Raillé par les conservateurs, le Panel citoyen wallon sur le climat illustre l’importance de la participation pour sortir de notre irresponsabilité climatique, selon Patrick Dupriez, président d’Etopia.
Cette carte blanche à d’abord été publiée sur le site d’information Le VIF
« En fait, nous savons depuis des années, qu’il y a un dérèglement climatique dont les conséquences risquent d’être catastrophiques. Nous savons aussi ce qu’il faudrait faire pour lutter contre ce danger et en limiter les dégâts. Pourquoi ne le faisons-nous pas ?«
C’est à peu près en ces termes – le doigt juste là où ça fait mal – que s’exprimait il y a peu, mi-révolté, mi-pantois, un participant du Panel citoyen wallon sur le climat (NDLR: qui a rendu ses recommandations le 13 mars dernier), en préambule à la présentation des résultats de celui-ci.
Cinquante ans après le rapport Meadows, 32 ans après le premier rapport du GIEC et 30 après le Sommet de la terre à Rio, tant d’études, de preuves, d’alertes, de recommandations, d’implorations… et ? Et nous n’avons pas même commencé à infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre. De quoi douter, désespérer, même.
Quel est ce verrou sur les trajectoires de nos sociétés ? Pourquoi maintenons-nous le pied sur la pédale d’accélération vers le chaos ? La réponse n’est ni le manque d’informations, ni l’absence de solutions accessibles dans un monde qui n’a jamais été aussi riche de connaissances et de capacités techniques.
A l’évidence, il nous manque une conscience collective suffisamment partagée de l’absolue nécessité d’une transformations profonde de nos modes de production, de consommation, d’existence. Il nous manque la conviction de participer ensemble à un projet juste et positif, qui protège notre avenir et celui de nos enfants, qui nous permettra une meilleur qualité de vie. Il nous manque l’adhésion et la mobilisation de la population et sa détermination à donner à ses dirigeants le mandat de réaliser les changements indispensables.
Le troisième volet du dernier rapport du GIEC identifie clairement les solutions qui sont à portée de main. Mais il semble bien que nos démocraties aient jusqu’ici fait le choix de ne pas mettre la lutte contre le dérèglement climatique à l’agenda de leurs priorités, faute, peut-être, d’un rêve assez puissant pour l’accompagner…
Le tirage au sort outil de représentativité
Échec de la démocratie ou défaut de démocratie ? Le Panel wallon pour le climat, à l’image d’autres processus semblables – la Convention citoyenne en France ou les assemblées régionales au Royaume-Uni – montre et démontre que quand on donne à des citoyens et citoyennes l’accès à des informations et expertises diversifiés, du temps et la méthode nécessaire à une délibération approfondie, ils et elles proposent des recommandations sérieuses et ambitieuses, souvent plus courageuses que les programmes politiques.
En Wallonie, 5000 citoyens ont été tirés au sort, selon une procédure semblable à celles des jurys de Cours d’Assises, en veillant à la diversité de leurs profils, âges et origines; 123 ont répondu à l’invitation ; 60 confirmé leur volonté de s’engager dans le processus et ont formé un panel, renforcé ensuite par des personnes issues de groupes trop peu représentés : jeunes, agriculteurs, populations éloignées du numérique ou marginalisées. Ce panel a travaillé durant 13 journées sur base d’un objectif connu qui nous engage tous : réduire de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Pour l’y aider, une large documentation a été mise à sa disposition et des rencontres ont été organisées avec des scientifiques de diverses disciplines, des jeunes engagées, des représentants des syndicats et des patrons, des associations environnementalistes ou de lutte contre la pauvreté… Ces hommes et ces femmes ont échangé, questionné, débattu pour parvenir à des positions communes afin d’alimenter la révision du Plan Air Climat Energie wallon. Elles et ils ont finalement priorisé leurs 168 recommandations sur une double base : l’impact concret des propositions, d’une part, leur acceptabilité sociale, d’autre part.
Alors ? Et bien alors, ces citoyennes et citoyens osent demander de changer la gouvernance démocratique, de faire en sorte que chaque prise de parole politique rappelle la nécessité d’une forte ambition climatique, de montrer par l’enseignement et la culture ce que nous avons à gagner et pas seulement à perdre en transformant notre société au regard des défis environnementaux, de développer le partage des biens et ressources entre les habitant.es d’un territoire, d’obliger les constructeurs à réaliser les plus hauts standards d’efficacité énergétique, de supprimer la voiture salaire et développer le réseau de transports en commun, de taxer les produits ne respectant pas des normes strictes en matières d’émissions de CO2, d’obliger les industries à garantir la réparabilité, de réguler les publicités pour les produits nuisibles au climat, de limiter la vitesse, de valoriser un Service citoyen pour jeunes, y compris via des projets de solidarité internationale, de réduire et réorganiser le temps de travail, d’utiliser les outils fiscaux en faveur des investissements favorables à l’environnement, d’imposer aux commerces et cantines un pourcentage de produits alimentaires locaux, etc.
Chacune et chacun pourra découvrir cette large panoplie de recommandations sur le site « Les wallons ne manquent pas d’air ».
Mais ce résultat n’est pas réductible à une liste de mesures. L’expérience démocratique et l’impression de participer à une aventure collective de citoyenneté est riche. Elle aboutit à plus d’ambition que ce que produisent la plupart des gouvernements et à dégager une vision globale engageante de l’intérêt collectif. Ce qui est proposé, nous disent ces personnes, améliore la santé de tous, donne à nos vies un surcroît de sens, permet d’envisager une existence digne et solidaire à l’échelle du pays et du monde, et d’imaginer le futur avec plus de sérénité. La Wallonie 2030, selon les panelistes, est un modèle dont nous pouvons être fiers.
De quoi les semeurs de confusion ont-ils peur ?
L’exercice de délibération associant un échantillon représentatif de citoyens aboutit à des conclusions résolument écologistes dès lors qu’on y consacre le temps nécessaire et l’accompagnement méthodologique adéquat. A l’évidence, cela n’a pas échappé aux conservateurs et semeurs de confusion habituels. Dès la présentation des conclusions du panel, une série de personnalités, essentiellement libérales, se sont mobilisées pour critiquer les recommandations et décrédibiliser le processus à coup d’approximations et de slogans, le plus souvent d’une grande mauvaise foi.
Il faudrait écouter les experts plutôt que des citoyens tirés au sort ? Mais force est de constater que les scientifiques sont bien peu écouté.es depuis 50 ans…
Le travail serait biaisé par la composition du groupe et les experts invités? La représentativité sociologique des parlements est pourtant certainement moins fidèle à la réalité de la population. Et pour parler climat, solliciter des experts intéressés par les questions climatiques semble pour le moins justifié…
Il faudrait faire confiance aux élus plus qu’à un échantillon aléatoire d’homme et de femmes ? Mais force est de constater que ces élus ne se sentent majoritairement pas mandatés pour mener les transformations politiques nécessaires. L’enjeu est bien là…
Nous avons besoin d’un surcroît de démocratie
La délibération citoyenne n’a pas à se substituer aux assemblées parlementaires mais elle offre des avantages déterminants : les participant.es privilégient spontanément le bien commun davantage que les intérêts et positionnements partisans ; ils et elles n’ont pas de postures à défendre et de clientèle politique à séduire ; leur dynamique de discussion permet de générer des consensus entre pairs qui se reconnaissent partenaires de destin, davantage que des conflits entre adversaires ; inévitablement, elle met au coeur des débats les questions d’équité et de compensation en faveur des groupes plus fragiles ou dont les métiers sont amenés à disparaître ou à se transformer. La délibération aboutit également à mobiliser des hommes et des femmes plus conscient.es et plus engagé.es, susceptibles de participer à la transformation de notre société de milles façons différentes.
Pour atténuer l’ampleur du bouleversement climatique et nous adapter à ses conséquences, nous avons besoin d’une adhésion populaire croissante, fondée sur un récit de transformation en marche, pas après pas, possible après possible. Elle n’émergera pas de notre assoupissement sans une communication intense sur les enjeux et les bénéfices des changements espérés et beaucoup, beaucoup de participation citoyenne.
Nos démocraties échouent actuellement à relever le défi civilisationnel qui s’impose à elles. Pour nous donner une chance d’y parvenir, c’est de davantage de démocratie dont nous avons besoin : quitter les querelles sur l’occupation des chaises du ponton du bateau Terre et délibérer, mobiliser, nous mettre d’accord sur un horizon avant d’inventer des trajectoires de traversée.
Il faut nous dé-libérer du vieux monde, localement, nationalement, internationalement, dans nos écoles, nos entreprises, nos organisations et nos familles. Celles et ceux qui rechignent à ces pratiques démocratiques sont souvent les mêmes qui ralentissent les changements politiques, économiques et culturels nécessaires. Il faudra donc faire nonobstant ces squatteurs de planète et réaménager, entre cohabitants volontaires et solidaires, notre façon d’habiter cette Terre-Patrie dont nous sommes partie. La fenêtre est ténue mais il n’y a pas d’autre issue…
Patrick Dupriez
Président d’Etopia