Le contexte

Plusieurs éléments témoignent du climat d’extrême tension dans lequel sont plongées actuellement les banques européennes.

Tout d’abord, depuis juillet 2011, les titres de nombreuses banques ont fortement chuté (voir le graphique ci-dessous), s’approchant de leurs plus bas niveaux historiques.

Source : Reuters[[ Graphique de l’évolution comparée de l’indice Stoxx 600 et du sous-indice sectoriel des banques depuis juin 2008 : fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5E7MU3DQ20111130

]]

Deuxièmement, les établissements bancaires sont confrontés à de sérieux problèmes de financement. En effet, depuis le début de l’été 2011, les investisseurs institutionnels (fonds de pension, sociétés d’assurance, etc.) rechignent à acheter de la dette bancaire.

Selon les données compilées par le cabinet d’études Dealogic[[ ALLOWAY, Tracy, November 27, 2011,“Europe’s banks feel funding freeze”, www.ft.com/intl/cms/s/0/40f27e5c-177f-11e1-b157-00144feabdc0.html#axzz1fVO6OQfS

]], les banques européennes ont enregistré un déficit de financement de près de 113 milliards d’euros en 2011. Elles ont en effet émis pour 581,3 milliards d’euros d’obligations, contre 694 milliards d’euros de dettes arrivant à maturité fin de l’année 2011[[ Parallèlement à la baisse de leurs émissions obligataires, les banques européennes ont également été affectées en 2011 par un retrait des fonds monétaires américains (en anglais, les « money market funds » (MMF)). Entre juillet et septembre 2011, ces fonds ont en effet retiré un peu plus d’un quart (27 %) de leurs placements.

]]. Selon le Financial Times, il s’agirait de la première fois depuis au moins cinq ans que les établissements bancaires européens ne sont pas en mesure de refinancer en totalité leurs dettes arrivant à échéance[[ Idem

]]. L’année 2012 s’annonce d’ailleurs encore plus difficile, dans la mesure où près de 700 milliards d’euros de dettes bancaires arriveront à maturité[[ ALLOWAY, T., 5 January 2012, « Europe’s banks rush to sell bonds », www.ft.com/intl/cms/s/0/a73b7ac8-37bf-11e1-9fb0-00144feabdc0.html

]].

Compte tenu du problème de refinancement de leurs dettes, les banques européennes ont donc accru leur dépendance à l’égard de la Banque centrale européenne (BCE). Le 29 février dernier, plus de 800 d’entre elles ont ainsi emprunté à la BCE près de 529,5 milliards d’euros à un taux d’intérêt de 1% et pour une durée de trois ans. Il s’agit d’un nouveau record par rapport aux opérations de refinancement à long terme (LTRO) de décembre 2011 (489 milliards d’euros à trois ans) et de juin 2009 (442 milliards à un an)[[ Notons que, pour de telles opérations à volume illimité, les banques peuvent demander et obtenir autant d’argent qu’elles ont de garanties (« collatéral ») à fournir en échange à la BCE.

]]. À ces opérations de soutien aux banques s’ajoutent en outre d’autres programmes d’injection de liquidité mis en œuvre par l’institut monétaire de Francfort.[[ En effet, parallèlement à ses opérations de refinancement à volume illimité (LTRO) la BCE a, par exemple, accordé ces derniers mois des prêts d’urgence sur 24 heures à un taux d’intérêt de 1,75% (facilité marginale de prêt) à plusieurs banques européennes en difficultés. L’institution de Francfort a également décidé de maintenir au moins jusqu’en juillet 2012 l’octroi aux banques européennes de prêts hebdomadaires, sans limite de montant et à taux fixe. La BCE met en outre à disposition des banques des liquidités en dollars dans le cadre d’opérations sur trois mois. Enfin, elle a lancé début novembre un programme d’achats d’obligations sécurisées de 40 milliards d’euros.

]]

Enfin, le démantèlement de Dexia – approuvé par le conseil d’administration du groupe le 10 octobre 2012 – constitue le troisième facteur illustrant l’extrême fragilité du secteur bancaire européen[[ Le même jour, le groupe bancaire autrichien Erste Bank a annoncé des pertes de près de 800 millions d’euros pour cette année. Erste Bank a dû comptabiliser en juste valeur et non plus au coût amorti les quelque 5,2 milliards d’euros d’assurances contre le risque de défaut de pays ou d’institutions (CDS) qu’elle détenait. Cette manœuvre a grevé les résultats de la banque autrichienne de 180 millions d’euros et ses fonds propres de 310 millions d’euros.

]]. Il laisse en effet craindre le risque d’une nouvelle crise systémique, par le jeu d’un effet domino de faillites bancaires.

Les causes de la crise bancaire

La mauvaise santé des pays périphériques de la zone euro (Grèce, Portugal, Irlande) est généralement présentée comme la cause principale de la chute des valeurs bancaires. Selon cette grille d’analyse, l’exposition des banques européennes aux dettes souveraines entraîne en effet une forte défiance des marchés à leur égard.

Bien que le risque souverain joue un rôle d’accélérateur dans la crise bancaire actuelle, il n’en constitue cependant pas l’origine. Selon nous, la chute des valeurs bancaires découle avant tout de la poursuite d’un modèle de croissance non soutenable dans le secteur financier. De fait, en dépit des aides publiques colossales qui leur ont été octroyées depuis 2008 (voir Tableau 1), les banques européennes n’ont pas été contraintes par les autorités de supervision de réduire drastiquement leurs prises de risques excessives.

Tableau 1. Les aides publiques au secteur bancaire européen

Dans un rapport de 2011 sur les aides d’État accordées au secteur financier[[European Commission, 2011, « The effects of temporary State aid rules adopted in the context of the financial and economic crisis », Commission Staff Working Paper.

]], la Commission européenne note que ce dernier a bénéficié sur la période 2008-2010 de plus de 303 milliards d’euros sous la forme de mesures de recapitalisation, auxquels s’ajoutent 104 milliards d’euros liés aux opérations de rachats d’actifs douteux ainsi que 77 milliards d’injections de liquidité. En outre, les États membres ont accordé des garanties sur les prêts interbancaires à hauteur de 757 milliards d’euros. Bien que ce dernier dispositif n’ait pas engendré de coût jusqu’à présent pour les États membres, il pourrait en aller autrement en cas de défaut des banques bénéficiaires de ces garanties[[Notons que, dans le cas de la Belgique, la crise financière a nécessité de la part des pouvoirs publics des injections de capital dans le secteur bancaire pour un total de 20,64 milliards d’euros. En plus de cet apport, les pouvoirs publics ont accordé des garanties pour un montant de 329 milliards d’euros. Selon François Sana et Eric Toussaint (Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde), environ 45% de l’augmentation de la dette publique belge (qui est passée de 84,2% du PIB en 2007 à 96,2% en 2009) serait imputable au sauvetage des banques par l’État, in « Les contribuables belges payent la facture, 12 octobre 2011, www.lalibre.be . Notons que ces calculs ont été effectués avant la nationalisation de Dexia banque Belgique pour un montant de 4 milliards d’euros.

]].

Ceci étant, le montant global des aides allouées aux banques européennes dépasse largement les chiffres avancés par la Commission. En effet, cette dernière ne comptabilise pas dans ses calculs les mesures non conventionnelles prises par la Banque centrale européenne (BCE) pour aider le secteur bancaire. Les montants en jeu sont pourtant colossaux : le 24 juin 2009, la BCE a procédé à une injection illimitée, à taux fixe et à un an, de 442 milliards d’euros pour pallier les difficultés du marché interbancaire. Depuis, la BCE a renouvelé à plusieurs reprises ses opérations d’apport de liquidité aux banques (voir le point 1 ci-dessus,). Or, une part non négligeable des liquidités fournies par la BCE constitue un subside pur et simple au secteur bancaire.

Empruntant des liquidités à des taux très faibles auprès de la BCE (entre 1 et 1,5 %), les banques les utilisent en partie pour acheter des actifs à haut rendement. Par exemple, pour les obligations à dix ans italiennes, les rendements atteignent près de 7%.

De même, en échange de ces liquidités bon marché, les banques fournissent à la BCE des garanties – appelées « collatéraux » – dont la qualité plus que douteuse est dénoncée par de nombreux experts. Ces opérations non conventionnelles de la BCE sont d’autant plus interpellantes qu’elles se font en l’absence totale de transparence.

Parallèlement à ces aides directes massives, l’industrie bancaire européenne bénéficie en outre largement des plans de sauvetages concédés à la Grèce, au Portugal et à l’Irlande. En l’absence des prêts accordés par le Fonds européen de stabilité financière (EFSF), celle-ci s’exposerait en effet à des pertes conséquentes, dans la mesure où l’encours des créances bancaires sur ces trois pays s’élève à plus de 500 milliards d’euros.

Au contraire, celles-ci ont largement contribué au retour des profits bancaires observés dès 2009. C’est cet excès porteur de vulnérabilités pour le secteur qui est aujourd’hui sanctionné par les marchés.

Plus précisément, la crise actuelle met en lumière trois principales sources de vulnérabilité propres aux banques européennes.

Des banques sous-capitalisées

Tout d’abord, nombre d’entre elles demeurent encore largement sous-capitalisées. Autrement dit, elles ne disposent pas de capitaux propres[[ Les capitaux propres (ou « fonds propres ») désignent les fonds que la banque n’a pas eu à emprunter, et qu’elle n’aura donc pas à rembourser. Ces fonds proviennent soit des actionnaires, qui les ont versés pour devenir copropriétaires (capital social et primes d’émission éventuelles), soit des bénéfices non distribués aux actionnaires et accumulés dans la banque (réserves, déduction faite des pertes éventuelles), soit des provisions faites en prévision de charges à venir.

]] (appelés également « fonds propres ») suffisants pour absorber des pertes éventuelles sur leurs créances publiques et privées.

Selon l’Autorité bancaire européenne (ABE), les banques européennes présenteraient un déficit de capital de 115 milliards d’euros. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, les deux pays dont les banques ont vu leurs besoins de fonds propres réévalués le plus fortement à la hausse par l’ABE entre octobre et décembre 2011 sont l’Allemagne et la Belgique. En effet, les banques allemandes (pour l’essentiel Commerzbank et Deutsche Bank) et belges feraient face à un déficit de capital respectivement de 13,1 milliards d’euros et de 6,3 milliards d’euros.

Déficit de fonds propres estimé des banques européennes. Source : Financial Times[[ JENKINS, P., ATKINS, R., 8 December 2011, « European banks have 115 bn euros shortfall », www.ft.com

]]

Ceci étant, les calculs réalisés par l’ABE sont probablement en deçà de la réalité. En effet, le Boston Consulting Group estime les besoins en capital des banques européennes à 200 milliards d’euros[[ MASTERS, Brooke, December 15 2011? « Banks face 350bn euros Basel III shortfall », www.ft.com/intl/cms/s/0/42c58562-2657-11e1-9ed3-00144feabdc0.html#axzz1iyw179EB

]]. Quant à l’hebdomadaire britannique The Economist, il évalue un manque de fonds propres de l’ordre de 100 à 250 milliards d’euros, suivant les hypothèses et la méthodologie retenues pour estimer la résistance des établissements bancaires à divers chocs systémiques[[ En partant de l’hypothèse d’un taux de recouvrement de 30% sur la dette grecque et en se basant sur le scénario de crise pour 2012 élaboré par l’ABE dans ses stress tests, The Economist, « évalue un déficit de fonds propres pour les banques européennes de 248 milliards d’euros (dans le cas où le ratio prudentiel est fixé à 9%), in The Economist, Oct 15th 2011, « Cushion calculations », www.economist.com/node/21532294

]].

Ces différentes études démontrent combien il aurait été nécessaire de contraindre les banques ayant bénéficié d’aides d’État durant la période 2009-2010 (voir le Tableau 1 ci-dessus) à de ne pas verser de dividendes et de bonus. Une telle mesure aurait en effet permis de relever le niveau de fonds propres des banques.

Des banques surendettées

Une deuxième source de fragilité pour les banques européennes provient de leur forte dépendance aux financements à court terme. Nombre d’entre elles – en particulier les banques françaises – financent en effet une part conséquente de leurs opérations à l’aide, non pas, des dépôts de leurs clients, mais d’emprunts sur les marchés de capitaux à court terme.

Ainsi, le volume total des capitaux empruntés par les banques de la zone euro sur les marchés de gros et interbancaire s’élève à près de 8000 milliards d’euros. Près de 47% de ce financement est de court terme : il doit être remboursé dans une échéance inférieure à un an[[TETT, Gillian, 26 August 2011, « US funds show true state of eurozone banks »,, www.ft.com/home/europe

]].

Certes, une telle stratégie d’endettement permet aux grandes banques européennes d’accroître substantiellement leurs profits. En effet, en empruntant massivement sur les marchés, les banques sont en mesure de prendre beaucoup de paris spéculatifs en ayant peu d’argent à elles (fonds propres). Néanmoins, leur utilisation abusive de l’effet de levier[[ Nous entendons par « effet de levier » la capacité des banques à prendre des positions qui excèdent leurs fonds propres.

]] (voir le graphique ci-dessous) les expose également à des risques de liquidité[[ Le risque de liquidité consiste à se trouver incapable de générer suffisamment de ressources pour s’acquitter de ses obligations de paiement au moment où elles deviennent exigibles.

]] très élevés, lorsque les marchés de capitaux se paralysent en période de forte incertitude, comme c’est le cas aujourd’hui.

Ratio de levier calculé (Total actifs/ Total capital Tier 1). Source : KPMG[[ KPMG, 2011, “Défi pour la transparence”, www.kpmg.com

]]

Des banques « intoxiquées »

Enfin, troisième facteur d’instabilité : de nombreuses banques pâtissent toujours de leurs créances douteuses, dans la mesure où elles n’ont pas suffisamment mis à profit ces deux dernières années pour nettoyer leur bilan.

Selon un rapport récent du Crédit Suisse, seize grandes banques européennes détiendraient dans leur bilan un montant total de 386 milliards d’euros d’actifs immobiliers ou liés au marché du crédit (CDOs[[ « Collateralised debt obligation » (CDO) : titres représentatifs de portefeuilles de créances bancaires ou d’instruments financiers de nature variée. Le mécanisme est le suivant : au lieu de conserver un titre de crédit, une banque le transforme en titre financier pour être vendu sur les marchés financiers (via une opération dite de titrisation). Ces produits financiers adossés à des créances sont ensuite regroupés dans des portefeuilles, les fameux CDO. Ces derniers sont proposés aux investisseurs en différentes tranches, qui ont chacune un niveau de risque en adéquation avec leur rémunération. La titrisation consiste donc en une opération financière qui consiste à transformer des prêts bancaires illiquides en titres aisément négociables sur des marchés, par l’intermédiaire d’une entité juridique ad hoc.

]], etc.) dont la qualité serait fortement suspecte. À ce montant s’ajoutent les quelques 339 milliards d’euros de créances détenues par ces mêmes banques vis-à-vis de la Grèce, de l’Irlande, de l’Italie, du Portugal et de l’Espagne.

Source : The Wall Street Journal (2011)[[ ENRICH, D., STEVENS, L. November 7 2011, « Old Debts Dog Europe’s Banks »,, online.wsj.com/article/SB10001424052970203716204577017863239915378.html

]]

En résumé, l’extrême vulnérabilité à laquelle l’industrie bancaire européenne est confrontée actuellement est avant tout le fruit d’une mauvaise gestion. N’ayant tiré aucune leçon de la crise de 2008, de nombreuses banques ont en effet continué à augmenter la taille de leurs actifs[[ Un actif financier est un titre ou un contrat, généralement transmissible et négociable (par exemple sur un marché financier), qui est susceptible de produire à son détenteur des revenus et/ou un gain en capital, en contrepartie d’une certaine prise de risque. Il y en a de très nombreuses sortes, des plus simples : actions, obligations, aux plus complexes – options, swaps, dérivés de crédit etc.

]], au prix d’un endettement excessif sur les marchés de capitaux et d’un déficit de fonds propres conséquent. La faillite du groupe Dexia constitue à ce sujet un cas d’école (voir Tableau 2).

Tableau 2. La faillite de Dexia : un cas de mauvaise gestion

Le 10 octobre 2011, le conseil d’administration de Dexia a approuvé le démantèlement du groupe bancaire, une véritable « faillite organisée »[[Plus précisément, le CA a marqué son accord pour la reprise par l’État belge de la totalité du capital de Dexia Belgique, pour un montant de 4 milliards d’euros. En outre, la Belgique garantira, pour une durée de dix ans, le financement, à hauteur de 60,5 %, de la banque résiduelle, dans laquelle seront logés 90 milliards d’euros d’actifs risqués de Dexia. Quant aux garanties apportées par les gouvernements français et luxembourgeois, ces dernières atteindront respectivement 36,5 et 3 %, conformément à une clé de répartition similaire à celle utilisée lors du premier plan de recapitalisation du groupe.

]]. Pourtant, trois mois auparavant, la banque franco-belge avait passé haut la main les tests de résistance européens : en cas de stress, cette dernière conservait un ratio de solvabilité de 10,4 %, soit le double du minimum requis. Comment expliquer un tel paradoxe?

Selon Willem Pieter de Groen[[PIETER DE GROEN, Willem, 19 October 2011, « A closer look at Dexia : the case of the misleading capital ratios », www.ceps.eu/book/closer-look-dexia-case-misleading-capital-ratios

]], chercheur au CEPS (Centre for European Policy Studies), les tests de résistance – réalisés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) – n’ont pas dévoilé les vulnérabilités de Dexia pour quatre raisons principales.

Tout d’abord, les stress tests n’ont pas pris en compte les risques de liquidités des banques. Or, Dexia était fortement dépendante du financement à court terme sur le marché institutionnel et interbancaire. En effet, contrairement à la branche belge de Dexia (l’ancien Crédit communal de Belgique), la branche française (Dexia Crédit Local) ne disposait pas d’une structure de collecte de dépôts. Une telle asymétrie a dès lors contraint le groupe bancaire à financer ses prêts à long terme au secteur public en empruntant à court terme sur les marchés. Comme le souligne l’économiste Paul De Grauwe : ce modèle de gestion a rapidement transformé Dexia en « une sorte de hedge fund qui exploite l’écart entre taux à court terme très bas et taux à long terme élevés »[[L’Echo, 11 octobre 2011, « Paul De Grauwe : ‘il fallait renvoyer les actionnaires avec zéro euro’ », www.lecho.be/nieuws/archief/Paul_De_Grauwe_Il_fallait_renvoyer_les_actionnaires_avec_zero_euro.9114102-1802.art?ckc=1 .

]]. Cependant, lorsque la crise de 2008 a éclaté, la paralysie des marchés de capitaux qui en a résulté a fortement ébranlé le business modèle de Dexia. Malgré le sauvetage de la banque par les gouvernements français et belge (via un plan de recapitalisation de 6,4 milliards d’euros), celle-ci n’est pas parvenue par la suite à réduire suffisamment son exposition aux risques de liquidité.

Second biais des tests de résistance : ils n’ont pas pris en compte le ratio d’endettement (appelé également « ratio d’effet de levier ») des banques comme outil supplémentaire de mesure du risque. Or, dans le cas de Dexia, ce ratio était particulièrement élevé : pour chaque euro de fonds propres, le groupe bancaire était en effet engagé à hauteur de 59 euros. À titre de comparaison, les 26 plus grandes banques européennes ne sont actuellement « leviérisées » en moyenne qu’à hauteur de 22. En outre, entre 2009 et 2011, l’effet de levier de Dexia a augmenté (de 48 à 59), contrairement à celui de ses consœurs, qui a diminué.

L’évaluation extrêmement limitée de l’exposition des banques aux risques souverains constitue le troisième écueil des stress tests. En effet, ces derniers n’ont appliqué des décotes substantielles qu’aux obligations souveraines disponibles à la vente (c’est-à-dire intégrées dans le portefeuille de négociation des banques – « trading book »). Or, dans le cas de Dexia[[Au total, l’exposition de Dexia au risque de crédit vis-à-vis de la Grèce, de l’Irlande, de l’Italie, du Portugal et de l’Espagne (PIIGS) était de 100 milliards d’euros, dont 20 milliards sous forme d’emprunts d’État.

]] (mais également de la plupart des autres banques européennes), la majeure partie des obligations souveraines se trouvait dans son portefeuille de crédit (« banking book ») où celles-ci étaient détenues jusqu’à l’échéance[[Dans la mesure où les titres correspondant à la dette souveraine des pays européens en difficulté ne trouvent plus guère aujourd’hui d’acquéreurs, la majorité d’entre eux sont actuellement intégrés dans les portefeuilles de crédit des banques (« banking book »).

]].

Enfin, dernier point faible des stress tests : ils se sont appuyés sur une méthode de calcul du ratio de fonds propres durs des banques relativement trompeuse. D’une part, les pertes non réalisées de Dexia (soit près de 10 milliards d’euros en 2010) n’ont pas été déduites des fonds propres durs (numérateur du ratio prudentiel) de la banque. D’autre part, le groupe franco-belge a été autorisé à appliquer à ses prêts au secteur public une très faible pondération par le risque. Résultat : les actifs pondérés par le risque (dénominateur du ratio prudentiel) de Dexia n’ont plus représenté qu’un quart du total des actifs du groupe bancaire. Or, le ratio « actifs pondérés par le risque/actifs » est en moyenne de 40% pour la plupart de grandes banques européennes.

Une réponse officielle inadéquate

Aux termes de l’accord entériné le 27 octobre dernier à l’issue du Sommet européen, les dirigeants européens ont demandé aux banques de renforcer leur solvabilité financière pour atteindre un ratio de fonds propres de 9% d’ici à la fin 2012 après avoir valorisé leurs obligations souveraines de la zone euro au prix de marché[[ Plus précisément, les banques auront jusqu’au 20 janvier pour présenter leur plan de recapitalisation qui devra ensuite être mis en œuvre et bouclé d’ici la fin juin 2012.

]]. Les efforts de recapitalisation correspondant avaient été estimés fin octobre 2011 à 106 milliards d’euros par l’Autorité bancaire européenne (ABE)[[ Les chiffres avancés par l’ABE correspondent aux besoins de recapitalisation de 71 banques européennes.

]]. Depuis, l’ABE a revu à la hausse les besoins de recapitalisation des banques européennes, en les estimant désormais à près de 115 milliards d’euros.

Selon la feuille de route des gouvernements européens, les banques devront d’abord essayer de se recapitaliser par leurs propres moyens, ensuite – si ce n’est pas possible – faire appel à leurs gouvernements nationaux, et enfin en dernier recours au Fonds européen de stabilité financière (FESF).

Ce plan de recapitalisation est néanmoins contestable pour trois raisons principales. Tout d’abord, le seuil minimum de 9% exigé n’est pas suffisant pour renforcer la capacité de résilience des banques européennes aux chocs systémiques. En effet, bien que Dexia ait pu se targuer d’un ratio de fonds propres durs de 12,1% en 2010, cela ne l’a pas empêché de faire faillite un an plus tard.

Deuxièmement, en reportant à mi-2012 l’échéance pour atteindre le niveau de recapitalisation requis, les dirigeants européens prennent le risque d’entretenir la nervosité des marchés par rapport aux valeurs bancaires. Enfin, le montant de 115 milliards d’euros annoncé pour recapitaliser les banques est probablement en deçà de la réalité (voir le point 2.1 ci-dessus).

Quelles alternatives ?

Selon nous, une stratégie en deux temps est nécessaire pour résoudre la crise bancaire actuelle.

Mesures d’urgence

Dans l’immédiat, la résolution de la crise bancaire passe, non seulement, par la recapitalisation des banques européennes, mais également, par l’adoption de mesures visant à mettre un terme à la crise de la dette des États membres de la zone euro.

Recapitaliser les banques

Afin d’évaluer au mieux le déficit de fonds propres des banques européennes, de nouveaux tests de résistance devraient tout d’abord être mis en œuvre par l’Autorité bancaire européenne (ABE), sur base des éléments suivants :

•Un ratio de fonds propres durs supérieur au seuil de 9% à atteindre d’ici à la fin 2012 devra être pris en compte par les nouveaux stress tests ;

•L’exposition des banques au risque souverain devra être correctement évaluée, via l’application d’une décote substantielle sur les obligations souveraines détenues par ces dernières, non seulement, dans leur portefeuille de négociation (« trading book »), mais également dans leur portefeuille de crédit (« banking book ») ;

•La méthode de calcul du ratio de fonds propres durs des banques devra être profondément remaniée, ce qui implique, d’une part, de déduire les pertes non réalisées des banques de leurs fonds propres durs et, d’autre part, d’appliquer aux dettes souveraines une pondération par le risque adéquate ;

•Les risques de liquidité ainsi que l’effet de levier des banques devront être pris en compte par les nouveaux stress tests ;

•À l’issue de ces tests de résistance renforcés, les banques défaillantes seraient en premier lieu contraintes de se recapitaliser par leurs propres moyens, en procédant notamment à une suspension du versement des bonus et dividendes et à une réduction progressive de leur bilan.

Dans l’hypothèse où, néanmoins, un soutien public s’avérerait nécessaire, celui-ci devrait s’accompagner d’une prise de contrôle et de propriété par les États. Dans ce dernier cas, la nationalisation des banques recapitalisées devrait être mise à profit pour les réorienter vers leur métier de base, à savoir : le financement de projets à forte valeur ajoutée économique, sociale et environnementale.

Résoudre la crise souveraine

De toute évidence, la crise de la dette dans la zone euro tend à aggraver la crise bancaire. Comme le souligne l’économiste Paul De Grauwe[[ DE GRAUWE, Paul, 28 November 2011, « Why the ECB refuses to be a Lender of Last Resort », VoxEU.org

]], le déclin continu du prix des obligations souveraines a pour effet de plomber le bilan des banques. En outre, la crise de la dette souveraine génère des problèmes de liquidité pour ces dernières, qui se voient menacées d’être purement et simplement exclues du marché interbancaire[[ Les banques utilisent en effet leurs obligations souveraines comme garanties – appelées « collatéraux » – pour obtenir des prêts à court terme sur le marché le marché institutionnel et interbancaire. Les dépréciations sur les obligations souveraines accroissent dès lors les coûts de refinancement des banques sur ces marchés.

]].

Il apparaît dès lors crucial d’enrayer la crise souveraine afin d’éviter qu’une faillite désordonnée de plusieurs États membres de la zone euro n’entraîne consécutivement un effondrement du système bancaire. Dans cette perspective, les trois mesures suivantes devraient être adoptées au plus vite :

•Tout d’abord, il est essentiel de contraindre les créanciers officiels et privés de la Grèce à prendre une perte substantielle (au minimum 60%) sur leurs créances. Or, dans le plan proposé par les Chefs d’État et de Gouvernements européens le 21 février 2012, les créanciers officiels de la Grèce (la Banque centrale européenne, le FMI, ainsi que les États membres de la zone euro) ne participent pas à l’effort de restructuration de dette. En effet, seuls les créanciers privés (banques et fonds d’investissement) ont été invités à accepter – sur une base volontaire – une décote de 53,5% sur leurs obligations grecques, soit un effort accru par rapport à l’objectif initial qui était de 50%. Par conséquent, du fait de l’absence d’implication des créanciers publics, l’opération de restructuration n’équivaut en réalité qu’à une réduction de moins de 30% de la totalité dette grecque existante[[ En effet, la dette de la Grèce s’élève actuellement à plus de 350 milliards d’euros, dont: 70 milliards sont liés aux prêts des Etats membres et du FMI et 80 milliards d’euros sont liés aux ‘obligations détenues par la Banque centrale européenne (BCE). Les 200 milliards d’euros restants correspondent à des créances détenues par le secteur privé (banques et fonds d’investissement).

]]. En outre, dans leur analyse de la soutenabilité de la dette grecque, les experts de la “troïka” (Commission européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne) reconnaissent que le scénario de référence retenu par l’Eurogroupe (ministres des Finances des États membres de la zone euro) – à savoir, la réduction de l’endettement grec à hauteur de 120,5% du PIB d’ici à 2020 – est trop optimiste. Ce dernier se fonde en effet sur des projections de croissance de l’économie grecque qui sont tout simplement irréalistes, compte tenu des effets récessifs résultant de l’application des plans d’austérité et des réductions de salaire. Enfin, quand bien même la Grèce parviendrait à ramener son ratio dette publique/ PIB à 120% d’ici à 2020, ce niveau d’endettement demeure encore largement insoutenable[[ DAS, S., February 21 2012, «It’s all Greek to me», www.nakedcapitalism.com

]].

•Un deuxième impératif vise à octroyer une licence bancaire au Fonds européen de stabilité financière (FESF) – principal instrument mis en place pour enrayer la crise de la dette dans la zone euro. Il s’agit en effet de la seule solution crédible qui permettrait au FESF de procéder à l’achat illimité d’obligations émises par des États membres en difficulté, en se refinançant directement auprès de la Banque centrale européenne (BCE).

•Enfin, l’émission d’euro-obligations – c’est-à-dire la mutualisation d’une partie de la dette européenne – constitue également une mesure décisive à adopter. Une telle disposition ne fait cependant l’objet à l’heure actuelle que d’un document de consultation de la part de la Commission européenne, et non d’une véritable proposition législative. En outre, la chancelière allemande Angela Merkel continue toujours de s’y opposer fermement.

Mesures structurelles

Parallèlement à la nécessité de recapitaliser les banques, des réformes structurelles doivent également être mises en œuvre à moyen terme afin de mettre un terme à leurs prises de risque excessives.

Dans cette perspective, la Commission européenne (CE) a adopté le 20 juillet dernier des propositions[[europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11/915&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en

]]- sous l’appellation « CRDIV » – visant à transposer dans la législation européenne les nouvelles règles prudentielles entérinées en Septembre 2010 par le Comité de Bâle (Forum rassemblant des représentants des Banques centrales et des autorités prudentielles de 28 pays)[[ Pour rappel, les principales mesures envisagées par Bâle III sont : (1) l’augmentation de la qualité (définition plus stricte du capital des banques) et de la quantité des fonds propres des banques (7% de fonds propres durs), afin de renforcer leur solvabilité; (2) l’adoption de standards de liquidité (LCR et NSFR ), en obligeant notamment les banques à détenir un stock d’actifs sans risque facilement négociables, afin de résister pendant 30 jours à une crise ; (3) l’adoption d’un ratio levier, qui permet d’évaluer la taille des engagements des banques par rapport à la taille de leur bilan (Pour une définition du « bilan », voir Annexe 1). Néanmoins, contrairement au ratio de solvabilité, le ratio levier n’implique pas de pondération des risques. Autrement dit, il ne permet pas aux banques de diminuer leurs exigences de fonds propres en sous-évaluant leurs risques.

]]. Celles-ci sont néanmoins extrêmement faibles (voir Tableau 3, ci-dessous).

Tableau 3. Régulation bancaire : les propositions limitées de la CE

L’examen des propositions de la Commission européenne en matière régulation bancaire (CRDIV) révèle combien le lobby bancaire – surreprésenté dans les 19 groupes d’experts qui conseillent la Commission sur les matières liées au secteur financier – est parvenu à limiter fortement la portée des réformes.

Sa première victoire est d’avoir convaincu la Commission de proposer un rehaussement relativement modéré des fonds propres réglementaires des banques. En passant de 8 % à 10,5 %, leur niveau est en effet encore nettement inférieur à celui de 16-20 % préconisé – entre autres – par les experts de la Banque d’Angleterre. Selon ces derniers, il s’agirait pourtant du niveau de fonds propres optimal permettant de prévenir la survenance de nouvelles crises bancaires, tout en garantissant une distribution du crédit aux ménages et aux entreprises à un coût raisonnable.

Second succès du lobby bancaire : les standards de liquidité proposés par la Commission feront l’objet d’une longue période d’observation, sans aucune garantie de réglementation contraignante à la fin du processus. Autrement dit, en remettant à plus tard l’introduction éventuelle de tels ratios, la Commission préjuge qu’aucune crise de liquidité ne frappera le secteur bancaire au cours de la décennie actuelle. Or, les difficultés de refinancement sur le marché que rencontrent actuellement les banques françaises témoignent de l’urgence de contraindre le secteur à privilégier un financement de long terme de leur bilan.

La troisième victoire du secteur bancaire concerne l’absence de mesures spécifiques limitant les opérations financières entre le système bancaire régulé et le système bancaire dit « parallèle ». Ce dernier – qui englobe la plupart des acteurs financiers non régulés tels que les véhicules hors-bilan, les fonds spéculatifs, etc. – constitue pourtant un mécanisme clé à travers lequel la crise s’est propagée.

Enfin, le fait d’armes le plus cinglant du lobby bancaire est d’être parvenu à exclure du champ d’application du projet de réformes de la Commission tout type de mesure posant les prémices d’une séparation stricte des métiers bancaires. La Commission aurait pourtant pu au minimum s’inspirer de la proposition de la commission bancaire britannique – présidée par l’économiste John Vickers – qui vise à introduire un cloisonnement des activités de banque de détail à l’intérieur des grandes banques universelles.

Les matières liées à la régulation financière étant soumises à la procédure législative de codécision, il revient désormais au Parlement européen et au Conseil de négocier le règlement final qui jettera les bases du nouveau cadre prudentiel de l’Union européenne. Dans cette perspective, le groupe des Verts au Parlement européen a produit un document de position, dont nous présentons ci-dessous les principaux linéaments :

Séparer les métiers bancaires

Les verts européens sont favorables à la mise en œuvre d’une séparation stricte entre les activités de banque commerciale[[ Les banques commerciales – dénommées également banques de dépôt – récoltent l’épargne et accordent des prêts aux particuliers, ou aux entreprises.

]] et de banque d’investissement[[ La banque de financement et d’investissement est active sur les marchés financiers. Elle se charge des opérations financières telles que les émissions d’emprunts obligataires, les souscriptions d’actions, l’introduction en bourse, les fusions-acquisitions, etc. En outre, elles exécutent des ordres sur les marchés pour le compte de client ou pour compte propre.

]].

Il s’agit en effet d’une condition sine qua non pour éviter à l’avenir de nouvelles crises bancaires. En l’absence d’une telle mesure, les banques universelles – qui agrègent les différents métiers bancaires – continueront à répercuter une bonne partie des pertes boursières générées par leur division « banque d’investissement » sur leur division « banque commerciale », en limitant leurs prêts aux ménages et aux entreprises. Il est en outre urgent de mettre un terme aux garanties d’État implicites dont bénéficient les activités de marché des banques.

Jusqu’à présent, seule la commission bancaire britannique – présidée par l’économiste John Vickers – a pris des mesures fortes dans ce sens, en proposant d’introduire un cloisonnement des activités de banque de détail à l’intérieur des grandes banques universelles[[ ICB, September 2011, “Final report : Recommendations”, bankingcommission.independent.gov.uk/

]]. Plus précisément, l’entité cloisonnée – dont les activités se résumeraient essentiellement à la collecte de dépôts et la distribution de crédits – ne serait pas autorisée à réaliser des opérations de marché (achat/vente de produits financiers tels que des actions, obligations, dérivés, etc.). En outre, elle devrait se conformer aux normes prudentielles (exigences de fonds propres, standards de liquidité, etc.) sur une base autonome et gérer ses relations avec les autres entités du groupe bancaire sur une base similaire à celle qui prévaut pour des tierces parties.

Pour les verts européens, il est crucial que la Commission européenne s’inspire au plus vite de l’exemple britannique, en explorant des dispositions similaires garantissant une étanchéité optimale entre les activités de banque commerciale – qui ont une réelle utilité sociale – et les activités de banque d’investissement, qui se résument essentiellement à des opérations purement spéculatives.

Donner la priorité à l’utilisation de fonds propres durs

Idéalement, les superviseurs européens et nationaux devraient privilégier une définition stricte des fonds propres des banques, en y intégrant uniquement du capital dit « dur », c’est-à-dire : les actions ordinaires et les bénéfices mis en réserve.

La crise de 2008 a en effet démontré combien les titres dits « subordonnés » – appelés également « dettes hybrides » – n’ont pas joué leur rôle d’absorption des pertes des banques, dans la mesure où « les États […] ont préféré ne pas risquer la défaillance de leurs établissements bancaires et leurs aides ont comblé les pertes »[[ BERTHAT, Florent, 19/05/2011, « La dette hybride financière a encore de beaux jours devant elle », www.agefi.fr.

]].

Pour les verts européens, les seuls types de dettes hybrides qui pourraient être éventuellement inclus dans les fonds propres des banques sont les obligations à conversion contingente[[ Une obligation convertible (convertible bond) est une obligation à laquelle est attaché un droit de conversion qui offre à son porteur le droit et non l’obligation d’échanger l’obligation en actions de cette société, selon une parité de conversion préfixée, et dans une période future prédéterminée.

]] – dites « Coco ». Des conditions contractuelles claires et précises devraient néanmoins être attachées à ce type d’obligations. En particulier, leur conversion en capital devrait être déclenchée dès que la valeur de marché des actions de la banque concernée descend en dessous d’un seuil préétabli reflétant un niveau de stress modéré. Un tel mécanisme garantirait une recapitalisation automatique de la banque et ce, à un stade où celle-ci est encore en bonne santé financière.

Accroître les exigences de fonds propres

Les Verts européens considèrent qu’une plus large fraction – entre 15 et 20 pourcents – du total des actifs pondérés par le risque des banques devrait être financée par des fonds propres « durs » (actions ordinaires et bénéfices mis en réserve)[[ Pour rappel, le Comité de Bâle ainsi que la Commission européenne proposent un rehaussement de 8 % à 10,5 % des fonds propres réglementaires des banques.

]].

Selon nous, un rehaussement substantiel des fonds propres durs des banques n’entrainerait pas un accroissement de leurs coûts de financement. Au contraire, une telle mesure contribuerait à diminuer l’« effet de levier » des banques, ce qui, en retour, réduirait le risque lié à leurs capitaux propres et, par conséquent, le taux de rentabilité exigé par les actionnaires.

Afin d’éviter que les banques européennes ne réduisent l’encours de leurs crédits aux entreprises et aux ménages pour se conformer à des exigences de fonds propres plus élevées, il est néanmoins essentiel de leur accorder une période de transition adéquate. Celle-ci devra toutefois être accompagnée de conditions strictes imposées au secteur bancaire, en particulier : la mise en œuvre de restrictions sur le paiement des bonus et des dividendes afin de conserver des ressources pour renforcer les exigences de capital réglementaire.

Abandonner la pondération en fonction du risque

Pour les verts européens, il convient de cesser d’ajuster le niveau de fonds propres des banques en fonction du calcul du profil de risque de leurs actifs[[ Pour rappel : pour calculer le ratio de capital, les différentes activités des banques ne sont pas prises en compte à leur valeur faciale mais pondérées selon le niveau de risque qu’elles portent. Dans le langage technique, nous parlerons d’« actifs pondérés en fonction du risque » (en anglais : « risk weighted assets » (RWAs)).

]]. Deux raisons principales justifient une telle position.

Tout d’abord, les normes prudentielles actuelles autorisent les banques à utiliser leurs propres modèles de calcul des risques pour déterminer leur niveau de fonds propres. Or, un tel système génère des conflits d’intérêts, dans la mesure où les banques n’ont aucun intérêt à révéler leur exposition réelle aux risques. La crise de 2008 a en effet démontré combien les banques ont très clairement sous-évalué leurs risques de crédit[[ Le risque de crédit ou risque de contrepartie est le risque que l’emprunteur (un ménage ou une entreprise) ne rembourse pas sa dette à l’échéance fixée.

]] et de marché[[ Le risque de marché est le risque de perte qui peut résulter des fluctuations des prix des instruments financiers qui composent un portefeuille. Le risque peut porter sur le cours des actions, les taux d’intérêts, les taux de change, les cours de matières premières, etc.

]] afin de mettre moins de fonds propres en réserve pour couvrir leurs pertes potentielles, et d’en mobiliser d’autant plus pour financer leurs opérations spéculatives. L’agence de presse Bloomberg a par ailleurs dénoncé récemment le fait que de nombreuses banques européennes n’hésitent pas actuellement à diminuer le niveau de pondération des risques de leurs actifs afin de respecter les nouvelles exigences de fonds propres (9%) décidées lors du sommet européen du 27 octobre 2011[[ VAUGHAN, Liam, Nov 9, 2011, “Financial Alchemy Foils Capital Rules as Banks Redefine Risk”, www.bloomberg.com/news/2011-11-09/financial-alchemy-undercuts-capital-regime-as-european-banks-redefine-risk.html

]]. L’impact est en effet impressionnant : les banques espagnoles BBVA et Santander, ainsi que la britannique Lloyds sont parvenues à comptabiliser respectivement près de 2, 4 et 19 milliards d’euros de capitaux propres additionnels en sous-évaluant délibérément leurs risques de crédit et de marché[[ CHAVAGNEUX, Christian, 16 novembre 2011, “Les banques à la manœuvre pour contourner les contraintes en capital”, alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux

]].

La deuxième raison justifiant l’abandon du système de pondération en fonction du risque découle du fait que ce dernier repose sur une hypothèse fallacieuse selon laquelle les risques financiers encourus par les banques peuvent être calculés. Or, aucun modèle statistique utilisé par les banques ne peut anticiper la réalisation d’événements extrêmes[[ Un risque extrême (tail risk) est l’exposition à un événement improbable qui, s’il survenait, conduirait à la perte quasi totale du portefeuille.

]] (« tail risks » en anglais) tels que l’éclatement de bulles spéculatives. Autrement dit, comme le note l’économiste Paul De Grauwe : « les évènements improbables ne peuvent être quantifiés »[[ DE GRAUWE, P., 2009, «  Lessons from the banking crisis : a return to narrow banking », CESifo DICE Report

]].

Par conséquent, comme le suggère Martin Wolf, il conviendrait d’augmenter sensiblement les exigences de fonds propres des banques, « sans la pondération en fonction du risque »[[ WOLF, M., « Bâle a accouché d’une souris », Le Monde Economie, mardi 21 septembre 2010.

]].

Ceci étant, le consensus politique actuel ne permet pas une remise en cause fondamentale de l’idée d’actifs pondérés en fonction du risque. Par conséquent, outre l’adoption d’un ratio d’effet levier contraignant (voir ci-dessous), il serait utile dans l’immédiat d’autoriser les superviseurs nationaux et européens à développer leurs propres modèles de calcul des risques pour évaluer le niveau adéquat de fonds propres des banques.

Introduire un ratio d’effet levier contraignant

Comme nous l’avons expliqué ci-dessus (voir point d), les banques peuvent aisément contourner les contraintes en capital en manipulant le niveau de pondération des risques de leurs actifs. Une telle manœuvre leur permet en effet de réduire d’autant le montant total de l’actif en face duquel elles doivent mettre du capital et, par conséquent, le montant total de capital dont elles doivent disposer pour se conformer aux contraintes réglementaires[[ CHAVAGNEUX, Christian, op. cit.

]].

D’où la nécessité de soutenir l’adoption au niveau européen d’un indicateur plus fruste, mais moins manipulable, à savoir : la ratio d’effet levier (« leverage ratio » en anglais). Ce ratio est obtenu en divisant le capital « dur » par le total des actifs non pondérés. En le fixant à un niveau adéquat, il permet de limiter la part des actifs de la banque qui est financée par de la dette.

Selon les verts européens, il conviendrait d’imposer aux banques un ratio d’effet de levier minimum de 6%, ce qui correspond à un « leverage multiple »[[ Le « leverage multiple » constitue une autre façon de calculer l’effet de levier d’une banque. Ce ratio est obtenu en divisant le total des actifs non pondérés par le capital « dur ».

]] de 16.

À titre de comparaison, les grandes banques européennes telles que Deutsche Bank, UBS, ING, Société Générale et BNP Paribas ont un « leverage multiple » égal ou supérieur à 30 (ce qui correspond à un ratio d’effet de levier égal ou inférieur à 3,3% – Voir le graphique concernant l’effet de levier).

Autrement dit, la mise œuvre d’un ratio d’effet de levier de 6% au niveau de l’Union européenne contraindrait les grandes banques universelles à réduire de près de moitié la proportion de leurs actifs qui sont financés par la dette. Pour y parvenir, ces dernières devraient soit augmenter substantiellement la part de leurs actifs financés par les apporteurs de capitaux (c’est-à-dire les actionnaires), soit procéder à une réduction de la taille de leur bilan, en accélérant la cession de leurs actifs toxiques.

Démanteler les banques « trop grandes pour faire faillite » 

Lors du sommet du G20 à Cannes le 4 novembre 2011, le Conseil de stabilité financière[[ Le Conseil de stabilité financière (en anglais Financial Stability Board ou FSB), est un groupe économique informel créé lors de la réunion du G20 à Londres en avril 2009. Il succède au Forum de stabilité financière (Financial Stability Forum ou FSF) institué en 1999 à l’initiative du G7. Il regroupe 26 autorités financières nationales (banques centrales, ministères des finances, …), plusieurs organisations internationales et groupements élaborant des normes dans le domaine de la stabilité financière.

]] (CFS) a rendu public une liste de 29 banques[[ La liste des «SIFIs» est la suivante: Bank of America, Bank of China, Bank of New York Mellon, Banque Populaire Caisses d’épargne (BPCE), Barclays, BNP Paribas, Citigroup, Commerzbank, Credit Suisse, Deutsche Bank, Dexia , Goldman Sachs, Group Crédit Agricole, HSBC, ING Bank , JP Morgan Chase, Lloyds Banking Group, Mitsubishi UFJ FG, Mizuho FG, Morgan Stanley, Nordea, Royal Bank of Scotland, Santander, Société Générale, State Street, Sumitomo Mitsui FG, UBS, Unicredit Group, Wells Fargo.

]] considérées comme des institutions financières d’importance systémique (“SIFIs” en anglais), c’est-à-dire: dont l’éventuelle faillite aurait de lourdes conséquences sur le système financier et l’économie réelle, notamment en raison de leur taille, leur complexité et leur interdépendance.

Pour les verts européens, l’introduction d’une séparation stricte des métiers bancaires, voire d’un ratio d’effet levier contraignant et suffisamment élevé (voir le point e ci-dessus), sont autant de mesures qui contribueraient de manière effective au démantèlement des banques « trop grandes pour faire faillite ».

Une autre mesure envisageable – proposée notamment par le CFS – consisterait à appliquer une surcharge en fonds propres aux institutions financières d’importance systémique (SIFIs). Ceci étant, cette dernière disposition ne constitue pas la panacée contre un risque de faillite. En effet, comme l’a très bien souligné Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, « les banques qui sont trop importantes pour faire faillite sont trop importantes pour exister ».

L’introduction d’une surcharge en fonds propres devrait donc être considérée comme une mesure temporaire, parallèlement à la mise en œuvre d’autres dispositions visant à réduire la nature systémique des banques. Rendre les surcharges punitives pour les 20 établissements financiers systémiques les plus importants pourrait faciliter un tel processus.

Limiter les risques de liquidité

Comme nous l’avons vu (voir section 2.2), les banques européennes sont fortement dépendantes de financements à court terme obtenus sur les marchés de capitaux, ce qui les expose à des risques de liquidité[[ Le risque de liquidité consiste à se trouver incapable de générer suffisamment de ressources pour s’acquitter de ses obligations de paiement au moment où elles deviennent exigibles.

]] et de refinancement[[ Le risque de refinancement est le risqué de se retrouver dans l’incapacité de lever des fonds sur le marché à un prix acceptable pour refinancer des engagements envers la clientèle.

]] importants.

Afin de limiter cette source de fragilité, les verts européens sont favorables à l’instauration au niveau de l’UE des deux nouveaux ratios de liquidité adoptés par le Comité de Bâle en décembre 2010, à savoir : le « liquidity coverage ratio » (LCR) et le « net stable funding ratio » (NSFR).

Le premier est un ratio à court terme dont le respect exigerait la détention par la banque d’un montant d’actifs liquides de haute qualité qui permettraient de faire face, en cas de scénario de crise, aux sorties prévisionnelles de cash pendant 30 jours. Quant au second ratio (NSFR), il vise à inciter les banques à recourir à des ressources stables pour financer leurs activités[[ Plus précisément, le NSFR met en regard le montant des ressources stables à moins et plus d’un an pour faire face aux différents profils d’actifs.

]].

À défaut d’une application immédiate de ces nouveaux ratios de liquidité, les verts européens sont favorables à l’adoption de mesures intermédiaires visant à rendre plus coûteuse la dépendance des banques aux financements à court terme. De telles mesures auraient pour principal objectif de soutenir les institutions financières qui s’appuient sur des sources de financement stables (essentiellement les dépôts) telles que les banques d’épargne, tout en pénalisant celles qui dépendent de sources de financement plus volatiles, telles que les banques d’investissement.

Enfin, les verts européens appellent également à une transparence accrue concernant la position des banques en matière de liquidité. Plus précisément, la nature des sources de liquidité des banques devrait être publiée afin de les soumettre à une réelle discipline de marché.

Réguler le système bancaire parallèle

Le système bancaire dit « parallèle » ou « de l’ombre » (en anglais « shadow banking ») englobe la plupart des acteurs financiers non régulés tels que les véhicules hors-bilan (conduits, SPV (Special purpose vehicle), SIV (Special Investment Vehicle)), les fonds spéculatifs, ou encore les fonds monétaires (en anglais, les « money market funds » (MMF)).

Dans la mesure où ce système « parallèle » constitue un mécanisme clé à travers lequel la crise s’est propagée, il est indispensable de réguler strictement les interactions entre ce dernier et le secteur bancaire régulé. En particulier, il conviendrait d’adopter divers dispositions prudentielles visant à limiter les transactions suivantes :

•les dépôts et financements provenant d’établissements bancaires parallèles;

•les transactions dites de « repo »[[ Appelée aussi réméré sur obligation, la pension livrée (« repo » en anglais) est un contrat par lequel un investisseur institutionnel ou une entreprise peut échanger, pour une durée déterminée, ses liquidités contre des titres financiers (réméré acheteur).

]] entre les établissements bancaires parallèles et les banques régulées;

•les lignes de crédit ainsi que les garanties octroyées par les banques régulées aux établissements bancaires parallèles;

•les collatéraux octroyés par les établissements bancaires parallèles aux banques régulées;

•les produits titrisés octroyés par les banques régulées aux établissements bancaires parallèles;

Accroître la transparence bancaire

Le bilan des banques manque cruellement de transparence. Bien que la deuxième phase d’amendement de la directive sur les fonds propres réglementaires (CRDIII) ait donné lieu à des nouvelles dispositions portant sur la divulgation d’informations relatives aux politiques de rémunération et de titrisation, l’accès public à des données bancaires demeure encore très parcellaire, notamment concernant le degré d’exposition aux risques auquel sont confrontées les banques.

Par conséquent, les verts européens entendent promouvoir l’adoption de mesures visant le double objectif suivant :

Tout d’abord, renforcer les contraintes réglementaires en matière de divulgation des données des banques en ce qui concerne, d’une part, leur exposition aux risques de crédit, de marché et de liquidité et, d’autre part, leurs engagements hors-bilan (voir le point h ci-dessus);

Deuxièmement, créer de nouveaux standards permettant aux superviseurs européens et nationaux de comparer adéquatement les données intégrées dans le bilan des banques;

Annexe. Qu’est-ce que le bilan d’une banque?

Un bilan de banque présente, de manière schématisée, les grandes rubriques suivantes avec des montants qui peuvent varier fortement[[ www.lafinancepourtous.com/Le-bilan-d-une-banque.html

]] :

Actif Passif
Prêts interbancaires Emprunts interbancaires 1
2
Dépôts clientèle
Crédits clientèle
Divers
Divers Certificats de dépôts 3
Portefeuille titres
Obligations
Fonds propres
4
Immobilisations
Hors bilan

Source : « La Finance pour tous »[[ Idem.

]]

Le passif informe sur l’origine des ressources, c’est-à-dire les fonds collectés par la banque. L’actif informe sur l’utilisation des fonds collectés.

Les actifs et les passifs de la classe 1 se réfèrent aux opérations interbancaires, c’est-à-dire celles que la banque réalise avec d’autres institutions financières, dans le cadre de sa gestion de trésorerie.

Les actifs et les passifs de la classe 2 correspondent aux opérations avec la clientèle. À l’actif les crédits accordés, au passif les dépôts collectés.

Les actifs et les passifs de la classe 3 retracent les opérations sur titres. A l’actif, les placements de la banque sur le marché des capitaux pour son propre compte (portefeuille de titres, classés selon leur durée de conservation). Au passif, les titres de dettes que la banque émet pour se refinancer.

Les actifs et les passifs de la classe 4 contiennent les valeurs immobilisées, c’est-à-dire à l’actif les biens et valeurs censés demeurer durablement dans le patrimoine de la banque et à l’actif les provisions constitués et les fonds propres y compris les bénéfices non distribués.

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