La forêt revêt une importance particulière en Afrique Centrale. En plus d’être un espace de vie et de ravitaillement (ramassage, cueillette, plante médicinales naturelles, espace agricole…), elle a une dimension culturelle et traditionnelle (rites traditionnels) très forte. Ces différentes fonctions offrent aux forêts en Afrique Centrale un statut particulier concernant l’organisation de leurs gestions. Déjà parce que l’utilité de la forêt est commune ensuite parce qu’elle offre généreusement ses fruits, aucun droit de propriété privée ne s’y exerce directement. Par le passé, un mode de gestion coutumière régissait leur gestion. Par la suite, les États se sont lancés dans leur exploitation. En plus de leurs fonctions culturelles, sociales, les forêts représentent désormais une fonction économique pour les pays concernés. Surtout, elles marquent la démultiplication des acteurs dans ce milieu, avec des pratiques, des logiques et des comportement souvent antagonistes. Avec la dérive de la déforestation tant sur les plans écologiques que socioculturels et économiques, les Nations Unies lors de la Conférence de Rio en 1992, ont émis des souhaits et principes de conservation des espèces de la faune et de la flore, ainsi que les préventions en matières de changement climatique. De nombreux autres textes et conventions suivront par la suite.
Des conventions — elles-mêmes transposées dans les droits nationaux des États de l’Afrique Centrale, et partant du constat que l’utilisation des forêts est commune — ont prévu des mécanismes de participation à la gestion des forêts. Cette participation peut aussi bien être « passive » [1] que « active » [2]. Le terme utilisé par la FAO [3] est celui de « foresterie communautaire ». Il sert à qualifier toute forme d’implication des populations locales dans les activités forestières [4]. En effet, la foresterie communautaire rassemble les objectifs selon lesquels les responsabilités de la gestion locale des ressources forestières sont transférées de l’État vers les acteurs locaux. Ces acteurs bénéficient de l’aménagement en termes d’accès à des ressources économiques, ils assurent le contrôle des ressources, et l’approche se donne pour objectif d’atteindre une gestion écologiquement durable. On est là en présence d’une mode de gestion en commun prôné par E. Ostrom. Pour elle, l’idéal de la gestion forestière est de se poser à mi-chemin entre régulation étatique et gestion privée par les acteurs locaux, la puissance publique intervenant sur les questions d’ordre national comme par exemple la réglementation des activités forestières via l’élaboration du code forestier, et les acteurs locaux tels les communautés autochtones se voyant attribuer la gouvernance locale des espaces forestiers via la constitution de groupements et d’institutions locales supposées représentatives et démocratiques [5]. Il s’agit de la gestion participative [6]. Elle est celle qui intègre tous les acteurs et les usagers de la forêt. Gestion participative est un concept générique, initié dès les années 1970, [qui] s’est surtout développé dans la première moitié des années 1980. Il est apparu corrélativement aux critiques de l’intervention de l’État classique en forêt (police des usages, déresponsabilisation des acteurs locaux). Par la participation, il s’agit d’associer les intéressés aux décisions les concernant, ce qui doit amener à une responsabilisation des acteurs locaux plus « conscientisés », et qui devrait normalement conduire au moins le pense-t-on à des pratiques assurant la durabilité. La forêt est alors dite communautaire [7]. Cette notion a été introduite au Cameroun par la loi de 1994, puis repris dans les lois forestières en Guinée équatoriale, au Gabon, en République Centrafricaine (RCA) et au Tchad. Il a été remodelé en République Démocratique du Congo (RDC) en « forêt de communauté locale » [8].
En Afrique Centrale, on s’imagine parfois que les règles ne sont contraignantes que pour les sujets. Si la gestion des forêts s’est toujours fait par les communautés, ce depuis bien des décennies déjà, elle a été institutionnalisée dans les années 1990. C’est à cette époque que surgit pour la première fois dans les textes réglementaires la notion de gestion participative des forêts en Afrique centrale. La conférence des Nations unies en 1992 [9] à Rio a mis un accent sur ce mode de gestion, dans le but de renforcer le développement durable. De même, les pays de la sous-région Afrique Centrale ont transposés dans les textes nationaux des conventions internationales pour faciliter les échanges entre les différents usagers des forêts. Tel est le cas par exemple du CEFDHAC (Conférence sur les écosystèmes de forêts denses et humides d’Afrique centrale ), du PFCB (Partenariat pour les forêts du bassin du Congo), et de bien d’autres commele GDF, le FLEGT, le REDD+ [10]. On observe à cet effet que l’implication des populations locales et autochtones, celles qui vivent essentiellement de la forêt et des populations qui vivent tout autour crée une sorte de cogestion entre communautés locales, autorités étatiques et exploitants forestiers. Tout ceux ci participent à la gestion durable des forêts, sous forme d’un mécanisme de propositions des différents acteurs qui donnent lieu le plus souvent à des négociations entre ces différentes parties.
La participation à la gestion de la forêt peut se faire de plusieurs façons : généralement elle varie du simple partage de l’information à travers les campagnes de sensibilisation et de consultation, au transfert de pouvoirs et de responsabilités de gestion d’un espace donné aux communautés locales, en passant par le partage de responsabilités entre les différents acteurs, tels que le gestionnaire de l’aire protégée ou de la concession forestière et les populations riveraines. Ici, la communication privilégiée est celle du type émetteur-récepteur en ce qui concerne les opérations de sensibilisation. Au Cameroun par exemple, les populations locales qui souhaitent participer à la gestion d’une partie des forêts peuvent se constituer en communauté [11], c’est-à-dire se faire représenter par un groupe d’individus regroupés au sein d’une structure de gestion ayant des statuts reconnus juridiquement. Ces communautés peuvent prendre diverses formes : associations, groupes d’initiatives communes ou coopératives, afin de pouvoir se voir attribuer la gestion d’une partie de la forêt selon plusieurs autres modalités.
Cependant et malgré toutes ces dispositions, cette gestion collective des ressources forestières peut être des fois considérée comme inefficace, car elle fait face dans la pratique à plusieurs maux, notamment la difficulté dans la redistribution des droits [12], suivant les unités sociales (individus, familles, lignages, villages), ou encore l’affectation des terres. En effet on observe une multitude de communautés qui le plus souvent sont en désaccord avec cela. Il n’est pas évident de concilier à la fois la coutume et la gestion collective, même si le plus souvent des tentatives de compromis sont recherchés. Ces difficultés de mise en œuvre de la gestion collective subsiste encore plus quand il s’agit du partage des rentes forestières. Il est donc difficile dans un contexte purement coutumier de mettre en œuvre la gestion collective car la coutume aura tendance à primer [13].
La gestion collective pose également le problème de conflits de proximité des terroirs coutumiers. En effet les communautés qui gèrent souvent les forêts ne se mettent pas toujours d’accord. Cette situation reflète la complexité des groupements communautaires qui sont souvent de diverses localités, d’où les difficultés car liées au brassage culturels et ethniques qui caractérisent cette sous-région. C’est donc dire que “les relations entre plusieurs ethnies restent ambiguës : tantôt conviviales, tantôt conflictuelles. Le mécanisme de gestion communautaire, conçu sur le regroupement des ayants droit, quelles que soient leurs origines lignagères, ethniques et claniques, afin d’officialiser une communauté locale, contraint les chefs coutumiers à se conformer à une sorte de formalisme par appât du gain et porte les germes de l’inefficacité de ces organisations qui, pourtant, devaient refléter une réelle « démocratie participative » [14]. Cette dimension culturelle n’est pas la seule entrave à l’effectivité de la gestion collective des ressources collectives : les questions de gouvernance font aussi l’objet de dénonciations.
En décrivant la gestion des forêts dans cette partie de l’Afrique, il est mis en lumière des aspects importants qui relèvent d’une organisation souvent spontanée, parfois informelle, dans laquelle la gestion participative met en tension à la fois les catégories d’acteurs, mais aussi les pratiques et usages. On remarque d’emblée les lacunes que la spontanéité de la démarche de ceux qui considèrent la forêt comme un bien coutumier peut soulever, étant entendu qu’il existe des normes qui régissent la gestion desdites forêts. De même, les droits et prérogatives acquis par les textes réglementaires ont du mal à prendre en compte les droits ’naturels’ ou ’acquis’ des riverains (Joiris et al, 2016). D’ailleurs ces derniers dénoncent en Afrique Centrale ce mode de gestion qu’ils considèrent comme à la fois ’anti participatif’, ’top-down et dirigiste’, vecteur d’’insécurité foncière’, et promoteur d’un cadre juridique ’insuffisamment élaboré’. Finalement et contrairement au but visé, des problèmes de gouvernance se posent. Dans toute cette cacophonie, au lieu de s’arrêter à la description des faits, et à l’énumération des lacunes, au lieu même de proposer des solutions qui restent toutes lacunaires, il est important d’oser le pari de discuter, dans ce cadre, du rapport des usagers à la norme et à la règle. Ce préalable est fondamental si on veut réellement comprendre ce qui se joue dans ces espaces entre différents acteurs. Une communication qui évoque alors cette analyse permettra de compléter et d’enrichir la réflexion sur la gestion des forêts aussi bien en Afrique Centrale qu’en Wallonie.
Bibliographie sélective
Daou Véronique Joiris, Patrice Bigombe Logo et Séverin Cécile Abega (†), (1960), « La gestion participative des forêts en Afrique centrale », Revue d’ethnoécologie [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://ethnoecologie.revues.org/1960 ; DOI : 10.4000/ ethnoecologie.
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[1] une « consultation » permet de recueillir les avis des intéressés, mais sans que cela ne change en rien la façon dont la décision est prise, celle-ci restant du ressort de la seule autorité publique qui par ailleurs n’a pas à s’expliquer sur les raisons de ses choix. La gestion inclusive des forêts d’Afrique centrale, Dan Rugabira, Robert Nasi,2016 FAO et CIFOR
[2] La négociation des décisions à laquelle elle conduit donne certes aux parties prenantes la possibilité de peser de façon transparente et argumentée dans les choix discutés en commun. La gestion inclusive des forêts d’Afrique centrale, Dan Rugabira, Robert Nasi,2016 FAO et CIFOR.
[3]
[4] La gestion inclusive des forêts d’Afrique centrale, Dan Rugabira, Robert Nasi,2016 FAO et CIFOR.
[6] L’association des acteurs à la politique et la gestion des forêts, Gérard Buttoud et Jean-Claude Nguinguiri 2016 FAO et CIFOR.
[7] Actes de l’atelier international sur la foresterie communautaire en Afrique, FAO 2000.
[8] FAO et CIFOR (Centre de recherche forestière internationale), 2016.
[9] Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement Rio de Janeiro, Brésil 3-14 juin 1992. In Principes de gestion des forêts,Textes fondateurs de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement : ou « Déclaration sur la forêt », PDF,18 pages.
[10] L’association des acteurs à la politique et la gestion des forêts, Gérard Buttoud et Jean-Claude Nguinguiri 2016 FAO et CIFOR.
[11] L’association des acteurs à la politique et la gestion des forêts, Gérard Buttoud et Jean-Claude Nguinguiri 2016 FAO et CIFOR
[12] La participation dans les forêts communautaires du Sud-Cameroun, Théophile Bouk, CIFOR 2016.
[13] La participation dans les forêts communautaires du Sud-Cameroun, Théophile Bouk, CIFOR 2016.
[14] Rosanvallon (2011).