Par Inès Trépant, chercheuse-associé à étopia, attachée au Groupe des Verts du Parlement Européen

Résumé :

La Stratégie de Lisbonne qui devait relancer l’économie et l’emploi européen est en rade. La Commission européenne a donc décidé de préparer une stratégie de réappropriation au niveau national. Elle impliquera la mise en place de programmes nationaux de trois ans dans chaque Etat européen. Elle risque donc de déterminer fortement les agendas politiques nationaux.
Mais d’un point de vue écologiste, on ne peut que s’inquiéter. La Commission abandonne en effet les orientations prises dans la foulée du Sommet de Göteborg pour tenter de réconcilier l’économie européenne avec le développement durable.

Dans sa communication sur “les lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi” réalisée à Strasbourg en avril dernier, on ne retrouve pas le “nouvel esprit” du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC), dans sa version intelligente. Or le nouveau PSC pourrait conduire, pour autant qu’il existe une volonté politique manifeste dans ce sens, à une croissance plus qualitative. Celle-ci pourrait s’appuyer notamment sur une politique de financement d’investissements publics de qualité, tels que ceux visant à atteindre les objectifs de Kyoto, sur un découplage entre la croissance économique et la croissance de la consommation énergétique, sur une politique de transport et d’utilisation des ressources respectueuses de l’environnement. Ces lignes directrices devraient être approuvées au prochain Sommet européen de juin.

En Bref

Conformément à la demande formulée par le Conseil européen du printemps 2005, la Commission a présenté lors de sa session en plénière à Strasbourg du mois d’avril sa communication sur “les lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi”, couvrant la période 2005-2008.
Concrètement, la proposition établit une feuille de route pour la croissance et l’emploi et sert de base pour les Etats membres pour préparer leurs programmes nationaux dits « programmes Lisbonne », d’ici à l’automne 2005.
Ces lignes intégrées visent à mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne. Ce document rassemble en un texte unique, les recommandations de la Commission sur les Grandes Orientations de Politique économique (GOPES) et ses propositions sur les lignes directrices pour l’emploi.
Tout en réduisant le nombre de lignes directrices et en se concentrant sur des mesures essentielles pour créer la croissance et l’emploi, la Communication de la Commission se veut innovante à deux égards:

 d’abord, en traitant dans un seul texte ce qui faisait au préalable l’objet d’ “études distinctes”. De cette façon, la Commission tente de marquer le coup sur le fait que les débats sur les GOPE et les lignes directrices pour l’emploi sont intimement liés.

 ensuite, elle articule les lignes directrices autour de trois volets: macro-économique, micro-économique et emploi, de façon à souligner les synergies entre les différents éléments.

Méthodologie et calendrier

Le Sommet européen de juin devrait entériner ces lignes directrices.
De l’avis général, la stratégie de Lisbonne est un échec. L’objectif de ce document est donc de s’assurer une “réappropriation” par les Etats membres de la Stratégie de Lisbonne, afin d’assurer une meilleure mise en oeuvre de ses priorités au niveau national. Pour ce faire, une nouvelle méthodologie est mise sur pied.
Sur la base des lignes directrices, les États membres établiront des programmes nationaux de réforme portant sur trois années. Chaque automne, ils devront rendre compte des “progrès réalisés” dans un rapport national unique sur l’application de la stratégie de Lisbonne.
En janvier de chaque année, la Commission analysera et résumera ces rapports dans un rapport de situation annuel portant sur l’ensemble de l’UE. Ensuite, sur la base de ce rapport, elle proposera, le cas échéant, des modifications des lignes directrices intégrées.

Eléments d’analyse:

1) Scénario “growth first” de Barroso: l’environnement, l’enfant malade de l’Europe
Le mot d’ordre de la Commission est de se concentrer davantage sur la croissance et l’emploi. Dans le texte: “Le conseil européen de mars 2005 vient de relancer la stratégie de Lisbonne en la recentrant sur la croissance et l’emploi en Europe, conformément aux propositions de la Commission. Par cette décision, chefs d’Etat et de gouvernement ont donné un message clair sur les priorités de l’Union pour les prochaines années”. On ne peut pas mieux dire…. On est loin d’une stratégie de développement durable intégrée, dans l’esprit du sommet de Göteborg, où l’on réclamait une attention égale aux piliers économique, social et environnemental. A cet égard, il est assez révélateur que parmi l’ensemble des lignes directrices intégrées proposées au sujet des GOPES, il y en a seulement deux qui ont trait un peu plus explicitement aux objectifs de développement durable, à savoir: la volonté d’améliorer les investissements dans la recherche-développement (il n’y a toutefois pas un mot sur l’affectations des dépenses dans le sens d’une “croissance qualitative”) et la volonté d’encourager l’utilisation durable des ressources

2) Rien de nouveau sur la comète: des “recettes économiques” qui reposent sur le postulat de la théorie économique classique, en décalage avec la réalité socio-économique européenne
L’intégration de deux textes dans un seul ???? (GOPE d’une part et lignes directrices pour l’emploi de l’autre) a l’ambition de renforcer la cohérence globale des politiques de l’Union et de présenter une vision stratégique claire des enjeux européens dans les domaines macro-économiques, micro-économiques et de l’emploi.
Etant donné que la politique d’emploi est tributaire du cadre macro-économique global, on peut se réjouir du souci de la Commission de “reconnecter” la politique de l’emploi à son cadre macro-économique.
Mais hélas, force est de constater que les lignes directrices préconisées par la Commission dans le domaine macro-économiques sont loin d’augurer d’un changement de cap. Au contraire, c’est la continuité qui est préconisée. Une fois n’est pas coutume, l’accent est à nouveau mis sur la stabilité des prix (comme exigence d’une reprise économique), l’assainissement budgétaire et le respect du Pacte de Stabilité (en insistant sur le nouveau volet préventif du Pacte), notamment pour assurer la pérennité de l’économie dans la perspective du vieillissement de la population européenne.

« Pour assurer la pérennité de l’économie, les Etats membres devraient veiller,compte tenu des coûts attendus du vieillissement de la population, à réduire leur dette publique à un rythme suffisant pour consolider les finances publiques, à réformer leur système de retraite et de soins de santé pour les rendre financièrement viables mais aussi socialement adaptées et accessibles, et à prendre des mesures pour relever les taux d’emploi et augmenter l’offre de main-d’oeuvre) ».

Parmi les autres “recettes classiques” préconisées pour relancer la croissance, on retrouve également la conduite de “réformes structurelles”, qui renforcent le cadre macro-économique en améliorant la flexibilité, la mobilité et la capacité d’ajustement à la mondialisation, la modération salariale, qui contribue à la stabilité macroéconomique, etc.

En clair, aucun remède nouveau n’est proposé par rapport à “la stratégie” de croissance menée actuellement par l’UE.
Sur le plan micro-économique cette fois, la Commission ne fait guère preuve d’originalité. Les lignes directrices micro-économiques se déclinent autour des priorités suivantes:

 1) développer et approfondir le marché intérieur (par intégration des marchés des services, en préservant le modèle social européen; intégration complète des marchés financiers, qui permet une affectation plus efficace des capitaux et améliorent les conditions de financement des entreprises);

 2) assurer l’ouverture et la compétitivité des marchés à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe (en supprimant les obstacles à la concurrence et à l’accès au marché; en réduisant les aides d’Etat qui faussent la concurrence – un redéploiement des aides destinées à soutenir certains objectifs horizontaux, tels que la recherche et l’innovation, est toutefois préconisé-);

 3) rendre l’environnement des entreprises plus attrayant et créer un environnement favorable aux PME, etc.
Parmi l’ensemble des lignes directrices proposées, deux sont plus à même d’insuffler une dynamique de développement durable, à savoir: la volonté d’améliorer les investissements dans la recherche-développement (encore que l’objectif quantitatif de porter les dépenses de recherche à 3% du PIB ne signifie nullement que les dépenses afférentes vont être utilisées au service d’une croissance qualitative); la volonté d’encourager l’utilisation durable des ressources et de renforcer les synergies entre la protection de l’environnement et la croissance
« Les Etats membres devraient accorder la priorité à l’internalisation des coûts environnementaux externes; à l’amélioration de l’efficacité énergétique ainsi qu’à la mise au point et à l’application d’écotechnologies ».

 4) La fin de l’esprit de Göteborg (et d’une approche du développement durable intégrée)
Le postulat de la Commission demeure le même, à savoir que les forces du marché génèrent automatiquement le bien-être et que le “développement durable” sera “spontanément” induit par la croissance. Dans l’exposé des motifs, la Commission déclare : “l’augmentation du potentiel de croissance et de l’emploi contribuera de manière essentielle au développement durable et à la cohésion sociale dans l’UE”. A nouveau, la preuve est faite que les progrès engrangés entre Lisbonne et Göteborg pour avoir une stratégie de DD intégrée sont bel et bien enterrés. Le fait que la communication de la Commission sur la croissance et l’emploi fasse l’objet d’un document séparé de la communication de la Commission sur la Stratégie de DD, en constitue, par ailleurs, une illustration supplémentaire.
Mais surtout, pour que le développement durable se traduise concrètement dans les politiques européennes, il ne suffit pas de promouvoir les innovations, la recherche & développement, ou l’éco-innovation. Il faut encore prendre des mesures concrètes, qui aideraient les éco-innovations à réellement se développer, en agissant sur différents fronts, tels que la fourniture de capital-risque respectueux de l’environnement, les marchés publics écologiques, l’abolition des subventions nocives, etc. Or, tout cela est absent des lignes économiques intégrées…

 5) Un cadre macro-économique inchangé, incompatible avec une politique d’emploi efficace et dynamique, incompatible également avec une politique de développement durable intégrée.

Ces lignes directrices sur le plan macro-économique demeurent inchangées, en dépit de la réalité économique “contrariante”. Par exemple, la “stabilité des prix” est considérée comme essentielle pour relancer la croissance. Pourtant, alors que les taux d’intérêt sont historiquement bas, l’inflation basse, le taux de chômage reste élevé, les investissements restent faibles et le retour à la croissance se fait toujours attendre !
Il est étonnant de ne pas retrouver le “nouvel esprit” du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC), dans sa version intelligente, dans le texte de la Commission. Or le nouveau PSC pourrait conduire, pour autant qu’il existe une volonté politique manifeste dans ce sens, à une croissance plus qualitative. Celle-ci pourrait s’appuyer notamment sur une politique de financement d’investissements publics de qualité, tels que ceux visant à atteindre les objectifs de Kyoto, sur un découplage entre la croissance économique et la croissance de la consommation énergétique, sur une politique de transport et d’utilisation des ressources respectueuses de l’environnement.

Concrètement, afin d’assurer la stabilité économique de l’Union, la Commission définit la ligne directrice suivante: “les Etats membres devraient maintenir leurs objectifs budgétaires à moyen terme tout au long du cycle économique et, aussi longtemps que cet objectif n’est pas atteint, prendre toutes les mesures correctrices nécessaires pour respecter le Pacte de Stabilité et de croissance. Sous réserve de cette obligation, les Etats membres devraient éviter de mener des politiques fiscales procycliques. Les Etats membres dont le déficit de la balance des opérations courantes risque de devenir insoutenable devraient s’atteler à le résorber en réalisant des réformes structurelles qui renforcent la compétitivité extérieure et mener des politiques fiscales qui contribuent à la résorption du déficit”.

Enfin, il n’y a aucun mot sur la nécessité de mener une réforme fiscale en faveur de l’emploi et de l’environnement et de prendre des mesures pour lutter contre la défiscalisation compétitive entre Etats, etc.

En conclusion

En dépit de l’objectif affiché par la Commission d’être innovante, on ne peut que constater que les lignes directrices intégrées pour la croissance et l’emploi sont particulièrement décevantes et n’augurent en rien d’une relance de l’emploi et encore moins, d’une stratégie intégrée de DD.

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