Fritz Vorholz, Die Zeit du 10 août 2006.
Traduction de l’allemand par Benoît Lechat, Etopia.

Avant propos

Sécheresses, inondations, famines : le changement climatique a atteint une nouvelle dimension. Lentement, le monde prend la mesure de la destruction de l’environnement.

L’avenir a déjà commencé. Au moins depuis que les observateurs météorologiques enregistrent des records de température : en 1983, il n’avait jamais fait aussi chaud sur la terre depuis des centaines d’année. En 1987, il fait encore plus chaud. 1988 est un nouveau record et 1990 aussi. Hasard ? Non, c’est une « tendance », dit James Hansen, directeur du Goddard Institute de New York, un Think Tank de la Nasa, relié à l’université de Columbia à New York. En 2005, il n’a jamais fait aussi chaud. Et cette année, l’Allemagne a vécu le mois de juillet le plus chaud depuis qu’on y mesure les températures. Pour James Hansen, cette tendance est « une menace » pour la Planète.

Le temps qu’il fait, une menace ? Il y en a quand même bien d’autres en ce monde : le terrorisme et la guerre au Proche Orient. Le prix du baril et le déficit commercial américain. Et quand l’environnement est concerné, dans le meilleur des cas, c’est à cause d’un accident : par exemple lorsqu’un pipeline fuit et que des milliers de litres de pétrole se répandent, comme en Alaska. Ou alors, comme la semaine dernière en Suède, lorsqu’on annonce un incident dans un réacteur nucléaire, et que le débat sur le prix réel d’une électricité propre est relancé. Mais un peu plus de chaleur, un peu plus de salsa sur la Baltique, où est le problème ?

Non, le temps qu’il fait est un vrai problème. Désormais, tout le monde ressent le changement climatique et plus personne n’est indifférent. Récemment, la banque d’investissement américaine Goldman Sachs a interrogé 300 dirigeants d’entreprises sur les principaux risques pesant sur l’économie mondiale. Le réchauffement climatique s’est retrouvé dans les dix premières places du classement. La Planète bleue est dans le rouge – et cette nouvelle sensibilité a recatapulté le thème de l’écologie sur le devant de la scène : dans les quartiers généraux des sociétés mondiales, dans les titres des journaux, dans la tête des gens et même dans certains gouvernements. Sir David King, conseiller scientifique du Premier ministre britannique, considère que le changement climatique est un immense défi, plus grand que le terrorisme international. Le réassureur Münchner Rück craint des dégâts pour de « très nombreux milliards d’euros ». Et le magazine américain « Time » écrit : « Soyez préoccupés. Soyez très préoccupés ».

Près de deux tiers de la population américaine s’inquiète du réchauffement, soit nettement plus qu’il y a deux ans. Udo Kuckartz, sociologue à l’université de Marburg, qui sonde régulièrement la conscience environnementale des Allemands pour le compte du gouvernement fédéral, constate également une tendance comparable. « L’environnement est à nouveau un thème important », dit-il.

1 L’écologie revient

C’est un débat qui se déroule autrement que ceux qu’on a connu dans les années ’80 ou ’90. Protéger l’environnement était alors une question d’idéologie, de positionnement politique. Et souvent, la discussion s’enflammait sur des problèmes plus grands qu’en réalité. A propos de l’effet des pluies acides sur les forêts, qui fut exagéré. A propos des boissons en boîte, un problème de moindre ampleur. Certes, les êtres humains ont pollué l’air, contaminé l’eau et leur santé en a souvent subi les conséquences. Mais c’étaient des dégâts limités au plan régional et souvent des filtres ou des stations d’épuration permettaient d’améliorer la situation.

Aujourd’hui, l’homme s’en prend au système climatique de la Terre, la seule planète vivable de l’Univers. Et de la sorte, il change les fondements vitaux de l’ensemble de l’espèce. Les dégâts sont irréparables. C’est ce qui distingue le changement climatique de tous les autres problèmes environnementaux.

Personne n’échappe aux conséquences du réchauffement de la terre – et les indices s’accumulent qu’elles seront plus drastiques que ce qu’avaient prévu jusqu’ici les climatologues. Le niveau de la mer, par exemple, monte plus vite, comme le montre des relevés faits par satellite. Même la masse géante de glace du Groenland et du continent antarctique n’échappe plus à la fonte. La vague de canicule de 2003 a surpris les climatologues tout comme les tempêtes tropicales de l’an dernier. « On attendait plutôt ce genre d’événements dans 30 ans », concède Stefan Rahmstorf, physicien et océanographe du département de climatologie de l’Institut de Potsdam.

La nature est terrassée par le stress climatique, comme de plus en plus d’indices le laissent craindre – et cela confère au réchauffement global un élan supplémentaire. Des scientifiques n’excluent plus que la hausse des températures n’affaiblisse la capacité des mers à ralentir le réchauffement. Le permafrost de la Sibérie pourrait également dégeler aussi plus rapidement que prévu, libérant de grandes quantités de méthane. Hans-Joachim Schellnhuber, directeur de l’Institut de Potsdam, connaît une série de ces « tipping points », des « interrupteurs » qui déclenchent des processus qu’on ne peut ensuite plus arrêter. « Petites causes, grands effets », c’est ainsi que Schellnhuber décrit la dynamique incontrôlable que l’homme peut déclencher avec de petits changements de température.

Des chercheurs britanniques du Hadley Centre ont découvert que même la forêt amazonienne pourrait être la victime du réchauffement, parce que l’eau lui manquerait. Un affaiblissement de la forêt amazonienne provoqué par un déficit en eau pourrait à son tour entraîner le dégagement de quantités massives de C02 qui renforceraient le réchauffement. La forêt tropicale agonisante se transformerait en turbo climatique.

Il est bien possible qu’à l’avenir, des alarmes à la canicule ne doivent être déclenchées plus souvent – comme l’a fait ces derniers jours le maire de New York Michael Bloomberg. L’été 2003 a coûté la vie à 35.000 personnes en Europe. On ne sait pas encore combien de morts a fait la vague de chaleur de juillet 2006. Günter Pfaff, médecin du ministère de la Santé, s’attend à ce qu’un pic de mortalité soit constaté.

Mais il n’y a pas que l’homme qui subit la canicule. Le mois de juillet tropical a fait fondre l’asphalte de plusieurs autoroutes. L’aéroport d’Hanovre a dû être fermé à cause de fissures dans le tarmac de la piste. Sur l’Oder, le trafic fluvial a dû être arrêté. Les producteurs d’électricité E.on et Vattenfall ont dû réduire la puissance de plusieurs centrales, à cause du manque d’eau de refroidissement. Et dans les eaux de baignade, les vers parasites prolifèrent couvrant les personnes qui en sont atteintes de pustules et de cloques.

Tout cela est désagréable, mais c’est encore inoffensif par rapport à ce qui nous menace. Au cours des cent dernières années, la température de la terre a augmenté de 0,8°. Au cours des 100 prochaines, cette hausse pourrait être de 6°, voire plus. Ce serait un événement unique sur une période de plusieurs millions d’années, écrivent les chercheurs de l’Institut de Potsdam Schellnhuber et Rahmstorf dans leur ouvrage « Der Klimawandel ». Et selon eux, c’est l’homme qui manipule le thermostat de la terre.

L’année dernière, les académies scientifiques de onze pays – dont celles des USA, de la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil – se sont associées pour lancer un appel aux chefs d’Etat du G8 pour qu’enfin, les émissions de CO2, produites par la combustion de charbon, de pétrole et de gaz, soient réduites. Effectivement, d’infimes concentrations de ce gaz dans l’atmosphère – des fractions de pourcent – régulent le rayonnement solaire. Le CO2 laisse passer les rayons du soleil mais pas la chaleur qui se dégage de la terre. Or depuis la révolution industrielle, l’homme envoie toujours plus de C02 dans l’atmosphère. La concentration en CO2 a quasiment augmenté d’un tiers par rapport à l’ère pré-industrielle. C’est l’effet de serre « supplémentaire ». Il fait suer la terre et grandir la peur.

2 Famine, épidémies, déluges

L’effet de serre pourrait causer des catastrophes d’une ampleur biblique.

Les glaciers fondent et cessent de faire office de réservoir d’eau. Des millions de personnes sont menacés de pénurie d’eau. En même temps, le niveau des mers monte – trois mètres dans les deux ou trois prochains siècles. Ce ne sont pas seulement des mégapoles comme Dacca ou Calculta qui sont menacées. C’est également le cas de Brème et d’Hambourg. « Celui qui ne voudra pas endiguer (construire des digues) devra céder», préviennent les experts. Mais il n’est pas sûr que le meilleur des barrages protège bien contre les inondations. Et notamment lorsque les énormes quantités de glace du Groenland et de l’Antarctique auront fondu. En quelques millénaires, le niveau de la mer serait relevé d’une cinquantaine de mètres.

Vu que la force des ouragans dépend de la température de l’eau de mer, il y aura plus de tempêtes à l’avenir, en ce compris dans des régions qui étaient jusqu’ici épargnées. En 2005, l’Atlantique aura connu autant de tempêtes tropicales qu’au cours des 150 dernières années. Katrina a détruit des plate-formes pétrolières, Delta a dévasté une partie des îles Canaries, pour la première fois depuis que l’on effectue des relevés météorologiques.

Etant donné que l’air chaud peut emmagasiner plus d’eau, le danger de pluie torrentielle s’accroit. Les inondations de l’Elbe en 2002 étaient la conséquence d’une anomalie qui pourrait bien devenir normale dans les prochaines années.
En même temps, il y aura des sècheresses; le risque d’incendies de forêts augmente, en particulier dans le Sud de l’Europe, là où l’eau potable et l’eau pour éteindre les incendies se raréfieront. Certains scénarios font état de pertes de récoltes de l’ordre de 20 à 30 pc. Il ne faut donc pas beaucoup d’imagination pour comprendre que le changement climatique provoquera des vagues de réfugiés. Un rapport de l’Université des Nations Unies à Bonn estime qu’en 2010, 50 millions de personnes émigreront en raison de la dégradation des conditions climatiques.

En même temps, des régions privilégiées sur le plan naturel seront touchées par des fléaux inconnus jusqu’ici. Un climat plus chaud attire des plantes et des espèces animales dangereuses. Les tiques qui véhiculent des maladies mortelles sont déjà en pleine progression. Tandis que les hommes transpirent, les nuisibles prolifèrent. Bienvenue dans l’étuve terrestre au siècle d’une nature en train de devenir méchante !

Etonnant qu’on en soit arrivé là. Parce que contrairement à la plupart des autres problèmes environnementaux, les chercheurs ont reconnu les dangers du réchauffement alors qu’il n’était pas encore perceptible.

La première grande organisation scientifique à tirer le signal d’alarme a été l’académie nationale des sciences des Etats-Unis, dans les années ’70. En 1988, deux organisations des Nations Unies fondèrent une commission chargée de suivre en permanence l’évolution du savoir sur le réchauffement de la planète. En 1991, un groupe de diplomates a commencé à préparer un traité pour la protection de l’atmosphère terrestre. L’année suivante, l’assemblée des peuples du monde s’est réunie à Rio de Janeiro et a signé la convention sur le climat. Son but final est la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre au niveau « auquel une perturbation dangereuse du système climatique est empêchée ». En 1997, ce fut l’accord de Kyoto qui couvre les émissions de gaz à effet de serre et donc la consommation d’énergie de trois douzaines de nations industrielles.

3 Etonnant, tout ce qui a été promis

Mais c’est encore plus étonnant de voir comment les gouvernements nationaux se soustraient à leurs engagements. La convention sur le climat prévoit que les pays industrialisés ramènent leurs émissions de 2000 au niveau de 1990. Mais au lieu de cela, les USA ont émis 16 pc de CO2 en plus, le Japon 17 pc. Seuls les 15 états-membres de l’UE sont parvenus à respecter plus ou moins leurs engagements, et notamment parce qu’entretemps l’industrie de l’ex-Allemagne de l’Est s’est effondrée.

IL n’y aura donc quasiment aucun état signataire de Kyoto à respecter son engagement. Les USA n’ont même pas ratifié le traité ; les Européens sont à ce point en retard qu’il faudrait un miracle pour qu’ils le respectent d’ici 2012. L’esprit de Rio, dit Klaus Töpfer, ex-chef des fonctionnaires de l’ONU chargés de l’environnement, s’est rapidement évanoui.

C’est quand même paradoxal. L’être humain organise le plus grand barbecue de l’histoire de la Planète au moment où des cohortes de diplomates se réunissent chaque année en conférence climatique. Les cheminées des usines, les voitures, les chauffages, envoient 27 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit un quart de plus qu’il y a 15 ans lorsque la lutte contre le changement climatique a commencé.

Ce n’est pas par hasard que, depuis lors, ce combat de l’humanité n’a enregistré que des défaites. Le début de la mobilisation pour le climat correspond au moment précis où les prix du pétrole sont redescendus à un niveau très bas. Jusqu’à 12 dollars le baril en moyenne en 1998. Le pétrole est la principale source d’énergie mondiale, sa combustion est également la principale cause de production de C02. Le pétrole à bon marché a rapidement chauffé l’atmosphère.

L’énergie pas chère aurait pu être renchérie, mais cela présupposait de la détermination à lutter contre l’effet de serre. Notamment par le biais de la fiscalité. Mais cela n’a pu hélas se faire nulle part ou presque. Notamment parce que les pays industrialisés ont été confrontés à la même époque à la concurrence des pays asiatiques ; d’abord de la part des Tigres asiatiques, ensuite de la Chine, de l’Europe de l’est et de l’Inde. Le défi, c’était la globalisation, et rendre l’énergie plus chère pour protéger le climat semblait constituer une idée délirante. La protection de l’environnement était reléguée tout en bas de l’échelle, dit Ernst Ulrich von Weiszäcker, membre jusqu’il y a un an du Bundestag et actuellement professeur à l’université de Californie à Santa Barbara. Des gens comme lui, qui plaidaient pourtant pour la protection du climat, apparaissaient comme « des mous », comme le dit le professeur lui-même.

La peur de la concurrence des pays émergents a incité les Américains à refuser le protocole de Kyoto. Al Gore, vice-président des USA en 1997, a assisté aux négociations au Japon. Mais il n’avait pas de mandat, parce que le Congrès américain avait par avance décidé de ne signer aucun accord sans « participation appropriée des pays en développement ». Or c’est précisément ce que la Chine et d’autres refusèrent catégoriquement, en utilisant l’argument que les pays industrialisés étaient responsables de la plus grande partie des gaz à effet de serre émis jusqu’ici. Finalement, le protocole de Kyoto a été réduit à un petit protocole sans effet, comme si le réchauffement climatique était un vague problème, dont on pouvait résolument reporter la solution.

Mais aujourd’hui, les températures et les émissions de CO2 menacent d’atteindre des sommets historiques. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, les émissions de CO2 grimperont à 38 milliards de tonnes en 2030. Aucune autre prévision n’atteste mieux l’échec de la politique climatique.

La plupart des climatologues sont d’accord sur le niveau tout juste acceptable de concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère : il se situe à 0,045 % de CO2. La terre serait certes plus chaude ; l’homme, la nature et l’infrastructure seraient certes exposés à des contraintes insoupçonnées. Mais, au moins, l’augmentation de la température serait-elle limitée à 2° et le pire pourrait encore être évité. Mais cela présuppose une nouvelle révolution industrielle : un tournant mondial de l’énergie, « et très vite, endéans les 10 ou 20 prochaines années », comme le stipule un document de la commission scientifique sur les changements environnementaux travaillant pour le compte du gouvernement allemand.

Il ne faut pas faire confiance au marché pour y arriver. Bien sûr les prix actuels du pétrole étranglent la demande et ménagent le climat. Mais cela ne va pas en rester là. La croûte terrestre recèle encore des quantités immenses de pétrole, de gaz et de charbon. Si elles étaient extraites et brûlées, on estime qu’alors pas moins de 18.000 milliards de tonnes de CO2 prendraient le chemin du ciel entraînant la température moyenne vers une hausse moyenne supérieure à 4°, comme l’affirme une étude de l’Institut de Potsdam.

Et par conséquent, on ne peut y échapper : le politique doit agir pour que les émissions de gaz à effet de serre diminuent. Avec des impôts et des normes, des programmes d’encouragement et des campagnes de sensibilisation. Mais avant tout avec la volonté d’enfin combattre sérieusement le réchauffement climatique.

Le défi est grand, mais on peut le relever. Cela ne devrait pas coûter l’équivalent d’1 pc du Produit mondial, comme on l’a indiqué récemment dans une conférence internationale. Un groupe de chercheurs de l’université de Princeton a proposé un plan de combat : des voitures plus économiques, des maisons mieux isolées, des centrales électriques efficaces, des éoliennes et des panneaux solaires, la biomasse et le stockage du CO2, par exemple dans les poches ayant contenu du gaz naturel. Autant de petits pas annonciateurs de salut.

Par ailleurs, la communauté des peuples devra se mettre d’accord sur ce qui est juste dans le combat contre le réchauffement. Il ne peut y avoir qu’une seule réponse : donner à chacun le même droit d’émettre du CO2. Les chercheurs de l’Institut de Potsdam ont calculé ce que cela implique. Si nous voulons respecter la limite de 2°, chaque être humain ne pourra plus émettre plus de 2000 kilos de dioxyde de carbone par an. Pour un Allemand, cela veut dire se contenter du cinquième de sa consommation actuelle.

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