By Benjamin K. Sovacool, Foreign Policy
http://www.foreignpolicy.com/story/cms.php?story_id=3250
Septembre 2005
Traduction libre par Jean-Luc Bastin pour étopia
Avec une demande mondiale en énergie montant en flèche avec le prix du pétrole, l’énergie nucléaire apparaît de plus en plus comme la réponse aux émissions de gaz à effet de serre et à la dépendance aux combustibles fossiles.
Même les Verts se chauffent à l’énergie nucléaire.
Malheureusement, les centrales nucléaires ne sont pas la réponse à nos besoins en énergie et elles ne sont pas aussi écologiques qu’elles y paraissent.
“L’énergie nucléaire est morte”
Faux. Bien que la plupart des centrales nucléaires américaines aient plus de 20 ans, le problème du changement climatique ranime l’industrie de l’énergie nucléaire.
Le Protocole de Kyoto, qui est entré en vigueur cette année pour 141 pays, aspire à réduire mondialement les émissions de gaz à effet de serre.
Cette pression a ravivé l’intérêt pour les réacteurs nucléaires, que beaucoup considèrent incorrectement comme une technologie “à émission nulle en dioxyde de carbone”.
Judith M. Greenwald du Pew Center on Global Climate Change a noté que “l’impératif de décarboniser la future économie mondiale de l’énergie pour atténuer le changement climatique, fournit une forte motivation pour maintenir ouverte l’option de l’énergie nucléaire.”
Trois grandes groupes américains – Exelon, Entergy, et Dominion – ont demandé récemment à la Commission de Normalisation nucléaire, les autorisations pour la construction de nouvelles centrales nucléaires en Illinois, Mississippi et Virginie.
Pour sa part, la proposition de loi sur l’énergie récemment adoptée par le Congrès US apporte un appui significatif à l’industrie nucléaire.
La législation prolonge les limites de responsabilité pour les accidents nucléaires pendant encore 20 ans, autorise la construction de nouveaux réacteurs de recherches pour le compte du Ministère de l’énergie, et met en place des programmes importants de prêt et d’assurance pour rendre la construction de nouveaux réacteurs nucléaires plus attractive.
Dans le monde, un total de 25 réacteurs sont actuellement en construction dans 10 pays. La Chine a neuf réacteurs nucléaires totalement opérationnels, et elle projette d’en construire encore 30 dans les cinq années à venir.
Des nouvelles centrales nucléaires sont également à l’étude en Inde, au Japon, à Taiwan, en Corée du sud, et en Russie.
“L’énergie nucléaire diminuera la dépendance vis-à-vis du pétrole”
Pas vraiment. Le pétrole produit seulement environ 3 pour cent de l’électricité des USA, le reste provient principalement du charbon, du gaz naturel, du nucléaire, et de l’hydro-électricité.
Les gains dans la production d’électricité d’origine nucléaire ne se traduisent pas automatiquement en une diminution de la dépendance vis-à-vis du pétrole.
La capacité du nucléaire à réduire la dépendance vis-à-vis du pétrole peut se développer si les Américains achètent plus de véhicules hybrides qui pourraient utiliser l’électricité produite par les centrales nucléaires ou l’hydrogène récupéré des réactions nucléaires.
Mais le jour où la plupart des voitures et camions rouleront à l’électricité ou à l’hydrogène est encore bien loin.
La période de transition vers une économie hybride ou à hydrogène est d’au moins 20 à 30 ans, dû entre autres à la difficulté de développer des piles à combustible rentables et des infrastructures pour extraire, comprimer, et stocker l’hydrogène.
Puisque la majeure partie de la recherche et du développement sur l’hydrogène a lieu aux Etats-Unis, en l’Europe, et en Asie industrialisée, le reste du monde est encore plus éloigné de ce futur.
De plus, beaucoup d’analystes croient que, au niveau actuel de consommation, on dispose seulement d’un approvisionnement en uranium pour 50 ans, rendant limité l’investissement social et économique des centrales nucléaires.
“L’énergie nucléaire est une forme propre d’énergie”
Malheureusement, non. Quand président George W. Bush a signé la proposition de loi sur l’énergie en août, il a fait remarqué que “seules les centrales nucléaires peuvent produire des quantités massives d’électricité sans émettre une once de pollution atmosphérique ou de gaz à effet de serre.”
Cette remarque est inexacte.
Le retraitement et l’enrichissement de l’uranium se fondent souvent sur l’électricité produite à partir de combustibles fossiles.
Les données de l’Institute for Energy and Environmental Research et de l’USEC, une compagnie d’enrichissement de l’uranium, indiquent que pour l’enrichissement de la quantité d’uranium requise pour remplir de combustible un réacteur de 1,000 mégawatt pendant une année en employant la méthode la plus efficace, on a besoin de 5.500 mégawatt-heures d’électricité produite à partir de gaz et de charbon (une centrale de 100-megawatt fonctionnant pendant 550 heures) (1)
Deux des centrales à charbon les plus polluantes d’Amérique, dans l’Ohio et l’Indiana, produisent principalement de l’électricité pour l’enrichissement de l’uranium. De cette façon, beaucoup de centrales nucléaires contribuent indirectement mais sensiblement au réchauffement global, et ne réduisent pas la dépendance des USA à l’égard du pétrole et du charbon.
L’extraction et le raffinage de l’uranium et le fonctionnement des réacteurs nucléaires présentent également des dangers graves pour l’environnement. Les mines abandonnées dans les pays en voie de développement, par exemple, peuvent présenter des risques radioactifs pendant 250.000 ans après la fermeture.
Les centrales nucléaires libèrent des polluants toxiques et des gaz comme le carbone-14, l’iodine-131, le krypton et le xénon. Elles produisent également des quantités prodigieuses de déchets qui demeurent dangereusement radioactifs pendant plus de 100.000 ans. Le Département de l’Energie US a compté sur le stockage réversible sur site comme une solution transitoire.
Depuis 2003, plus de 49.000 tonnes de combustible nucléaire usagé ont été dispersées dans des fûts secs et dans des piscines de stockage dans 72 endroits différents des USA, avec une quantité de déchets prévue de 105.000 tonnes d’ici 2035.
Yucca Mountain – un espace de stockage fédéral permanent construit au Nevada – dispose seulement d’une capacité de stockage de 70.000 tonnes.
Simplement : nous n’avons pas encore une solution durable au problème de stockage des déchets nucléaires.
“L’énergie nucléaire est peu coûteuse”
Faux. Même les installations nucléaires modernes sont extrêmement chères et demandent des années de construction.
Une centrale typique de réacteur à eau légère de 1.100 mégawatts coûte entre 2 et 3 $ milliards pour la licence et la construction.
Ces coûts grimpent encore quand on y ajoute les dépenses additionnelles pour le stockage des déchets nucléaires et le déclassement des vieilles usines.
Le coût financier des projets nucléaires complique le processus pour équilibrer la capacité avec la demande, signifiant que les centrales ont tendance à surproduire de l’électricité.
Ces problèmes aident à expliquer la diminution de l’énergie nucléaire dans les années 80.
D’ailleurs, on s’attend à ce que de telles dépenses augmentent avec la demande d’uranium, source primaire du combustible nucléaire.
Les experts prédisent que le coût de l’uranium pourrait dépasser les $40 par livre en 2006, une augmentation de presque 300 pour cent depuis 1990.
Le prix du combustible nucléaire intervient pour un petit pourcentage des dépenses globales d’une centrale nucléaire, mais les coûts peuvent atteindre des millions, comme les +/- 200 tonnes d’uranium naturel exigées annuellement pour un réacteur à eau légère de 1.000 mégawatts.
Il n’est donc pas surprenant que les générateurs nucléaires aient besoin de subventions massives du gouvernement pour attirer des investisseurs.
Une étude du MIT en 2003 a recommandé une multitude de subventions du gouvernement et une taxe carbone de 200 $ par tonne pour les centrales conventionnelles afin de rendre les coûts des réacteurs nucléaires concurrentiels avec les technologies existantes.
Sans subventions importantes, il est peu probable que l’industrie nucléaire des USA survive, croisse encore moins.
“Les centrales nucléaires sont une menace pour la sécurité”
Oui. Localement, les usines nucléaires augmentent la probabilité d’un accident nucléaire ou d’une attaque terroriste. Les règlements rigoureux de sécurité décrétés après le 11septembre 2001, ont réduit le risque d’intrusion de force, d’explosion de voiture ou de camion, de cyber-terrorisme, et de bombardement aérien des usines nucléaires. Cependant, la Commission de Normalisation nucléaire a constaté que 37 de 81 usines nucléaires examinées ont échoué en 2003 à leur évaluation opérationnelle de sécurité. Et tandis que les structures d’une centrale nucléaire qui logent le combustible du réacteur peuvent résister à l’impact d’un avion, les rapports multiples ont averti que pour trop d’usines, le bâtiment principal est toujours situé à l’extérieur des structures de protection et vulnérable aux attaques – si le bâtiment de commande est touché, cela pourrait mener à la fusion.
Globalement, les centrales nucléaires sont vulnérables au vol de matière fissile et peuvent favoriser la diffusion des armes nucléaires.
Il n’y a aucune limite pour les groupes de terroriste désireux d’acquérir des déchets nucléaires ou la matière fissile requise pour en faire un dispositif nucléaire brut ou “une bombe sale.” Les réacteurs nucléaires commerciaux créent déjà tous les quatre ans une quantité de plutonium égale à la réserve militaire totale. Une croissance modeste de la capacité mondiale de 350 gigawatts à 700 gigawatts produirait annuellement approximativement 140 tonnes de plutonium à usage militaire.
Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991, les autorités ont référencé près de 200 incidents de contrebande de matière nucléaire en France, en Allemagne, en Iran, en Jordanie, en Libye, en Russie et en Turquie.
Un rapport de 2004 de la Jane’s Intelligence Review a conclu qu’une augmentation substantielle du nombre de nouvelles centrales nucléaires dans le monde entier augmenterait directement les risques liés à la prolifération d’armes nucléaires.
Les mesures de sécurité actuelles ne sont clairement pas suffisantes.
Après tout, l’Agence internationale de l’énergie atomique ne pouvait pas empêcher l’Iran et la Corée du Nord d’utiliser les réacteurs civils pour lancer des programmes d’armes.
“L’énergie nucléaire est un choix sage pour les futurs besoins énergétiques”
Non. Pour le moment, la stratégie la plus sage pour les USA – en termes de coûts, de bénéfices environnementaux, et potentiel – seraient d’investir dans la réduction à long terme de la demande énergétique par un déploiement accru ou une amélioration des performances des équipement à rendement optimum.
Dans le seul l’état de New York, par exemple, les politiques d’efficacité énergétique ont déjà sauvé plus de 1.000 gigawatt-heures d’électricité et ont réduit de 880 mégawatts la demande maximale.
Du côté de l’offre, utiliser plus petit, décentraliser des unités telles que des éoliennes, des systèmes combinés chaleur et électricité, des générateurs de biomasse, des systèmes de chauffage solaire et photovoltaïque, est une stratégie bien meilleure.
De telles technologies sont plus rapides à construire, plus modulaires, demandent moins de combustible, ce qui signifie que presque n’importe quelle demande peut être satisfaite, quelque soit sa taille, parce qu’elles peuvent produire de plus petites quantités d’électricité.
Ce sont ces générateurs miniatures – et non les centrales nucléaires gigantesques et onéreuses – qui offrent la meilleure stratégie pour diversifier la production électrique dans un environnement énergétique concurrentiel.
Les inconvénients de l’énergie nucléaire sont bien plus importants dans les pays en voie de développement, qui ont moins accès aux capitaux d’investissements exigés par la technologie nucléaire.
Les pays pauvres ont également plus à perdre quand les projets s’embourbent ou tombent en panne – en particulier parce que plusieurs de ces pays payent des taux d’intérêt plus élevés sur des prêts internationaux.
En outre, une expansion de l’énergie nucléaire dans l’ensemble de l’Afrique et les régions de l’Asie exigerait la construction d’un réseau expansible de transmission et de distribution, ainsi que des équipements, chers et difficiles à sécuriser, de stockage des déchets nucléaires.
Surtout, les pays développant l’énergie nucléaire deviendraient dépendants de l’ouest pour l’expertise technique et le capital financier exigés pour construire et maintenir leurs équipements.
En fin de compte, l’extension de l’utilisation de l’énergie nucléaire répond seulement aux problèmes existants posés par l’utilisation des combustibles fossiles, et obscurcit de meilleures solutions de rechange pour un futur énergétique durable.
(1) Correction : Cette phrase a été clarifiée. Elle indiquait initialement que l’uranium enrichi nécessaire pour produire 1.000 mégawatts d’électricité pouvait requérir 5.500 mégawatts-heures d’électricité produite à partir de gaz et de charbon.
Benjamin K. Sovacool est candidat doctorant du Virginia Polytechnic Institute and State University et gradué du Oak Ridge National Laboratory (Tennessee).
Les avis exprimés ici sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’un ou l’autre de ces établissements.