Les actions de Gilets jaunes en France auront mis en avant, parmi d’autres revendications, la capacité de laisser les citoyens être à l’initiative d’un référendum portant sur un large éventail de thèmes. Le RIC (référendum d’initiative citoyenne) est devenu un acronyme particulièrement en vogue durant les manifestations françaises, principalement tourné autour de demandes liés à des enjeux nationaux voire au départ d’Emmanuel Macron de la présidence de la République.
Loin d’être une proposition originale, le RIC se retrouve en fait autorisé dans de nombreux pays dans le monde. Diverses expériences et consultation ont été réalisées récemment, permettant d’un peu mieux comprendre les mécanismes propres aux RIC et d’étudier ses aspects suivant l’espace de consultation. L’intention de cette analyse est de se pencher plus précisément sur deux RIC : l’un organisé à un niveau national, l’autre à un niveau local. L’objectif est d’entamer une première lecture de ces deux votations et de se rendre compte du potentiel mais aussi des faiblesses que ce système représente dans le cadre de l’élargissement de la démocratie.
Retour sur le principe des initiatives citoyennes.
Reconnu dans 36 pays dans le monde, le référendum d’initiative citoyenne ou RIC est un outil de démocratie directe dont l’origine remonte à la Révolution française. Comme le rapportent les chercheurs Raul Magni-Berton et Clara Egger, l’initiative de démocratie directe a tantôt été soutenue tantôt été dénoncée par les différents courants idéologiques, et ce au gré de leurs intérêts[1]. Le RIC est essentiellement un droit individuel permettant au citoyen d’exercer un droit d’initiative et de veto sur des textes normatifs. De manière simple, l’objectif principal du RIC est d’élargir la logique démocratique en octroyant à la population le droit de proposer des lois (référendum législatif), de les abroger (référendum abrogatif), de modifier la Constitution (référendum constitutionnel) ou démettre un élu (référendum révocatoire). Cependant, ces différentes caractéristiques ne se retrouvent pas toutes dans un RIC, chaque entité étant libre d’y intégrer celles qu’elles souhaitent. Le cadre dans lequel ce RIC évolue fluctue suivant les espaces politiques de même que les domaines législatifs où il peut s’exercer, du niveau normatif local à la Constitution d’un pays. Dans divers États, comme les Pays-Bas, le RIC est perçu comme un instrument permettant d’accroître l’inclusion du système politique en corrigeant les dérives et limites du système représentatif[2]. Récemment, via les manifestations des Gilets jaunes, c’est le caractère abrogatif du RIC qui est venu sur le devant de la scène.
Parmi les différents pays reconnaissant le RIC, la Suisse reste l’exemple régulièrement mis en avant. Pays des « votations », les reportages ne se comptent plus sur les consultations régulières de la population autour de sujets divers. Introduit en 1848[3], le recours à l’initiative populaire émane directement des citoyens. Ce droit ne se limite pas au seul pouvoir local. Le référendum peut toucher à des matières du niveau fédéral (comme proposer une modification de la Constitution) ainsi qu’aux niveaux cantonal et communal (autour de la modification d’une loi existante ou la création d’une nouvelle loi). Une votation sur l’annulation d’une loi votée par le Parlement peut être initiée par 1 % du corps électoral soit 50.000 personnes. Une consultation autour d’une nouvelle loi à adopter nécessite, elle, le soutien initial de 100.000 personnes.
Le système référendaire n’est pas du seul apanage de la Suisse. Ailleurs dans le monde, on le retrouve en Allemagne. Des référendums d’initiative citoyenne existent dans certains Länders, avec un caractère normatif : les décisions qui en résulte ont la même valeur que les arrêtés des conseils municipaux. Essentiellement présente au niveau local, l’initiative doit émaner d’un groupe de citoyens représentant 10 % ou 15 % des électeurs inscrits dans la commune. En Italie, la votation citoyenne est prévue, elle, dans la Constitution de 1946. Depuis cette date, 71 référendums ont été organisés. L’initiative ne vaut cependant que dans un cadre abrogatoire et ne permet pas aux citoyens de modifier ou d’adopter une nouvelle législation. Enfin, les mécanismes référendaires ressemblant au RIC existent dans d’autres pays mais restent souvent inopérants, du fait d’un seuil de signataires ou d’un quorum de votants trop élevé.
L’intérêt est de sortir du cadre suisse pour se pencher sur les autres exemples de référendums organisés dans le monde et d’approcher deux niveaux différents de votation : le national et le local. Deux RIC récents, l’un organisé à Taïwan en 2018 et l’autre à Grenoble en 2019 permettent d’un peu mieux approcher la réalité de ces référendums.
Un RIC national : Taïwan
Taïwan est un premier exemple de référendum récemment organisé dont divers enseignements sont à tirer.
Depuis 2003, Taïwan reconnaît le référendum législatif et abrogatif à l’échelon national. Mais, trop rigide, la disposition législative empêchait que l’organisation des consultations soit validée, la participation n’ayant jamais atteint l’exigence de 50% d’inscrits. En 2017, le parlement taïwanais décide donc de revoir sa loi, abaissant fortement le seuil pour solliciter une initiative populaire. Passant de 0,1 % de la population inscrite sur les listes électorales à 0,01 %, la sollicitation devient référendum si elle se voit validée par un vote de 1,5 % du corps électoral au lieu des 5 % avant la réforme. L’accès à l’initiative référendaire est donc plus aisé qu’auparavant. Les référendums peuvent ainsi amender une loi existante, créer un principe législatif (à mettre en forme ensuite au parlement) ou fixer une direction à une politique publique.
Assez rapidement, la réforme suscite l’intérêt de divers groupes et associations. Deux débats vivent au sein de la société taïwanaise, déclenchant des réactions parfois fortement tranchées : la question du mariage des personnes de même sexe tout d’abord et la transition énergétique passant par la réduction du fossile dans la production d’électricité.
Dès février 2018, un groupe chrétien conservateur opposé au mariage des personnes de même sexe propose d’organiser un référendum sur le sujet, dans le but d’annuler une décision de mai 2017 de la Cour constitutionnelle qui reconnaissait ce droit et obligeait le parlement à mettre en place la législation ad hoc. Déposant la demande de référendum et réunissant les suffrages nécessaires, la demande de l’association conservatrice arrive devant la Commission électorale centrale qui valide la procédure en avril 2018. En réaction, en septembre 2018, un groupe en faveur du mariage de personnes du même sexe annonce qu’il vient de recueillir suffisamment de signatures pour soumettre ses propres questions à un référendum. L’ensemble des questions validées est regroupé autour de l’organisation d’un référendum unique prévu pour novembre 2018. Celui-ci est le premier organisé depuis la modification de 2017.
Dix questions sont posées : 5 relatives au mariage de personnes du même sexe et à l’éducation sexuelle, 4 relatives aux enjeux énergétiques et une concernant le nom de la délégation de Taïwan aux Jeux Olympiques. La campagne se met en place, portée par diverses associations comme le Mouvement Tournesol des Étudiants ou Mouvement 318 ainsi que des partisans du New Power Party. Toutefois, l’entrée en jeu de coalitions conservatrices, suivant des intérêts moraux ainsi que du parti Kuo Min Tang, suivant des intérêts politiques, tous deux dotés de moyens financiers importants, finit par troubler la clarté du processus.
Les résultats du référendum du 24 novembre livrent des résultats partagés : si toutes les propositions liées à la transition énergétique sont acceptées, celles concernant l’ouverture des droits aux personnes du même sexe sont rejetées. Seule l’union civile est votée par les citoyens ayant participé au vote. Le taux de participation s’élève autour des 55 %[4].
Du référendum de novembre 2018 sont ressortis plusieurs enseignements. Déjà, trois des dix questions ont été posées par un parti politique. Ensuite, le contrôle de la constitutionnalité des questions est réalisé a posteriori, posant le problème d’une éventuelle invalidation d’une question posée, pour cause d’inconstitutionnalité. En outre, les questions posées étaient autorisées à aller jusqu’à 100 caractères chinois, complexifiant et allongeant les sujets au détriment de l’intelligibilité et de la clarté. De plus, organisée le même jour que des élections locales, le référendum a alourdit les procédures ainsi que les files d’attente. Le grand nombre de questions posées (dix au total) posant tout autant débat. La campagne référendaire, d’un mois, a ainsi été contrainte par la campagne électorale classique.
Un RIC local : le quartier Villeneuve à Grenoble
À Grenoble, les habitants du quartier populaire de la Villeneuve se sont emparés du RIC pour empêcher la destruction partielle de la galerie de l’Arlequin, colonne d’immeuble remontant aux années 70.
Envisagée par la ville et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le projet de démolition rencontre l’opposition d’une partie de la population depuis 2016. Nombreuses sont les craintes d’un relogement d’habitants dans des quartiers moins bien desservis ou dans des conditions inférieures à leur habitation dans l’ensemble des Arlequin. C’est à la faveur des revendications des Gilets jaunes que germe l’idée d’un RIC. En juillet 2019, le collectif opposé à la démolition parvient à forcer la tenue d’une consultation populaire, en s’appuyant notamment sur le Conseil citoyen, structure mise en place afin de soutenir le dialogue et la concertation dans les quartiers considérés comme prioritaires. Soutenue par divers mouvements comme celui des Gilets jaunes locaux ainsi que par l’association Droit au logement Isère, la campagne d’information débouche sur la tenue d’une consultation s’étalant du 14 au 20 octobre.
Encadré par un groupe de citoyens, le dispositif était accompagné par une « table de quartier », le tout développant les motifs socio-écologiques s’opposant à la destruction ainsi que constituant les listes électorales pour la votation[5]. Une longue campagne d’information auprès des habitants, à base de porte à porte, de distribution de tracts et d’organisation de débats a été tenue, avec une volonté de neutralité et transparence affichée par les organisateurs. La campagne s’est également réalisée autour d’activités culturelles ouvrant notamment l’espace aux échanges et avis quant aux projets à développer dans le quartier.
Non soutenue par les autorités publiques, la consultation se réclamant du référendum d’initiative citoyenne mobilise 50 bénévoles, 10 organisations et 5 observateurs (universitaires, journalistes..) afin d’assurer sa bonne mise en œuvre.
La question posée était simple : « Pour ou contre les démolitions des logements sociaux à l’Arlequin ? ». Seuls les habitants de l’ensemble immobilier âgés de plus de 18 ans pouvaient voter. Trois réponses sont possibles : pour, contre ou abstention. Le résultat abouti à un rejet du projet de démolition par 69% des votants, avec un taux de participation de 23 %. La ville annonce cependant ne pas vouloir tenir compte de la consultation, s’estimant tenue par les engagements pris autour de la démolition d’une partie de l’ensemble immobilier.
L’expérience menée est aussi perçue positivement sur le plan de la conscientisation et de la mobilisation citoyenne, prélude à d’autres engagements futurs. Pour les associations présentes autour du RIC Arlequin, le droit à la ville signifie une participation effective conquise et non octroyée des habitants et citadins aux décisions et aux projets urbains, ce que le RIC offrait. Pour Raul Magni-Berton, professeur à Sciences Po Grenoble, ce RIC n’était plus la revendication mais l’outil pour revendiquer autre chose, devenant producteur de paix sociale[6]. Sa singularité réside à la fois dans l’objet de la consultation, liée au contexte local, et dans les sujets de la consultation, à savoir les habitants de l’espace visé. Pour le chercheur Mathieu Pelletier, les dynamiques de confrontation en milieu urbain peuvent être à l’initiative d’innovations institutionnelles, pour peu que la discussion reste ouverte entre les parties et que les dérapages soient encadrés[7].
Le RIC Arlequin est, à ce jour, le plus grand organisé en France.
Au-delà : quelles pistes pour l’innovation dans la participation ?
Que retenir de ces deux exemples de référendum d’initiative citoyenne ? Déjà, ils permettent d’illustrer la grande variété que le RIC permet, allant d’enjeux nationaux, de société, à des questions plus locales.
D’autres enseignements quant à la pratique des RIC, à leur mode d’organisation et à leur publicité peuvent être tirés. Tout d’abord, les corps intermédiaires jouent un rôle important dans l’organisation des référendums. Ayant travaillé sur les exemples suisses, le politologue Antoine Chollet rapporte ainsi que « les cas où des collectifs de citoyens constitués spécifiquement pour l’occasion lancent une initiative et mènent la campagne politique qui l’accompagne sont extrêmement rares[8]. » Une organisation militante importante, capable de mobiliser, de mener une campagne et de médiatiser leurs positions est un trait commun à plusieurs exemples.
Ensuite, les référendums d’initiative citoyenne doivent être replacé dans le cadre de leurs résultats. Déjà, leur réalisation n’amène pas nécessairement leur adoption. En 2018, en Suisse, sur 215 votations de ce type, 22 ont obtenu l’approbation du peuple, soit un peu plus de 10 % de réussite. En outre, tous ne représentent pas non plus un progrès social. À Taïwan, le résultat du référendum de 2018 a plutôt été dans un sens conservateur sur les questions de société.
Parmi les questions toujours ouvertes, celle de la participation reste présente. Les diverses expériences réalisées montrent que l’enthousiasme du RIC est loin de convaincre une majorité de la population. Le succès du RIC de Taïwan est lié à l’organisation d’élections locales le même jour, ce qui d’ailleurs n’a pas été sans poser certaines difficultés. Un certain capital social préexistant donne aussi un avantage dans la mise sur pied d’un RIC ou dans la tenue de la campagne.
L’organisation des référendums, et donc des campagnes qui les précèdent, doit aussi interroger sur l’utilisation des nouvelles technologies et donc des manipulations possibles. Les exemples récents, notamment durant le scrutin présidentiel américain, brésilien, ou du référendum sur le Brexit ont montré que ces campagnes peuvent s’accompagner de tentatives de déstabilisations voire d’une campagne souterraine (via les messageries) ayant recours aux fake news et aux messages discriminatoires voire injurieux. Pour le référendum taïwanais, certains messages diffusés en ligne à propos des référendums (via les messageries et réseaux sociaux) ont été identifiés comme émanant du gouvernement de Pékin, historiquement hostile à l’autonomie politique de Taïwan.
Au final, le RIC représente un élargissement de la démocratie et des droits individuels mais ne reste qu’un moyen et non au fin au service de la démocratie. Celle-ci doit donc continuer à se repenser et à se transformer de manière générale afin de parvenir à reconnecter les citoyens entre eux et à redonner espoir dans les institutions en place.
[1]Raul Magni Verton, Clara Egger, RIC : le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous, Limoges, FYP éditions, 2019.
[2]Raul Magni Berton, « Le RIC abrogatif bientôt de retour aux Pays-Bas ? », in Le blog de Raul Magni Berton, 30 octobre 2019, [en ligne], https://blogs.mediapart.fr/raul-magni-berton/blog/301019/le-ric-abrogatif-bientot-de-retour-aux-pays-bas.
[3]Les Suisses ont été appelés aux urnes 309 fois depuis 1848. (« Votations populaires », in Le portail du Gouvernement suisse, 3 décembre 2019, [en ligne], https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations.html
[4]Central Election Commission, Referendum 2018, Taïwan, 24 novembre 2018, [en ligne], https://web.archive.org/web/20181125031636/http://referendum.2018.nat.gov.tw/pc/en/00/00000000000000000.html.
[5]SC, « « Pour ou contre la démolition de logements sociaux ? » : des habitants organisent le premier Référendum d’initiative citoyenne (Ric) à Grenoble », in Place Gre’net, 9 septembre 2019, [en ligne], https://www.placegrenet.fr/2019/09/09/ric-grenoble-logements-sociaux/257540.
[6]MD, « A Grenoble, “pour la première fois, les habitants ont fait un vrai RIC” selon un universitaire, in France 3 régions, 26 octobre 2019, [en ligne], https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-premiere-fois-habitants-ont-fait-vrai-ric-universitaire-1741405.html.
[7]Mathieu Pelletier, « La décision territoriale en conflit : Un outil d’évaluation de la participation citoyenne ? », in Géocarrefour, vol. 89/4 | 2014, [en ligne], http://journals.openedition.org/geocarrefour/9598.
[8]Antoine Chollet, « Une défense du référendum à partir de l’exemple suisse », in Revue du MAUSS, 2017/2 (n° 50), [en ligne], https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2017-2-page-291.htm.