« Ils n’en mouraient pas tous mais tous étaient atteints »
Jean de la Fontaine
Revenons un instant sur la déferlante « grippe aviaire », subitement disparue de l’actualité…
Grâce à la couverture médiatique de son évolution géographique, nous avons suivi il y a quelques semaines – et en direct – le bulletin de santé d’un perroquet en quarantaine à Londres, puis frémi à la découverte d’un cygne mort à Waulsort… jusqu’au moment où il apparut que la bête avait été projetée dans la Meuse par une voiture.
« Mais d’où vient cette peur de la population alors qu’il ne semble pas avoir lieu de paniquer ? » demande – sans rire – le journaliste à l’expert.
L’évolution de la maladie mérite évidemment l’attention des scientifiques et des autorités sanitaires mais dans cette histoire, l’emballement médiatique propre aux thèmes sécuritaires fonctionne à plein. La peur s’installe, plus ou moins rationnelle et chacun cherche une réponse apaisante.
Cette réponse « on » nous la fournira et elle me semble particulièrement paradoxale.
Face à la « crise », les mesures politiques les plus emblématiques à ce jour sont l’obligation de confinement des volailles et la constitution de stocks importants de l’antiviral Tamiflu… sans qu’on sache d’ailleurs vraiment si ce médicament constitue une solution pertinente. Principe de précaution, sans doute. Justifié scientifiquement, peut-être. Nécessité politique à coup sûr car l’autorité ne doit pas pouvoir être accusée de ne rien faire quand la sécurité des personnes est en cause.
Dans ce contexte, les vainqueurs à l’audimat et au compte bancaire sont, à coup sûrs, les firmes pharmaceutiques. En novembre dernier déjà, les pharmaciens et médecins français constataient la rupture inquiétante de leurs stocks d’antiviral Tamiflu et de doses de vaccins contre la grippe « classique ». Dix pourcent de vaccination en plus alors que celle-ci n’assure strictement aucune protection contre l’éventuelle épidémie… Symboliquement, la victoire de l’industrie est tout aussi nette : « les chercheurs nous prépare le vaccin, La Solution que chacun attend ».
Mais il y a un autre gagnant sur le moyen terme: l’industrie avicole dans sa forme la plus artificielle. Certains nous annoncent même à l’horizon l’arrivée du poulet transgénique résistant au virus H5N1. Le paradoxe de cette crise atteint là son paroxysme.
Car quelles sont les images « de la maladie » dont nous disposons ? Des canards passant dans le ciel, quelques cygnes sur un étang, des cosmonautes blancs courant après poules et pintades dans la cour d’une ferme et puis des filets tendus au-dessus d’un poulailler en plein air… toutes choses laissant penser que la grippe aviaire serait un problème d’oiseaux sauvages et de basses-cours traditionnelles (cette pratique archaïque qui ne nourrit… qu’une majorité de l’humanité…).
Or, la grippe aviaire est d’abord et avant tout un problème d’élevage industriel.
Le virus est en effet présent dans les populations de volailles depuis longtemps, sinon toujours. Il n’entraîne normalement que des conséquences marginales et ne présente pas de risque important pour les humains. Des contaminations humaines mortelles ont pourtant été constatées dans différents pays d’Asie et la promiscuité entre l’animal et l’homme est mise en cause. Mais comment l’épizootie est-elle arrivée là ?
Pour que cette infection banale devienne le problème que l’on sait, il a fallu la conjonction de plusieurs facteurs :
Un grand nombre de volailles dans une très grande promiscuité pour favoriser l’apparition et la multiplication de formes pathogènes du virus.
Une baisse sévère d’immunité des populations avicoles. Mal nourries, confinées dans une ambiance morbide, sans espace vital ni capacité de mouvement, privées de l’expression naturelle de leurs relations sociales… les volailles d’élevage vivent dans un stress tel que leur résistance aux agents pathogènes est considérablement réduite.
Une érosion drastique de la diversité génétique, liée une sélection basée uniquement sur la productivité qui prive l’espèce de sa capacité à s’adapter aux maladies par le biais des individus les plus résistants.
Le développement d’une économie avicole basée sur le transport massif et sur de longues distances à toutes les étapes de la filière. Il apparaît en effet clairement que la propagation du virus est davantage liée au déplacement – légal ou non – d’œufs, de poussins, de poulets… provenant de l’industrie avicole que d’une quelconque migration d’oiseaux .
Qu’en conclure dès lors ?
Que la grippe aviaire est d’abord une maladie du non-respect de la nature, du bien-être animal, de l’écologie en somme. Qu’elle résulte d’une économie agroalimentaire basée sur une intégration à grande échelle et le profit de quelques-uns au détriment des producteurs traditionnels qui assurent l’essentiel de l’apport protéinique des populations du Sud de la planète.
Pour sortir de cette crise, comme d’autres récentes et futures, il faut donc davantage de diversité et de respect de l’écologie des espèces.
Paradoxalement, les mesures prises et le message médiatique dominant incitent à penser l’inverse : plus de vaccins, de médicaments, de contrôles; moins de diversité génétique, de liberté pour les petits producteurs, de respects du bien-être animal… Et le risque existe, au nom de la sécurité sanitaire, de voir disparaître nombre de petits éleveurs ou de condamner les salutaires basses-cours traditionnelles à s’approvisionner dans les filières industrielles qui sont la source même de la crise. La solution renforce le problème en accentuant la fuite en avant dans l’artificialisation de la vie…
Le confinement actuel des volailles recèle déjà ce paradoxe : enfermer les oiseaux les protége de certaines sources de contamination mais diminue leur bien être, les empêche dans de nombreux cas de gratter et de picorer de l’herbe, augmente la promiscuité… Le confinement n’est pas bon pour la santé des animaux et la mesure atteint essentiellement les élevages extensifs avec pour conséquence une altération de leur viabilité économique. Pour les élevages concentrationnaires, les pondoirs géants qui entassent des milliers, parfois des dizaines de milliers de poules dans des conditions effroyables, les usines à poulets fades et médicamenteux… au-delà d’une chute temporaire de confiance des consommateurs, rien ne change, la folie continue.
A quand donc des images de cet univers-là dans les médias? A quand la réalité à l’écran et la prise de conscience du fait que le cul de sac sanitaire et écologique de l’industrie volaillère, au nom du prix bas, entraîne des coûts considérables pour la collectivité ?
Le « ils n’en mourraient pas tous mais tous étaient atteints » qu’écrivait Jean de la Fontaine à l’époque des grandes pestes est criant d’actualité. Le virus de la grippe aviaire est présent et restera présent dans la nature. L’éradiquer est illusoire. Par contre, miser sur la diversité et la capacité de résistance des oiseaux d’élevage est une option fondamentale triplement gagnante : positive pour les petits producteurs, leur survie, leur autonomie ; positive pour qualité de notre alimentation et donc pour la santé humaine ; positive in fine pour notre environnement.
En ce sens, nous avons tous – citoyens, consommateurs, acteurs économiques et publics… – une responsabilité dans l’émergence autant que dans la solution des crises alimentaires. L’enjeu est celui d’un vrai changement économique et culturel, politique en somme…