Nous vivons dans des sociétés ayant tellement de règles qu’il n’est plus possible de les suivre toutes, d’autant qu’elles sont souvent contradictoires. Une simplification est nécessaire à une société harmonieuse.
Le fonctionnement contemporain des institutions publiques est plus lent que par le passé. Un examen en Belgique montre que ces retards sont tels qu’ils nuisent à l’équité et l’efficacité dans la vie sociale. De plus, ils entraînent un mode d’organisation non démocratique et conservateur en imposant à la majorité le maintien de situations non désirées. Une solution simple et systématisable est l’instauration de délais dits de rigueur (obligeant à décider dans un délai donné).
A. Première partie. Un monde aux règles trop nombreuses
Dans des pays comme la France ou la Belgique, il est totalement impossible aujourd’hui de se conformer à l’ensemble des règles légales, sociales et morales.
Chaque citoyen suit donc un ensemble de règles parmi un ensemble bien plus large de dispositions théoriquement considérées comme s’imposant à tous. Suite notamment aux progrès technologiques, mais aussi à des évolutions socioculturelles, ces règles sont plus nombreuses et plus variables que jamais dans l’histoire de l’humanité.
Le fait de suivre ou non les règles résulte généralement de comportements globalement conscients mais pas de véritables choix.
Cette abondance de règles crée une société partiellement incompréhensible pour tous y compris pour les mieux informés. Au final, chacun adopte des attitudes relativement intuitives, en suivant pour l’essentiel les comportements des différents groupes sociaux auxquels il appartient.
A.1. Au commencement de la société était la règle.
Dans les toutes premières sociétés, la vie était complexe, mais l’environnement régulatoire moins vaste. Pour l’essentiel des décisions de la vie sociale, y compris celles pouvant entraîner la mort, c’était un autre qui fixait les règles à suivre de manière arbitraire et relativement simple.
En 2018, dans l’Union européenne, les règles à suivre sont
● les lois (décrets, arrêtés, directives, règlements…) qui peuvent-être
○ pénales ou civiles
○ municipales, régionales, nationales, européennes et même, plus
rarement, internationales
● l’engagement à l’égard des autres qui peut-être
○ contractuel
○ familial ou relationnel
● les règles et usages qui peuvent être
○ collectifs, émanant de “la société” ou d’un groupe
○ religieux
○ professionnels
Ce qui est devenu un océan réglementaire dans lequel nous tentons de nous orienter est techniquement plus accessible que jamais, parce que presque tout le monde, dans l’Union européenne, a accès à Internet. Mais parallèlement, il est moins maîtrisable que jamais. Des milliards de pages de lois, règlements, contrats, directives, règles, jugements, arrêts, … régissent théoriquement nos comportements, la plupart de ces dispositions nous étant parfaitement inconnues.
Au niveau des entreprises et des organisations (associatives, religieuses, sportives,…), la complexité sociale et réglementaire se développe également. Dans les grandes entités, ce sont même des assemblages de type “poupées russes” avec, à plusieurs niveaux des entités, des organes de direction, des structures syndicales, des organes d’avis, parfois même des structures concurrentes, des organes de recours… Presque chaque nouvelle “sous-entité” va créer ses règles internes, sa jurisprudences, ses habitudes.
Le citoyen, avant d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte, ne se pose que rarement consciemment la question du choix. Dans l’immense majorité des cas, nous paierons à la caisse du magasin même s’il n’y a aucun contrôle mais nous cocherons la case “Je déclare avoir pris connaissance des conditions générales” sans éprouver un soupçon de gène lors de cette déclaration totalement mensongère.
Contrairement à ce que beaucoup penseront intuitivement, l’échelle théorique de l’importance des règles depuis les lois pénales les plus fortes ou constitutionnelles les plus fondamentales jusqu’aux simples accords verbaux ne joue pas souvent un rôle déterminant. Un acte représentant un délit juridiquement relativement grave (par exemple une déclaration sciemment fausse) mais socialement accepté sera commis fréquemment.
Contrairement également à ce que beaucoup penseront, la prééminence de nos règles morales ne joue pas systématiquement un rôle. Ainsi venir en aide à une personne en détresse répond à une règle morale forte et, dans certains pays comme la France, il s’agit même une obligation légale. Pourtant, par exemple dans une rue fort passante, la majorité des gens ne secourront pas une personne appelant à l’aide si ceux qui se trouvent autour d’eux ne le font pas.
A.2. Les raisons de la complexité croissante
Du fait de nos sociétés multiculturelles de par les origines et les religions mais aussi par la coexistence de générations plus nombreuses, la correspondance entre règles morales et règles réelles est moins forte qu’auparavant. Le plus frappant dans ce domaine est peut-être l’ensemble des normes liées à la vie relationnelle en Europe. Ainsi, en quelques années, le mariage de deux personnes de même sexe est devenu totalement normal au plan juridique alors qu’il reste totalement impensable dans certains environnements culturels. Par contre, le mariage entre trois personnes ou plus est devenu totalement impensable alors qu’il était encore très courant dans certains pays il y a peu.
Cette complexification des régulations existe parce que nous vivons dans des sociétés plus démocratiques, plus technologiques et plus diversifiées qu’auparavant. L’Etat démocratique exige des règles précises fixées au niveau des autorités publiques. La diversité culturelle et sociale exige l’établissement de règles innombrables pour fixer toutes les relations entre groupes. La croissance des niveaux de vie, les rapports sociaux parmi les catégories professionnelles plus nombreuses et les progrès technologiques créent un tissu règlementaire plus compliqué. Des comportements qui n’étaient quasiment pas imaginables il y a 30 ans, comme les relations virtuelles, créent un univers avec des lois pénales, civiles, des règles sociales, des coutumes qui varient, non seulement selon l’appartenance réelle, mais selon des choix d’investissement virtuel.
De manière générale, les progrès technologiques rendent possible l’ajout de “couches” successives de règles et de formalités, rendant ce qui devrait être plus simple presque aussi compliqué et parfois plus compliqué qu’avant. Ceci va de la signature électronique de documents non lus, aux formalités d’assurance quant à des risques dont on ne connait même pas l’existence en passant par des micro-paiements et micro dépenses.
Quelques exemples :
● Nous recevons sous forme électronique (ou parfois papier) des textes et des liens vers des clauses contractuelles pour d’innombrables biens et services. Nous n’en lisons quasiment rien
. ● Nous “acceptons” des milliers de cookies , conditions générales, conditions particulières, règles liées aux droits d’auteur, … quasiment sans en prendre connaissance.
● De manière générale, les règles relatives à la vie privée ( RGPD notamment) sont incompréhensibles à la grande majorité des citoyens.
● Un paiement électronique est une opération exigeant une procédure beaucoup plus lourde que du temps de l’argent “papier” pour des raisons de sécurité mais aussi pour des raisons légales.
● Le nombre de courriels, messages sociaux,… circulant par jour et par personne combiné aux tentatives fréquentes de fraude, rend impossible le respect d’une règle sociale qui était auparavant élémentaire, à savoir répondre même négativement aux demandes que nous recevons de personnes que nous connaissons.
Une bonne partie de la complexité est due à la dimension consumériste de notre monde, au fait que nous entretenons des relations financières avec de plus en plus d’acteurs et à l’accélération des échanges. Les droits liés à la propriété intellectuelle (droits d’auteur, droits à l’image, brevets…), lorsqu’ils ne sont pas sciemment ignorés, alourdissent, monétisent et ralentissent les échanges culturels et les progrès scientifiques. Une part probablement encore plus importante du foisonnement régulateur sert à lutter contre toutes les formes de non-respect des règles, à commencer par la délinquance pure et simple : du casse-vitesse sur les routes au mécanismes de double authentification en passant par toutes les démarches financières dans le monde bancaire, assurantiel mais aussi de consommation.
A.3. Quelques conséquences de la complexité
Pour les marxistes classiques du 19ème siècle, le droit était une superstructure créée par les rapports de force entre classes sociales. Déjà à cette époque, ladite superstructure créait elle-même des évolutions sociales. Aujourd’hui, c’est le cas d’une manière bien plus problématique. La lourdeur des règles est un instrument majeur de blocages de certaines évolutions. Parmi les facteurs les plus graves de ce ralentissement, se trouvent probablement les professions juridiques (l’auteur de ces lignes est un juriste) et la judiciarisation d’un nombre énorme de conflits couplée à l’existence d’un nombre croissant d’institutions judiciaires ou parajudiciaires.
Le Journal Officiel français fait plus de 20.000 pages par année. L’équivalent belge (le Moniteur belge) dépasse les 100.000 pages en 2018. Un être humain qui lirait à voix haute les textes belges parus du 1er janvier au 31 décembre 2018 en aurait pour plus d’une année ininterrompue jour et nuit. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul conflit important, qu’il soit politique, social ou culturel, qui ne comprenne pas au moins un épisode judiciaire. Ceci rend l’établissement de règles relativement consensuelles encore plus lent, plus difficile et plus aléatoire.
Cette complexité, cette infobésité législative , entretient également tout un réseau de tâches et donc de travailleurs: juristes, surveillants, communicateurs, évaluateurs de processus, …. et crée des millions de bullshit jobs. De plus, les citoyens les plus informés sont favorisés, c’est-à-dire d’abord ceux qui ont les moyens financiers, sociaux et culturels de se renseigner et encore moins d’agir. Même si chacun a théoriquement le droit de s’adresser à un tribunal, à un médiateur, à un organe de recours,… la majorité n’a pas les moyens de le faire, sauf dans certains cas médiatisés. La multiplication des organes et des procédures, même lorsqu’elle a au départ un but de justice sociale, a donc un effet profondément inégalitaire. Enfin, la complexité législative entraîne des risques non négligeables. Etant donné l’impossibilité de respecter toutes les règles, notamment celles de sécurité, et l’indifférence accrue créée par l’impossibilité de les respecter, le risque croit que des prescriptions réellement utiles voire indispensables soient ignorées.
A.4. Que faire
Simplifier et unifier dans une société chaque jour plus mondialisée serait utile à un plus grand consensus social, à une diminution des risques, à une réduction du temps de travail. Cela mènerait même à une réduction de la consommation sans perte de bien-être car toutes ces règles induisent de nombreuses activités qui ont un coût environnemental.
Le mouvement de simplification se fait parfois “de lui-même” car des règles deviennent obsolètes ou sont supprimées. Mais souvent, les développements se font dans la direction inverse.
La suppression des emplois et tâches inutiles devrait être vue comme une bonne nouvelle, simplifiant la société et permettant de travailler moins et non plus comme une évolution négative. Il faudrait un débat sociétal important et puis des actions en faveur de la réduction généralisée du temps de travail. Cette réduction du temps de travail grâce aux progrès technologiques permettrait de remplacer du lien social obligatoire par du lien social choisi, des activités ennuyeuses et même avilissantes par des activités enrichissantes et de mettre fin à des cycles de surconsommation inutiles (j’achète parce qu’un vendeur me pousse, je consomme pour éviter du chômage).
B. Seconde partie. L’arriéré décisionnel: une faute politique et sociale qui, en Belgique et ailleurs, met en cause le principe d’équité.
B.1. Introduction
Un des aspects les plus exaspérants de la vie politique et sociale contemporaine, c’est la lenteur avec laquelle certaines décisions sont prises, notamment dans les domaines politiques, judiciaires et administratifs. L’adage selon lequel “Il n’y a pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout” semble, consciemment ou inconsciemment, appliqué à une large échelle en privilégiant le découragement et l’injustice au détriment de l’état de droit et de l’équité. Les raisons de la lenteur contemporaine sont multiples. Quatre éléments importants sont à distinguer.
B.2. La multiplicité des acteurs
La Belgique se place tout en haut de l’échelle mondiale de ce point de vue. D’abord, il y a les niveaux de pouvoir : municipal, régional, communautaire, fédéral et européen pour prendre les principaux. Ensuite, à chaque niveau, le nombre d’organismes compétents est énorme. Par exemple au niveau fédéral, est-ce le ministre, un des services publics fédéraux (ex-ministères), un parastatal [NOTE : parastatal : Se dit, en Belgique, des organismes semi-publics.] social ou un des nombreux autres organismes fédéraux qui doit prendre la précision ? Pour les questions importantes, est-ce le parlement ou le gouvernement fédéral qui doit décider?
Par exemple, pour un acte qui devrait être simple comme utiliser un bien public immobilier pour une nouvelle fonction, il peut arriver une situation aussi aberrante que des oppositions entre différents services publics fédéraux ou entre la SNCB [NOTE : Société Nationale des Chemins-de-fer Belge, ou Section Namurienne des Chats-Bottés ?] et une municipalité. Alors que, chaque fois, c’est exclusivement ou presque exclusivement, des moyens et de l’argent publics qui sont en jeu. La réaction naturelle de chaque citoyen mais aussi de chaque fonctionnaire ou responsable concerné est de s’intéresser à, et de protéger prioritairement sa petite pièce du puzzle. Cette réaction est d’ailleurs bien souvent, paradoxalement, pétrie de la bonne intention de protéger son groupe et donc un intérêt plus large que le sien.
B.3. Les procédures de concertation et de décision
Une fois l’autorité compétente identifiée, pour qu’une décision soit prise, des conditions de forme et de fond nombreuses sont nécessaires: avis du conseil d’état, consultation des citoyens, obligation de motivation, mention des possibilités et délais de recours, … Chaque obligation prise indépendamment a sa logique, mais leur combinaison rend l’immense majorité des décisions (autres que de simple exécution) complexe et leur validité juridique aléatoire.
De plus, particulièrement pour les décisions les plus importantes, à côté des acteurs décisionnels formels et des acteurs obligatoirement consultés par le biais de procédures d’avis, il y a un nombre important d’acteurs non officiels. Il s’agit bien sûr des partis politiques, des syndicats et des organisations d’employeurs mais également d’innombrables autres groupements: organisation de protection des droits de l’homme, comités de quartiers, associations de consommateurs, …
Comme, il est généralement impossible de contenter chaque organisation, l’élaboration d’une réponse argumentée est difficile et l’attente plutôt que la décision sera très souvent politiquement le plus souhaitable.
Enfin, à la manière d’une machine qui s’abîme parce que l’on ne s’en sert pas suffisamment ou d’un chenal qui s’enlise lentement, les processus de décisions remis à plus tard sécrètent progressivement leurs propres effets de retardement : responsables qui étaient compétents en début de procédure et qui ne le sont plus ensuite, modifications de législations, revirement de certains acteurs, modifications des circonstances et des éléments à prendre en considération.
Pour la grande majorité des décisions de l’autorité publique, il est devenu plus simple de s’y opposer que de proposer des solutions. La connaissance de cet état de fait génère un effet boule de neige. Les citoyens, les partis politiques, les organisations s’opposent à une décision qu’ils perçoivent comme illégitime plutôt qu’ils ne proposent une décision souhaitable car c’est plus facile.
B.4. L’océan législatif
La multiplication des lois, arrêtés, décrets, ordonnances, circulaires, …, est causée notamment par:
● les nombreux niveaux de pouvoir déjà cités,
● la facilité de communication et de rédaction par les moyens
technologiques contemporains (qui permet de multiplier “facilement” les
étapes),
● le souhait légitime de garantir les droits et devoirs de toutes les catégories
de citoyens,
● la volonté moins légitime de ménager d’innombrables groupes spécifiques
et situations acquises.
Une des conséquences, comme déjà abordé dans la première partie, est que plus personne ne comprend l’ensemble des règles et même les spécialistes d’un domaine s’y perdent de plus en plus souvent. De plus, un nombre important de ces règles ne sont plus appliquées que rarement voire plus du tout.
B.5. Les recours en justice
Au départ, le recours en justice contre une autorité publique est une victoire de l’état de droit. Aujourd’hui, de par la multiplication des possibilités de recours et parce que le citoyen est devenu plus assertif, quasiment plus aucune décision importante ne peut être prise sans que plusieurs organes juridictionnels ne soient consultés. Le Conseil d’état et la Cour constitutionnelle belges sont les instances les plus connues et les plus importantes, mais les cours et tribunaux judiciaires interviennent également. Il est fréquent que des procédures, notamment en référé et sur le fond se chevauchent et se contredisent. Et la décision finale n’intervient qu’après des années. Dans la plupart des cas, la décision ne sera en rien juste car:
● elle interviendra trop tard;
● l’action des tribunaux n’est de facto accessible qu’à ceux qui ont les moyens financiers, culturels, psychologiques mais aussi du temps disponible;
● la décision est aléatoire et ne se réfère pas prioritairement à l’équité mais nécessite d’abord le respect de règles formelles contraignantes et dont l’application rigoureuse n’est accessible qu’à ceux qui ont les moyens financiers et techniques de suivre la législation.
La multiplication des recours génère une jurisprudence toujours plus abondante et parfois imaginative qui rend le plus souvent l’application des règles de droit encore plus difficile et aléatoire. Nul ne peut être certain qu’une disposition réglementaire ou législative sera considérée comme licite par une juridiction. Ainsi, lorsqu’une règle est examinée au regard des principes d’égalité et de non-discrimination, la Cour constitutionnelle considérera souvent que la situation nouvelle a des effets disproportionnés et crée une différence de traitement illégitime entre diverses catégories de citoyens. Mais quasiment toute règle législative (interdiction, obligation, droit, …) a pour but et/ou pour objet de créer une situation nouvelle qui sera considérée comme disproportionnée par certains qui la subissent ou qui n’en bénéficient pas. Donc le choix final apparaîtra à l’observateur extérieur comme aléatoire.
Enfin, la situation favorise ceux qui ont les moyens financiers les plus élevés. Ce sont ceux-là qui ont les “reins assez solides” pour pouvoir attendre et les moyens financiers pour multiplier les manoeuvres dilatoires avec le conseil de juristes et techniciens coûteux. Ce sont eux aussi qui peuvent s’offrir les procédures accélérées, complexes et coûteuses de type référé. L’absurde et la débauche financière de la situation apparaît de manière criante lorsque les juristes ou les spécialistes les plus réputés engagent eux-mêmes des avocats ou des techniciens pour les conseiller lorsqu’ils sont mis en cause.
B.6. Une solution complexe: la simplification
Simplifier les réglementations législatives et administratives est un travail difficile car il est généralement impossible de supprimer ou de fusionner des dispositions collectives publiques sans que certains citoyens ou groupement soient désavantagés. Ceci suppose des choix politiques difficiles. Dans l’état fédéral intriqué et instable qu’est la Belgique, des simplifications d’ampleur importante ne sont actuellement pas envisageables.
B.7. Une solution simple: la systématisation des délais de rigueur
Il faut d’abord nuancer ce texte. Grâce à la bonne volonté et au souhait de bien faire de nombreux citoyens et responsables, mais également grâce aux progrès
technologiques, que ce soit pour les moyens de communication ou pour les travaux à effectuer, les blocages décrits ne concernent que certains aspects de la vie publique et qu’une partie des procédures.
Ainsi, heureusement, la lenteur ne concerne presque jamais les réalisations vraiment nécessaires et utiles rapidement. Par exemple, le choix du médecin et du traitement en cas d’accident de santé grave se fait en quelques minutes ou même dizaines de secondes. Par contre, en cas d’erreurs médicales, les litiges durent au minimum des mois, souvent des années et parfois des décennies.
Ensuite, dans les cas les plus graves et les plus importants, il serait utile que les décideurs se souviennent que les concepts juridiques de force majeure et d’état de nécessité sont également applicables par les autorités publiques.
Mais un système politique se doit de permettre un fonctionnement harmonieux global de l’ensemble de la société et pas seulement de la majorité de ses maillons. C’est souhaitable pour la solidité du système et nécessaire à l’équité.
Le souci de prendre une bonne décision sans se dépêcher dans une société complexe est bien sûr positif. Mais le simple écoulement du temps est en soi préjudiciable chaque fois qu’à un moment donné, une modification de situation est souhaitable.
La réaction naturelle d’un responsable politique ou d’un citoyen est de moins se préoccuper d’un problème qui persiste que d’un problème nouveau. Mais un citoyen volé ne devient pas moins victime d’un vol parce que le tribunal traîne à se prononcer sur l’indemnisation, une personne accusée à tort ne sera pas moins stigmatisée si la décision du tribunal pénal tarde, un carrefour ne devient pas moins dangereux parce que la réunion de concertation portant sur son réaménagement est remise et l’effet de serre ne diminue pas lorsque les décisions politiques devant définir un nouveau cadre juridique pour autoriser des éoliennes s’éternisent.
B.8. Comment pourrait se faire concrètement la systématisation des délais de rigueur
De manière générale, il s’impose, là où cette obligation n’existe pas encore, de fixer des délais de rigueur pour toutes les procédures qui concernent l’administration publique. Cette solution simple existe déjà et prouve son efficacité tous les jours dans de multiples domaines: depuis l’obligation pour un Centre public d’action sociale de prendre une décision dans les 30 jours de la demande jusqu’aux délais pour introduire un recours en passant par de nombreux aspects de procédures de concertation et par les obligations faites aux administrations de répondre dans certains délais (et en l’absence de réponse, supposant la présomption d’acceptation – ou parfois de refus). Les lignes qui suivent sont précises parce qu’elles visent à illustrer des choix possibles. Des modalités différentes pourraient mener à des résultats efficaces à condition que le principe du délai de rigueur soit conservé.
Les durées déjà existantes dans certaines législations de un, trois ou six mois peuvent être considérées comme suffisantes pour l’immense majorité des délais administratifs et judiciaires (un mois, par exemple, pour qu’une instance d’avis se prononce et six mois, par exemple, pour qu’une cour ou un tribunal tranche). Il est à noter que l’enjeu n’est pas de traîner ou de bâcler. Le choix est entre traîner en faisant mal plusieurs choses à la fois (de nombreux dossiers qui s’accumulent) ou faire mieux et de manière plus successive ces tâches. Les moyens de communication contemporains, notamment la multiplication des sources d’information en ligne, font que les raisons techniques de remettre à plus tard sont devenues rares.
Que se passerait-il en cas de non-respect d’un délai nouveau? En règle générale, des intérêts devraient être versés par l’autorité devant prendre la décision à la personne physique ou morale demanderesse sur la base du principe des intérêts judiciaires mais avec la nuance importante que ces intérêts seraient croissants. Il pourrait par exemple être prévu un intérêt annuel (basé sur la valeur de la prestation concern ée, du bien concerné ou sur un montant forfaitaire) à verser d’office par l’autorité, de 1 % (hors inflation) durant les six premiers mois, de 2 % durant les six mois suivants, avec une augmentation d’un point de pourcentage chaque année.
Afin d’éviter les abus, une réciprocité serait nécessaire. Ceci signifie que le principe de paiement d’intérêts d’office en cas de non-respect de délai s’imposerait aussi par exemple aux demandeurs devant fournir des informations dans le cadre d’une procédure et à toutes les parties dans une procédure judiciaire.
En ce qui concerne les organes législatifs, il serait difficile d’envisager le paiement d’intérêts de droit dans le cadre de certaines décisions, telles la désignation des membres d’un exécutif. Par contre, un délai de rigueur de trois mois pourrait être accompagné d’une sanction de réduction progressive de l’indemnité des élus. Bien sûr, cela suppose que ces élus s’imposent à eux-mêmes de possibles sanctions. Mais c’est politiquement possible et même politiquement rentable c ar cela contribuerait à la crédibilité des institutions législatives vis-à-vis des citoyens.
B.9. Conclusion de la deuxième partie
Est-ce que la solution à un problème complexe est aussi simple?
Cela ne serait évidemment pas simple à imposer là où les retards sont les plus importants et donc l’impact négatif le plus important, notamment les cours et
tribunaux. Mais il faut se rappeler que là où les délais de rigueur existent, ils soulèvent peu de problèmes. Cette solution est donc de nature à apporter une amélioration nette de la situation. Personne ou presque n’a à gagner au stress d’années d’attente, de controverses, d’affrontements, d’hésitations et de revirements.
C. Conclusion générale : pas de grand complot, une simplification nécessaire
Il n’y a pas de grand ordonnateur de la surabondance de règles et de la lenteur même si des milliards de personnes, à certaines étapes bénéficient de la lenteur et de la complexification sociale.
En cet étrange début de 21è siècle, par bien des aspects, la société est devenue kafkaïenne mais dans un monde de progressions technologiques qui secrète des complexifications de plus en plus incompréhensibles. La machine simplifie, le droit complexifie, y compris le droit issu de la machine. Obtenir une simplification libérerait du temps, ce qui réduirait la durée du travail par personne probablement à une dizaine d’heures. Ce gain pourrait être investi dans énormément de temps choisi et de loisir. Cela laisserait aussi énormément de temps pour rendre le monde meilleur. Nous pourrions chercher de manière scientifique, médicale, sociologique, psychologique tout ce qui permet aux femmes et aux hommes une vie en bonne santé beaucoup plus longue, harmonieuse, heureuse et épanouie.