Dans son livre La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, le journaliste et réalisateur Guillaume Pitron nous conscientise sur un problème qui commence à faire parler de lui partout : notre dépendance envers les métaux rares. La solution à chercher à notre crise climatique ne résiderait pas dans le transfert d’une dépendance en énergie fossile polluante vers une énergie verte tout aussi polluante dans son extraction. Nos ressources viennent à manquer que ce soit le pétrole, le gaz, le charbon ou les métaux rares. Même si l’homme à jusqu’ici toujours su trouver un substitut aux pénuries qui se présentent à lui, l’heure n’est plus de contourner le problème mais bien de prendre le taureau par les cornes et de transformer nos modes de consommations et de productions pour mieux gérer nos ressources en conciliant les avancées faites par nos technologies avec le respect de la planète. L’âge des Low Tech de l’ingénieur centraliste Philippe Bihouix appuie l’idée que la transition de nos sociétés industrielles vers une société plus écologique ne se trouve pas dans une dépollution par l’augmentation des innovations high tech mais au contraire dans l’âge des low tech, c’est-à-dire un concept qui préconise un retour à la simplicité des technologies et une consommation responsable correspondant à nos besoins.
La capacité d’adaptation des êtres humains a eu pour effet que chaque génération à été capable de trouver des solutions aux pénuries des ressources et à la dégradation de l’environnement qu’ils rencontraient. Au 19ème siècle, nous avons été proche de l’extinction des baleines blanches pour répondre aux besoins en huile de baleine nécessaire au fonctionnement de l’éclairage domestique. La première révolution industrielle fut la première transition énergétique vers l’exploitation du charbon, indispensable à la machine à vapeur. Au 20ème siècle, la machine à vapeur fut détrônée par le moteur thermique, démultipliant la puissance des véhicules grâce à une nouvelle ressource, le pétrole. Malgré l’appauvrissement de nos ressources fossiles, l’ingéniosité de l’homme et les avancées technologiques ont encouragé l’extraction de ressources toujours plus profonde et peu accessible ainsi que de s’aventurer toujours plus loin dans le but de garder nos réserves à flot. Il y a une prise de conscience de la pollution engendrée par les énergies fossiles depuis le début du 21ème siècle et une volonté de mettre sur pied des énergies renouvelables comme les éoliennes, les panneaux solaires et les batteries électriques pour substituer à nos énergies fossiles non-renouvelables.
Avant de s’aventurer plus loin, prenons le temps d’appréhender ce que sont les métaux rares. Cette famille d’une trentaine de métaux, qui côtoient les métaux abondants comme le fer, le cuivre et le plomb, s’est révélée d’une valeur considérable par leurs particularités sans pareille. Les propriétés de ces métaux rares sont connues depuis les années 1970 lorsqu’on prend conscience qu’une maigre quantité, une fois raffinée, génère plus d’énergie que ces acolytes le charbon et le pétrole mais surtout une énergie dé-carbonée. Grâce à leur propriété magnétique il est possible de confectionner des aimants surpuissants qui s’actionnent l’un par rapport à l’autre grâce à la rencontre d’une charge électrique et d’un champ magnétique. La relève des pistons des machines à vapeurs et thermiques est assurée par l’énergie générée par la danse continuelle des deux aimants à l’image de ceux que l’on peut retrouver dans certains rotors d’éoliennes. Les métaux rares, présents dans les panneaux photovoltaïques, permettent également de produire de l’électricité propre grâce à leur capacité à transformer les rayons du soleil en énergie. Leurs propriétés conductrices sont un atout considérable pour les nouvelles technologies surtout pour les technologies dites « intelligentes » où le flux d’électricité s’ajuste entre le producteur et le consommateur de réseau. Ces minerais rares sont désormais indispensables dans nos technologies vertes, procurant une énergie dé-carbonée transmise par des réseaux d’électricités performants permettant de faire des économies d’énergie.
L’improbable raisonnement de souiller l’environnement pour le dépolluer
Quand on regarde plus minutieusement le processus global d’extraction et de raffinage de ces terres rares, on se rend compte qu’on est bien loin d’une solution d’une transition énergétique zéro émission. Notre modèle de transition écologique s’appuie sur l’extraction de métaux rares présent en quantité très modeste dans la couche terrestre. Le poids environnemental de l’extraction de ces métaux rares est plus écrasant que celui engendré par l’exploitation pétrolière. Les mines d’extraction de ces précieux minerais fonctionnent dans l’hypocrite clandestinité où les métaux sont expédié à travers le monde en alimentant un effarant marché noir. La plus grande mine située en Chine, à Boagang, dans la province de Jiangxi, tourne grâce à la complaisance de la police locale. Ces mines secrètes chinoises sont désastreuses pour l’environnement car pour extirper ces « joyaux » de la roche dans lesquels ils sont incorporés, il est nécessaire d’extraire d’énormes quantités de terre, qu’il faut ensuite asperger de produits chimiques comme des acides sulfuriques et nitriques pour après coup les dégorger dans des mètres cubes d’eau. L’eau potable des populations riveraines devient insalubre et la contamination du fleuve Ting bouleverse les écosystèmes. Il devient, par conséquent, primordial de renforcer la conscientisation, non seulement sur l’emploi final des batteries électriques, des panneaux photovoltaïques et des éoliennes non polluants, mais surtout sur le coût environnemental de la globalité du cycle de vie des green tech, de leur extraction à leur confection industrielle.
Suite à l’exploitation de ces terres rares sont réalisés des rejets de métaux lourds et des eaux contaminées dans l’environnement, infectant les sols et les nappes phréatiques sans parler des pluies acides. Des minerais sont parfois naturellement combinés à des minerais radioactifs comme le thorium ou l’uranium, leur séparation générant une radioactivité assez importante comme dans les mines de Baotou et Bayan Obo. Les mineurs travaillent, dès lors, dans un air surchargé en particules noircies et effluves acides.
Cette industrie minière, parmi les plus polluantes de Chine, trouve son origine dans la volonté du pays de devenir le principal producteur des produits de consommation bon marché de l’Occident. Cet objectif de devenir le principal fournisseur de minerais se réalise au moyen de dumping social et environnemental, où les industriels deviennent libres de rejeter leurs déchets miniers dans les fleuves, de souiller les sols de métaux lourds et de polluer l’atmosphère. Le succès économique de la Chine s’est ainsi fait aux dépens de la sauvegarde de son environnement comme en témoigne Vivian Wu, une experte chinoise des métaux rares « Le peuple chinois a sacrifié son environnement pour nourrir la planète entière avec des terres rares,(…). Le prix à payer pour développer notre industrie s’est révélé bien trop élevé [1]. »
Une pilule dure à avaler ; l’occident à la merci de la Chine
Guillaume Pitron et Philippe Bihouix pointent du doigt le fait que les industries des technologies numériques et des greens tech, les deux édifices de la transition écologique, sont dépendants de la Chine pour se procurer des métaux rares. Le reste des pays qui exploitaient ces minerais rares ont, en effet, arrêté leurs exploitations laissant le monopole à la Chine. Les occidentaux se sont volontairement déchargés de leur production et la Chine en a profité pour spécialiser son économie dans ceux-ci. Elle a commencé par multiplier l’ouverture de mines sur son territoire et a étendu sa sphère d’influence en construisant un corridor terrestre et maritime avec l’Afrique dans le but d’être en meilleure position pour s’approvisionner en matières premières et conquérir des entreprises dans le secteur des produits de base. En septembre 2010, Pékin a chamboulé l’équilibre des marchés mondiaux en instaurant un embargo sur les terres rares. Vu la confidentialité de ce marché et son nombre limité d’acheteurs et de vendeurs, cette stratégie a eu un effet fortement perturbateur sur le jeu de l’offre et de la demande. Pékin n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Après avoir la main mise sur les terres rares, la chine a fait des yeux doux aux industries des hautes technologies. Pékin a été ainsi en mesure de conquérir l’aval de la filière grâce à sa main d’œuvre compétitive, lui permettant d’augmenter les marges commerciales. La ruse chinoise « technologies contre ressources » a fonctionné à merveille et a permis aux Chinois de se procurer le savoir-faire occidental en le copiant : « Pékin a baptisé cela l’« innovation indigène », c’est-à-dire l’absorption, l’intériorisation des technologies étrangères [2]. Pékin a d’abord attiré, par la séduction ou la force, les industriels étrangers sur son territoire, s’est associé à eux via des joint ventures, avant d’enclencher un processus de « co-innovation », ou de « ré-innovation », qui lui a permis de s’accaparer les technologies des fabricants de super-aimants japonais et américains [3]. » Après s’être inspiré de l’ingéniosité d’autres, la Chine met un point d’honneur à encourager l’essor scientifique et l’esprit créatif des chinois ce qui lui a valu de devenir le leader mondial des technologies vertes en trois décennies. Aujourd’hui, la Chine veut sortir triomphante de la transition énergétique et numérique. Son image reverdie et la rétraction des États-Unis de l’accord de Paris en 2017 lui a permis de devenir le chef de file diplomatique de la transition énergétique. Pour sécuriser sa prédominance sur le secteur des métaux rares, la chine manœuvre sournoisement en manipulant les cours à la baisse dans le but d’atrophier les projets miniers de la Californie, du Canada et du Japon. Laissant la Chine libre de s’accaparer ces gisements étrangers pour une somme modique. Pitron met en garde, que cette chasse aux métaux rares, qui s’accompagne d’un foisonnement d’accord bilatéraux, cherchant à sécuriser leur approvisionnement, peut vite faire empirer les querelles géopolitiques de l’énergie.
Cette prédominance Chinoise sur les minerais rares a révélé la fragilité du modèle économique occidental. Ce dernier se focalise sur des réponses à court terme alors que la Chine pense le long terme, se projetant déjà comme la puissance hégémonique détenant la production planétaire des métaux rares. Guillaume Pitron préconise, face à nos besoins exponentiels de métaux rares, de se ré-approprier les métaux rares en creusant des mines, ces ressources étant en réalité dispersées dans le monde entier . La production de métaux rares doit ainsi être lancée en Russie, en Thaïlande, en Turquie et en France, qui regorgeraient de métaux précieux. La transition écologique nécessite une réponse minière à l’image de celle de la France qui s’est embarquée dans le projet « mine responsable », une initiative écologique qui étudie comment atténuer l’impact écologique du « projet d’extraction ». Emmanuel Macron a également approuvé des permis de recherches minières en France métropolitaine et en Guyane. La réouverture des mines en France comme partout en Europe aurait l’avantage de conscientiser les consommateurs connectés et écolos sur le coût écologique de nos modes de vie. Cette initiative pourrait engendrer des initiatives pour maîtriser et refréner la dégradation de l’environnement par le rejet de cyanure dans l’environnement en exigeant des gouvernements qu’ils mettent en place des mines responsables.
L’économie circulaire par le recyclage une solution à l’exploitation des mines ?
Alors que les métaux comme l’argent et le fer sont présents à l’état pur dans l’élaboration des technologies vertes rendant leur recyclage peu fastidieux, les métaux rares sont associés pour former des alliages, c’est-à-dire en couplant plusieurs métaux rares ensemble afin d’obtenir des matériaux composites aux propriétés amplifiées par rapport aux métaux traditionnels. Le problème réside dans le fait que ces alliages, qui donnent toutes leurs valeurs aux nouvelles technologies vertes, sont difficilement recyclables : en effet, pour être en mesure de recycler ces métaux alliés, il est nécessaire d’avoir recours à des techniques coûteuses et gourmandes en produits chimiques. Pour le moment, il est donc plus avantageux pour les industriels de maintenir l’exploitation des mines que se lancer dans le recyclage. Afin d’être en mesure de rentabiliser ce recyclage, il serait dès lors nécessaire d’être à même de rassembler une quantité assez importante de déchets pour engendrer une économie d’échelle c’est-à-dire réduire drastiquement le coût moyen du recyclage d’un déchet en augmentant le volume de production. Cette situation serait bénéfique sur l’exploitation intensive des mines de même que sur l’exportation des déchets électroniques de pays développés vers des pays tels que le Ghana et le Nigeria, où malgré la convention de Bâle qui interdit l’expédition de déchets dangereux, comme c’est le cas des métaux rares imprégnés de métaux lourds et toxiques, les pays développés continuent de détourner cette loi en faisant passer leurs déchets pour de l’aide humanitaire. Bihouix dénonce d’ailleurs la déresponsabilisation des consommateurs face à la pollution locale par les faibles coûts de transports et la conteneurisation qui ont permis de couper la relation de cause à effet entre le mode de consommation des citoyens et les déchets qui en résultent.
Le low tech, une solution résolument durable
L’économie circulaire permettant de réutiliser indéfiniment nos matériaux est une vision trompeuse selon Bihouix : « (…) il existe des limites physiques, techniques et sociétales au recyclage dans un monde aussi technicisé que le nôtre. [4] Perte par dispersion (à la source), perte mécanique (la boîte de conserve, l’agrafe et le stylo partis à la décharge), perte fonctionnelle (par recyclage inefficace), perte entropique (marginale) : tel est notre destin, le cercle vertueux du recyclage est percé de partout et à chaque « cycle » de consommation on perd de manière définitive une partie des ressources. [5] » Ce fait ne veut toutefois pas dire qu’il ne faut pas augmenter la productivité du recyclage, au contraire. Il est important de maximiser les possibilités de recyclage par une révision complète des conceptions de nos objets. Mais l’économie circulaire n’est qu’une réponse parmi d’autres car face à la consommation exponentielle de nos ressources, notamment par le rattrapage des pays émergents et la croissance démographique, l’économie circulaire et la profusion de technologies vertes ne nous sauveront pas. Le développement durable basé sur les technologies vertes est en réalité une écologie de l’offre qui propose de substituer nos énergies fossiles par des éoliennes et des panneaux solaires, friands de métaux rares qui sont peu abondants et difficilement recyclables par leurs alliages dans le but de continuer à mener notre train de vie actuel, c’est-à-dire faire fonctionner une profusion de panneaux publicitaires, de boutiques éclairées de nuit, de surchauffer nos maisons et nos bureaux en hiver et les climatiser l’été. Pour Bihouix, la solution aux pénuries et au réchauffement climatique n’est pas à trouver dans les nouvelles technologies vertes mais à l’inverse dans les technologies Low Tech car « Il n’y a donc pas de produit ou de service plus écologique, économe en ressources, recyclable, que celui que l’on n’utilise pas. La première question ne doit pas être « comment remplir tel ou tel besoin (ou telle envie…) de manière plus écologique », mais « pourrait-on vivre aussi bien, sous certaines conditions, sans ce besoin ? ». Ensuite, certes, si le besoin ne peut pas être supprimé sans régression intolérable, on doit chercher à y répondre avec le moins de ressources possible [6]. » Cette vision de l’écologie de la demande nous impose de réfléchir à comment diminuer notre consommation intelligemment sans trop de « pertes » de confort et de technologie. La solution des technologies Low Tech se base sur deux principes essentiels « faire moins » et « plus durable ». Bihouix suggère une série de solutions permettant de remanier l’intégralité de notre société sans pour autant faire une rupture radicale avec celui-ci. Il nous amène à réfléchir à réduire notre dépendance technologique par des réflexes simples.
Un premier pas vers une société plus durable serait de radicalement réduire la quantité de nos déchets. Un tri plus intelligent permettrait d’alléger drastiquement nos rejets ménagers et d’utiliser nos ordures à meilleur escient. Nos poubelles regorgent de déchets putrescibles pouvant enrichir nos sols agricoles en servant d’engrais via un compostage individuel dans les villages et par le lombricompostage en zone urbaine. Nos restes de fruits et légumes permettraient également de nourrir les animaux de ferme. Envisager des moutons dans nos parcs nous dispenserait de tondre, des cochons dans nos cours allégeraient nos poubelles, des abeilles sur nos toits nous procureraient du miel ainsi qu’un service de pollinisation. Ces petits gestes permettraient de réduire nos poubelles d’un tiers de leurs poids mais allons encore plus loin alors pourquoi ne pas viser l’objectif zéro déchet en minimisant nos demandes en déchets non recyclables. Le plastique et les matériaux composites sont une calamité à recycler par la difficulté d’aisément les identifier pour bien les trier c’est pourquoi il faut réduire nos besoins en emballage. Échanger tous les produits jetables non-recyclables comme les lingettes imbibées de produits nettoyants, les serviettes hygiéniques et essuie-tout contre des produits biodégradables et réutilisables. Insérer les matériaux recyclables comme le carton, le verre, les métaux et les textiles dans leur filière de recyclage permettant d’être réutilisés et d’amoindrir la quantité en circulation.
Une autre proposition serait une relocalisation des sites de production des objets du quotidien que ce soit vestimentaires ou alimentaires ou du petit mobilier à proximité des lieux de consommations. Cette réduction d’échelle des sites de productions serait accompagnée par une diminution de nos besoins et une diminution de la consommation énergétique. Les efforts pour faire des économies par rapport aux industries de réseaux c’est-à-dire distribution d’eau, de gaz, d’électricité mais aussi les réseaux d’assainissement de l’eau et des transports, seraient démesurés par rapport aux économies occasionnés. C’est principalement notre forte urbanisation qui est responsable de ce besoin accru dans le domaine des réseaux, la forte concentration d’habitants requérant davantage de transports et d’infrastructures, hautement consommatrices de ressources. Bihouix observe qu’une dés-urbanisation des grandes villes par la répartition des habitants dans des villages serait bénéfique. La diminution des distances entre le lieu de travail et de la maison permettrait de sortir de la génération voiture et légitimerait le déplacement en vélo, qui est le véhicule le plus rentable énergétiquement. Les trajets plus longs se feraient tout bonnement en bus. Face à ces changements au niveau de la mobilité, il ne serait plus nécessaire de poursuivre la construction des autoroutes, aéroports et tunnels. Le mot d’ordre ne serait pas de continuer à construire de nouvelles choses mais plutôt d’apprendre à réhabiliter les bâtiments et bureaux abandonnés. Poussons la tendance jusqu’au bout, en apprenant rentabiliser l’espace au maximum en pratiquant le multi-usage des locaux où les bureaux se transformeraient en salle de fête le soir.
En outre, Bihouix soumet l’idée d’un mix énergétique local qui s’adapterait à la spécificité de chaque environnement en promouvant des solutions adaptées à son niveau d’ensoleillement, à sa capacité hydroélectrique et à la puissance de ces vents. Ces éoliennes de villages, mini barrages et panneaux photovoltaïques, permettraient de répondre aux besoins sanitaires et domestiques tout en considérant qu’il faudrait revoir nos standards occidentaux à la baisse en acceptant les intermittences dans la production d’énergie pour vivre au rythme de la nature. Ces systèmes basses énergies auront l’avantage d’être réparables et remplaçables ce qui veut dire également plus durables. Naturellement nos comportements devront s’adapter, autour de la nécessité d’apprendre à adapter nos comportements quotidiens. Ce changement passera certainement par une évolution des habitudes de mobilité comme une réduction de la vitesse et du poids des véhicules mais surtout une extension de la longévité de ceux-ci. Une combinaison adéquate au lieu entre le pétrole, le gaz, l’électricité et les énergies renouvelables permettaient de minimiser nos émissions de gaz à effet de serres.
Au niveau de l’agriculture il est possible d’intensifier le rendement des terres tout en dé-mécanisant la récolte, par l’alternance des récoltes céréalières et des légumineuses ou en alternant l’élevage et l’agriculture dans les mêmes champs permettant aux déchets organiques comme le fumier, les restes des abattoirs comme le sang séché et les os d’être utilisés à bon escient. L’intégration de petits élevages comme des poules dans les récoltes fruitières réduirait les besoins de traitements vu qu’elles mangeraient les chenilles et autres insectes. Ces solutions permettent d’enrichir le sol de nutriments organiques qui sont prélevés à la terre par l’exploitation agricole. La dé-mécanisation accroît le rendement surfacique en réduisant la distance entre les rangs des différentes cultures et permet un recours en main-d’œuvre plus intensif. En parlant de main-d’œuvre, la machination à outrance a substitué le travail des réceptionnistes par des bornes électriques ainsi que le travail d’ouvriers par des machines électroniques. Il serait plus favorable de ré-humaniser ces métiers dans le but de remettre des millions de chômeurs au travail.
Les technologies et l’informatique ont permis de communiquer instantanément, de faire de grandes avancées au niveau des sciences, de la santé et des connaissances du monde dans lequel nous vivons tout en ayant instantanément accès à ces données. Mais le stockage de données demande toujours plus d’espace et requiert un refroidissement permanent à l’aide de climatiseurs ou d’eau froide. Les équipements de plus en plus rapidement obsolètes vont grossir les piles des décharges ghanéennes. Il est indispensable qu’on réduise drastiquement l’envoi des appareils numériques à la décharge en augmentant leur durée de vie et en améliorant leur conception pour maximiser leur recyclage. Pour cela, il est important de communiquer sur la réalité de diminuer nos exigences esthétiques ainsi que la course effrénée des consommateurs pour des appareils toujours plus miniatures plus puissants. Pourquoi ne pas inverser la tendance, plutôt que d’expédier les serveurs à proximité de la mer pour les refroidir pourquoi ne pas mettre à profit cette chaleur pour chauffer les logements et les bureaux. Il faudrait, par conséquent, revoir notre hyper-connectivité où notre envie de savoir tout tout de suite engendre des mises à jour incessantes qui gonflent le volume de données échangées et d’informations stockées. Avons-nous réellement besoin de stocker autant d’informations ? Il suffirait de repositionner nos « besoins » à la baisse en réduisant le débit nous n’aurions pas d’autre choix que d’ajuster nos comportements.
En réfléchissant sur comment rendre notre société moins énergivore, Bihouix nous amène à méditer plusieurs questions. Est-ce que l’hyper-médicalisation de la fin de vie de nos seniors est avantageux pour la société ? Sachant qu’une société durable nécessite que les décès soient contre-balancer par le même taux de naissances, entretenir la longévité de nos aînés favorise une société vieillissante. Il soulève la question de l’antinomie du système capitaliste avec le principe même des Low tech qui tende vers la décroissance. Les prêts à intérêts font gonfler la masse monétaire en circulation vu que l’on rembourse plus que la somme initialement prêtée. Le moyen pour que les prêts des ménages, des sociétés et même des états ne conduisent pas directement à l’inflation c’est-à-dire une perte de pouvoir d’achat par une augmentation des prix pour un même produit, est d’ accroître les biens de consommations en circulation pour faire augmenter le PIB. Qu’adviendra le système bancaire si on vise une société de la décroissance ? La décroissance signerait-elle la fin du prêt à intérêt et du système capitaliste ? Les sociétés industrielles sont de grandes pourvoyeuses d’emplois donc la fin du consumérisme engendrerait-elle une massive perte d’emplois ? Il est clair que la grande distribution et l’agriculture intensive ont occasionné quantité d’emplois par la consommation matérielle des citoyens mais aussi par la complexification du système privé et public qui ont nécessité des managers, des comptables et des juristes. Mais il faut prendre en compte que la machination de ces secteurs ont également causés des pertes d’emplois. Pourquoi ne pas envisager un dispositif comme le revenu universel pour diminuer les répercussions sociales de la décroissance. Néanmoins un renversement de notre consommation vers des circuits courts et une consommation plus durable basée sur une agriculture biologique, sur l’artisanat et sur le commerce de proximité entraînerait un besoin intensif en main-d’œuvre. Cette situation signifierait que l’économie de la décroissance aurait des effets négatifs sur l’emploi par la réduction des besoins tout autant que des effets positifs par la résurgence de métiers dans l’agriculture, l’industrie et les services par la dé-mécanisation. Cela aurait pour effet de revaloriser les métiers manuels qui deviendraient indispensables à la société et où les activités manuelles ne seraient plus la seule orientation des élèves en échec scolaire.
Nous venons d’entrer dans la troisième transition énergétique où les énergies vertes substitueraient les énergies fossiles mais nous en sommes encore loin vu que les énergies fossiles représentent toujours 80% de notre production où les centrales à charbon restent notre source maîtresse d’électricité et de chaleur. Nos énergies vertes ne sont en réalité pas à cent pour cent dépourvues d’émissions à effet de serre car pour être en mesure d’élaborer ces technologies vertes qui capturent les ressources dont nous disposons en quantité illimitée comme le soleil, le vent, il faut en réalité compter sur des énergies fossiles pour exploiter les mines, raffiner ces minerais rares, les acheminer vers les lieux de production. Cette transition verte serait en réalité une transition métallique puisque pour produire ces énergies « renouvelables » nous aurions tout de même besoin d’énergies fossiles pour extraire les précieux métaux présents dans les technologies vertes. Sans oublier que les alliages contiennent plusieurs métaux en infime quantité complexifiant leur recyclage. Il faut également démystifier les voitures électriques et à hydrogènes car leur industrialisation requiert trois fois plus d’énergie qu’une voiture à carburant. Mieux, les voitures électriques pourraient émettre plus de CO2 que les voitures conventionnelles si les centrales d’électricités fonctionnent au charbon comme c’est le cas en Inde, en Australie, en Chine et en Afrique du Sud. De même l’incapacité de recyclage des éoliennes et panneaux solaires qu’on installe partout est à prendre en compte, mais aussi la forte consommation d’espace pour un rendement encore trop faible pour remplacer les énergies non-renouvelables. Ces énergies renouvelables sont également perturbatrices de la biodiversité car les éoliennes tuent des chauve-souris et dégradent nos sols agricoles. Face à ce désenchantement de la transition durable censée diminuer l’impact carbone des activités humaines, on est face à un constat effarant ; le développement durable s’appuyant sur des technologies high tech vertes ne nous délivrerons pas des crises environnementales et sociétales. En cherchant à remplacer nos ressources fossiles par des ressources alternatives comme l’éolien, le biogaz, les algues, l’hydrogène, nous risquons seulement de déclencher de nouvelles pénuries. Il est temps d’arrêter de répéter nos erreurs en permutant de ressources une fois qu’on les a épuisées. La dimension finie de la terre doit être prise en compte, nous ne pouvons pas continuer à pomper nos réserves en ressources plus vite qu’il ne faut pour les renouveler.
Les deux spécialistes de la question énergétique et de la finitude des ressources minières, Pitron et Bihouix, parviennent au même bilan ; notre transition énergétique n’est pas durable. Loin d’être contre les énergies vertes, ils sont conscients qu’il ne sera pas possible de maintenir notre niveau de consommation énergétique qui surpasse leur renouvellement, c’est pourquoi il faut revoir notre façon de consommer. Guillaume Pitron dresse un portrait peu flatteur de l’extraction minière des terres rares. Notre recherche d’un modèle de croissance plus écologique a conduit à une surexploitation des terres rares décisives pour notre transition écologique et numérique. Ces ressources sont sous la coupe de la Chine, qui joue de son influence pour imposer des quotas et des embargos au reste du monde. L’extraction minière chinoise est un fléau environnemental qui génère énormément de gaz à effet de serre ainsi qu’un fléau pour les locaux qui subissent les répercussions. Guillaume Pitron suggère l’ouverture de mines responsables chez nous permettant notre responsabilisation ainsi qu’une gestion plus écologique de nos mines. Il prône également une économie circulaire qui recyclerait l’entièreté de nos métaux. De son côté, Philippe Bihouix reconnaît le besoin de recycler ces métaux mais pointe du doigt les faiblesses de l’économie circulaire. La vision de Pitron correspond plus à l’écologie de l’offre c’est-à-dire une croissance verte là où la vision de Bihouix se conforme plus à l’écologie de la demande qui viserait la décroissance. Selon Philippe Bihouix il est temps de questionner notre paradigme capitaliste basé sur un cycle de croissance infinie et non seulement de s’interroger sur comment les technologies vertes peuvent remplacer nos ressources non-renouvelables. Une société durable requiert un remaniement de la société où il faudrait tout bonnement prétendre à la modération dans tous les secteurs c’est-à-dire qu’il faudrait minimiser l’impact de nos poubelles par le compostage et l’utilisation d’emballages biodégradables, refréner notre consommation d’énergie et nos besoins en transports. Il faudrait viser une certaine autonomisation des foyers par des alternatives comme des toilettes sèches, l’assainissement des eaux usées par la filtration des plantes et des énergies renouvelables de petites échelles. Les deux auteurs exposent l’illusion des techno-optimistes qui considèrent que les nouvelles technologies et énergies renouvelables permettraient de ralentir la croissance du réchauffement climatique. Ces nouvelles technologies agissent comme un pansement qui ne fait que reculer la date ultime puisque les ressources sur terre ont bien une dimension finie. Mais il y a aussi une adaptation qui est nécessaire à l’économie de la décroissance qui passe d’abord par des changements anodins dans nos mode de vies, que Bihouix appelle des « quick wins » comme le rechapage des pneus qui prolonge leur durée de vie, l’interdiction des flyers publicitaires et le retour des journaux en noir et blanc. Bihouix a une approche techniciste où les basses technologies, autrement dit les Low tech se basent sur deux principes essentiels « faire moins » et « plus durable ». Bihouix, contrairement à Pitron a une approche complètement apolitique qui cherche seulement à exposer des idées pour arriver à cette société de la décroissance là où Pitron est plus dans le concret avec une proposition de rouvrir les mines en Europe. Ces deux auteurs appellent à une prise de conscience de la population face à la finitude des ressources de notre planète, pour faire naître des changements comportementaux dans nos modes de consommation et de production.
Noémie Distexhe
[1] Pitron, Guillaume. La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique (LLL NUMERIQUE) (French Edition) (Emplacements du Kindle 537-539). Les liens qui libèrent. Édition du Kindle.
[2] Entretien avec Ding Yifan, chercheur à l’Institute of World Development, 2016 tiré du Livre de Guillaume Pitron. La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique (Emplacements du Kindle 2607-2609). Édition du Kindle.
[3] Pitron, Guillaume. La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique (Emplacements du Kindle 2619-2622). Édition du Kindle.
[4] Bihouix, Philippe. L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable : Vers une civilisation techniquement soutenable (Emplacements du Kindle 737-738). Le Seuil
[5] Bihouix, Philippe. L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable : Vers une civilisation techniquement soutenable (Emplacements du Kindle 740-752). Le Seuil
[6] Bihouix, Philippe. L’Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable : Vers une civilisation techniquement soutenable (Emplacements du Kindle 737-738). Le Seuil