Ralf Fücks, Président de la Fondation Heinrich Böll.
Traduction de l’allemand par Benoît Lechat, Etopia.

1 Une transformation permanente

Les éléments fondamentaux du mode capitaliste de production sont vite décrits: propriété privée, travail salarié, marché et concurrence, valorisation et accumulation ininterrompue du capital comme moteur perpétuel de ce mode de production. Que savons-nous exactement du capitalisme, pour autant que nous en sachions quoi que ce soit ? Car ses formes concrètes varient largement en fonction des contextes politiques, sociaux, culturels et géographiques. Les visages du capitalisme sont aussi nombreux que les conditions dans lesquelles il émerge.

Le capitalisme qu’ont décrit Engels et Marx à partir de leurs observations empiriques, en l’occurrence le « capitalisme de Manchester » du milieu du XIXème siècle, est quelque chose de tout à fait différent des formes contemporaines du capitalisme. Le capitalisme a des visages très variables. Le capitalisme de l’Etat-providence et ses variantes anglo-saxonne et japonaise se distingue ainsi du capitalisme issu du socialisme d’Etat tel qu’il émerge en Russie et en Chine, en fonction de la structure du marché du travail, de la relation entre l’Etat et l’économie ou encore du niveau de participation de l’Etat au produit social brut qui peut varier de 30 à 70 pc.

On peut en conclure les points suivants :

Autant le mode capitaliste de production imprègne la société, autant sa forme concrète est imprégnée par la société.

Les institutions sont importantes : le cadre politique, la législation, le système fiscal et la législation sociale donnent lieu à des formes différentes de capitalisme.

C’est précisément en raison de la diversité de ces modes de production et de la prégnance des institutions que le politique joue un rôle décisif. La politique fait la différence. C’est encore le cas à l’ère de la globalisation. Le discours sur la soi-disant impuissance du politique à l’égard du capital globalisé sert pour partie de prétexte aux échecs de la politique.

Le capitalisme apparaît aujourd’hui comme sans alternative, non seulement parce qu’il s’est avéré être une énorme – certes vorace – machine à produire de la prospérité mais parce qu’il continue de l’être, comme on le voit avec l’exemple de la Chine. Ce n’est pas par hasard que le passage au capitalisme, à l’économie de marché et à la propriété privée, s’y est traduit par une explosion de la richesse et pas seulement au sommet de la société. Le développement décisif auquel nous assistons en Chine est celui de l’émergence d’une nouvelle classe moyenne de 200 à 400 millions de personnes. Cela n’a pas de sens de se lamenter sur les conséquences ruineuses de ce boom de la production et de la consommation : la montée en puissance de la Chine montre le caractère insoutenable de notre modèle de richesse avec sa consommation exorbitante d’énergie et de ressources. Mettre la croissance sur des rails soutenables est une mission pour toutes les nations industrielles et c’est sur ce défi que se joue la capacité du capitalisme à affronter l’avenir.

Le capitalisme a connu tant de succès parce que, tel un caméléon, il se transforme en permanence en fonction des conditions de son environnement. En d’autres mots : le capitalisme comme mode de production incarne parfaitement le principe de l’évolution. Elmar Altvater a beau invoquer la crise finale des ressources dans une nouvelle version des théories de gauche sur l’effondrement du capitalisme sous ses propres contradictions, la fin de ce processus n’est pas en vue. Car le comique de l’histoire, c’est que le capitalisme transforme toute opposition en inspiration : l’opposition socialiste a débouché sur l’Etat social, la percée libertaire de mai ’68 a accéléré la modernisation culturelle de l’économie, le mouvement féministe a entraîné la découverte des femmes comme consommatrices et comme réserve de talents pour les entreprises et même la critique de la publicité a entraîné un surcroît de raffinement des stratégies de marketing. Il est également probable que le mouvement écologiste serve avant tout de moteur d’innovation pour la constitution d’un capitalisme vert.

2 Le capitalisme et la démocratie

Je débute par une petite réminiscence autobiographique. A la fin des années ’60, alors que j’étais lycéen dans une petite ville de province du Palatinat, j’ai participé à l’organisation d’une manifestation de lycéens contre le NPD, qui avait alors enregistré une série de victoires électorales aux élections régionales. Nous avions pris comme slogan « le capitalisme conduit au fascisme, le capitalisme doit disparaître ! ». J’entends encore très distinctement ces mots sortir du mégaphone. Mais aujourd’hui, rétrospectivement, je dirais «double erreur, jeune homme ».

D’abord, en considérant l’histoire du fascisme en Allemagne. Ce n’était pas la dernière tentative du grand capital pour sauver sa domination, mais un mouvement autonome doté de fortes composantes anti-capitalistes, par bien des côtés un jumeau totalitaire du bolchévisme. Les deux idéologies avaient en commun la haine de la bourgeoisie, de la démocratie libérale, la « décadence » de la civilisation occidentale. Elles partageaient aussi le primat du politique sur l’économie, même si c’était sous des formes différentes. Le national-socialisme n’était pas que démagogie. Tout qui s’intéresse à cette époque devrait lire le dernier livre de Götz Alys « Hitlers Volkstaat (« l’Etat populaire d’Hitler »). Il met en évidence une série d’éléments du fascisme allemand qui se situent plutôt dans un contexte socialiste : système de pensions, assurance-maladie, développement de la formation par le travail, organisation des loisirs, ascension sociale par l’éducation des masses, pour autant qu’ils soient nationaux au sens racial du nazisme. Le national-socialisme pratiquait également une redistribution à grande échelle, en l’occurrence de la bourgeoisie juive et des peuples soumis de l’Est à destination des nationaux allemands.

Même au-delà du cas du fascisme allemand, il est également faux de dire que le capitalisme est en contradiction avec la démocratie. C’est même le contraire. En Europe, l’émergence du capitalisme et de la démocratie ont été parallèles, des républiques urbaines d’Italie aux villes hanséatiques, jusqu’au triomphe de la république démocratique qui est essentiellement le fruit d’une alliance entre la bourgeoisie urbaine et l’aile réformiste du mouvement ouvrier. L’Allemagne, « nation retardée », était plutôt une exception. Dans ce pays, de larges pans de la bourgeoisie n’ont fait la paix avec la démocratie qu’après l’effondrement du national-socialisme.

3 Propriété et liberté

La culture politique anglo-saxonne se caractérise par un sens marqué pour le lien entre la propriété (property) et la liberté (liberty). La république démocratique d’Amérique s’est développée comme une société de propriétaires libres qui ne se contentaient pas d’être bourgeois mais qui voulaient également être citoyens, citoyens libres d’une communauté politique dont le gouvernement élu ne disposait pas d’un pouvoir absolu sur la société. Sous nos latitudes, on a un peu oublié que la propriété confère l’indépendance et la conscience de soi du citoyen. Chez nous, la propriété est valorisée positivement comme une catégorie sociale mais elle ne constitue pas une catégorie politique dans le contexte de la liberté civile.

La revendication anticapitaliste de suppression de la propriété privée et d’étatisation des moyens de production qui fut le cri de guerre du socialisme révolutionnaire, a été agité comme l’étendard de la libération de la classe ouvrière. Dans les faits, elle s’est démasquée comme l’annonce d’une soumission totale de la société à la toute-puissance de l’Etat. D’un point de vue démocratique, ce n’est pas la suppression de la propriété privée qu’il faut revendiquer, c’est son universalisation. Le mot d’ordre doit être « la propriété pour tous ». Il en va de la participation au capital productif de la société au moyen du développement systématique de la fortune détenue par les travailleurs.

Les instruments pour y parvenir sont connus : de la participation des travailleurs aux bénéfices de l’entreprise jusqu’au salaire d’investissement qui consiste en un accord entre les employeurs et les syndicats sur l’affectation d’une partie plus ou moins grande des augmentations salariales à des fonds d’investissement, contrôlés par les organisations de travailleurs. Si les syndicats allemands avaient appliqué ce modèle depuis les années ’70, à une époque où les entreprises octroyaient encore d’importantes augmentations de salaires, les travailleurs formeraient aujourd’hui de loin le plus grand détenteur de capitaux dans la société. Si les employés étaient co-propriétaires, les possibilités de co-décision sur les investissements et les conditions de travail seraient également élargies.

Un autre modèle (aux accents utopiques) de la propriété comme droit civil vient des USA : il s’agit du capitalisme des stakeholders. Transféré dans le contexte allemand, il prévoit que chaque citoyen arrivant à l’âge adulte obtienne un capital de départ de 60.000 euros, financé par l’impôt sur la fortune et sur les successions, avec une composante fortement redistributrice. Le but, c’est de développer l’égalité des chances et de donner à chacun la possibilité de prendre sa vie en main, de pouvoir financer une formation supérieure qualifiée, indépendamment de son origine sociale, de devenir propriétaire de son logement ou de fonder une entreprise. Ce modèle relie le principe de la responsabilité autonome avec l’idée qu’à chaque nouvelle génération, les chances sont redistribuées afin de contrer le renforcement des inégalités. Le modèle sous-jacent n’est cependant pas celui de l’Etat-providence, mais celui d’une société de citoyens libres. En ce sens, il s’agit effectivement d’un modèle très américain.
Mais quelle que soit la voie que l’on souhaite emprunter : la transformation de salariés (et donc des personnes dépendantes de leur salaire) en co-propriétaires est aussi une réponse à la globalisation. Elle renforce l’ancrage local des entreprises et améliore la position des travailleurs dans la lutte pour la répartition des revenus collectifs.

4 Globalisation de la démocratie

L’alliance historique entre le capitalisme et la démocratie se poursuit aussi à l’ère de la globalisation. Ce n’est précisément pas un hasard que les dernières décennies écoulées ont vu le crépuscule d’une série de régimes despotiques. Une vague de démocratisation traverse le monde. Elle a commencé dans les années ’70 avec l’effondrement des derniers régimes autoritaires d’Europe occidentale : l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Elle s’est ensuite étendue à l’Amérique du sud où les dictatures militaires brutales érigées en partie avec l’aide américaine sont tombées. Elle a atteint l’Asie (Indonésie, Philippine, Taïwan), a débouché sur la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud et a culminé dans l’effondrement de l’Union soviétique et dans la révolution démocratique en Europe de l’Est.

Ces processus politiques forment plus qu’un parallèle avec la globalisation économique. L’intégration dans le marché mondial requiert des processus de démocratisation à des niveaux très différents. Elle débouche sur une plus haute qualification, un niveau de formation supérieur dans les sociétés, elle encourage le développement d’un monde de travail très qualifié, d’une classe moyenne urbaine ainsi que le développement de l’intelligence scientifico-technique au sein des jeunes nations industrielles. La globalisation est synonyme d’échanges internationaux. Le nombre d’étudiants chinois partant à l’étranger se chiffre en centaines de milliers et même si beaucoup d’entre eux ne reviennent pas, ils constituent un ferment démocratique à l’intérieur de la société chinoise. L’internet favorise l’accès à l’information globale. D’une part, c’est un moteur de la globalisation, parce qu’il met l’information à disposition en temps réel et parce qu’il accélère le commerce et les transactions financières. Mais en même temps, il s’agit d’une ressource critique parce qu’il permet l’accès à des informations critiques. L’exemple de la Chine montre que la censure peut également être étendue à l’Internet, mais il montre aussi que cela ne marche pas complètement.

La globalisation signifie également la mise en réseau au plan mondial d’organisations non-gouvernementales. Les ONG jouent aujourd’hui un rôle global de surveillance des destructions de l’environnement tout comme du comportement social des entreprises. Ce qui se passe dans une forêt brésilienne ou dans une usine vietnamienne ne reste jamais longtemps caché : cela peut donner lieu à un scandale en Europe ou aux USA et cela peut mettre les grandes sociétés sous pression. La globalisation débouche finalement sur une plus forte conscience de soi de la part des sociétés et c’est la base psychologique des réformes démocratiques.

Ce n’est pas un hasard que la plupart des régimes autoritaires qui peuvent encore se maintenir vivent essentiellement d’une rente de base précapitaliste sous la forme d’une ressource naturelle non renouvelable. Il s’agit d’Etats qui sont à la fois bénis et maudits par la détention de pétrole, de gaz ou d’or ; des matières premières qui permettent à des régimes despotiques de financer leur appareil de pouvoir et de faire taire leurs sociétés avec les profits qui découlent de leur possession.

5 Valeurs et création de valeurs

Qu’en est-il de la relation entre la morale et le profit ? Qu’en est-il de la relation entre le capitalisme et le développement durable ? Le marché est écologiquement aveugle et socialement sans scrupule, affirme la critique moyenne du capitalisme. Les valeurs humaines et écologiques seraient en conflit avec la création privée de valeurs. La globalisation conduirait à une course vers le bas, un dumping mondial aux frais de l’homme et de la nature. Cette tendance n’est du reste nulle part aussi forte que dans les pays du capitalisme autoritaire, qui s’est développé sur le terreau du socialisme autoritaire dans lequel aucune société civile ne pouvait se former.

Le capitalisme sans la démocratie est une horreur. C’est vrai et cela doit être réaffirmé fortement. Mais est-ce que cette tendance est effectivement dominante ? Ou alors peut-on dire que nous assistons à une convergence entre les valeurs et la création de valeurs, une nouvelle manière de capitalisme compatible avec le développement durable pour laquelle la morale et l’argent ne forment pas une contradiction insurmontable ?

Quelques tendances : en tapant ‘sustainable business’ (management d’entreprise compatible avec le DD) et ‘sustainable investment’ (investissements compatibles avec le DD) dans Google on tombe sur des millions de pages. On y trouve d’innombrables entreprises, des fédérations comme le World Business Council for Sustainable Development, des instituts scientifiques et des écoles supérieures, des chefs de services financiers, des organisations environnementales et des droits de l’homme, des publications et des conférences. Le BAUM (organisation fédérale allemande regroupant les entreprises respectueuses du développement durable) affilie 450 entreprises, et pas seulement des petites. A la Conférence « Business for social responsability » qui a eu lieu l’automne dernier à Washington, près de 1.000 managers et scientifiques de 40 pays se sont réunis pour débattre de thèmes comme le management écologique, l’économie et les droits de l’homme ou encore la responsabilité sociale des entreprises.

Gagner de l’argent avec bonne conscience, comme le dit la publicité pour un Fonds d’investissement, est devenu le leitmotiv d’une génération d’investisseurs. Rien qu’en Europe, pas moins de 500 milliards sont investis dans des fonds qui établissent leurs choix d’investissement en fonction de critères sociaux et écologiques plus ou moins stricts. La « sustainable economy » est en plein boom. L’indice des actions « Natur-Aktien-Index » qui oriente les investissements verts, est passé de 1.500 à 3.500 points en l’espace de trois ans. Visiblement, cela rapporte quand les entreprises soignent leur bilan environnemental et sont attentives à leurs standards sociaux.

Un pionnier en la matière a été la société de ventes par correspondance « Otto Versand » qui est la plus grande société européenne de sa catégorie avec un chiffre d’affaires de 14,5 milliards d’euros et un réseau mondial de vente et d’achat. L’entreprise présente chaque année un bilan social et environnemental. Toutes ses filiales, en Allemagne comme à l’étranger, appliquent un système de management environnemental qui englobe la vente, l’emballage et le transport. Chaque année de nouveaux objectifs sont fixés. Bien sûr, chez Otto, comme partout, tout ce qui brille n’est pas or. L’entreprise fait partie d’une industrie de la consommation qui par la seule masse des quantités produites et consommées met à mal les bases écologiques de la vie. Et elle reste prise dans une compétition sur les prix justifiée par la chasse aux clients.

Mais il reste que des sociétés comme Otto font une différence décisive, tant pour ce qui concerne les conditions de travail chez les sous-traitants que pour ce qui concerne l’éco-bilan. Même des entreprises comme Nike et Adidas, qui étaient encore clouées avec raison au pilori il y a quelques années, parce qu’elles faisaient produire dans des conditions de travail brutales en Chine ou au Vietnam, ont introduit des standards sociaux minimaux ainsi qu’un système de surveillance de leurs fournisseurs.

6 L’écologie, c’est l’économie qui anticipe

Qu’est-ce qui explique cette évolution ? Il est certain que la vague verte des 25 dernières années a laissé des traces dans la nouvelle génération de managers. Mais le point décisif, réside dans le fait que l’intégration d’objectifs écologiques et sociaux va dans le sens de l’entreprise moderne. C’est l’intérêt d’une croissance soutenue et à long terme de l’entreprise, qui motive ce changement.

Tout d’abord, il s’agit tout simplement de gestion d’entreprise au sens étroit du terme. Un management environnemental efficace réduit la consommation de matières premières, d’énergie, évite les déchets et réduit les coûts. Ce facteur devient d’autant plus important que les prix de l’énergie et des matières premières augmentent. Le premier en matière d’éco-efficience est le premier en termes de compétitivité. L’exemple de l’industrie automobile montre comment le développement de moteurs diesel à filtres à particules ou le développement de nouvelles techniques de motorisation comme les moteurs hybrides, donnent une avance par rapport aux concurrents.

Un autre mobile réside dans l’évitement des problèmes écologiques qui impliquent des coûts de réparation, des dommages et des ruptures de la production. En outre, les entreprises doivent défendre leur capital moral et/ou leur réputation. Des marques internationales comme Adidas ou Nestlé sont très sensibles aux scandales. Elles sont entourées d’organismes de surveillance qui tirent le signal d’alarme quand elles enfreignent le moindre standard. Si la réputation d’une entreprise est ruinée, ses parts de marché et ses bénéfices s’en ressentent aussitôt. Inversement la valeur d’une entreprise augmente si elle apparaît respectueuse de l’environnement et de sa responsabilité sociale. C’est particulièrement vrai pour les entreprises qui produisent des biens ayant un rapport avec la santé, comme les produits alimentaires ou les cosmétiques. Celui qui ne fait pas réaliser des contrôles de toxicité très stricts risque des titres de presse très négatifs et des pertes de chiffre d’affaires. La décision d’achat des consommateurs est un levier puissant pour convaincre les entreprises à plus de précautions écologiques et sociales.

Enfin, le facteur humain joue un rôle plus important dans une économie dont le succès dépend de plus en plus du savoir, de l’innovation et de l’esprit d’équipe de ses collaborateurs. Plus les activités purement mécaniques seront disjointes des tâches complexes de développement, de production et de service, plus le facteur humain sera déterminant dans la création de valeur d’une entreprise. Engager des travailleurs qualifiés, les attacher à l’entreprise et les motiver, devient un facteur de production décisif dans l’économie postféodale. L’évolution démographique renforce cette tendance, au moins en Europe. Plus l’offre de main d’œuvre spécialisée sera étroite sur le marché du travail du futur, plus les entreprises devront proposer à leurs travailleurs des possibilités d’épanouissement, plus elles devront exploiter les réserves de talent qui se trouvent chez les femmes et les immigrés. C’est la raison pour laquelle les revendications des femmes, la conciliation du temps de travail et de la vie de famille, la formation continue, la participation aux bénéfices de l’entreprise et la gestion de la diversité (diversity management) ne constituent pas un luxe mais une nécessité économique. L’ouverture des marchés est du reste positive pour les immigrés lorsqu’on leur donne des possibilités d’ascension sociale pour eux et pour leurs enfants, grâce à leurs efforts, leur travail appliqué et leur apprentissage discipliné, au lieu de les éloigner du marché du travail, comme nous le faisons encore en Allemagne.

7 Pour une économie de marché verte

La bonne nouvelle, c’est donc que l’écologie et l’économie ne sont pas inconciliables et que l’économie sociale de marché n’est pas nécessairement un modèle en voie de disparition. Pouvons-nous pour autant nous reposer et attendre que le capitalisme compatible avec le développement durable remporte sa lutte contre l’économie de pillage ? Non, évidemment. Les progrès accomplis jusqu’ici n’ont pu être atteints que grâce aux conflits entre la politique, les initiatives citoyennes, les associations de consommateurs et l’économie. Sans la loi sur le développement des énergies renouvelables, l’Allemagne ne serait pas championne du monde de l’éolien et du solaire.

Pour parvenir au développement durable, nous avons besoin de trois choses. Primo, d’un espace public critique qui peut faire pression sur la politique et les entreprises. Secundo, d’un cadre juridique écologique pour l’économie : cela requiert des instruments d’orientation comme le commerce des droits d’émission qui implante l’écologie dans l’économie des entreprises, autrement dit qui remplace le bénéfice par le pillage de la nature par le bénéfice par l’usage efficient des ressources. Tertio, des accords globaux sur des standards minimaux pour la protection de la nature et des droits des travailleurs pour imposer des limites au dumping de la concurrence.

Ce que je propose ici est un pari ouvert. Ce n’est pas une prophétie que les choses vont se passer comme ceci ou comme ça. C’est un scénario plutôt optimiste de ce qui est possible, au lieu de regarder la globalisation comme un destin soi-disant inévitable, comme un lapin pétrifié par le regard d’un serpent. Il est possible de jeter un pont entre le capitalisme et l’écologie et celui qui est le premier à s’engager sur cette voie aura en main les meilleures cartes sur le plan politique et économique. Un capitalisme vert, ou de manière plus sympathique, une économie de marché verte ? Ce serait un nouvel objectif pour les prochaines décennies.

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