Un enjeu essentiel pour re-légitimer nos institutions de santé !

Historique de nos travaux

Le 20 janvier dernier, dans le cadre des rencontres de l’Ecologie politique, nous organisions un colloque sur le thème : comment renforcer l’indépendance de l’expertise en santé publique, et en conséquence celle des décisions prises sur la base de cette expertise ?

Cette initiative faisait suite aux fréquentes remises en cause de l’indépendance des comités d’experts en santé publique, tant au sujet de substances dangereuses pour la santé, qu’au sujet de médicaments. L’affaire de la grippe AH1N1 où il a pu être démontré que l’OMS elle-même était manipulée dans la définition de la pandémie et où les Etats ont parfois conclu des contrats d’achat de vaccins dans une précipitation peu pertinente, a secoué les institutions internationales. L’autorité européenne pour la sécurité alimentaire (EFSA) a également été sous le feu des projecteurs suite aux conflits d’intérêt de certains de ses experts en matière d’OGM.

L’affaire du Mediator et du laboratoire Servier a récemment fait bouger la France qui a réformé ses institutions de santé. L’Inspection générale des Affaires sociales suggérait dans un rapport en juin 2011 sur la réorganisation de la chaîne du médicament : « la pharmacovigilance doit changer de paradigme », ce qui signifie, entre autres, ne plus attendre la certitude scientifique sur un effet négatif pour retirer un médicament du marché, et d’autre part développer une expertise interne au pouvoir public pour ne plus avoir constamment à gérer des conflits d’intérêts.

En Belgique, nous avons été confrontés également à des décisions entachées de conflits d’intérêts au sujet du vaccin HPV préconisé comme prévention du cancer du col de l’utérus. La polémique continue quant à la nécessité de faire vacciner massivement les jeunes filles. Lors de la dite « pandémie » de grippe AH1N1, le journaliste David Leloup a démontré le caractère léonin du contrat entre l’Etat belge et GSK pour la fourniture de 12 millions de vaccins et que les experts ayant rendu l’avis en faveur de la vaccination avaient également des conflits d’intérêt. (cfr enquête de David Leloup, publiée par le Soir en avril 2010). Pour rappel, seuls 1,2 millions de vaccins ont été utilisés. L’Etat belge a du payer pour 8 millions de doses, une somme tournant autour de 80 millions d’euros.

Aujourd’hui, nous discutons à la Chambre sur la pertinence d’interdire le bisphénol A dans les emballages alimentaires et à nouveau, malgré la nature fondamentale des risques sanitaires, la Belgique peine à s’engager dans une interdiction, tiraillée entre l’avis « conservateur » de l’EFSA et l’avis plus alarmant de l’ANSES française.

Ces différentes crises et polémiques provoquent l’inquiétude dans l’opinion publique et une remise en cause de la légitimité des institutions de santé. Cela n’est pas souhaitable et pourtant, il faut dénoncer les failles du système.

Par ailleurs, assurant le suivi des nombreuses alertes lancées au sujet de nombreuses substances chimiques comme au niveau des rayonnements électro-magnétiques ou au niveau de la sécurité alimentaire, nous avons considéré indispensable de remonter en amont de ces évaluations et discussions sur le risque sanitaire et de nous pencher sur la façon dont les décisions étaient basées scientifiquement et portées par les experts scientifiques jusqu’à la prise de décision politique.

La première initiative fut prise à la Chambre en obtenant des auditions en Commission de la Santé publique sur la gestion des conflits d’intérêt. Ces auditions ont eu lieu en juin 2011 et ont permis aux députés d’écouter les représentants des plus importantes institutions de santé belges sur leur pratique des déclarations d’intérêts et de gestion des conflits d’intérêts. Le rapport de ces auditions est publié sur le site de la Chambre.

Il en ressort que chacune des institutions auditionnées (INAMI, KCE – centre d’expertise, Conseil supérieur de la santé, Agence fédérale des Médicaments, …) fonctionne à sa façon et a ses propres règles en matière de déclarations d’intérêt. Ainsi dans la commission de remboursement des médicaments de l’INAMI, alors même que les déclarations de conflits d’intérêt sont déposées, l’abstention du débat est plutôt rare en cas de conflit d’intérêt. «  Jusqu’à présent personne n’a quitté la salle de réunion au moment du vote sur le dossier. Personne n’a été démis en cas de violation du règlement d’ordre intérieur »[[ Audition sur l’indépendance des experts médicaux ; Rapport fait au nom de la Commission de la santé publique, de l’environnement et du renouveau de la société ; 7 et 21 juin 2011

]]. On peut se demander à quoi servent dès lors les déclarations d’intérêt demandées aux experts, d’autant plus qu’elles ne sont pas publiques. Dans les autres institutions auditionnées, le conflit d’intérêts est géré au cas par cas. Il ressort des auditions que les dirigeants auditionnés pensent qu’il est impossible d’éviter l’existence de ces conflits d’intérêts, car l’expertise est inévitablement acquise grâce à des contacts ou études faites avec le secteur privé (essentiellement pharmaceutique). Le directeur du KCE estime qu’il faut distinguer deux niveaux dans la remise d’un avis au pouvoir politique : la phase d’évaluation qui s’appuie sur les études factuelles « evidence based », et qui est réalisée par des scientifiques ; puis la phase de décision, où les experts sont des « parties prenantes » et qui est donc plus une évaluation de l’intérêt sociétal d’un médicament, du remboursement d’un médicament ou de l’agrément d’une substance ou d’un procédé. Selon lui, la garantie de l’indépendance pour la première phase est assurée par l’absence de conflits d’intérêts, tandis que dans la deuxième phase, elle dépend d’une représentation équilibrée des choix de société. Nous reviendrons sur cette distinction intéressante dans nos propositions.

Enfin, il est ressorti de ces auditions qu’une harmonisation de la procédure de déclarations d’intérêt et de la gestion des conflits serait souhaitable. Selon nous ce serait un premier pas indispensable.

Michèle Rivasi, membre du Parlement européen, et auteur du rapport d’initiative du 9 février 2011 sur l’évaluation de la grippe AH1N1 a également été entendue par la Commission et a témoigné des conflits d’intérêts qu’elle a pu observer dans les institutions internationales comme l’OMS et l’EMEA. Elle a appelé à une plus grande transparence de ces institutions et à la représentation des intérêts des utilisateurs/usagers dans les comités d’experts.

Suite à ces auditions de la Commission de la Santé publique de la Chambre, et parce que nos partenaires politiques n’avaient pas voulu élargir l’analyse aux expériences étrangères et à certaines voix plus indépendantes, est venu le colloque du 20 janvier 2012.

Ce colloque visait, plus largement que la question des conflits d’intérêts, à se pencher sur l’ensemble du processus de l’élaboration des décisions en santé publique, à réaffirmer les balises déontologiques de l’expertise scientifique, et à améliorer les conditions et les procédures d’élaboration des avis qui vont guider l’autorité politique.

Ces questions s’appliquaient aux processus d’élaboration d’avis et de décision qui aboutissent à l’autorisation ou l’interdiction de substances présentant des risques pour la santé, à l’agrément de médicaments, au remboursement de ceux-ci, au choix de traitements thérapeutiques, préventifs, de dépistage, aux investissements dans la recherche épidémiologique… et à tout type d’avis remis aux autorités politiques de santé publique.

Plusieurs étapes et composantes de ces processus de décision ont été examinées :

•comment assurer l’indépendance de l’évaluation scientifique 

•comment élaborer les critères pertinents pour la formulation des avis

•comment composer les comités d’avis ou les instances de décisions

•comment gérer les conflits d’intérêt : déclaration, publicité, incompatibilités

•comment assurer la transparence du processus d’élaboration des avis et de décision

Cet article revient sur les principales analyses et réponses que le colloque du 20 janvier a apportées et en fait une synthèse.

La recherche scientifique sur l’évaluation des risques

« The science assessing risky products and substances has diverged into two strands: industry studies, which are more likely to find safety, and independent studies, which are more likely to find harm »

Selon John Fagan, de l’association Earth Open Source, les études sur l’évaluation des risques sont ainsi divisées en deux. Les études financées par l’industrie suivent ce qu’on appelle les « good laboratory practice »ou GLP et des standards fixés par l’OCDE. Selon Fagan, ceux-ci sont conçus pour répondre aux intérêts de l’économie et non de la santé publique. Ils ne sont pas plus rigoureux pour autant mais ne prennent pas en compte les incertitudes ni le long terme.

Il a donné l’exemple du bisphénol A pour lequel 94 études le déclarent dangereux, et 4 études l’estiment non dangereux (en lien avec la dose journalière estimée). C’est sur ces 4 études, faites selon les GLP, que se base l’EFSA pour déclarer qu’il n’est pas utile d’aller plus loin dans le bannissement de cette substance dans les emballages alimentaires.

Il est vrai que c’est le producteur qui réalise les tests en vue de l’agrément d’une substance ou du remboursement d’un médicament. Les données disponibles viennent de la partie intéressée par l’aspect commercial de l’innovation. Sous le prétexte du secret commercial, les données disponibles ne comprennent d’ailleurs pas toujours les tests qui se sont révélés négatifs. Les experts disposent donc d’une information de base qui est souvent orientée.

Cependant il est aussi évident que celui qui souhaite mettre une substance sur le marché doit financer ces études de risques. De plus il dispose indéniablement d’une expertise pointue qui est difficilement contestable.

Comment, dans ces conditions, éviter ce conflit d’intérêts initial ?

Reprenons la définition donnée par le professeur Denis Zmirou-Navier lors de notre colloque, de cette phase initiale :

L’évaluation du risque est l’activité consistant à rassembler et évaluer les données scientifiques sur le danger d’un agent présent dans les milieux de vie, d’un produit destiné à la consommation ou d’une procédure de soins, par exemple, ou sur le risque sanitaire lié à la qualité des milieux, à l’usage des produits ou la mise en œuvre de cette procédure, en vue de rendre ces informations utilisables par les différentes parties prenantes, et notamment par ces autorités en charge de la décision[[ Denis Zmirou-Navier, Université de Lorraine et Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Inserm U1085-IRSET, colloque REP 20 Janvier 2012

]].

S’il faut que le producteur fournisse les données (et toutes !) dont il dispose, l’évaluation du risque ne peut s’arrêter à examiner ce que le producteur fournit. Il s’agit d’assurer une évaluation plus large qui prenne en compte l’ensemble des recherches disponibles, l’état actualisé de la science, et puisse également poursuivre des tests plus pointus sur des effets négligés par le producteur (effets à faible dose, à long terme, effets cocktail issu de l’exposition multiple).

La solution qui a été proposée à plusieurs reprises dans nos débats est d’assurer un financement public plus élevé, et donc plus indépendant, à la recherche scientifique. Ce financement pourrait provenir des firmes productrices qui alimenteraient un fonds public de recherches, chargé alors de procéder à une vérification ou à une contre-expertise des données fournies par l’industrie. Il permettrait par exemple de financer publiquement des essais cliniques comparatifs permettant de situer de manière objective les médicaments dans les stratégies thérapeutiques, en termes de bénéfices et de risques. En matière de substances chimiques (pesticides, biocides, compléments alimentaires, …), il permettrait de financer, d’une part des tests à faibles doses, et d’autre part des recherches de méthodes alternatives moins coûteuses pour la santé et l’environnement. Idéalement un tel fonds doit pouvoir se trouver au niveau européen et se loger au sein d’une agence publique existante, mais pour autant qu’il aie l’indépendance nécessaire.

Ensuite, pour que les recherches indépendantes soient disponibles pour les experts appelés à rendre des avis , le « cahier des charges » des méthodes scientifiques prises en considération doit être élargi.

Enfin, la transparence des recherches effectuées par les firmes pharmaceutiques doit être améliorée ; il s’agirait de rendre obligatoire la publication des résultats complets de tous les essais cliniques effectués avant la demande d’agrément.

Le fonctionnement des comités d’experts et la gestion des conflits d’intérêt

Le stade suivant est de constituer et de faire travailler les comités d’avis qui vont procéder à l’évaluation finale du risque et ceux qui vont proposer une décision ou décider eux-mêmes dans certains cas. C’est là qu’interviennent non seulement des aspects méthodologiques de mise en débat et la question des conflits d’intérêts.

Tout d’abord, il s’agit d’apporter une définition forte des conflits d’intérêt, l’OCDE a défini en 2007 un conflit d’intérêts comme suit : « Conflict of interest occurs when an individual or a corporation (either private or governmental) is in a position to exploit his or their own professional or official capacity in some way for personal or corporate benefit. »

Selon cette définition, le simple fait d’être en position d’exploiter sa fonction officielle dans une agence à des fins personnelles ou industrielles, même si aucun acte inapproprié ou éthiquement incorrect n’en résulte, représente un conflit d’intérêts.[[ David Leloup, Candide au pays des conflits d’intérêts, colloque REP 20 janvier 2012

]]

Selon le Conseil de l’Europe, un conflit d’intérêt naît d’une situation dans laquelle un agent public, ou dans une mission pour le pouvoir public, a un intérêt personnel de nature à influencer ou paraître influencer sur l’exercice impartial de sa mission.

Enfin, le Conseil supérieur de la santé en Belgique présente une définition assez poussée du conflit d’intérêts:

« Par “conflit d’intérêt”, on entend la situation dans laquelle une personne associée à l’émission d’avis du CSS pourrait influencer les conclusions d’un avis pour en tirer un bénéfice, financier ou non financier (tel que l’acquisition d’une certaine influence), direct ou indirect. Celui-ci peut être, par exemple, des honoraires, des indemnités, la participation aux bénéfices, des marques d’hospitalité à l’égard de l’intéressé, mais également de sa famille ou de toute autre personne ayant un lien avec celui-ci. Il peut s’agir également de bénéfices destinés à l’organisation pour laquelle il travaille (p.ex. un service universitaire) ou à laquelle il est lié (p.ex. une association professionnelle) comme par exemple des bourses d’études, la prise en charge de la rémunération d’un membre du personnel, des subventions, une chaire d’enseignement, etc.

Il convient de souligner que des liens avec des personnes, des entreprises, des institutions, ou des groupements susceptibles d’être en concurrence avec celles visées par un avis déterminé peuvent également constituer un conflit d’intérêts.

Même s’il n’y a aucun acte préjudiciable, un conflit d’intérêts peut créer une apparence de partialité susceptible de miner la confiance en la capacité de cette personne à assumer sa responsabilité. »

La question suivante est de définir le niveau de gravité d’un conflit d’intérêts. Pour définir s’il est d’ordre majeur ou mineur, on peut se référer à deux sources :

L’AFFSAPS (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a établi une classification des risques de conflits d’intérêt avec des risques élevés ou des risques faibles, reposant sur trois critères :

•la prise en compte du caractère actuel ou passé des intérêts

•le degré d’implication de l’expert au sein de l’entreprise concernée par la procédure ( intérêts financiers dans une entreprise, salariat ou participation à un organe décisionnel, prestations régulières ou occasionnelle,

•les travaux effectués en relation avec le produit spécifique soumis à l’évaluation ou l’affaire traitée et la nature de ces liens.

Dans son livre, «  Pour en finir avec les conflits d’intérêts »[[ Paru chez Stock en octobre 2010

]], Martin Hirsch (conseiller d’Etat français) distingue des échelles de gravité et propose 4 catégories de conflits d’intérêts :

•la catégorie 1 : situations dans lesquelles les décisions prises vont avoir directement un impact sur le revenu ou le patrimoine du décideur.

•la catégorie 2 : situations où le lien est plus indirect et ne donne pas lieu à un avantage matériel

•la catégorie 3 : les situations où les avantages financiers ne concernent pas personnellement l’agent public, mais l’organisme auquel il appartient

•la catégorie 4 : les conflits d’intérêts qui n’ont aucune dimension financière, mais où la décision publique se verrait influencée par une amitié, un service rendu, une appartenance, …

Nous pensons que, s’inspirant de ces différentes définitions, il est utile que le concept soit défini et approprié au niveau belge par un organe qui soit au dessus de la mêlée. D’où les propositions suivantes.

Prenant en compte les auditions à la Commission Santé publique dont question ci-dessus et les apports du colloque du 20 janvier 2012, nous proposons de créer en Belgique un dispositif qui combine l’harmonisation et la régulation des conflits d’intérêts ; une proposition de loi a été déposée en ce début mai pour répondre à cet objectif. Elle vise la mise en place d’un registre national de l’expertise et d’un Conseil supérieur de l’expertise, couvrant les compétences du SPF Santé publique, environnement et sécurité de la chaîne alimentaire. Ce qui est recherché est que les organes institutionnels qui touchent à ces matières aient un modus operandi commun et transparent en vue de rétablir la crédibilité de tous. C’est l’option qui parait la plus raisonnable et la plus applicable.

Comment ?

Concrètement, une base de données serait créée sous forme d’un registre national de l’expertise. Celui-ci est hébergé par le SPF Santé publique sur un portail internet accessible à tous. Il contient les « portfolios » des experts scientifiques.

Le portfolio reprend non seulement un curriculum vitae, mais aussi une déclaration des liens d’intérêts qui ont lié ou lient toujours un scientifique à diverses instances. Il ne s’agit bel et bien que de liens sans qu’il n’y ait encore de conflit (cela dépendra de la donnée traitée). D’autre part une liste des domaines de compétences sera déposée, ce qui permettra d’une part de sélectionner les experts selon, entre autre, ce critère, mais aussi de différencier les domaines d’activités dans lesquels il y aura (ou non) des conflits.

Ces portfolios sont certifiés avoir été remplis ‘sur l’honneur’ et il ne peut donc a priori pas y avoir de fausses déclarations. Le cas d’omissions manifestes devra être aussi envisagé. Une révision régulière s’impose dès lors que nous sommes dans un monde en mouvement, et que l’expertise n’est qu’une partie du travail de tous ces gens qui travaillent par ailleurs. Une révision complète des portfolios devra être faite tous les cinq ans.

L’inscription d’un portfolio dans le registre central de l’expertise désignerait dès lors les seuls experts autorisés à siéger dans les conseils d’avis qui sont constitués. Si un expert n’y figure pas, ce n’est pas à priori un problème, il lui suffit de s’inscrire dans le mécanisme décrit dans la loi, de déposer au sein du CSE un portfolio en bon et due forme. Il n’y a donc à ce stade pas de numerus clausus.

Quand l’autorité politique compétente sollicite un avis scientifique, elle doit faire appel à des experts inscrits dans le registre.

Une deuxième partie de la proposition de loi déposée concerne l’établissement d’un Conseil supérieur de l’expertise. Celui-ci aurait pour mandats principaux :

•Enoncer, faire évoluer et vérifier l’application des principes directeurs de la déontologie de l’expertise scientifique et technique par les institutions chargées des expertises institutionnelles en matière sanitaire et environnementale,

•Etablir une classification des conflits d’intérêts selon leur gravité en prenant notamment en compte les critères suivants :

 la prise en compte du caractère actuel ou passé des intérêts

 le degré d’implication de l’expert au sein de l’entreprise concernée par la procédure (intérêts financiers dans une entreprise, salariat ou participation à un organe décisionnel, prestations régulières ou occasionnelle,…)

 les travaux effectués en relation avec le produit spécifique soumis à l’évaluation ou l’affaire traitée et la nature de ces liens

•Contrôler le bon respect de la procédure de composition des comités d’avis et l’application des régles établies par la proposition de loi.

•Jouer le rôle de conseil et/ou d’arbitre dans le cadre de cas manifestement litigieux 

Il remet en outre des avis quant à la bonne gestion et application des procédures au sein du registre.

Le CSE serait composé de 10 personnalité scientifiques, nommées « par le Roi » (donc par le gouvernement) issues de différentes disciplines, dont l’ancienneté et la renommée permettent une indépendance maximale.

Ils ne peuvent avoir aucun conflit d’intérêts avec les entreprises privées ou les laboratoires de recherche. Ils doivent eux-mêmes suivre la procédure de dépôt de portfolios dans le registre du SPF.

La troisième partie de la proposition de loi instaure une obligation de transparence sur la composition des comités d’avis, sur le contenu des avis et y compris sur les avis de minorité éventuels. Ces données seraient accessibles au public sur le site internet qui héberge le registre national de l’expertise, ou via des liens à partir de celui-ci[[Voir le texte de la proposition sur le site de la Chambre : http://www.lachambre.be/kvvcr/showpage.cfm?section=flwb&language=fr&cfm=/site/wwwcfm/flwb/flwbn.cfm?dossierID=2199&legislat=53&inst=K

]].

Sur la place des partenaires sociaux et de l’expertise citoyenne

Faut il associer les citoyens et les partenaires sociaux, défenseurs d’intérêts collectifs ou marchands à l’élaboration des avis ? Du côté des associations, on est demandeur ; mais alors, peut on parler d’expertise scientifique ? Il nous semble essentiel d’éviter la confusion, même si nous savons que la science n’émane pas de purs esprits et que des parties « intéressées » peuvent disposer d’une grande expertise scientifique.

Extrait de l’avis du KCE no 147 sur le fonctionnement de la Commission de Remboursement des Médicaments :

La composition du comité d’experts varie d’un pays à l’autre. Nous distinguons deux modèles principaux: le modèle délibératif (Autriche et Belgique) et le modèle évaluatif (France, Pays-Bas et Suède). La différence fondamentale entre ces deux modèles réside dans la composition du comité d’experts qui conseille le décideur final.

Dans le modèle délibératif, les principales parties intéressées sont représentées dans le comité d’experts, tandis que dans le modèle évaluatif, ce comité est composé essentiellement d’experts scientifiques. La représentation équilibrée des préférences sociétales est de la plus haute importance. Ceci peut être garanti soit via une composition équilibrée des parties intéressées siégeant dans le comité soit via une consultation systématique de celles-ci par le comité d’experts. En Belgique et en France, les représentants du secteur pharmaceutique participent aux discussions au sein du comité d’experts. Ils sont présents durant le vote des propositions, qui se fait à main levée, mais n’ont pas le droit de vote.

Pour sortir par le haut du dilemme entre ces deux modèles, on peut distinguer le type d’avis sollicité.

C’est ce que le professeur Denis Zmirou-Navier ( INSERM) appelle l’analyse du risque, à distinguer de l’évaluation du risque définie plus haut.

L’analyse du risque se situe en aval de l’évaluation du risque. Elle est définie comme le champ de l’étude des différentes options – techniques, réglementaires, économiques, action sur les comportements etc – qui se présentent pour maîtriser un risque identifié, et implique une évaluation des efficacités attendues, des contraintes et des coûts de divers ordres associés à ces options, ainsi qu’une évaluation des réactions des acteurs pouvant découler des mesures de gestion prises. L’analyse du risque a pour fonction d’éclairer les autorités en charge des décisions visant à gérer ce risque, autorités qui auront à arbitrer entre différents avantages et inconvénients, c’est-à-dire entre ceux qui gagneront et ceux qui perdront une part de liberté, de revenu, de qualité de vie, voire d’espérance de vie, exercice politique par excellence.

Evaluation et analyse du risque sont en interaction constante mais la distinction est essentielle car les « experts » compétents dans les deux situations sont différents. La place des diverses parties prenantes y est également différente ainsi que les conditions qui assureront « l’indépendance » de l’expertise. Il s’agit de rendre clair qui est responsable de quoi afin que chacun ait à rendre compte, dans un contexte ou l’incertitude est très souvent présente.[[ Exposé du professeur Denis Zmirou-Navier,Université de Lorraine et Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Inserm U1085-IRSET, colloque REP 20 janvier 2012.

]]

En effet, jusqu’à présent nous n’avons abordé que le point du vue scientifique de l’avis. Outre cet aspect des choses, et comme décrit plus haut, d’autres formes d’avis sont susceptibles d’être demandés. Il s’agit alors de l’avis des acteurs de terrain ( associations de patients, de promotion de la santé, d’environnement, mutuelles, industrie pharma, …), en un mot des « stakeholders ».

Ce double moment de l’expertise se retrouve également dans le même rapport du KCE :

•« La première phase est celle de l’Evaluation (« Assessment »). Cette phase est strictement descriptive et a pour but de quantifier les impacts cliniques, pharmacothérapeutiques et pharmacoéconomiques du médicament, en comparaison avec ses alternatives. Le rapport d’évaluation est élaboré par des experts internes de l’INAMI.

•La seconde étape, baptisée phase d’appréciation (« Appraisal »), cherche à évaluer la plus-value sociétale du médicament en pondérant tous les critères de décision pertinents c.à.d non seulement les critères d’évaluation de la première phase mais aussi d’autres paramètres sociétaux. »

Distinguer ces deux étapes pourrait clarifier le rôle de chacun et améliorer la qualité des avis donnés à l’autorité politique et donner une plus grande légitimité à sa décision et à l’information fournie à la population.

Nous souhaitons donc instaurer la possibilité pour les autorités compétentes de demander non seulement un avis scientifique mais aussi un avis sur « l’intérêt sociétal » d’une autorisation, d’une décision de remboursement, de traitement, …

Le Ministre pourrait ou devrait dans certains cas, demander un avis d’opportunité sociétale, et dans ce cas, au lieu de rechercher l’indépendance, les comités devront être réglés de façon à ce que l’ensemble des intérêts soit parti prenantes des débats. Ceux-ci doivent être connus, rendus publics et les avis motivés. C’est en quelques sorte un modèle de concertation élargie qui est appliqué ici pour des matières qui ont trait à la santé, dans son sens le plus large.

Le rôle des firmes pharmaceutiques dans la formation des professionnels

« L’implication des firmes lors de la formation médicale continue est transparente (stands publicitaires et présence de délégués lors des réunions) mais également beaucoup moins transparente, avec une stratégie des firmes bien orchestrée, en sous-main souvent.

Une plus grande transparence est indispensable et des solutions peuvent être proposées pour limiter l’influence de conflits d’intérêt potentiels sur l’information scientifique liée aux médicaments….

….par une minimisation des influences directes de la sponsorisation sur la formation professionnelle, par une labellisation des activités de formation continue, par le soutien d’une information pharmaco thérapeutique indépendante des firmes ».[[ Dr Pierre Chevalier, médecin généraliste, président du GRAS asbl, expert INAMI, colloque REP 20 janvier 2012

]]

Le Docteur Pierre Chevalier s’exprimait en ces termes au colloque du 20 janvier dernier. Dans ce domaine de la formation, il y a encore beaucoup à faire pour améliorer l’indépendance du savoir dispensé, tant dans les formations initiales que dans les formations continues.

Les soins de santé et les systèmes de soins vont de plus en plus vers une commercialisation des services[[ Rapport 2008 de l’OMS : primary health care now more than ever.

]]. Et ceci s’applique à tous les endroits du système de santé, dans l’apprentissage, dans les années post-graduées et plus encore lors de l’entrée sur le marché des professionnels.

Très tôt les professionnels sont abordés par les délégués pharmaceutiques par exemple. Ainsi des étudiants en troisième et quatrième master de médecine sont noyés d’informations partiales, entachées de contre-vérités scientifiques, avec des graphiques biaisés, des chiffres arrangés, des « sourires embêtés ».

Mais c’est ainsi, nombre de services sont subsidiés tout ou en partie par des firmes qui font des études. C’est donnant donnant, mais malheureusement le win-win dans ce domaine n’est pas possible. Ce sont de véritables lois de marchés qui règlent la partition. La musique sonne faux et tout le monde applaudit. Car s’il est vrai qu’il faudrait interdire ces symbioses nuisibles, il faudrait aussi trouver d’autres moyens d’assurer, avec des fonds publics, et la survie de ces services qui essaient de bien faire leur boulot et la recherche indépendante au service du plus grand nombre..

Combien de fois ne voit-on pas des académiques poser dans des revues pour présenter les résultats (souvent incroyables) de nouvelles molécules ? Celles-ci passée à la loupe du magazine ‘Prescrire’ prennent bien souvent la voie de nouveautés ‘non-innovantes’. Les plus values actuelles sont de plus en plus faibles, de plus en plus controversées.

Les conférences en formation continuée sont sponsorisées, de même que les voyages d’apprentissages vers la Turquie ou le Maroc. A-t-on besoin d’aller si loin pour apprendre à pratiquer la mésothérapie ? 

On voit donc que les marchands des soins de santé ont une approche très variée. Et c’est à ce titre qu’il s’agit d’un réel problème sociétal. Nul n’est épargné, et les combats doivent sans doute avoir lieu à tous ces niveaux. Mais pour cela il faudra avant tout que ces mannes d’argent qui sont du domaine privé puissent revenir aux mains de ceux qui en ont le plus besoin, dans un système qui se veut avant tout solidaire du plus grand nombre, dans le domaine public. On n’arrivera jamais, sans ce processus, à contrôler ces puissances qui, d’un point de vue financier, sont parfois équivalentes aux ressources de plusieurs Etats réunis.

On voit néanmoins de plus en plus de cours se donner au départ de l’EBM[[ Evidence based medecine : médecine basée sur des preuves.

]]. Ainsi des revues comme Minerva, des initiatives comme Farmaka voient le jour. Plus avant encore, avec des sites internet comme le CEBAM, essaie-t-on d’avoir des mises à jour en temps réel des meilleures données concernant tous les aspects de la santé. La revue minerva est un mensuel qui est distribué vers la première ligne de soins et également consultable sur Internet (www.minerva-ebm.be). Il s’agit d’une excellente documentation d’EBM qui présente entre autre des analyses d’études sur différents sujets (des traitements, des facteurs de risque…). Avec à la fin chaque article, on trouve un focus spécifique pour la pratique du médecin généraliste. Cela permet d’aiguiser le sens critique des thérapeutes, et d’avoir une information la plus détachée possible de toute source de conflits.

L’ASBL FARMAKA propose une délégation indépendante des firmes. L’équipe de FARMAKA décide d’un sujet cible, ils font le tour de la littérature sur le sujet, résument, compilent, croisent les données. Le résultat de ces analyses est en fin de comte une présentation sur la meilleure façon de prendre tel ou tel aspect de la santé en charge. Les délégués font ensuite le tour des médecins généralistes pour présenter cette réalisation enfin objective et déliée de tout intérêt direct, si ce n’est celui de l’amélioration de la prise en charge de la santé.

Finalement le CEBAM a pour but de former au mieux les patients et les soignants à la démarche EBM. On peut ainsi y retrouver diverses sources d’informations, puisée dans de multiples lieux qui s’occupent de la qualité. On a des recommandations de bonne pratique qui viennent par exemple de la SSMG (Société scientifique de médecine générale). Des liens sont possibles à partir du dossier de santé informatisé. Donc lors d’une consultation, si on se pose une question du meilleur usage par rapport à un problème de santé encodé, on peut directement aller interroger cette base de données qui aura été remise à jour régulièrement. C’est donc une aide précieuse et objective à la décision.

Selon le Dr Chevalier, l’université de Stanford en Californie pourrait servir d’exemples. Des directives ont été clairement fixées dans cet établissement aucune forme de cadeau personnel ne peut être accepté, dans toute circonstance des règles strictes sont précisées pour les activités formatives au niveau de la transparence des conflits d’intérêt, du choix des thèmes, du contenu des présentations l’université prévoit également une formation pour les étudiants, résidents, stagiaires et personnel, sur les conflits d’intérêt.

Mais des directives internes aux établissements n’ont pas la même portée qu’une loi. Dans ce domaine, le Sunshine Act américain reste l’exemple : c’est une réglementation qui oblige les laboratoires pharmaceutiques à déclarer, à partir de 2013, sur un site web en libre accès, toute somme ou tout cadeau dépassant 10 dollars donnés à des médecins et à des institutions médicales (de formation et/ou de soins).

Dans un communiqué datant de juillet 2010, la fondation française Sciences Citoyennes rappelait quelques données pour faire comprendre l’urgence qu’il y a à suivre l’exemple des Etats-Unis.

Les dépenses des industries pharmaceutiques pour influencer le Congrès et les agences publiques des Etats-Unis se sont élevées à 1,7 milliards de dollars entre 2006 et 2009, par exemple. Leurs dépenses publicitaires en France s’élevaient à 2,8 milliards d’euros en 2004 – chiffres « largement sous-estimés », selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Ainsi, en France, les laboratoires dépensent 25.000 euros par an et par médecin pour (dés) informer les praticiens (IGAS 2007) ; 98% de la formation médicale continue est financée par l’industrie (rapport Sénat 2005 ).

« Ce lobby dispose non seulement d’appuis intéressés parmi les décideurs politico-sanitaires, mais aussi d’un réseau tentaculaire d’influence sur les professionnels de santé, dont il biaise à ce point la pratique qu’on parle désormais de «  ghost management »: une gestion « fantôme », invisible mais omniprésente de tout ce qui concerne le médicament, la formation et l’information, sans oublier de l’influence sur les politiques à travers des expertises biaisées par les conflits d’intérêts des experts et des institutions »[[ Communiqué & Transparence sur les conflits d’intérêts des médecins : suivons l’exemple d’Obama avec les Physician Payment Sunshine Provisions Par Sciences Citoyennes Mardi 20 juillet 2010

]].

En Belgique, il existe la loi du 25 mars 1964 qui explicite à l’article 10 les limites qui doivent être respectée en matière de cadeaux par rapport à des prescripteurs. Néanmoins on se rend compte que la tentation est forte de contourner d’une façon ou d’une autre ces règles qui semblent cependant pleines de bon sens. Pour aider en quelque sorte à une certaine bonne application des mesures en vigueur, une plateforme déontologique appelée Mdeon est née. Elle est composée de diverses associations, de médecins, de pharmaciens, de l’industrie. Si d’aventure on se pose des questions sur l’une ou l’autre proposition faite par une firme vers des professionnels, il semble logique d’inviter les parties de consulter la plateforme pour garantir le respect de la déontologie.

Sans tomber dans les théories du grand complot généralisé, nous sommes également convaincus qu’une transparence doit être exigée par les autorités publiques vis-à-vis des firmes pharmaceutiques et une réglementation semblable au Sunshine Act en Belgique combinée avec des règlements européens, serait hautement souhaitable. Nous sommes déterminés à y travailler également.

Le Conseil supérieur de l’expertise dont question ci-dessus pourrait inscrire dans ses missions la contribution à la formation initiale et continuée des professionnels de santé, formation à la lecture critique des publications scientifiques et à la posture « vigie » des conséquences observées de la prescription des produits pharmaceutiques. Cette capacité à gérer l’information gagnera à être intégrée dans une approche de l’économie du système médico-commercial de santé.

Conclusions

Nous sommes dans un monde marqué par l’incertitude, en particulier celles relatives à l’impact sur notre santé et sur les écosystèmes de multiples produits et substances fabriquées pour nous guérir ou du moins nous traiter ou pour des besoins matériels. Les autorités publiques sont dépassées par la rapidité de création de nouvelles substances ou technologies, et tâchent a priori ou souvent a posteriori, de réguler ce qui est sur le marché.

Aujourd’hui, beaucoup de « crises » apparaissent liées aux effets de médicaments, de substances chimiques, …et derrière chaque cas se cache un processus de décision qui mérite d’être analysé.

Ces crises sont en fait des opportunités. Les remises en cause de certaines décisions et politiques publiques par les groupes citoyens ou par des experts impertinents sont intéressantes pour permettre aux systèmes sociaux de progresser. Le déficit de confiance qui règne à l’égard de certaines institutions de santé publique ou d’environnement est un signal d’alarme qui doit pousser les responsables politiques à procéder aux changements nécessaires.

Nous avons voulu, par ces travaux menés depuis plus d’un an, contribuer à apporter des propositions sur la table qui pourraient améliorer le processus de décision en matière de santé publique, d’environnement, de technologies, propositions qui pourraient se révéler utiles dans d’autres domaines de gouvernance. En effet, sans cela nous sommes contraints de travailler indéfiniment au cas par cas, en contestant ou approuvant des décisions non confortées par de bonnes bases scientifiques ou manquant de transparence et de légitimité démocratique.

Il faudra beaucoup de volonté politique pour les mettre en oeuvre et trouver des alliés dans la société civile. Nous sommes déjà heureux d’avoir suscité de la part de certains acteurs, comme le Conseil supérieur de la Santé, un processus de renforcement déontologique. Mais nous sommes convaincus que les déontologies et les bonnes pratiques volontaires ne suffisent pas, à terme, pour assainir structurellement le système. Des initiatives réglementaires et législatives sont nécessaires, même si elles ne maîtriseront jamais tout ce qui se passe dans le secret des consciences.

Espérant avoir ainsi fait avancer un peu la gouvernance, au profit de la santé de nos concitoyens et de nos enfants !

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