les autres, sans qu’il soit aisé, ou même parfois possible, d’affirmer la prédominance de l’un ou l’autre de ces facteurs dans le choix migratoire. Ainsi, l’environnement est également fréquemment une ressource économique, et est aussi régulièrement utilisé pour déloger des populations en cas de conflit. Qui ne se souvient des bombardements au napalm durant la guerre du Viêt-Nam ? Par ailleurs, le processus migratoire, souvent décrit en termes collectifs (flux, mouvements, exodes…), reste une décision hautement individuelle. Confronté à une même situation, un individu pourra décider de rester tandis qu’un autre décidera de partir : sauf dans les cas les plus extrêmes, qui sont aussi les plus visibles et médiatisés, rares seront les mouvements véritablement collectifs. Enfin, les migrations pour raisons environnementales impliquent rarement le franchissement d’une frontière internationale, compliquant encore davantage le processus d’identification de ces migrants.
Jusqu’ici, force est de reconnaître que les différentes tentatives entreprises pour lier des flux migratoires à des dégradations environnementales n’ont pas toujours été caractérisées par une grande rigueur scientifique, fournissant ainsi aux détracteurs du concept un prétexte facile pour réfuter celui-ci.
Le débat sur l’existence de ‘réfugiés environnementaux’ prend trois aspects, repris ici à Renaud, Bogardi, Dun et Warner12. En premier lieu, il importe de s’interroger sur l’existence d’une catégorie particulière de migrants, motivés par des raisons environnementales. Ensuite, la question de la définition de cette catégorie, et la création d’une terminologie appropriée, doit être résolue. Enfin, la discussion doit se poursuivre par une interrogation sur le statut et la protection à apporter à ces migrants. C’est à ces trois interrogations que je vais à présent tenter d’apporter des débuts de réponses.
Les migrants environnementaux constituent-ils une catégorie particulière de migrants ?
S’il est difficile de réduire la complexité des processus migratoires à une relation causale directe, qui n’accepterait pas d’autres variables, il semble tout aussi difficile d’affirmer que l’environnement ne joue aucun rôle dans certains processus migratoires. On peut donc raisonnablement estimer que la vérité se situe entre ces deux extrêmes, mais il est malaisé de déterminer l’ampleur des mouvements migratoires liés à l’environnement. L’Organisation Internationale des Migrations évalue le nombre de migrants dans le monde à 191 millions environ, et le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays à 24 millions. Combien parmi eux pourraient être qualifiés de ‘migrants environnementaux’ ? La recherche ne permet pas encore de le dire. La Commission européenne finance depuis janvier 2007 un programme de recherche, EACH-FOR13, qui vise précisément à mieux documenter la relation entre dégradations environnementales et les migrations, et à estimer le nombre de migrants qui pourraient relever de cette catégorie dans le monde.
Plusieurs recherches empiriques montrent pourtant la prédominance du facteur environnemental dans de nombreux mouvements migratoires. Les migrations liées aux catastrophes naturelles ou au changement climatique en constituent sans doute les exemples les plus frappants. Pour autant, ces migrants forment-ils une catégorie particulière ? S’ils possèdent de nombreuses caractéristiques communes, il semble difficile de les rassembler dans une même catégorie, en particulier parce que l’aspect coercitif de leur migration est plus prononcé dans certains cas que dans d’autres. Il importe d’en différencier les niveaux.
Comment les définir et les identifier?
Beaucoup de définitions ont été apportées par différents auteurs, sans qu’aucune ne parvienne véritablement à s’imposer. Le débat sur les migrations environnementales reste aujourd’hui très largement handicapé par cette absence de consensus autour d’une définition commune. La plupart des définitions se basent sur l’origine de la dégradation environnementale, distinguant ceux qui sont poussés à l’exil par une modification brutale de leur environnement, et ceux qui peuvent mûrir leur décision progressivement. À n’en point douter, il s’agit d’une distinction fondamentale : une migration préparée et planifiée est sensiblement différente d’une évacuation en urgence. Pour autant, s’arrêter à cette seule distinction ne permet qu’une compréhension imparfaite des dynamiques migratoires à l’œuvre.
En réalité, il importe surtout de distinguer l’ampleur du caractère coercitif de la migration : le migrant a-t-il le choix de rester, ou non ? Cette distinction entre les migrations volontaires et forcées, même si elle est parfois équivoque, doit rester le critère fondamental d’une typologie des migrants environnementaux. De prime abord cette distinction peut sembler se confondre avec la distinction évoquée plus haut : s’il ne peut réfléchir à sa décision, le migrant n’a donc d’autre choix que de partir. Le changement climatique et la montée des eaux qui en résulte, même s’il s’agit de phénomènes progressifs, n’offriront guère, dans de nombreux cas, la possibilité de rester. Il faut donc se garder d’établir un lien exclusif entre les migrations forcées et les dégradations brutales de l’environnement : le changement climatique, notamment, bouleverse ce lien.
Un autre élément important est la nature du bouleversement environnemental : la part de l’homme peut y être plus ou moins grande, débouchant ainsi sur des niveaux de responsabilités différents. Il semble néanmoins difficile de qualifier certains désastres de purement naturels, et d’autres d’événements purement anthropogènes. Ainsi, les retombées radioactives de l’accident nucléaire de Tchernobyl étaient largement tributaires des vents dominants. De même, les conséquences d’un tremblement de terre sont intimement liées aux différents types de bâtiments affectés et aux techniques de construction utilisées.
Certaines migrations sont proactives, d’autres réactives : la prévisibilité du bouleversement environnemental joue ici un rôle essentiel, de même que les experts et politiques qui conseillent ou ordonnent une potentielle évacuation. Encore une fois, même si des liens peuvent être établis avec le caractère plus ou moins forcé de la migration, il n’est pas possible d’établir une équivalence parfaite.
À ce stade, aucune définition, aucune terminologie, n’a encore rassemblé autour d’elle un véritable consensus scientifique. Je ne me risquerai pas ici à tenter d’en proposer une nouvelle – mais il est clair que toute définition qui voudrait rendre compte des différentes facettes des migrations environnementales devrait, a minima, intégrer ces différentes distinctions.
Un statut inexistant, une protection variable
Lorsque le tsunami frappe les côtes du Sud-est asiatique au lendemain de Noël 2004, c’est avant tout un concours de circonstances qui conduit le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) à porter secours aux déplacés. Le HCR était en effet présent dans la région bien avant la catastrophe, dans le cadre d’une mission d’assistance aux réfugiés de la guerre civile qui ravageait la province d’Aceh depuis plusieurs années. Aussi paradoxal et étonnant que cela puisse paraître, il n’entrait pas dans le mandat du HCR d’aider les victimes du tsunami. Comme le déclarait alors le Haut Commissaire aux Réfugiés Ruud Lubbers, « il s’agissait en effet d’une situation tout à fait particulière » : le mandat du HCR n’inclut pas l’assistance aux victimes des catastrophes naturelles, et l’assistance que l’agence des Nations Unies leur a portée à la suite du tsunami était purement fortuite, et motivée par des raisons humanitaires.
Le terme de ‘réfugiés environnementaux’, si souvent employé dans les discours publics, porte à confusion, puisque les personnes déplacées par des bouleversements environnementaux ne peuvent prétendre au statut de réfugié. Celui-ci est défini très strictement par la Convention de Genève de 1951, et comporte plusieurs conditions : entre autres, le franchissement d’une frontière internationale et une persécution d’ordre politique. Les ‘réfugiés environnementaux’ ne rentrent clairement pas dans le cadre de ces conditions. Si les rédacteurs de la Convention de Genève les en ont exclus, c’est parce qu’ils ont supposé que les ‘réfugiés environnementaux’ pourraient bénéficier de la protection de leur pays. Là était bien l’idée fondatrice de la Convention : fournir une assistance internationale à ceux qui étaient persécutés dans leur pays, voire même directement par leur pays.
Or, les ‘réfugiés environnementaux’ sont bien souvent incapables de compter sur l’aide de leur propre pays, celle-ci étant généralement sporadique. Nombre de catastrophes naturelles et de bouleversements environnementaux se produisent en effet dans des pays en développement, incapables de porter seuls assistance aux victimes de ces dérèglements. De surcroît, l’expérience de l’ouragan Katrina nous montre que, même lorsque la catastrophe survient dans un pays développé, l’assistance de l’État peut également faire défaut. Dès lors, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer une protection internationale de ces migrants, voire un statut de réfugié.
Si l’idée de leur accorder un statut de réfugié peut sembler tentante au premier abord, le principe d’une révision de la Convention de Genève fait frémir les spécialistes du droit d’asile : si la Convention était ouverte à révision, la situation politique du moment leur fait craindre une révision plus restrictive du droit d’asile. Au-delà de cette considération de realpolitik, on peut se demander si un statut de réfugié offrirait véritablement la protection la plus adéquate pour ces migrants. En effet, même s’ils connaissent souvent des situations bien similaires à celles vécues par les réfugiés ‘conventionnels’, il n’est pas sûr qu’un régime de protection commun soit la solution la plus adaptée à leurs besoins.
La protection dont ils bénéficient, aujourd’hui, reste très aléatoire : dans certaines circonstances, leur pays peut leur fournir certains types d’aide : fonds des calamités, assurances, protection temporaire, etc. Dans d’autres cas, le HCR, ou d’autres organisations internationales, peuvent intervenir, souvent parce qu’elles se trouvent déjà sur place : outre le cas du tsunami, ce fut aussi le cas, par exemple, pour le tremblement de terre qui frappa le Pakistan en octobre 2005. Dans d’autres cas, enfin, ces migrants ne peuvent compter que sur l’aide internationale, pour autant que celle-ci existe et parvienne à destination. Dans bien des cas, pourtant, c’est une aide d’urgence qui est apportée, et non une aide à la reconstruction et à la réinstallation.
Pour conclure
Le changement climatique et ses conséquences dévastatrices éclairent la question des migrations environnementales d’un jour nouveau. D’abord parce qu’elles font apparaître toute l’ampleur du problème, et les déplacements massifs qui pourraient survenir dans un proche avenir. Mais surtout, parce qu’elles font apparaître de façon criante la nécessité d’une coopération internationale sur cette question. Cette coopération doit non seulement être activée pour réduire l’ampleur du changement climatique, mais également pour développer des mesures d’adaptation qui permettront aux pays en voie de développement de faire face aux conséquences du changement climatique, et notamment aux déplacements de population qui en résulteront. C’est ici, bien sûr, la question d’une responsabilité environnementale globale qui est posée, responsabilité dont les contours doivent encore être définis.
Les migrations environnementales sont pourtant loin d’être circonscrites aux seules conséquences du changement climatique, comme j’ai tenté de le montrer. Des mécanismes de coopération internationale n’en sont pas moins nécessaires, et des accords régionaux de partage des coûts (burden-sharing) semblent être une réponse appropriée. Si de tels mécanismes ne sont pas mis en place, les processus de développement en cours dans les pays touchés sont gravement compromis.
Enfin, analyser les migrations sous un jour environnemental comporte un risque important, auquel il faut prendre garde : celui d’occulter la responsabilité des États dans les dégradations de l’environnement et dans les déplacements de population qui en résultent. Une reconnaissance formelle de la réalité de ces migrations ne saurait aboutir à ce que les États dérogent à leurs responsabilités en la matière.
1Laska S. & B. Hearn-Morrow (2006) ‘Social Vulnerabilities and Hurricane Katrina : An Unnatural Disaster in New Orleans’, Marine Technology Society Journal 40 (3) : 7-17.
2AidWatch 2006, Bulletin de l’envoyé spécial des Nations Unies pour la reconstruction après le tsunami. 24 décembre 2006.
3Gemenne F., A. Jelil Niang, P. Ozer (2006) “Nous ne pouvons ajourner la réforme des politiques d’aide au développement”, Le Soir, 28 septembre, p.21.
4À ce propos, on pourra lire Favier R. et A.-M. Granet-Abisset (dir.) (2005) Récits et représentations des catastrophes naturelles depuis l’Antiquité. Grenoble : MSH-Alpes.
5Sur ce point, voir notamment Poirier, J.-P. (2005) Le Tremblement de Terre de Lisbonne. Paris : Odile Jacob.
6El-Hinnawi H. (1985) Environmental Refugees. Nairobi: UNEP.
7Weart S. (2003) The Discovery of Global Warming. Cambridge (MA) : Harvard University Press.
8Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Changement climatique
9Stern, N. (2007) Economics of Climate Change. Cambridge: Cambridge University Press.
10Myers, N. and J. Kent (1995) Environmental Exodus: An Emergent Crisis in the Global Arena. Washington, DC: Climate Institute.
11Voir par exemple Black R. (2001) “Environmental Refugees: Myth or Reality?” New Issues for Refugee Research. Working paper n°34. Geneva: UNHCR.
12Renaud F. et al (2007) “Control, Adapt or Flee. How to Face Environmental Migration?” InterSections n°5. Bonn: UNU-EHS.
13Environmental Change and Forced Migration Scenarios: www.each-for.eu