Par José Daras, président d’étopia_
Le mérite principal du rapport présenté début mars par le sénateur libéral Alain Destexhe est d’avoir suscité le débat. Le Ministre-Président Jean-Claude Van Cauwenberghe, s’il a tenté d’envoyer par le fond ce rapport relatif à l’état réel de la Wallonie, a aussi invité à la discussion. C’est à cette invitation que je réponds, maintenant qu’est passé le moment cacophonique où tout le monde parlait en même temps et où, par conséquent, il était difficile d’être entendu. Plusieurs économistes ont récemment objectivé une situation grave. Surtout, le Parlement wallon examine cette semaine le plan stratégique « création d’activités et d’emplois » porté par le ministre de l’Economie Jean-Claude Marcourt et l’ensemble du Gouvernement wallon.
D’emblée, je précise que je me situe dans une perspective d’analyse critique mais toujours constructive. Les chiffres croisés montrent un léger mieux et il convient de rappeler que nous avons la chance de vivre dans une des régions du monde les plus privilégiées en termes de qualité de vie et de bien-être. Pour notre région, le taux de chômage est stable (18,2% en 1996, 18% en 2004 et 17,9% fin avril 2005). Le nombre de demandeurs d’emploi inoccupés (DEI) est même passé de 252.253 Wallon(ne)s à 260.658 pour les mêmes années de référence.
Des différences marquantes existent d’ailleurs entre les différents arrondissements wallons puisque, fin avril 2005, le taux de chômage culminait à 24,1% à Mons, à 23% à Charleroi, à 21,9% à Liège et à 19,9% à La Louvière, alors qu’il tombait à 7,2% à Saint-Vith, à 10,9% à Arlon ou à 11,6% à Nivelles. Des différences marquantes existent aussi au cœur même du chômage. Ainsi, pour l’ensemble des directions subrégionales, la moyenne du taux de chômage des femmes est de 22,1% et pour les hommes de 14,6%. Le taux de chômage des jeunes atteint, voire dépasse les 30%…
Relevons que, selon l’Onem, la principale cause de la croissance du chômage de 1992 à 2003 serait l’élévation du niveau des études qui permet à davantage de jeunes de bénéficier du droit aux allocations d’attente…
L’enquête de l’Union wallonne des entreprises confirme, dans son dernier point conjoncturel , une stabilisation, voire un léger ralentissement de l’activité économique en Wallonie pour les premiers mois de 2005. « Rien ne laisse présager d’un rebond prononcé de l’activité dans l’immédiat. L’économie wallonne reste donc dans une configuration de ‘ croissance molle’ », précise l’UWE. Et d’ajouter : « Le taux de chômage restera donc élevé, supérieur à 18% de la population active. »
De 1996 à 2003, le nombre de DEI avec au moins cinq années de durée d’inoccupation a augmenté régulièrement, passant de 48.657 à 55.815 personnes (+14,7%). « Cela indique la persistance de la croissance du chômage structurel en région wallonne en dépit d’une période de meilleure conjoncture économique à la fin des années ‘90 », constate le Conseil économique et social de la Région wallonne
Face à ce constat, la récente querelle sur la question : «La Wallonie est-elle assez sévère avec ses chômeurs ?» apparaît bien dérisoire. Ce n’est pas en mettant les chômeurs sous pression qu’on crée des emplois. Par contre, cela peut profiter à l’extrême droite.
Le Contrat d’Avenir a l’ambition de faire converger la Wallonie vers un taux d’emploi équivalent aux objectifs européens à l’échéance 2010. Or, il apparaît d’ores et déjà que cet objectif ne pourra être atteint sans la mise en œuvre de mesures inédites. Le taux d’emploi wallon était en 2003 de 55,4% alors que le processus de Lisbonne – même si il vient d’être revu à la baisse – vise pour 2010 un taux d’emploi global de 70%, un taux d’emploi féminin de 60% et un taux d’emploi pour les plus de 55 ans de 50%.
Nous ne ferons pas ici le relevé et l’analyse des mesures en faveur de l’emploi (on en répertorie 220 !! en Belgique, une quarantaine pour la Wallonie) même si leur évaluation manque cruellement.
Plus vite, plus fort !
En attendant cette évaluation indispensable et sous peine de ne pas atteindre les objectifs, n’est-il pas temps, au vu des constats et des prévisions socio-économiques, de donner une orientation plus rapide et plus intense au développement de la Wallonie ? Bien sûr, je n’oublie pas que j’ai participé au gouvernement pendant 5 ans, mais si cette responsabilité m’empêche définitivement de jouer au donneur de leçons, elle me permet aussi d’être lucide sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, ou ce qui ne l’est plus dans un contexte de mondialisation néo-libérale que nous n’avons pas choisi, mais qui s’impose à nous et face auquel la résistance ne peut être la seule réponse des progressistes.
ECOLO privilégie ainsi une économie de transformation des processus de production en faveur de l’environnement, et développe le concept de secteurs éco-industriels « à triple bénéfice », à savoir (1) créateurs d’activité à fort enracinement local, donc d’emploi difficilement délocalisable, (2) favorables à l’environnement donc à la santé, (3) permettant des économies pour les consommateurs donc une augmentation du pouvoir d’achat.
Ainsi, ne doit-on pas consacrer une part significative des investissements vers de nouvelles filières potentiellement créatrices d’emplois : construction et logements durables, biocarburants, bioplastiques, non-marchand, énergies renouvelables, logistique multimodale, nanotechnologie, fibres de carbone, etc. ?
Il est temps, en concertation avec le Gouvernement fédéral, de prendre une batterie de mesures dérogatoires (allégements fiscaux ciblés sur les bas salaires, formules de crédit-temps avec embauche compensatoire négociée, exonérations fiscales et sociales en fonction de critères socio-économiques précis…) à la fois ciblées sur les plus importants bassins d’emplois en Wallonie, limitées dans le temps mais seules susceptibles de réellement « booster » la région. L’un des enjeux ne consiste-t-il pas à retenir les maillons à haute valeur ajoutée du processus de production (connaissance, innovation), y compris ceux qui sont sous-traités ? Parallèlement à cette distinction via la recherche et développement à inscrire dans des partenariats européens, voire mondiaux, ne s’agit-il pas d’amplifier, notamment via certaines filières citées plus haut, des emplois plus régionaux, en tenant compte des niveaux d’étude et des niveaux de qualification ? Il me semble que nous pourrions ainsi, en fonction de nos spécificités et de nos traditions industrielles, reprendre le leadership dans certains secteurs. Ce qui permettrait de rendre une image positive et déterminée de la Wallonie, de renforcer le moral des Wallon(ne)s et de tracer enfin les contours d’un avenir qui soit à espérer plus qu’à craindre.