Une liste citoyenne communale : pourquoi, comment ?

Cette analyse n’est ni un mode d’emploi, ni un essai critique. Il s’agit d’une réflexion située et datée, de la part d’un acteur engagé dans une expérience stimulante et qui, comme la marche nécessite deux pieds, tente d’associer l’enthousiasme de l’action et la distance de la réflexion. C’est un texte situé, puisqu’il est le fait d’un membre du parti Ecolo. C’est aussi un texte daté, puisqu’il est rédigé environ un an avant le scrutin communal d’octobre 2018. C’est enfin un texte personnel, puisqu’il n’est pas l’expression d’un collectif (même s’il s’est nourri de nombreuses discussions) mais davantage le fruit d’une réflexion propre (sur le mode : « J’écris pour savoir ce que je pense ») C’est à partir de cette position que le texte a été écrit, c’est tout autant à partir de cette position qu’il demande à être lu…

L’auteur voit, dans son implication dans l’accompagnement de la démarche initiée par la Locale Ecolo de Liège, depuis 2016, et tout particulièrement en animant des assemblées éco-citoyennes, une opportunité stimulante pour la réflexion. Lorsque agir et réfléchir peuvent aller de pair [1], cela peut conduire au texte qui suit, qu’il livre à la sagacité de celles et ceux qui se sentent concerné·e·s par les évolutions de nos démocraties.

Nouvelles préoccupations citoyennes

Lorsqu’on tente d’expliquer l’émergence des listes citoyennes et plus largement des mouvements citoyens, les premiers commentaires mettent généralement en avant une distance qui se creuse entre le « citoyen » et le « politique ». Aussi facile et superficiel que soit cet argument, il mérite tout de même qu’on s’y arrête un peu, avant d’aller plus loin.

Dans cette veine, on affirme que la professionnalisation du personnel politique éloignerait les mandataires des problèmes rencontrés par la « vraie » vie des gens. On note aussi que des pratiques clientélistes ne semblent guidées que par le souci de s’entourer d’un vaste réservoir d’électeurs/débiteurs, destiné à assurer une réélection et une occupation à long terme des mêmes fonctions politiques par les mêmes personnes. Cette longévité elle-même peut aussi expliquer des abus dans l’exercice du pouvoir et la tentation pour les pratiques douteuses, dénoncées ensuite comme « les affaires »…

Si cela n’est pas faux, c’est sans doute loin de tout expliquer. On pourrait mettre en avant un autre élément d’explication : la montée en puissance de la complexité des problèmes à résoudre.

Une complexité croissante

Les problèmes qu’affrontent notre temps –à moins que ce ne soit la conscience que nous en avons-̶ sont de plus en plus complexes à analyser autant qu’à affronter. La fameuse citation que l’on prête à Einstein est toujours un rappel : « On ne résout pas les problèmes en ayant recours aux modes de pensée qui les ont créés. ». La diversité et l’ampleur des dimensions à prendre en compte peuvent rebuter : les facteurs environnementaux et climatiques, énergétiques, démographiques, réglementaires, sociaux, économiques,… sans compter la prise en compte des différents niveaux de pouvoir et la nécessité d’expliquer cette complexité puis d’agir en conséquence, représentent de réels défis. De plus, cette technicisation croissante du traitement des problèmes contribue à faire de la politique une affaire dans laquelle les experts sont de plus en plus présents. Dès lors, les manières dont ces problèmes sont abordés sont de moins en moins à la portée de « Mr et Mme Tout l’Monde » et les gestionnaires prennent le dessus dans le débat, par rapport à une confrontation entre des options davantage fondées sur des repères idéologiques. (« There is non alternative »)

Face à la complexité

Face à cette complexité croissante, le citoyen/électeur –pour autant qu’un tel individu existe–, se trouve confronté à une alternative : soit affronter cette complexité, ambitionner d’aborder le problème qui le préoccupe en acceptant de payer le coût en temps et en réflexion pour le comprendre, soit se réfugier dans un confortable : « On nous cache tout, on nous dit rien, on nous enfume… » On voit comment cette seconde posture conduit à rendre attractifs des discours démagogiques prônant des explications et des solutions terriblement simplificatrices.

De plus, cette complexité place les « décideurs » politiques dans une situation où ils semblent tout à la fois dépassés par l’ampleur des enjeux et ligotés dans les règles du jeu électoral à trop court terme. Dans le même esprit, les institutions politiques semblent inadaptées pour affronter les enjeux au niveau ainsi qu’avec l’ampleur et l’urgence qu’ils présentent.

Le personnel politique semble tétanisé par le caractère inédit des problèmes (l’urgence climatique…) et tout aussi incapable de résister aux pressions des lobbies. Le recours à des experts devient de plus en plus récurrent, experts à qui il est demandé de proposer des aménagements à court terme (« Dites-nous ce qu’il faut faire… pour ne pas changer ! »). D’autres experts proposent au contraire des solutions politiquement inacceptables aux yeux de nombreux décideurs politiques. Ainsi, la boutade de Jean-Claude Juncker est connue : «  Nous savons ce qu’il faut faire. Mais nous ne savons pas comment nous serions réélus ensuite. »

Pauvreté de l’offre politique…

Si la partie francophone de la Belgique peut à cet égard faire figure d’exception, l’offre politique dans les pays occidentaux peut globalement se réduire à un contraste entre :

  • un centre libéral socio-démocratique, y compris la gauche « responsable » (qui semble s’adresser à un individu isolé, rationnel, maximisateur de ses intérêts, gestionnaire de lui-même, dans un individualisme consummériste…)
  • Un populisme, nationalisme identitaire (qui flatte une appartenance mythique et fusionnelle à une communauté nostalgique de semblables…)

Les politiques mises en œuvre dans les pays occidentaux semblent toutes fondées sur les mêmes grilles d’analyse, alliant l’économie dite « orthodoxe » et une psychologie individuelle, dont les soubassements paradigmatiques s’harmonisent assez aisément.

… et leurs dépassements

La réalité démocratique de nos états est un objet de réflexion inépuisable. Pour ce qui nous occupe, on notera l’existence de travaux en sociologie et en philosophie politique, sur les limites de la démocratie représentative et leurs dépassements. [2] Ces réflexions et travaux ont débouché, plus opérationnellement, sur des propositions aussi diverses que :

  • Le tirage au sort, inspiré de la démocratie athénienne
  • L’exemple des votations suisses
  • Le référendum d’initiative populaire (tiré du Code Wallon de Démocratie Locale ou CWDL)
  • Le droit d’interpellation citoyenne (CWDL)
  • Droit de pétition (Europe)
  • Le budget participatif (Porto Alegre…)
  • Le droit d’Initiative citoyenne européenne
  • Plus récemment et plus proche de nous, le panel de citoyens (modèle : le jury d’assises), ou encore le « G 1000 » (en 2011) [3]

Tels pourraient être quelques-uns des traits de la toile de fond sur laquelle l’engouement pour les listes citoyennes se profile aujourd’hui. Chacun d’eux mériterait sans doute des développements considérables, mais tel n’est pas notre objet ici.

Et Ecolo là-dedans ?

Il y a aujourd’hui quasi quarante ans, Ecolo entrait sur la scène politique belge avec ce slogan : « Faire de la politique autrement. » Les trois clivages historiques occupaient le terrain. Si les « partis traditionnels » ont commencé par réagir en adoptant une attitude se partageant entre le mépris et l’amusement, ils ont ensuite essayé, tentant de réduire Ecolo à sa dimension environnementale, d’incorporer à leur tour cette préoccupation, dans l’espoir de rendre inutile l’existence d’un tel parti. Si l’on constatera que cette stratégie a marché, dans le cas des partis portant les thèses communautaires et régionalistes (voir le RW)…, il faut aussi reconnaître que cette démarche n’a pas fonctionné dans le cas d’Ecolo. Pourquoi ?

L’explication est au cœur de la problématique citoyenne. Depuis sa création, Ecolo s’est efforcé de faire entrer dans la sphère politique des problèmes jusqu’alors non pris en compte par les partis traditionnels. Ainsi, au fil des années, des enrichissements progressifs ont eu lieu, grâce à des alliances avec différentes luttes : environnementales, anti-nucléaires, pacifistes, tiers-mondistes, féministes, étudiantes, sociales et bien d’autres encore… Il faut aussi noter un accent tout particulier pour la démocratie, avec cette volonté de cohérence entre critiques et propositions politiques d’une part, règles et pratiques internes au parti d’autre part. Inscrivons-le alors d’une formule : la participation citoyenne est dans l’ADN d’Ecolo. [4]

Citoyen·ne et … citoyen·ne !

Ce terme fait l’objet d’usages divers, entre lesquels il importe sans doute de procéder à des distinctions salutaires. Ainsi, un usage incantatoire du terme l’associe à contribuable, électeur, consommateur individuel de politique… en d’autres termes, le modèle de l’ « homo econimicus », mû par la seule recherche de son intérêt individuel « rationnel ». D’autres usages tout aussi incantatoires consistent en une vision romantique, selon laquelle un·e citoyen·ne serait nécessairement et par nature, altruiste, soucieux du bien commun, engagé·e, clairvoyant·e et guidé·e par la seule recherche de l’intérêt général. La dimension polémique de telles affirmations est à souligner. En creux, cet accent sur le/la citoyen·ne est aussi un discours sur le politique et son personnel, qui serait centré sur lui-même, mû par le seul désir d’user et abuser de sa position pour en obtenir un maximum d’avantages. Il y a quelques années encore, le terme de « société civile » était davantage utilisé, terme aussi flou sans doute et qui désignait tantôt de grandes ONG internationales, tantôt un dense tissu associatif. Ce glissement vers le niveau de l’individu-citoyen est très certainement à mettre en rapport avec la généralisation du paradigme individualiste, en tant que grille quasi exclusive d’interprétation de faits sociaux. [5]

Lors d’une récente interview accordée à « France-Culture », [6] Axel Honneth, dont les travaux sur « la reconnaissance » sont connus, affirmait que la gauche romantique continue à rêver d’un peuple au bord de l’insurrection… Pourtant, affirme-t-il, elle a perdu le langage pour s’adresser aux « gens », qui ne se sentent plus reconnus par les élites gestionnaires. Aussi l’enjeu pour les « progressistes » est-il de manifester de la compréhension et proposer un projet inclusif. Sans quoi les non reconnus, les désespérés, les désaffiliés, seront tentés par des solutions simplistes qui leur désignent des boucs émissaires et leur proposent une pseudo-reconnaissance qui prend la forme d’une exclusion d’autres, plus exclus qu’eux-mêmes ! Et cette tâche « culturelle » est d’autant plus difficile que le pouvoir sur les idées se trouve entre les mains de ceux qui détiennent… les outils de manipulation des désirs ! [7]Contrairement à ce que semble croire une gauche romantique, Il ne semble plus guère possible de considérer que le « peuple » est spontanément progressiste, comme un carburant révolutionnaire en attente d’une étincelle de révolte… [8] Dans le cadre « idéologique » dominant actuel, l’enjeu démocratique majeur est celui la place pour une offre politique incluant solidarité et écologie, pariant sur les intelligences citoyennes. [9]

Des usages de la citoyenneté

Ce point demanderait davantage de développement, pour contraster différents positionnements quant aux usages possibles de l’argument citoyen.

Un première approche est illustrée par le cas emblématique des exemples présentés dans le film « Demain » [10]. Dans « l’archipel de la transition », un aspect frappant est celui d’un apolitisme ou d’un antipolitisme larvé voire assumé, qui se manifeste par exemple dans cette affirmation : « Faisons nous-mêmes et dès à présent ce que les politiques sont incapables de faire ».

Autre approche possible : les consultations citoyennes. S’il en est qui sont à la hauteur de l’ambition, d’autres semblent ne présenter que des vertus cosmétiques.

Plus assumés, les budgets participatifs, les commissions consultatives citoyennes, etc. peuvent être cités comme accordant une place structurée aux implications citoyennes…

L’option la plus radicale consisterait à dire : « nous, mandataires, ne savons exactement que faire, face à tel problème. En tout cas, cela ne peut se faire sans vous et dès lors, inventons-le ensemble ! »

Des citoyen·ne·s engagée·s ? Quelles conditions

À quelles conditions une personne pourrait-elle s’engager ? Nombre de travaux de sociologie ont étudié ces questions. [11] Retenons-en ici, en quelques traits, les préalables à un engagement, tels que régulièrement cités dans ces travaux. Une première condition pourrait se formuler ainsi : se sentir appartenir à une collectivité, une communauté de situation, à un territoire… Ce point est d’autant plus important que des pans entiers de la « société » sont marqués par ce que Robert Castel a nommé la « désaffiliation ». [12] Autre condition : disposer des ressources pour ce faire. Ce terme renvoie autant à des ressources matérielles, (être à distance des préoccupations de survie…) qu’à des ressources culturelles (connaissances, capacités d’analyse, oser s’exprimer en public…). Disposer de temps n’est pas la moindre des ressources. De plus, ces conditions ne sont que des préalables, qui ne conduisent pas nécessairement au passage à l’action.

Aussi simples qu’ils soient, ces premiers repères fournissent les bases d’un schéma qui permet de mettre en avant la relative « rareté » que peut représenter la catégorie « citoyen·ne engagé·e ».

S’il est une implication opérationnelle de ce schéma, c’est bien celle-ci : les efforts destinés à offrir des espaces de participation ne devraient-ils pas plus réalistement être orientés vers les personnes qui se situent dans le quadrant supérieur droit ?

Grenoble, le modèle ?

S’agissant des listes citoyennes, l’expérience grenobloise fait figure de modèle. S’il s’agit de ne pas sous-estimer le poids des règles du jeu politique français, [13] quelques défis méritent sans doute d’être schématiquement pointés, pour leur caractère transposable à nos communes.

La liste qui s’est présentée est une liste de rassemblement, autour d’une personne, Eric Piolle, incarnant le projet. Aussi, un équilibre est-il à trouver entre la cohérence de cet ensemble et la préservation de l’identité de ses composantes. En l’occurrence, l’élément fédérateur est ici le projet de ville. On soulignera la démarche qui a été menée dans les mois précédant l’élection. Des acteurs de la scène locale ont été rencontrés avec cette question : « Si nous mettons ceci dans notre programme, serez-vous avec nous ? »

Autre enjeu, que la situation de la ville a rendu particulièrement sensible, dès le début de la législature : faire les bons arbitrages entre d’une part la présentation d’un projet de ville attractif, suscitant adhésion et vote et d’autre part la nécessité de tenir compte des contraintes de la gestion des ressources financières de la municipalité. Faire des promesses intenables aurait tout bonnement été suicidaire.

Sans se vouloir exhaustif, et concernant cette fois davantage l’exercice des responsabilités municipales, on notera encore la nécessité d’expliquer à la population les arbitrages obligés et l’importance d’y associer les citoyens, en pratiquant la pédagogie des enjeux. Autre nécessité : l’entretien de la solidité des composantes de la liste, soumise autant aux tensions inhérentes à l’exercice du pouvoir qu’aux contrecoups des enjeux politiques dépassant l’échelle de la ville.

On le sait, la dimension « participation citoyenne » est une composante centrale. Dans le programme, cette dimension s’est manifestée par des propositions telles que : des outils de gouvernance citoyenne, des conseils « indépendants », des budgets participatifs, un droit d’interpellation citoyenne, des concertations sur des projets… Dès lors, dans l’exercice des responsabilités municipales, il s’agit de mettre concrètement en œuvre ces intentions, en optant pour des formes crédibles, avec des moyens à la hauteur des ambitions, et de supporter les moments difficiles que peuvent constituer les confrontations avec les citoyen·ne·s…

L’interview d’Eric Piolle dans un récent numéro du magazine « Imagine » [14] conduit le maire de Grenoble à parler de son positionnement personnel, celui de la radicalité pragmatique. Le schéma ci-dessous tente d’en rendre compte.

Ecolo : aujourd’hui et demain.

Avant d’atterrir sur des propositions davantage méthodologiques, reprenons quelques considérations d’ordre général, qui mettent l’ensemble en perspective, plus spécifiquement orientées vers le parti qui incarne l’écologie politique en Belgique francophone.

Rappelons tout d’abord la double nécessité, déjà pointée plus haut. Il est tout aussi important de « civiliser la politique », c-à-d de r-amener dans la sphère politique des préoccupations sociétales qui en sont absentes, que de « politiser la société », c’est-à-dire de permettre et d’encourager la prise en compte, par « la société », de la complexité des situations et se distancier des « yaka » et autres slogans. Autre considération : il n’est pas possible de faire une politique écologique contre (une part significative de) la population. Dès lors, il ne s’agit pas seulement d’expliquer, de convaincre, ce qui supposerait déjà d’être entendu… Il s’agit davantage d’imaginer, tester, analyser, généraliser des exemples d’expérimentations de participations citoyennes à la construction de solutions à la hauteur des enjeux. La nécessité d’une alphabétisation politique est à conserver à l’esprit.

Un autre accent majeur est celui de la cohérence, dans les termes de la formulation imagée de Gandhi : « La fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine ». Si les intentions sont celles du bon raccord avec les citoyen·ne·s, les manières de faire doivent dès lors être en cohérence avec cette volonté d’ouverture, qu’il ne suffit pas de proclamer. Au-delà des intentions, les dispositifs mis en place doivent manifester cette ouverture et la rendre palpable. C’est là une question de crédibilité.

Ne mésestimons pas non plus les inévitables tensions entre deux nécessités tout aussi vitales l’une que l’autre. D’une part, celle qui consiste à se présenter aux partenaires de futures coalitions comme « fréquentables » et crédibles » ; d’autre part, celle qui consiste à rester connecté aux dynamiques sociétales et se présenter ainsi à elles comme leur relais dans la sphère politique, sans occulter la nécessité de compromis. Car l’enjeu est finalement celui-là : réincorporer dans la sphère politique des dynamiques citoyennes qui se pensent et se construisent « en marge », sinon en opposition méfiante avec la sphère politique.

Listes citoyennes : mode d’emploi

Tentons maintenant d’aborder les choses sous l’angle des manières de s’y prendre. L’expérience liégeoise permet d’identifier six grandes vigilances, qu’il s’agit de mener de front. On reprendra quelques-unes d’entre elles, dans des questions en fin de cet article.

Le « Casting » : avec qui s’embarquer dans cette aventure ? (Qui sommes-nous ?)

Rassembler, oui, mais qui ? Cela demande donc de procéder à un inventaire des forces politiques, des dynamiques associatives et citoyennes sur le territoire de la commune et de prendre le mesure de celles qu’il est possible d’inviter à nous rejoindre. On commence par ses carnets d’adresses, puis on invite ces autres à faire de même, pour établir ainsi une liste d’invité·e·s, constituée à la manière d’une boule de neige.

La « Doctrine » : quelles seront les valeurs, les accents du programme ? (Que voulons-nous ?)

S’il est important que le parti qui prend l’initiative de ce rassemblement conserve dans l’aventure ses propres repères, il est tout aussi nécessaire que la formulation de valeurs fédératrices fasse l’objet d’un travail de co-construction avec les partenaires. Ce n’est que dans cette écriture collective que se constitueront peu à peu une connaissance mutuelle, une implication progressive autant qu’un sentiment d’une appartenance plus large. Inversement, des personnes n’y trouveront pas leur place et ne s’associeront pas aux suites, ce qui peut clarifier le jeu. Pour le mouvement en construction, affirmer son identité est aussi une manière d’affirmer ce qu’il n’est pas…

Le « Plan de travail » : phasage, feuille de route évolutive (Que faire ?)

Se doter d’échéances explicitées est utile pour rendre claires les étapes passées et à franchir, la cohérence des différents ensembles de choses à faire, vues comme autant de lieux de participation pour les membres, qui choisissent ainsi plus aisément leurs présences, en fonction de l’investissement qu’ils/elles sont prêt·e·s à consentir.

Le « Pilotage » : mode de fonctionnement et de décision

Clarifier ce point est central : qu’est-ce qui relève de l’assemblée des membres, qu’est-ce qui relève d’un « bureau » ? Il faut construire un modèle qui rende compatibles deux nécessités : d’une part la nécessité fonctionnelle d’une capacité de décision opérationnelle et d’autre part, une démarche inclusive donnant aux membres des espaces de participation. Toutes sortes d’initiatives surgissent, dans le monde de la transition, qui innovent dans ce sens et que l’on qualifie généralement des intelligences collectives. [15]

La « Communication » : le nom, les slogans, la circulation des infos en interne et vers l’externe

La charge symbolique d’un nom n’est pas mince. On peut reprendre ici le conseil d’Eric Piolle sur base de l’expérience de Grenoble. Le nom ne doit pas dire qui vous êtes, mais ce que vous voulez. Le nom doit exprimer un projet auquel on adhère et non une identité à laquelle il faudrait s’affilier.

La circulation des infos et la disponibilité des documents de référence requièrent aussi attention, veillant au respect de la diversité des habitudes des un·e·s et des autres. (Mail, site web, blog, plate-formes électroniques, applis smartphone…)

Clarifier les procédures et modes de communication externe (qui peut parler au nom du mouvement…) est tout aussi important. Ce chapitre est aussi un espace d’investissement possible pour des membres, à concerter avec le pilotage.

  • Les liens avec le parti invitant : les relations avec le parti et ses structures

Ce dernier point n’est pas le moindre. Ecolo prenant l’initiative de l’ouverture, il est cohérent de lui laisser une place déterminante. Inversement, la crédibilité de cette ouverture nécessite de laisser à d’autres des espaces de participation, y compris au pilotage. Les inévitables réticences, voire contestations qu’une telle démarche peut faire surgir au sein même du groupe politique structuré qui a fait le pari de cette ouverture, doivent alors être incorporées comme des opportunités de perfectionner le cadre de la construction et les vigilances à activer. Une image peut ici éclairer cette posture : celle d’une association momentanée d’entreprises qui construisent un cadre de collaboration entre elles, malgré leurs différences, pour réaliser un chantier qu’aucune ne pourrait assumer seule.

Pour ne pas conclure

Quelques considérations, pour ne pas conclure et, pour l’essentiel, des questions pour aiguiser la réflexion autant que l’action…

Sur base de ses origines, telles que rappelées plus haut, les verts sont sans aucun doute crédible lorsqu’ils s’ouvrent, dans de bonnes conditions, à des listes citoyennes, crédible parce que cette ouverture est constitutive de son histoire. Il l’est en tout cas beaucoup plus que des tentatives bricolées, qui seraient initiées par les partis « traditionnels ». Mais cette crédibilité doit se traduire en comportements concrets et dans des manières de faire qui soient en cohérence avec cette ouverture déclarée.

Cette crédibilité se construit par une réelle attitude d’esprit d’ouverture ̶ce qui n’exclut pas la vigilance ̶ mais elle se manifeste aussi dans les manières de faire, dans les méthodes, les dispositifs…

Reprenons la question du pilotage de chacun de ces mouvements locaux. Le risque existe, pour le parti initiateur du rassemblement, de se sentir poussé à renoncer à son identité, par celles et ceux à qui il souhaite sincèrement s’ouvrir. Il y a lieu d’aborder résolument ce thème, et convenir, avec les partenaires, de balises à se donner pour placer le curseur au bon endroit entre la volonté d’ouverture, qu’il s’agit de concrétiser et la tout aussi nécessaire prise en compte des poids respectifs de partenaires réunis dans cette aventure, qualifiée plus haut d’association momentanée.

Dans le même esprit, il ne faut pas sous-estimer les inévitables alternances de rythme entre des phases d’enthousiasme suscitées par de tels rassemblements, qui peuvent fonctionner comme de véritables pompes aspirantes d’énergies positives et des phases de confrontation aux réalités de l’action collective, faites des décisions à prendre, d’engagements à tenir, de tâches à remplir… Ici, une vigilance toute particulière est à avoir concernant la cohabitation entre les membres de mouvements organisés, marathoniens de l’action politique, et des citoyen·e·s motivé·e·s, qui expérimentent cette confrontation aux réalités de l’action collective et qui risquent de vite se lasser.

Comme déjà mentionné plus haut, un apolitisme ou un antipolitisme larvé voire assumé existent dans une série d’initiatives de transition et citoyennes qui fleurissent ces dernières années. On l’a lu plus haut, ces initiatives semblent guidées par cette affirmation : « Faisons nous-mêmes, et à distance de la sphère politique, ce que les décideurs politiques sont incapables de mettre en place. » C’est là, pour les verts, un enjeu de première grandeur. Il importe de construire avec ces initiatives une relation qui se tienne à la distance adéquate (vouloir être trop près fera fuir, par crainte de récupération – vouloir se montrer trop distant risque de laisser s’étendre le fossé).

Il y a un corolaire à cela. De (nouvelles) générations de personnes investies dans les « alternatives », ont expérimenté des règles de fonctionnement et de prises de décision (cercles, consentement, élection sans candidat, forums ouverts, …) qui sont assez différentes de ce qui prévaut dans les partis « traditionnels ». Débats houleux, ténors envahissants, motions, amendements, vote à la majorité contre opposition… sont aux antipodes de leurs pratiques. Une volonté d’ouverture qu’afficherait Ecolo doit aller de pair avec une réflexion en profondeur sur ses pratiques de fonctionnement et de décision. Oser franchir le pas d’expérimenter ces autres formes de gestion des assemblées est une des conditions à remplir pour être crédibles auprès de ces personnes qui, à tout le moins, ont été socialisées à d’autres pratiques de l’action et de la décision collectives.

Formulons autrement ce point. La moyenne d’âge dans les réunions, l’austérité des thèmes mis aux ordres du jour, la très inégale distribution des prises de parole entre les un·e·s et les autres… sont autant de repoussoirs à l’engagement de nouvelles personnes, qui attendent des réunions plus de dynamisme, de créativité, de circulation de la parole… et qui attentent aussi d’autres lieux que des réunions comme terrain d’investissement…

Il s’agit aussi de rester lucides quant aux formes de participation dont seraient demandeurs les « citoyen·ne·s. » Souhaitent-ils être entendus, écoutés, considérés, pris en compte… ? Ou souhaitent-ils s’engager davantage dans des espaces de participation, qui nécessitent alors des efforts, pour s’informer, y consacrer du temps, pour entrer dans la complexité des choses… Selon la manière dont on répond à ces questions, les dispositifs à mettre en place devrons présenter des formes différentes.

Dans les pages qui précèdent, l’insistance se faisait sur la complexité croissante des problèmes à affronter, y compris au niveau communal. Face à cette complexité, il faut avoir cette conviction : personne ne peut avoir raison tout seul… Les lignes à tenir pour les actions correctrices qui s’imposent seront adéquates si elles sont issues de la confrontation constructive de divers points de vue, comme les différentes expertises scientifiques, (« dures » et « molles »), les techniciens, les juristes, les politiques et les citoyen·ne·s, qui seront d’autant plus enclin·e·s à participer à la mise en œuvre de ces mesures qu’ils et elles auront été associé·e·s aux analyses et à l’élaboration des mesures en question. Les expériences de listes citoyennes sont, pour les verts, l’occasion de s’immerger concrètement dans de tels laboratoires de renouveau de l’action politique, dans des formes à la hauteur des défis du temps.

Se lancer dans l’aventure de la construction d’une liste citoyenne peut représenter, pour un groupe local, une réelle opportunité de redynamisation. Ce peut être l’occasion de reprendre un contact personnalisé avec des membres plus ou moins éloignés de la vie de la locale des dernières années, pour les associer à cette dynamique et incorporer leur expérience dans les ingrédients de la recette. Le défi est alors de bien placer cette expérience et cette vigilance au service de la dynamique nouvelle et non d’en faire un éteignoir des enthousiasmes.

On terminera par cette métaphore biologique : le double mouvement de la respiration. A des échelles de temps variables, on peut voir l’action politique comme une alternance de structuration, de formalisation, de professionnalisation, au service de l’efficacité… et d’ouverture, de foisonnement, d’innovation, au service du renouvellement… « Ce qui ne se renouvelle pas dégénère », dirait-on en évoquant le sort des cellules d’un organisme vivant. [16]

On évoque ainsi l’entropie, un principe de l’archipel épistémologique de la complexité, chère à Edgar Morin [17] et son indispensable corollaire : la néguentropie. Comme souligné plus haut, un des rôles historiques d’Ecolo est de faire advenir, dans l’agenda politique, des thèmes qui avaient jusqu’alors été négligés. Une des conditions à remplir, pour qu’Ecolo continue à jouer ce rôle, est de ne jamais cesser de s’irriguer lui-même aux nouvelles questions qui traversent nos sociétés et auprès des acteurs émergents qui tentent de les prendre en charge. Pensées dans cet état d’esprit, les listes citoyennes ont un rôle non négligeable à jouer.

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[1C’est à Achille Van Acker que l’on prête cette boutade : « J’agis, ensuite je réfléchis » – S’il prend ici le contre-pied de l’arrogant et rationaliste slogan : « Réfléchir avant d’agir », il plaide surtout pour une intégration de l’action et de la réflexion, selon ce que Gramsci appelle « la praxis », c-à-d une action qui se reconnaît elle-même comme pratique, par la théorie qui en découle. En toute modestie, cette note s’en veut une illustration. Elle développe un schéma d’exposé réalisé en août 2017, dans le cadre d’un atelier qui s’est tenu aux Rencontres Ecologiques d’Eté et elle reste bien sûr un travail en évolution, daté et situé.

[2A titre d’illustration, un article publié dans la livraison de juillet de cette année de la Revue Nouvelle :

POURTOIS H., PITSEYS J., « La démocratie participative en question », RN N°7/2017. Pages 30-35

[3

On lira avec intérêt une toute récente livraison du Courrier Hebdomadaire du CRISP. « Le G1000 : une expérience citoyenne de démocratie délibérative »,C.H. n° 2344-2345, M. Reuchamps, D. Caluwaerts, J. Dodeigne, V. Jacquet, J. Moskovic, S. Devillers, 102 p., 2017

[4C’est spécifiquement ce que souligne l’ouvrage que Benoît LECHAT a rédigé sur l’histoire d’Ecolo.

LECHAT Benoît, (2014), « Ecolo, la démocratie comme projet », Tome 1 : 1970-1986, du fédéralisme à l’écologie, Etopia, Namur.

[5La lutte des idées a été perdue par les « progressistes », dit-on parfois. Le quotidien suisse « Le Temps » tirait récemment (11 août 2017) : « Les super-riches bouleversent le marché des idées ». Cet article présentait la sortie d’un ouvrage de politique internationale, rédigé par un chercheur américain, Daniel Drezner, intitulé : « The Ideas Industry », Oxford, 2017.

Presqu’en contrepoint, on pointera le récent ouvrage de Cyril LEMIEUX et Bruno KARSENTI : « Socialisme et sociologie », EHSS, 2017. Ce livre plaide, entre autres, pour renouer les liens historiques entre les « progressistes » et les sciences sociales.

[7Selon l’expression de Guy Bajoit. Voir notamment : BAJOIT Guy, (2003), « Le changement social », Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Armand Colin, Paris.

[8On se souviendra de l’affirmation de Patrick Le Lay, PDG de TF1, expliquant que la mission d’une chaîne de télévision et de « vendre aux annonceurs publicitaires du temps de cerveau disponible »

[9On se souviendra ici de ce « slogan » des Etats-Généraux de l’Ecologie Politique, en 1996 : « resocialiser la politique – repolitiser la société… ».

[10Cyril DION et Mélanie LAURENT, 2015.

[11On lira avec attention cet article sur un sujet pointu :

MAEZAUD Mazeaud, TALPIN Julien, (2010), « Participer pour quoi faire ? Esquisse d’une sociologie de l’engagement dans les budgets participatifs », Sociologie, 2010/3 (Vol. 1), p. 357-374. DOI 10.3917/socio.003.0357

[12CASTEL Robert, (1995), « Les métamorphoses de la question sociale », une chronique du salariat, Fayard.

[13Au premier rang desquels on placera la personnalisation…

[14Imagine – Demain le Monde, juillet-août 2017 / N°122. Pages 51-53

[15L’ouvrage de référence de Rob Hopkins insiste sur cette dimension.

HOPKINS Rob, (2010), « Manuel de transition, de la dépendance au pétrole à la résilience locale », Ecosociété, Eds, Montréal. Voir aussi :

CHAPELLE Gauthier et al., (2014), « L’Intelligence collective, Créons, en conscience, le monde de demain », Yves Michel, Gap.

[16Ce mécanisme a été bien analysé, voici un siècle, par un sociologue ayant étudié l’institutionnalisation du parti socialiste allemand,
ce qu’il appelle « la loi d’airain de l’oligarchie ». Un classique.

MICHELS, Robert, (1914), « Les Partis politiques, Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties », Paris, Flammarion.

[17Sur les rapports entre cette épistémologie de la complexité et l’écologie politique, on lira avec intérêt : PIROTTON Gérard (2005/18), « Introduction à la systémique ». Etopia – Analyse.

Accessible à l’adresse suivante : https://www.etopia.be/spip.php?article310

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