Un peu de théorie et d’histoire

Que veut-on dire lorsque l’on parle de « faire tourner la planche à billets » ? Cette expression désigne la création de monnaie par une Banque centrale. Aujourd’hui, les Banques centrales (BC) créent la « monnaie centrale ». Cette monnaie reste sur les comptes des banques commerciales auprès des BC. Elle joue le rôle de réserves obligatoires, dont le montant est déterminé par les BC, et sert à la compensation des paiements entre les banques[[Il s’agit d’une présentation très simplifiée de la réalité de la création monétaire. Pour obtenir la monnaie centrale, une banque cède des titres à la BC ou à une autre banque. Comme la BC doit jouer le rôle de prêteur en dernier ressort (c’est sa raison d’être), elle doit fournir la quantité de monnaie centrale que les banques demandent. Pour influer sur la masse monétaire, la BC peut alors jouer sur la proportion des réserves obligatoires et le coût d’acquisition de la monnaie centrale.

]]. Une autre forme de monnaie centrale est constituée des billets et les pièces émises par les BC.

Ce sont les banques privées qui créent la monnaie courante utilisée. En effet, celles-ci créent de la monnaie en octroyant du crédit, ces crédits génèrent à leur tour des dépôts. Pour éviter que les banques privées ne créent de la monnaie en surabondance, elles sont obligées de détenir de la monnaie centrale dans une certaine proportion (variant en fonction du taux de réserves obligatoires) sous forme de réserves.

En créant la monnaie centrale à la disposition des banques commerciales, la BC joue bien un rôle dans la création monétaire, mais elle n’est pas pour autant l’émettrice de la monnaie existante (à l’exception des pièces et billets), celle que l’on trouve sur les comptes courants des clients. La monnaie relève donc d’un processus de création propre aux banques commerciales, et sans ce processus cette monnaie n’existerait pas. La BC peut influer sur la masse monétaire globale en modulant son offre de monnaie centrale.

Créer de la monnaie est très facile pour une banque commerciale, car cette opération se limite à un simple jeu d’écriture. La comptabilité d’une banque se décompose en un actif et un passif :

•l’actif est ce qu’on doit à la banque, ce sont des « actifs financiers », des titres de créance, de la monnaie que la banque a prêtée et qui lui rapporte des intérêts.

•le passif est ce que la banque doit à ses déposants, la monnaie qu’on lui a confiée et qui est inscrite sur les comptes de dépôt.

Que se passe-t-il quand une banque prête 5.000 € à un emprunteur ?

•L’opération crée un titre de créance de 5.000 €, comptabilisé en actif pour la banque.

•Ces 5000 € sont inscrits sur le compte de l’emprunteur, comptabilisés au passif de la banque.

•Au final, on peut constater que la banque inscrit la même somme à son actif et à son passif, et que sa comptabilité reste équilibrée. Y compris si la banque ne possédait pas ces 5.000 € au préalable, et a profité de l’opération pour les créer. La masse monétaire est donc un flux et non un stock, puisqu’à mesure que les crédits sont remboursés la monnaie est détruite. Ce sont les renouvellements des crédits qui déterminent l’ampleur de la masse monétaire.

Cette création monétaire est parfois appelée «création ex nihilo», c’est à dire création à partir de rien. Cette qualification repose sur le fait que la monnaie ainsi prêtée à l’emprunteur n’existait pas au préalable.

Divers économistes ont mis en évidence le lien entre masse monétaire et inflation. Aux 19e et 20e, lorsque la politique monétaire était encore balbutiante les désordres monétaires et l’inflation étaient un sujet de préoccupation importante. C’est à Irving Fisher que l’on doit la théorie quantitative de la monnaie (TQM): MV = PT (Avec M = stock de monnaie en circulation, P = niveau des prix, V = vitesse de circulation de la monnaie et T = volume des transactions). On traduit donc MV = flux de monnaie dépensé, et PT = valeur nominale des paiements (transactions). Sous certaines hypothèses particulières (plein emploi des facteurs de production, donc T fixé ; habitudes de paiements stables, donc V fixé ; T indépendant de M), on obtient que les variations de prix sont proportionnelles aux variations de la masse monétaire. Si la BC décide d’augmenter la masse monétaire de 5%, les prix devraient augmenter également de 5%. L’équation de Fisher est à la base du monétarisme remis au goût du jour et affiné par Milton Friedman[[Friedman préconisait une variation constante du stock de monnaie de manière à permettre aux agents d’établir des anticipations avec plus de certitude.

]]. Ce courant de pensée affirme que l’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire (à long terme). Il est le fondement de l’idée actuelle que faire tourner la planche à billets serait le pire de maux, car cela génère de l’inflation.

Des économistes tels que John Kenneth Galbraith (qui a été en charge du contrôle des prix durant la seconde guerre mondiale aux États-Unis) ont étudié la relation entre croissance, inflation et monnaie au cours de l’histoire. Galbraith a montré que les milliers de banques américaines qui émettaient de la monnaie de manière non coordonnée, avant l’introduction du dollar américain, ont permis de générer une croissance inégalée de l’économie[[J.K. Galbraith, L’Argent, Gallimard, Paris, 1976

]].

La Grande Dépression des années 1930 a eu un impact considérable sur l’évolution de la pensée économique et des diverses théories. De nombreux économistes de l’époque se sont attachés à comprendre les causes et les origines de la déflation, qui est une baisse généralisée et continue des prix des biens de consommation. Il s’agit d’un danger bien plus grand encore que l’inflation. Irving Fisher, à qui l’on doit la TQM, a publié en 1932 la Théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation qui décrit en 9 étapes successives le mécanisme de déflation cumulative. L’origine de cette spirale déflationniste se trouve dans l’endettement excessif des agents économiques ou dans tout autre choc qui conduit à une baisse de la demande agrégée. Pour se désendetter, ceux-ci réduisent leurs dépenses et les banques réduisent l’offre de crédit (on a donc une contraction de la masse monétaire).

Comme les ménages réduisent leurs dépenses et thésaurisent, les prix commencent à baisser. La baisse des prix entraine une augmentation de la valeur réelle des dettes, ce qui les rend difficilement remboursables[[Pour une analyse de la crise des années 1930 et l’évolution des théories monétaires voir O. Hubert et R. van Breugel, L’anticapitalisme démocratique, Bénévent, 2009.

]].

Crise des dettes souveraines

Aujourd’hui nous pourrions tomber dans la même situation que dans les années 1930. Les banques ont en effet réduit l’octroi de crédit, car elles sont obligées de réduire drastiquement la taille de leur bilan. Les entreprises retardent leurs investissements pour améliorer leur situation financière. Les ménages thésaurisent en raison des risques de pertes d’emploi. L’inflation n’est entretenue que grâce à la montée des prix des matières premières en raison de la demande dans les économies à forte croissance (Chine, Inde, Brésil). L’inflation chez nous n’est certainement pas causée par des facteurs internes, compte tenu de la sous-utilisation des facteurs de production, mais par des causes externes. Si un pays comme la Chine connaissait des difficultés, ce qui n’est pas exclu compte tenu de la situation délicate de son secteur bancaire et du déséquilibre de son produit intérieur brut (surinvestissement massif dans des projets immobiliers inoccupés et des infrastructures inutilisées ; part très faible de la consommation intérieure dans le PIB), nous basculerions très rapidement dans la déflation.

Les États membres de l’Union ont vu leur endettement et leurs déficits fortement augmenter en raison de la crise de 2008. Sous la pression de la Commission européenne et des marchés financiers, les États vont être contraints de mener des politiques d’austérité budgétaire. La réduction des déficits publics sera très difficile, car elle affectera la croissance économique et pourrait s’avérer impossible à atteindre. Le cas de la Grèce est frappant : à chaque nouveau plan d’austérité le PIB s’enfonce un peu plus et le déficit public s’accroit.

Rappelons également que les États se financent sur les marchés financiers. Ce sont les acteurs privés qui déterminent les taux d’intérêts auxquels les États se financent. Si notre pays devait payer 18% d’intérêt sur sa dette publique, l’ensemble du budget équivalent à la sécurité sociale serait affecté au remboursement des charges d’intérêt. Un tel taux d’intérêt est tout à fait insupportable pour n’importe quel État.

Ce qui est révoltant est que cette situation aurait facilement pu être évitée[[Le péché originel est d’avoir fondé une monnaie commune avec des pays dont les économies ont continué à diverger. On pensait que l’euro allait permettre cette convergence nécessaire, or c’est le contraire qui s’est produit. Les pays peu compétitifs ont vu leur déficit extérieur exploser (Grèce, Portugal, Espagne, Italie, Irlande) et ont pu profiter de la monnaie unique pour emprunter à bon marché. L’Euro est donc une des causes de l’endettement excessif actuel de certains pays et donc de la crise.

]]. L’intransigeance allemande empêche une intervention efficace de la Banque Centrale européenne (BCE). Jusqu’ici les dirigeants européens n’ont fait que reporter les problèmes en adoptant des demi-mesures.

L’Union a mis en place le Fonds de stabilité financière afin de soutenir les pays en difficulté. Ce fonds se finance en partie sur les marchés financiers et bénéficie de garanties des États membres. Fondamentalement cela ne fait que déplacer le problème, car la dépendance vis-à-vis des marchés financiers demeure.

Le Traité de l’Union interdit à la Banque Centrale européenne de financer directement les États ainsi que la solidarité entre les États membres. Ces deux interdictions ont pour conséquence que les États membres sont les jouets des marchés financiers, car ils n’ont d’autre recours pour financer leur dette. Quand les marchés financiers auront ruiné les États, qui viendra à la rescousse des institutions financières ?

Il semble que les décideurs européens n’aient pas pris la pleine mesure de la crise. Ce n’est que très timidement que la BCE a racheté des titres publics sur le marché secondaire, afin d’éviter un emballement des taux d’intérêts. Cette mesure contraire au traité a d’ailleurs suscité la démission du Président de la Bundesbank Axel Weber. Le Fonds européen de stabilité financière qui octroie des prêts aux pays en difficulté – qui ne respecte pas non plus l’esprit du Traité – reste très insuffisant.

Sans céder au catastrophisme, il nous semble que le défaut de payement de certains États pourrait entrainer la faillite de plusieurs grandes banques européennes. En raison des liens opaques entre les banques européennes (les engagements hors bilan dépassent pour certaines d’entre-elles cinq fois la taille de leur bilan), un effet domino est à craindre. Rappelons au besoin que les CDS (Credit Default Swap : assurance contre le défaut de payement) sur plusieurs pays portent sur des montants inconnus. Le défaut de payement d’un État européen doit donc être évité à tout prix. Tel qu’esquissé actuellement, le « défaut partiel accompagné » de la Grèce semble d’ailleurs une mauvaise mesure[[Pour rappel, Dexia détient pour 6 milliards de dette publique grecque. Une remise de 50% représente donc un coût direct de 3 milliards. D’aucuns affirment que Dexia aurait vendu des CDS sur la dette grecque et devrait donc indemniser les clients qui en ont acheté. Nous ignorons pour quel montant. Il est fort à craindre que ces milliards seront à charge des contribuables belges.

]]. Il reporte sur les banques privées, déjà nettement fragilisées par la crise de 2008, des charges qu’il n’est pas raisonnable de leur faire supporter. N’oublions pas qu’avec la récession qui se profile à l’horizon, les défauts de payement des agents privés risquent de croître et de détériorer encore un peu plus le bilan des banques. La combinaison de tous ces facteurs pourrait être fatale aux banques privées.

Ben Bernanke, Président de la Réserve fédérale américaine (Fed), a tenu en novembre 2002 un discours remarqué au sujet de la déflation[[http://www.federalreserve.gov/boardDocs/speeches/2002/20021121/default.htm

]]. Déjà en 2002, le risque de déflation se profilait à l’horizon. L’exemple du Japon, qui est tombé dans la spirale déflationniste au début des années 1990 et n’en est toujours pas sorti, a de quoi faire peur : le taux d’endettement public y avoisine les 200% du PIB[[La banque centrale du Japon détient approximativement 18% de la dette publique du Japon. En outre la dette japonaise est essentiellement domestique. Ces deux facteurs expliquent pourquoi les taux restent aussi bas.

]]. Dans son discours, Bernanke envisage les moyens dont dispose la Fed pour lutter contre la déflation, pour maintenir les taux d’intérêts de la dette publique à un niveau faible et pour soutenir la consommation des ménages.

Il rappelle que dans les années 1940 et 50 la Fed avait fixé un plafond de 2,5% aux taux d’intérêts à long terme des bons du Trésor. Pour y parvenir, la Fed n’a eu besoin que de démontrer sa détermination dans la poursuite de cet objectif et n’a jamais eu besoin d’acheter des volumes importants de titres publics[[La Fed détenait entre 7 et 9% de la dette publique américaine, dont l’essentiel sous forme de papier à 90 jours. Il a donc suffi que la Fed achète des titres à court terme pour également maintenir à un niveau très bas les taux à long terme. Cette intervention était évidemment vitale pour assurer le financement de l’effort de guerre, ce qui a permis de sortir le pays de l’ornière de la Grande Dépression.

]].

En vérité la Fed n’a jamais abandonné cette politique. En juillet 2011 (derniers chiffres disponibles), la Fed détenait pour 1600 milliards de dollars de titres publics américains sur un total de 23.500 milliards[[Compteur en temps réel de la dette américaine : http://www.usdebtclock.org/2015-current-rates.html

]], soit un peu moins de 7%. Malgré la dégradation de la note de la dette américaine par les agences de notation, le taux d’intérêt payé par les Trésor américain s’élève à 1,6 (en juin 2012) pour des durées supérieures à dix ans ! Au Royaume-Uni, la banque centrale détient approximativement 14% de la dette publique, ce qui permet de maintenir les taux à long terme autour de 2,5% en dépit d’une dette publique qui a plus que doublé en quatre ans à peine !

Au premier trimestre 2012, la BCE détenait quant à elle pour un montant de 290 milliards d’euros de titres publics de la zone euro (dont 60 milliards de dettes grecques), autant dire très peu. Faut-il rappeler les taux d’intérêts élevés sur les dettes publiques imposés à de nombreux pays de la zone euro : Grèce 28%, Portugal 12%, Espagne 5,8%, Italie, 6,5%[[Le taux à long terme sur la dette italienne a dépassé le seuil de solvabilité qui est de 5,3%. Au-delà de ce taux, l’Italie n’est plus en capacité de rembourser sa dette, compte tenu de sa croissance potentielle.

]], France 3,6%, Belgique 4,5%, Irlande 8%. Des taux aussi élevés ne peuvent conduire qu’à des cures d’austérité cruelles. Soulignons que de tels taux d’intérêt relèvent de la prophétie auto-réalisatrice : les acteurs financiers se méfient et demandent des taux plus élevés. Les États ont dès lors des difficultés à assumer le service de la dette en raison de intérêts exagérés, légitimant ex post la méfiance des acteurs financiers !

Par ailleurs, la crise de liquidité des banques semble s’aggraver depuis la mi 2011. Les CDS sur les banques de la zone euro ont atteint le niveau record de 500 points de base (contre 200 en 2008). Les banques éprouvent actuellement de grandes difficultés à se financer à long terme (l’émission de covered bonds[[Les covered bonds (obligations sécurisées) sont des obligations garanties par des cash flows de prêts aux particuliers, entreprises et pouvoirs publics. Cette technique proche de la titrisation, s’en distingue en ce que l’émetteur conserve les risques de crédit.

]]). Le marché obligataire qui finance les banques est à l’arrêt depuis septembre 2011. Ceci renforce d’autant leur problème de financement à court terme. Le retour à un fonctionnement normal de ces marchés ne peut se faire que par des achats par la BCE de covered bonds.

Pourquoi donc la BCE n’applique pas les mêmes recettes que la Fed, de la Bank of England et de la Nippon Ginkō ?

L’argument avancé le plus souvent est que les banques centrales ne peuvent pas détenir trop d’actifs risqués parce que cela détériore la qualité de leur bilan. Ce raisonnement relève au mieux de la stupidité, au pire de l’aveuglement (la première maladie est plus facilement curable que la seconde). La BCE s’applique les règles de la comptabilité privée : si elle réalise des pertes en capital, elle perd ses fonds propres et doit être recapitalisée. Ceci n’a aucun sens : une Banque Centrale n’a pas d’engagements (de passif) exigible ; au passif d’une Banque Centrale, il y a essentiellement des billets et les comptes de réserves des banques commerciales. Or, les détenteurs de billets ne peuvent plus exiger la conversion de leurs billets dans un autre actif (abandon de la convertibilité de la monnaie scripturale en or).

Un autre argument souvent avancé est l’aléa moral. Une intervention de la BCE, permettant aux acteurs financiers d’échapper aux conséquences de leur comportement, aurait un effet déresponsabilisant sur ceux-ci. Cet argument est valable, mais doit être mis en balance avec l’enjeu actuel : l’évitement d’une catastrophe financière. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de laisser les banques faire faillite, sous prétexte que cela exonère les banquiers de leur responsabilité.

Le seul effet indésirable d’une telle détérioration par une BC de son bilan consiste à induire une méfiance vis-à-vis de sa devise. Dans ce cas une dépréciation du change peut survenir, car les investisseurs tentent de se débarrasser de cette devise. C’est ce qui s’est produit cette année avec le dollar qui a recommencé à baisser depuis le début de 2011. Mais comme avait déclaré John Connaly, alors Secrétaire des Finances, à une délégation européenne : « It’s our money, but it’s your problem », ce n’est en rien un problème : la faiblesse du dollar aide l’Amérique à réduire son déficit extérieur[[Certains analystes pointent le danger d’une résolution de la crise de la zone euro qui entrainerait une appréciation telle de l’Euro que cela causerait des dommages considérables à notre industrie.

]].

Quel nouveau rôle pour les banques centrales ?

Pendant de nombreux siècles, la quantité limitée de monnaie métallique était un frein aux échanges et au développement économique. Aujourd’hui nous sommes débarrassés de l’étalon-or, qualifié par Keynes de relique barbare, et nous avons les moyens illimités de financer le développement futur grâce à l’invention des Banques centrales.

Pourquoi l’Europe s’impose-t-elle alors une cure d’austérité sévère qui pourrait-être facilement évitée ? Rappelons que cette cure d’austérité touchera particulièrement les travailleurs et les bénéficiaires de notre système social. La contraction conjointe des dépenses publiques dans tous les pays de l’Union aura pour conséquence une contraction économique importante. Une certaine technocratie européenne voudrait-elle porter le coup de grâce à ce qui reste de l’État social ?

Le premier objectif de la BCE devrait être aujourd’hui de plafonner les taux à long terme des titres publics des pays de la zone euro à 3% pour une longue période.

Les moyens pour y parvenir sont simples (affirmation de sa détermination à poursuivre cette objectif et rachat de titres publics sur les marchés) et déjà largement utilisés aux États-Unis. Cette politique aura comme effet indirect positif une détente de l’Euro par rapport aux autres devises. Un autre effet positif serait d’éviter aux banques privées de nouvelles pertes sur les titres publics.

Le deuxième objectif de la BCE devrait être de soutenir le marché obligataire sur lequel les banques se financent à long terme. Il faut solutionner rapidement la crise de liquidité bancaire afin d’éviter qu’elle n’entraine le rationnement du crédit et l’effondrement de l’activité comme en 2008 (faillite de Lehman Brothers).

Le troisième objectif de la BCE devrait être aujourd’hui de faire monter le niveau d’inflation à 4 ou 5% pour une longue période[[Cela permettrait d’atteindre ce que Keynes appelle « l’euthanasie du rentier et par la suite la disparition progressive du pouvoir oppressif additionnel qu’a le capital d’exploiter la valeur conférée par sa rareté ». Keynes soutenait que la politique la plus avantageuse consistait à faire baisser les taux d’intérêts jusqu’à ce que le plein emploi soit réalisé. J. M. Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, Paris, 2005, pp. 368 et ss.

]]. L’inflation permet aux agents économiques de rembourser plus facilement leurs dettes. Les États ont besoin de cette inflation pour se désendetter. Comme objectif secondaire, les pouvoirs publics devraient veiller à ce que la monnaie centrale complémentaire apportée aux banques (réserves) ne soit pas utilisée à des fins spéculatives (rachat d’actifs toxiques par les banques) ou simplement mise en dépôt auprès de la BCE. La monnaie centrale complémentaire devrait être mise à profit par les banques pour augmenter l’octroi de crédit aux ménages et aux entreprises.

Le quatrième objectif de la BCE devrait être de financer des investissements visant à assurer la transition écologique de l’économie. La BCE devrait pouvoir agir directement en tant que banque commerciale en prêtant, éventuellement par l’intermédiaire de la BEI, des sommes limitées à 2,5% pour des projets d’investissement de grande ampleur visant à produire de l’énergie verte (éolien offshore, centrales électriques solaires, etc.) ou à réduire la consommation énergétique (isolation des bâtiments).

Conclusion

L’orthodoxie monétaire qui sévit sur le continent européen risque de porter le coût fatal à une économie déjà souffrante. Le spectre de la déflation refait à nouveau surface. La réduction coordonnée des dépenses publiques à l’échelle de l’union risque de provoquer une récession de grande ampleur[[Pour approfondir la question de la crise de la zone euro et de la responsabilité des institutions et politiques européennes dans cette crise voir : Les économistes atterrés, 20 ans d’aveuglement. L’Europe au bord du gouffre, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2011.

]]. Combinée à la spirale déflationniste, ce nouveau recul de la production risque d’entrainer une crise économique d’une ampleur inégalée. La poursuite des mesures actuelles conduira simplement à une aggravation de la crise. Le renforcement du Fonds européens de stabilité financière ou l’émission d’eurobonds[[L’émission d’eurobonds présente l’avantage d’harmoniser les taux différents applicables aux dettes souveraines. Ce taux devrait être la moyenne pondérée des différents taux nationaux. Cela n’est donc pas une garantie de taux bas permettant un remboursement plus aisé de la dette.

]] ne sont que des variantes de la politique actuelle : émission de dettes sur les marchés financiers. Rien n’empêchera les acteurs de ces marchés d’exiger des taux d’intérêt excessifs qui ruinent les États. De plus, ces mesures ne font que reporter les échéances, car les dettes du FESF devront aussi être remboursées. Comme le disait Albert Einstein : « La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent ».

Il convient donc d’adopter une politique monétaire non-conventionnelle. La solution aux problèmes des banques privées et des finances publiques ne peut-être que monétaire, car c’est le seul moyen de libérer les États de la dictature des marchés financiers. Les États-Unis l’ont compris et ont mis en œuvre cette politique avec un certain succès d’ailleurs.

À la question de savoir s’il est souhaitable de faire tourner la planche à billets, nous répondons donc oui sans hésitation. Il est même devenu urgent de le faire !

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