(cc) Federico Scarionati

En observant le paysage politique européen, impossible de ne pas être effrayé par l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir en Europe, de l’Italie aux Pays Bas en passant par la Hongrie. Ou de constater avec autant d’effroi ses vertigineux progrès en France, en Allemagne, en Espagne ou encore en Flandres, où l’on annonce d’ores et déjà un dimanche noir le 9 juin prochain. Le populisme et les discours extrêmes gagnent indiscutablement du terrain partout dans le monde. Cette montée en puissance suscite la crainte que la démocratie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne soit finalement qu’une parenthèse dans l’Histoire. Nos sociétés se fragmentent de plus en plus. Sommes-nous pour autant condamnés à nous laisser envahir par des idées nauséabondes, les replis et la haine comme moteurs de nos sociétés ?

Les causes de la situation actuelle sont multiples et complexes. On les réduit trop souvent, avec beaucoup de facilité, à des hommes et femmes politiques qui seraient juste incapables de répondre aux besoins d’un “vrai” peuple fantasmé, créant ainsi une frustration bien légitime qui sert de terreau au populisme. Mais la réalité est sans doute plus nuancée : le peuple est par nature extrêmement diversifié, et la crise démocratique actuelle entremêle, à tout le moins, les politiques, les populismes, les inégalités, certains médias et les réseaux sociaux, les algorithmes, l’éducation, le système économique et la finance aux effets délétères, sans oublier les ingérences…

Une jeune démocratie à réinventer

Notre démocratie est encore jeune. Il y a 75 ans seulement, les femmes votaient pour la première fois en Belgique. Depuis, bien que notre quotidien soit nourri par des évolutions sociétales, économiques et technologiques, la démocratie n’a pas évolué de manière significative. Comme le rappelle David Van Reybrouck, notre système démocratique est resté figé alors que le monde autour de lui change à une vitesse fulgurante.

L’Histoire et l’actualité nous rappellent d’ailleurs chaque jour les dangers de l’absence de démocratie.

La démocratie est pourtant le ciment de notre société. Un ciment devenu tellement évident qu’on à tendance à oublier qu’elle a pour ambitieux objectif l’égalité entre toutes et tous, la protection de nos libertés, le soutien des plus faibles, la justice, l’accès à l’éducation et aux soins de santé… Et de nous protéger des aléas de la vie. L’Histoire et l’actualité nous rappellent d’ailleurs chaque jour les dangers de l’absence de démocratie. Dès qu’elle s’efface, c’est le règne de l’arbitraire, de l’autoritarisme et de la violence.

Aujourd’hui dans le viseur des extrêmes et des populistes, notre démocratie est critiquée. On dit qu’elle n’a pas tenu ses promesses, qu’elle est usée et fatiguée, qu’elle devrait peut-être laisser place à autre chose. Certains sondages montrent même une attirance inquiétante pour l’autoritarisme. Pourtant, la démocratie a encore beaucoup à nous offrir: il faut la considérer comme un projet en perpétuelle construction, pas une structure figée.

Il est surprenant que, alors que nous sommes en période de campagne électorale, nationale et européenne, ces enjeux existentiels soient absents des débats, des médias, et des priorités de trop nombreux partis politiques. Ils constituent pourtant une réponse directe, efficace et peu coûteuse à cette montée des populismes et de l’extrême droite.

Expérimentation démocratique

Bien qu’il y en ait probablement d’autres, j’identifie quatre chantiers essentiels, peu coûteux en termes de dépenses publiques, pour remettre notre démocratie au cœur de la société. Ces expérimentations existent déjà dans de nombreux endroits en Europe et même en Belgique. Il s’agit de les expérimenter, les faire vivre, les perfectionner, les renforcer et les diffuser un maximum

1. Parce qu’elle nous inscrit dans l’humanité, la démocratie doit se vivre à tout âge. Il faut donc renforcer l’éducation civique dès le plus jeune âge, et inclure de la démocratie participative dans les écoles primaires, secondaires, supérieures, les universités, les entreprises jusque dans les maisons de retraite. Ces lieux de vie en collectivité se prêtent tous d’une manière ou d’une autre à la réflexion des règles communes. C’est aussi l’occasion d’apprendre la prise de parole autant que l’écoute, la décentration, l’argumentation, l’intérêt commun, le respect des décisions prises et leur sens. Les exemples qui y fleurissent sont souvent bouleversants d’humanité retrouvée.

 

2. Parce que voter une fois tous les cinq ans ne peut suffire à faire société, il nous faut mettre en place une démocratie consultative et délibérative au quotidien: par des conventions citoyennes, des comités citoyens, des assemblées délibératives, des budgets citoyens, des référendums, des préférendums, … De très nombreux modèles existent déjà et doivent être renforcés. Des assemblées bruxelloises mises en place ces dernières années au modèle Suisse, les pistes d’inspiration ne manquent pas. Ces innovations ne remplaceront pas la démocratie représentative telle que nous la connaissons, mais seront un solide renfort et un terreau vivifiant.

 

3. Le perfectionnement de notre démocratie ne peut se faire sans affronter de face les questions de gouvernance: cumul des mandats, dotations aux partis, publicités sur les réseaux sociaux, transparence, politiques d’évaluations… Les chantiers sont connus, et mettre en place des structures qui assurent une meilleure gouvernance au quotidien ne sauvera peut être pas tout, mais n’en reste pas moins une condition indispensable pour remettre de la confiance entre les citoyens et citoyennes et le politique.

4. L’information est un pilier essentiel de la démocratie. Sans une information de qualité, il est impossible de comprendre la complexité du monde et de faire des choix éclairés. Il est donc urgent de lutter contre la désinformation, les fake news et l’ingérence. Cela nécessite de renforcer sans discontinuer l’indépendance des médias, consolider les missions des médias publics ainsi que le pluralisme du paysage médiatique. Il est aussi crucial de protéger plus et mieux les journalistes qui sont devenus des cibles quotidiennes des ennemis de la démocratie. Il nous faudra aussi élargir le champ de l’éducation aux médias pour répondre aux enjeux actuels, et encadrer plus strictement les réseaux sociaux, leurs algorithmes nocifs et leur responsabilité éditoriale. Aujourd’hui, si la désinformation prospère sur les réseaux, c’est simplement parce que les algorithmes au coeur de leur modèle économique la favorise, ce qui est absolument inacceptable. Cela permet aux ennemis de la démocratie de s’y engouffrer et peser chaque jour un peu plus sur nos sociétés. Enfin, les desseins politiques à peine voilés de certains acteurs médiatiques ne peuvent plus non plus être tolérés. Nous ne pouvons plus laisser Mark Zuckerberg, Elon Musk, Shou Zi Chew, Vincent Bolloré ou Vladimir Poutine nous dicter impunément notre rapport au monde.

Ne passons plus à côté de ces nombreux chantiers. Certains peuvent être mis en place très rapidement. Il est urgent de renforcer et d’expérimenter la démocratie sous ses formes les plus variées, sans quoi elle risque de s’éteindre et de laisser place à un autoritarisme qui présage un XXIe siècle particulièrement sombre. La démocratie n’est pas une structure figée, mais un monde à construire. Il nous appartient de la réinventer, de toute urgence, pour répondre aux défis, nombreux et colossaux, de notre temps. C’est un chantier passionnant qui nous attend et toutes et tous nous serons appelés à y contribuer.

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