Au Burkina Faso, face au coronavirus
Depuis le déclenchement de la maladie du coronavirus, les autorités et les citoyens du Burkina Faso collaborent dans la gestion de cette pandémie, notamment dans la prise en charge et le soin des malades et dans la limitation de la propagation de la maladie à travers des mesures prises par le gouvernement sur conseil des spécialistes de la santé. Certes il y a eu des défaillances au niveau du comité en charge de la gestion de la pandémie et de la mise en œuvre des mesures gouvernementales ayant entraîné le limogeage du premier responsable dudit comité. Cependant, il faut le reconnaître, le Burkina Faso s’est efforcé de maîtriser la propagation de la pandémie. D’ailleurs aucun pays n’ayant été préparé à affronter une telle pandémie, même les pays les plus puissants économiquement ont balbutié pendant un temps dans l’élaboration et dans la mise en œuvre de leur stratégie nationale de lutte contre la pandémie du COVID 19. Au Burkina Faso la mise en œuvre de la stratégie nationale a suscité une solidarité citoyenne fort appréciée. En effet, pour une première fois, des citoyens de façon individuelle, des organisations de la société civile (OSC), des entreprises, des institutions nationales et internationales, les membres du gouvernement et les élus nationaux, etc. ont accompagné le gouvernement dans la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre la COVID 19.
Au-delà des critiques de certains Burkinabé sur la gestion de la pandémie et des comportements défiant les mesures prises par les autorités, il faut reconnaître que la majeure partie des citoyens, des institutions nationales et internationales et des organisations de la société civile ont pris conscience de la nécessité de repenser le fonctionnement des sociétés notamment à travers une relecture des us et coutumes afin de les actualiser en fonction des circonstances du moment. Par exemple, les célébrations du mois du carême chrétien et celles de la fête pascale ont été suspendus pour raison de la pandémie. Durant plus de deux mois il n’y a pas eu de messe, les mosquées sont restées fermées. Dans la région de Bobo-Dioulasso, les cérémonies des grandes funérailles coutumières ont été reportées pour empêcher la propagation du virus au sein des communautés. Il en est de même pour chaque citoyen qui est appelé à revoir ses comportements et ses agissements dans ce contexte de crise sanitaire. C’est ainsi que plusieurs citoyens ont décidé de mettre leur savoir et savoir-faire au service de la lutte contre la pandémie en concevant, par exemple, des lave-mains à pédale, en produisant des cache-nez (bavettes) à partir des matières premières locales ou encore récemment en fabricant des respirateurs. De leur côté plusieurs phytothérapeutes ont engagé des recherches sur des plantes en vue de trouver des médicaments pouvant soulager voire guérir des malades du coronavirus.
Avec l’ampleur de la pandémie au niveau mondial et des moyens limités, au Burkina Faso, c’est la gestion du ponctuel qui mobilise actuellement l’autorité et les spécialistes. Pour le moment le structurel préoccupe peu. Or c’est là que devrait s’orienter les efforts. En effet, la pandémie a provoqué une crise dans tous les secteurs de la vie nationale dont la résolution exige la conception et la mise en œuvre d’un véritable processus de transformation sociale de qualité. En ce sens l’autorité devrait prendre le risque de rompre avec cette économie extravertie orientée vers la production des matières premières destinées à l’exportation et développer une économie du réel qui épanouit le citoyen, la nation et l’universel. Seule cette économie du réel peut permettre aux sociétés de s’actualiser à partir de l’héritage historique légué par les générations passées.
L’économie de marché que l’on a imposé aux États a détruit en moins de trois siècles ce que l’humanité a entretenu au cours des millénaires. Le monde vit aujourd’hui une crise écologique très grave liée à un certain niveau de croissance industrielle. Une crise économique qui a des conséquences sociales. Ainsi, au Burkina Faso, la terre qui était considérée par nos Ancêtres comme un bien commun dont l’exploitation exigeait le respect des coutumes, cette terre est devenue, par la législation sur le foncier, un capital dont l’on peut s’approprier par l’argent. Le développement de l’agrobusiness et la multiplication des entreprises minières exposent l’État burkinabé à une dégradation inquiétante de son environnement. Alors que nos Ancêtres ont aimé leur terre et ont toujours eu cette conscience de la recréer dès qu’elle s’appauvrissait à travers la jachère, les agrobusiness men et les entreprises minières, eux, la déteste par leurs méthodes d’exploitation et lorsqu’elle s’appauvrit, ils la quittent pour des zones plus fertiles. Ainsi des forêts classées hier, par la coutume, comme sacrées parce que lieu d’infiltration des eaux de pluies pour enrichir la nappe phréatique et lieu de reproduction de la biodiversité, sont aujourd’hui saccagées dans le cadre de l’aménagement urbain, de la promotion de l’agrobusiness ou encore de l’exploitation minière. Avec le réchauffement climatique, il est tout à fait normal que de nouvelles maladies voient le jour. Des espèces floristiques et animales sont entrain de disparaître aujourd’hui, mettant à mal la cohésion sociale. En effet, à partir de cette diversité biologique, non seulement les générations passées ont su mettre en place des coutumes dont le respect permettait une cohésion, mais elles ont aussi conçu et mis en place des méthodes de recherche qui ont permis de découvrir des médicaments qui, durant des siècles, ont guéri les populations de multiples maladies. Elles ont aussi développé une communication avec la flore et la faune pour une cohésion sociale. Encore aujourd’hui la plupart des villages respectent les animaux et les arbres sacrés, les traitant comme des humains. Certains villages ont pour animal sacré le serpent boa avec lequel les sages communiquent lorsqu’il vient rendre visite au village. Pour prélever des écorces, des feuilles ou des racines sur une plante pour des soins, le phytothérapeute demande d’abord l’autorisation à la plante. Les générations passées vivaient de la nature, aimaient la nature et prenaient soin de la recréer. Quoi de plus normal que la nature les protégeaient et les épanouissaient. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Dans la lutte contre la COVID19 et bien d’autres pandémies, il est important de repenser les politiques environnementales en remettant fondamentalement en cause le modèle économique conçu et mis en place depuis la seconde moitié du XVIIIème siècle ayant provoqué aujourd’hui cette crise écologique marqué par l’épuisement des sols et des ressources naturelles, la pollution du milieu naturel et de l’environnement humain empêchant l’être humain de vivre en symbiose avec son environnement. Cette crise économique ne connaît pas de frontière alors que l’on a mis du temps pour en prendre conscience et pour prendre des mesures adéquates
Il ne fait aucun doute que nous vivons aujourd’hui une fin de cycle historique, la fin d’un monde (mais pas la fin du monde), la fin d’une civilisation marquée par une violence extrême et par des épidémies dont la COVID19 et qui nécessite que nous entreprenions un voyage vers nos mémoires collectives pour y découvrir les matériaux nécessaires à la construction de la nouvelle civilisation. Feu l’historien Joseph Ki-Zerbo affirmait bien souvent au cours de sa vie: «Apprendre le passé, comprendre le présent, entreprendre le futur». Pour lui, seule la conscience historique permet d’entreprendre un devenir humain viable.
Mais une chose est sûre, toute fin de cycle historique dure des siècles; la fin de l’antiquité a duré près de cinq siècles, du Vè au Xè siècle pratiquement. Il est donc temps d’engager de nouvelles politiques fondées sur les matériaux tirés des paniers trésors que sont nos mémoires collectives, afin de contribuer au quotidien des générations des siècles à venir. Les générations passées ont réussi leur mission de génération. Les générations actuelles doivent réussir leur devoir de génération en s’inspirant de l’esprit qui animait leurs Ancêtres et ainsi se montrer dignes d’eux. Les Bamanan en Afrique Occidentale affirment ceci : « dèn fadènfolo o yi a fa de ye. O fa ye gnumaya min kè ni i ma tèmè o kan, i kana dèsè o la », ce qui se traduit en français : « le premier modèle de l’enfant est son père. Ce que ce père a fait de bien si tu ne peux pas aller au-delà, ne soit pas en deçà ». À partir des leçons tirées de ce qui nous arrive aujourd’hui par la COVID19, travaillons à être des dignes descendants des générations passées.
Propos recueillis par Patrick Dupriez