Un texte d’Eric Biérin, responsable de la communication d’Ecolo, chercheur-associé d’étopia.
Dans nos sociétés toujours plus riches, la richesse est de plus en plus mal répartie. Voilà la principale réalité que la gauche au pouvoir, c’est-à-dire le Parti socialiste, doit faire oublier à l’aube de la campagne électorale fédérale. Cumulée à l’affairisme qui l’empêche de se blanchir, cette réalité explique une fois encore le positionnement « à gauche toute » des discours du PS. Une fois de plus, rougir le ton a pour vocation de faire oublier qu’il a gouverné l’État sans état d’âme avec les libéraux, un privilège dont les papes du terrorisme intellectuel de la gauche bienpensante, arc-boutés sur des vestiges de vertu, lui accordent le monopole. L’excommunication au rayon « social-traître » frappe toute velléité de distance à l’égard du grand frère, particulièrement quand il s’agit d’Ecolo.
Pour les pontifes de cette gauche bienpensante, à l’image d’un Mitterrand qui déclarait en privé « Il n’y a pas de Parti socialiste, il n’y a que les amis de François Mitterrand », il n’y a qu’une gauche, et la mesure de sa qualité et de sa légitimité est déterminée par sa proximité avec le PS. Peu importe pour eux que les actes du Parti Socialiste se situent à des années lumières de son discours : habitués à ce que « le plus à gauche, c’est celui qui en promet le plus, pas celui qui tiendra ses promesses » (Jacques Julliard), ils ont depuis longtemps sacrifié l’espoir de véritables résultats sur l’autel de l’effet d’annonce, depuis que les starlettes de la politique médiatique servent délibérément « aux peuples une politique des intentions et de l’image, destinée à imposer une figure de bonne volonté généreuse suffisamment forte pour immuniser ses promoteurs contre les démentis du réel ». (M. Gauchet)
Car si comme l’indiquait récemment dans une interview au Soir Johan VandeLanotte, la social-démocratie a raté le train de l’écologie, c’est peut-être moins à cause d’un ancrage productiviste dont elle ne parvient pas culturellement à se départir qu’à cause du libéralisme qu’elle a résolument choisi comme prix de sa modernisation. La social-démocratie a non seulement cédé aux sirènes du libéralisme, mais à sa fascination pour l’économie et la finance depuis 20 ans a répondu en écho son engluement dans l’affairisme politique.
Fondamentalement, où se situe le clivage politique aujourd’hui ? Pas là où il est convenu de le situer. Libéraux, socio-chrétiens et socio-démocrates misent tout sur le retour d’une croissance (largement imprévisible), en ne divergeant que (faiblement) sur la méthode pour l’obtenir et (un peu plus) sur les volumes et les priorités de sa redistribution. En pratique, ils présentent l’une après l’autre les factures de leurs électeurs en espérant que le système pourra les endosser. Pour les uns comme pour les autres, le jeu se résume au partage d’une prospérité au jour le jour : ni la dimension du temps, ni la dimension des ressources et de l’environnement sur lesquels se conquiert cette prospérité n’entrent en compte.
Le propos est donc moins de savoir si l’écologie politique est plus ou moins de gauche que de constater qu’il n’y a pas moins de mandataires PS que de mandataires libéraux qui pensent pouvoir traverser la crise climatique au volant de leur 4×4.
Arrêtons-nous un instant aux politiques menées désormais classiquement par la gauche traditionnelle : le divorce entre l’idéal de justice sociale et le soin agité qu’elles semblent accorder aux bons sentiments – au « bonheur » – y semble consommé. Depuis de nombreux mois en effet, les Présidents du PS et du SpA précisent que la vocation de leurs partis est d’apporter le bonheur aux citoyens, allant jusqu’à énoncer qu’« est socialiste ce qui apporte du bonheur aux gens ». Dans la veine émancipatrice, on a connu le socialisme plus ambitieux. Et quand on voit l’état de la Wallonie, celui de l’emploi, celui de notre environnement à tous, le score de l’extrême-droite, on se prend à croiser les doigts pour que le PS, surtout, ne s’occupe pas de notre bonheur.
Derrière le voile pudique que cette requête de « bonheur » jette sur la réalité des rapports de force et l’impuissance du politique face aux marchés financiers, il devrait être clair que vouloir rendre heureux les malheureux au lieu d’établir la justice sociale équivaut à un tour de passe-passe qui s’apparente à un abandon politique. Quoi qu’il en soit, offrir le bonheur plutôt que défendre la justice pour tous, c’est confondre la chaleur et la lumière. Ne sont dupes que ceux que la chaleur éblouit.
Le bonheur et la justice sociale ? Ou le bonheur contre la justice sociale ? En tout cas, le principal résultat politique du capitalisme financier, autoritaire et uniforme que nombre de « progressistes » ont trop longtemps renoncé à combattre, c’est que la démocratie n’est plus en mesure d’offrir la garantie d’échapper à la déchéance sociale. De quel crédit se prévaloir encore quand le nombre de bénéficiaires du revenu d’insertion sociale est passé entre 2004 et 2006 de 33.861 à 34.773 en Wallonie, en augmentation de 2,7% ; quand on constate en chantant l’Internationale que plus de 15% de la population belge vit sous le seuil de pauvreté et qu’en 10 ans, le pouvoir d’achat a diminué de 1,7% ; quand on sait que le taux de chômage wallon dépasse les 18%, que les minimas sociaux sont scandaleusement bas : la garantie de ressources aux personnes âgées est de 795 euros par mois pour un isolé, de 1.061 euros par mois pour un couple. 70% des bénéficiaires de la GRAPA sont des femmes, en majorité des isolées. On en passe et des pires.
Ces « déclassements » non seulement se paient humainement cash mais politiquement, leurs effets sont criminels. Si la démocratie renonce au social, c’est aux extrêmes que le citoyen est tenté de demander justice. Et quand le nombre de ceux qu’on abandonne à la conviction qu’ils vont perdre croît démesurément, l’histoire nous a appris qu’on cède une partie considérable de terrain à ceux qui nourrissent un penchant pour la terreur, que ce penchant soit déguisé en amour de l’Humanité ou en amour de la Nation.
Fondamentalement, la ligne de clivage politique aujourd’hui s’articule autour de la vision que les uns et les autres ont de notre héritage commun ; pour les écologistes, il est temps de se rappeler que ce qui vaut dans l’héritage, c’est ce qu’on est capable de transmettre, pas de recevoir. Et nous attendons impatiemment que d’autres familles politiques nous rejoignent sur cette vision.
En ce qui concerne l’appui à apporter à cette ambition, face à la mondialisation et à l’unification des enjeux à l’échelle planétaire, c’est sur une plateforme démocratique la plus large possible qu’on doit compter, pour consacrer le maximum des ressources politiques disponibles à la principale urgence : la mise en place des conditions d’une économie circulaire (ce qui commence à être popularisé mais aussi galvaudé dans l’expression développement durable), c’est-à-dire une économie où le coût des externalités négatives est enfin pris en compte au lieu de transmettre l’addition aux générations à venir, quand ce n’est pas aux populations laissées dès aujourd’hui à l’abandon.
Il est clair que c’est auprès des progressistes que les écologistes d’Europe ont trouvé leurs meilleurs alliés dans leurs combats. Mais ce que certains, par naïveté ou par calcul, à droite et au sein de la gauche traditionnelle, présentent comme des accidents du système, occulte le fait que ces désordres résident dans son fonctionnement même. Figés comme des candélabres dans la répartition des parts de marché électorales, ni le MR ni le PS, surtout unis, ne permettront d’en sortir.