La Constitution et les législations applicables prévoient que les élections sont organisées sous le mode de scrutin proportionnel dans notre pays. Dans les faits, le mode de scrutin n’est que fort partiellement proportionnel pour l’élection du Parlement de Wallonie et pour l’élection des conseils communaux. Entre les principes et leur application, on note d’importants écarts entre voix et sièges, tant au niveau du Parlement de Wallonie qu’à celui des conseils communaux. Ainsi, à titre d’exemple, le PS occupe aujourd’hui 40% des sièges au sein du Parlement de Wallonie alors qu’il a recueilli la confiance de 30,9% des citoyens qui ont exprimé un vote valable. En d’autres mots, la coalition au pouvoir aujourd’hui en Wallonie est minoritaire : alors qu’elle dispose d’une majorité de plus de 57 % des sièges au Parlement, elle ne rassemble en réalité que 46,7% des suffrages exprimés par la population. De même au niveau local, une majorité au sein du conseil communal peut ainsi reposer sur une minorité dans la population, 45 % des suffrages exprimés (CDH à Mouscron ou GEM à Gesves pour ne prendre que quelques exemples), voire à 43 % (MR-LB à Stavelotou PS à Beloeil par exemple), voire même encore à 41,5 % (PS à Honnelles) ! Cette altération de la proportionnalité peut aussi conduire à porter le seuil d’accès au conseil communal parfois au-delà de 9 ou 10 %: c’est le cas notamment à Chièvres (au détriment du CDH), Houyet (au détriment d’Ecolo) ou Rendeux (Nous). Enfin, la liste qui arrive en tête peut recevoir, dans certaines configurations, une prime au vainqueur démesurée : à Wavre, 64,52 % des sièges avec 55,14 % des voix exprimées(LB) ; à Jurbise, 80,95 % des sièges avec 68,13 % des voix exprimées (LB).En cause : certaines modalités du scrutin, tantôt il s’agit de la formule proportionnelle proprement dite, tantôt de la taille des circonscriptions et des règles d’apparentement, le plus souvent d’une combinaison de plusieurs de ces facteurs. Un arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 novembre dernier oblige le législateur wallon à accroître la proportionnalité du scrutin au niveau régional. Plusieurs propositions peuvent être avancées dans cette optique. Au niveau local, le simple fait d’opter pour la clé d’Hondt en lieu et place de la clé Impériali opérerait déjà un saut qualitatif vers plus de démocratie.

1. Quelques rappels

La Belgique est le premier pays au monde à avoir instauré un mode de scrutin proportionnel au plus haut niveau de ses institutions politiques. C’est la loi du 29 décembre 1899 relative à l’application de la représentation proportionnelle aux élections législatives[[M. b., 30 décembre 1899.

]] qui a fait basculer la Belgique d’un système jusqu’alors majoritaire à un système proportionnel.

Les formules électorales proportionnelles visent à permettent de supprimer, ou à tout le moins limiter, les inégalités engendrées par les formules majoritaires. « Victor d’Hondt, dont on connaît l’implication personnelle en faveur de ce mode de scrutin, y voyait « une exigence logique de l’égalité de tous les citoyens devant l’urne du scrutin ». Paraphrasant John Stuart Mill, Frédéric Bouhon précise que ce que le système proportionnel permet d’éviter, c’est que le Gouvernement soit aux mains de la majorité d’un Parlement qui ne représente lui-même qu’une minorité en dehors du Parlement[[Fr. Bouhon, Droit électoral et principe d’égalité, l’élection des assemblées législatives nationales en droits allemand, belge et britannique, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 777, n° 685.

]].

Formules proportionnelles

Certaines formules électorales proportionnelles peuvent toutefois maintenir une certaine inégalité entre les électeurs en surreprésentant les plus grandes listes, que ce soit à travers le choix de la formule, mais également à travers d’autres règles électorales, tels que les seuils électoraux ou la taille des circonscriptions. Comparant plusieurs formules, Frédéric Bouhon note que la formule Sainte-Largüe est la plus objectivement neutre, alors que les formules d’Hondt et Imperiali surreprésentent les partis électoralement les plus forts et leur assure ainsi une plus grande pérennité[[Fr. Bouhon, op. cit., pp. 778-779, n° 685.

]].

Depuis la révision du 15 novembre 1920, le principe de la proportionnalité de la représentation est inscrit dans la Constitution. Au-delà du principe, il appartient alors au législateur, en vertu de l’article 62, alinéa 2 de la Constitution de définir de façon plus précise les modalités de scrutin. Pour les élections régionales wallonnes, c’est la loi spéciale qui impose le scrutin proportionnel[[Art. 29, §1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

]].

En ce qui concerne les élections locales, le principe de l’application de la représentation proportionnelle a été acquis pour les élections communales par la loi du 15 avril 1920[[Relative à la formation des listes des électeurs communaux et modifiant certaines dispositions de la loi du 12 septembre 1895, MB, 18 avril 1920.

]] et pour les élections provinciales par la loi du 19 octobre 1921[[Organique des élections provinciales, MB, 24-25 octobre 1921.

]].

Il est désormais consacré dans la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. En effet, en même temps qu’elle attribue aux Régions la compétences d’organiser les élections des organes locaux, la loi spéciale précise que les décrets et les ordonnances ayant pour effet de diminuer la proportionnalité de la répartition des sièges par rapport à la répartition des voix doivent être adoptés à la majorité des deux-tiers[[Voir l’article 6, § 1er, VIII, 4°, c) de la LSRI.

]].

Il faut toutefois observer que dans l’état actuel du droit, seul le niveau communal se voit appliquer la clé Impériali (voir l’article L4145-6, §1er du code de la démocratie locale et de la décentralisation).

Seuil électoral légal

Le seuil électoral légal peut être défini comme une règle juridique qui réserve explicitement ou expressément l’accès à la dévolution des sièges (ou éventuellement à une phase suivante de la dévolution des sièges) aux listes qui ont recueilli au minimum une fraction déterminée de voix exprimées[[Fr. Bouhon, op. cit., p. 856, n° 746.

]].

Ainsi, pour les élections fédérales, la Belgique a introduit un seuil électoral légal fixé à 5 % à l’échelle provinciale, pour remplacer l’ancien seuil électoral légal d’apparentement des listes présentées dans différentes circonscriptions d’une même province, fixé à 33 % du diviseur électoral dans au moins un arrondissement de la province concernée, afin de leur permettre de bénéficier d’une deuxième dévolution des sièges au niveau de la province[[Loi du 22 octobre 1919 complétant le Code électoral et opérant la répartition proportionnelle des sièges législatifs par circonscription provinciale (MB, 23 octobre 1919).

]] .

Seuil électoral naturel

Le seuil électoral naturel est le nombre de voix qu’il convient de recueillir pour obtenir un siège dans une circonscription donnée indépendamment d’une disposition fixant un seuil électoral légal. Le seuil électoral naturel dépend de plusieurs autres choix politiques en matière électorale comme la formule électorale, le découpage du territoire en circonscriptions, le nombre de sièges à élire. Dans un système proportionnel, l’élément décisif dont dépend le seuil électoral est le nombre de sièges disponibles dans la circonscription considérée : plus ce nombre est faible, plus le taux du seuil électoral tend à être élevé, plus l’accès à l’assemblée est compromis pour les petites formations politiques[[F. Bouhon, op. Cit., pp. 873-874, n° 760-761.

]].

Comme le fait observer Frédéric Bouhon, « le seuil naturel qui est produit par un système proportionnel avec de petites circonscriptions est davantage comparable à celui qui résulte d’un système majoritaire qu’à celui qui découle d’un système proportionnel déployé dans une circonscription de 150 sièges ». D’aucun estime qu’un système proportionnel appliqué dans une circonscription qui compte moins de 4 sièges est assimilable à un système majoritaire. Selon l’auteur, « la volonté légitime de favoriser une diversité géographique parmi les élus ne devrait cependant pas être poussée à un point tel qu’elle anéantirait les effets égalitaires du mode de scrutin proportionnel »[[Ibidem, pp. 875-876, n° 762, F. Bouhon citant également Dieter Nohlen.

]].

2. En Wallonie : circonscriptions, seuils électoraux naturels et niveaux d’apparentement

Scrutin proportionnel et marges de l’autonomie constitutive

Pour les élections régionales wallonnes, c’est la loi spéciale qui impose le scrutin proportionnel[[Art. 29, §1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

]], sans qu’il ne soit donné aux Parlements la possibilité de remplacer le système proportionnel par un autre système, majoritaire ou mixte[[Art. 35, §3 et 49, §1er de la loi spéciale du 8 août 1980.

]]. Les articles 29 à 29 undecies de la loi spéciale du 8 août 1980 distinguent également la répartition des sièges selon qu’il y a ou non regroupement de listes[[Art. 29 quinquies et art. 29 ter de la loi spéciale du 8 août 1980.

]]. Dans les deux cas, seules les listes qui obtiennent au moins 5 % des votes sont admises à la répartition des sièges. La loi spéciale fixe ainsi un seuil électoral légal. En cas d’apparentement, le chiffre électoral de ces listes doit, en outre, atteindre dans au moins un circonscription de la province, au moins 66 % du diviseur électoral[[Art. 29 sexies, 3ième alinéa de la loi spéciale du 8 août 1980.

]]. Ce faisant, la loi spéciale ajoute au seuil légal un seuil d’apparentement. Le Parlement flamand a usé de son autonomie constitutive pour introduire des circonscriptions électorales provinciales et supprimer, ce faisant, ce seuil d’apparentement[[Art. 7 et annexe du décret spécial du 7 juillet 2006 relatif aux institutions flamandes, MB du 16 octobre 2006.

]].

L’autonomie constitutive des Parlements des entités fédérées portent notamment sur la détermination des circonscriptions électorales et la modification de la quotité de voix à atteindre pour la répartition des sièges en cas de groupement de listes. Selon l’article 26, §§ 1er et 2, de la LSRI, le Parlement wallon détermine par décret les circonscriptions électorales pour ce qui le concerne, et pour autant qu’aucune d’entre elles ne dépasse les limites du territoire de la Région. L’article 35, § 3, de la même loi précise que ce décret est adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés. L’article 29 sexies, § 1er, de la LSRI détermine le mode de calcul du quorum électoral, qui est actuellement fixé à 66 % du diviseur électoral. Cela étant, le § 2 de cette disposition fournit l’habilitation aux entités fédérées afin de modifier par décret la quotité de voix qu’un groupe de listes doit atteindre, outre le seuil légal de 5 %, pour la répartition des sièges par le mécanisme de l’apparentement.

Circonscriptions électorales et seuils naturels

À ce jour le législateur wallon n’a pas exercé la compétence qu’il tient des articles 24 et 26, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 précitée et qui lui permet de déterminer les circonscriptions électorales par décret. C’est, dès lors, la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’Etat[[MB., 20 juillet 1993.

]] qui détermine le mode d’élection du Parlement wallon. Conformément à l’annexe 1 de cette loi, les élections régionales pour le Parlement wallon sont organisées sur base de treize circonscriptions.

Les travaux préparatoires à l’adoption de la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’Etat indiquent que le législateur a, ainsi, voulu reprendre, pour les élections du Parlement wallon, les circonscriptions électorales définies par le Code électoral[[Doc. Parl. La Chambre, sess. 1992-1993, n°897/1, pp. 15 et 22-23. Ces circonscriptions électorales ont, quant à elles, été déterminées par la loi du 29 décembre 1899 relative à l’application de la représentation proportionnelle aux élections législatives.

]].

Déjà lors de leur fixation, le tracé des circonscriptions a fait l’objet de critiques, notamment sous l’angle de la distribution inégalitaire de l’influence électorale qu’il générait. Les arguments retenus pour y répondre sont « une certaine représentation des intérêts locaux » et « un souvenir historique qui a sa valeur »[[Rapport fait à la Chambre des représentants au nom de la section centrale, Pasinomie, 1899, n°509, pp. 403-404.

]] .

Sur la base de ces données chiffrées, l’application de la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’Etat crée des circonscriptions électorales qui comprennent de 2 à 13 sièges et induit, dès lors, des seuils électoraux qui peuvent aller de 7,69% à 50%. Il est encore à observer que sur les 13 circonscriptions électorales wallonnes, 3 d’entre elles proposent moins de 4 représentants à élire. Il s’agit des circonscriptions de Thuin (3), d’ Arlon-Marche-Bastogne (3) et de Neufchâteau-Virton (2).

Quorum légal et apparentement provincial

L’apparentement permet au(x) candidat(s) d’une liste, généralement d’un même parti, de faire une déclaration de groupement, c’est-à-dire de s’apparenter. Le mécanisme du groupement de listes ou de l’apparentement permet la mise en commun des voix non utilisées lors de la dévolution au niveau de leur circonscription respective. Ce mécanisme est a priori censé affiner encore la représentation proportionnelle au niveau d’une circonscription électorale plus large[[M. Reuchamps et F. Onclin, art. Cit., in M. Reuchamps et F. Bouhon, op. Cit., pp. 332-333.

]].

Pour les élections régionales wallonnes, nous avons vu qu’un apparentement entre les circonscriptions est réalisé au niveau de chaque province. L’accès à cet apparentement est cependant conditionné par le franchissement, dans au moins une des circonscriptions de la province, d’un quorum électoral, égal à 66 % du diviseur électoral, lui-même résultat de la division du nombre total de votes valables par le nombre de sièges à pourvoir dans la circonscription.

Or, puisque les deux éléments de cette division sont proportionnels l’un à l’autre en fonction du chiffre de population, ce diviseur représente un pourcentage de voix d’autant plus élevé que le nombre total de votes valables est faible. En pourcentage de voix, le quorum légal actuel est dès lors très variable d’une circonscription à l’autre, ce qui le rend particulièrement inéquitable : il est en fait inversement proportionnel à l’importance démographique de la circonscription.

Plus concrètement, ce quorum légal varie de l’ordre de 5,08 % des voix dans la plus grosse circonscription (celle de Liège) à 33 % dans la plus petite (celle de Neufchâteau-Virton). Mais puisqu’il ‘suffit’ de l’atteindre dans une seule des circonscriptions de la province, c’est donc le quorum le plus faible (celui de la plus grande circonscription) de la province qui est de facto déterminant pour participer à l’apparentement : de l’ordre de 22 % dans la circonscription d’Arlon-Marche-Bastogne pour le Luxembourg, par exemple. Ces disparités ont pour effet qu’à pourcentage de voix équivalent, il est beaucoup plus difficile pour une liste de décrocher un siège dans certaines provinces que dans d’autres.

Du reste, lorsque la province est constituée uniquement de circonscriptions ayant peu de sièges en jeu, l’accès à l’apparentement est rendu plus difficile pour toute la province, affaiblissant encore le caractère proportionnel du scrutin.

L’accès d’une liste à l’apparentement dépend dès lors davantage de la taille des circonscriptions que de la force électorale des listes qu’il y présente… C’est la raison pour laquelle le quorum actuel élimine davantage les formations politiques moyennes ou petites dans les provinces moins peuplées (Luxembourg par exemple) et dans les provinces découpées en un grand nombre de circonscriptions (Hainaut par exemple), quand bien même leurs pourcentages de voix restent d’un ordre de grandeur sensiblement équivalent d’une province à l’autre. Ainsi, à titre d’exemple, en 1999, le PS, premier parti wallon à l’issue de ces élections, s’est vu privé de toute représentation politique au sein du Parlement wallon en province du Luxembourg, faute de ne pas avoir atteint ce quorum particulièrement élevé. Tel fut le cas, de la même manière en 2009 pour le MR qui n’a pu atteindre le seuil de 66 % du diviseur électoral dans aucune des deux circonscriptions de la province du Luxembourg pour accéder à l’apparentement, ce qui a alors profité alors au PS et au CDH[[P. Blaise, V. de Coorebyter, J. Faniel et C. Sägesser, « Les résultats des élections régionales, communautaires et européennes du 7 juin 2009 », Courrier hebd. CRISP, 2009, nos 2043-2044, p. 30.

]]. Les voix perdues ont concerné globalement 66.266 électeurs dans cette seule province, ce qui signifie que 41 % de la population votante du Luxembourg n’a pas été représentée !

Comme le notent Min Reuchamps et François Onclin, « Ainsi, si l’apparentement vise à réduire les distorsions de la représentation proportionnelle appliquée, dans le cas belge, à des circonscriptions de petite taille, l’existence d’un seuil électoral au sein de ce mécanisme peut conduire à un effet inverse »[[Art. Cit., in F. BOUHON et M. REUCHAMPS, op. Cit., p.339.

]].

Ainsi, pour les élections du Parlement wallon qui se sont tenues en 2014, l’application du système électoral donne les chiffres suivants :

Circonscription Nombre de sièges à pourvoir Nombre de voix à recueillir pour ouvrir l’apparentement Seuil d’apparentement
Nivelles 8
Charleroi 9 16.568 voix pour 225.925 votes valables 7,33%
Soignies 4 17.194 voix pour 104.203 votes valables 16,5%
Mons 5 18.523 voix pour 140.327 votes valables 13,2%
Thuin 3 19.730 voix pour 89.680 votes valables 22,00%
Tournai-Ath-Mouscron 7 16221 voix pour 172.041 votes valables 9,439%
Huy-Waremme 4 19.702 voix pour 119.405 votes valables 16,50%
Liège 13 17.390 voix pour 342.526 votes valables 5,08%
Verviers 6 17.110 voix pour 155.542 votes valables 11,00%
Namur 7 17.793 voix pour 188.709 votes valables 9,43%
Dinant-Philippeville 4 18.046 voix pour 109.365 votes valables 16,5%
Arlon-Bastogne-Marche-en-Famenne 3 20.954 voix pour 95.245 votes valables 22,00%
Neufchâteau-Virton 2 22.978 voix pour 69.630 votes valables 33,00%

3. Le seuil d’égalité de la Cour constitutionnelle

Le 26 novembre dernier, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt[N° 169/2015, à lire sur le site [http://www.const-court.be/, dans la rubrique Affaires pendants-jurisprudence/ Arrêts.

]] suite à une question préjudicielle adressée par le Conseil d’État. Cette question fut posée dans le cadre d’un recours de candidats Ecolo et d’électeurs contre l’arrêté du Gouvernement wallon du 28 février 2013 portant répartition des membres du Parlement entre les circonscriptions électorales. Cet arrêt marque une avancée importante pour la démocratie. Il confirme la teneur d’un arrêt précédent de cette même cour du 5 décembre 2007 d’où il ressortait déjà qu’une circonscription doit élire un minimum de 4 représentants, constituant ainsi un seuil « d’égalité »[[Fr. Bouhon, Droit électoral et principe d’égalité, l’élection des assemblées législatives nationales en droits allemand, belge et britannique, Bruxelles, Bruylant, 2014 et la note d’observations de Frédéric Bouhon sous l’arrêt n°149/2007 du 5 décembre 2007 de la Cour constitutionnelle, « Le seuil électoral au seuil de l’égalité », JLMB, 2008/15, pp. 645 et s.

]] en-dessous duquel le système de la représentation proportionnelle n’est pas respecté.

3.1. Arrêt de la Cour constitutionnelle n°149/2007 du 5 décembre 2007

Dans cette affaire, les requérants[[Des candidats Groen.

]] demandaient l’annulation de l’annexe du décret flamand qui reprend la composition des districts électoraux pour les provinces. Ce tableau ne fait que reprendre ce que prévoyait la législation fédérale et aucun changement n’a donc été opéré à l’initiative de la Région flamande, mais c’est précisément le maintien de la situation antérieure qui fait l’objet du recours des requérants : une trop grande disparité entre les districts électoraux et les seuils naturels, heurtant les principes d’égalité et de non discrimination.

Comme il a été explicité plus haut, l’étendue d’une circonscription électorale peut en effet influencer de manière défavorable le poids du vote d’un électeur, la candidature d’un candidat et, plus généralement, les chances d’un parti politique d’obtenir des représentants dans un organe représentatif. Les petits districts électoraux génèrent en effet des seuils naturels élevés, défavorables aux formations politiques, moyennes ou petites.

Le principe de l’application de la représentation proportionnelle pour les élections provinciales a été confirmé par l’article 6, §1er, VIII, 4°, c) de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 (ci-après, la LSRI), aux termes duquel une majorité des 2/3 est du reste requise lorsque les Régions souhaitent modifier la réglementation en la matière dans un sens moins proportionnel.

La Cour considère que c’est au législateur décrétal qu’il appartient en principe d’apprécier s’il est souhaitable d’organiser les élections provinciales sur la base d’une seule ou de plusieurs circonscriptions électorales. Cependant, il doit prendre en compte que le chiffre de la population d’une circonscription électorale détermine le seuil électoral naturel qui doit être atteint afin d’obtenir un siège. La hauteur du seuil naturel est inversement proportionnelle au nombre de sièges à pourvoir et donc aussi au chiffre de la population électorale.

La Cour observe qu’il existe des différences considérables quant au nombre de sièges à pourvoir et donc, quant au seuil électoral naturel et au seuil d’apparentement.

Selon la Cour, l’objectif consistant à garantir la représentation des régions socio-économiques dans la province, évoqué dans les travaux parlementaires, ne peut justifier les différences quant au seuil électoral naturel qui découlent de la répartition en circonscriptions électorales que si ces différences demeurent dans des limites raisonnables. En l’occurrence, les seuils électoraux naturels varient d’environ 3% à plus de 16%.

Lorsque le législateur décrétal choisit d’organiser les élections selon le système de la représentation proportionnelle, il doit tenir compte de ce que ce système ne peut être appliqué utilement que si, dans les circonscriptions électorales, un nombre minimum de représentants peuvent être élus, ce qui suppose au moins 4 ou 5 représentants à élire par circonscription.

En Flandre, sur 52 districts, 9 districts avaient alors 4 représentants, 2 districts en ont 3 et un 1 district en a 2. Partant, la Cour annule le tableau qui délimite les circonscriptions provinciales flamandes, tout en maintenant les effets de la disposition annulée en ce qui concerne les élections provinciales antérieures à l’arrêt, en octobre 2006.

Concrètement, la Région flamande a donc dû revoir sa législation électorale en vue du scrutin de 2012[[S. Verbanck, « Kiesdistricten provincieraad moiten hertekend », Juristenkrant, 19 décembre 2007.

]] afin qu’au minimum 4 mandats puissent être brigués dans les circonscriptions de Herck-la-Ville (auparavant, 3 sièges), Audenarde (idem) et Poperinge (auparavant, 2 sièges). Ainsi, le décret flamand du 8 juillet 2011 portant organisation des élections locales et provinciales et portant modification du décret communal du 15 juillet 2005, du décret provincial du 9 décembre 2005 et du décret du 19 décembre 2008 relatif à l’organisation des centres publics d’aide sociale (cité comme : le décret électoral local et provincial de 8 juillet 2011), a supprimé le tableau des districts électoraux qui était annexé au décret provincial et a modifié les articles 5 et 6 du décret provincial du 9 décembre 2006 de manière à permettre l’élection de minimum 4 représentants par circonscriptionrticle 269/1. A l’article 5 du Décret provincial, modifié par le décret du 30 avril 2009, le paragraphe 1er est remplacé par ce qui suit : ‘ § 1er. Le Conseil provincial représente la population entière la province. Il est composé,y compris les membres de la députation du conseil provincial qui ont été élus en qualité de membre du conseil provincial, de : 1° 63 membres dans les provinces de moins de 1 000 000 habitants; 2° 72 membres dans les provinces de 1 000 000 habitants et plus. Voir égalementhttp:/les travaux parlementaires du décret : www.vlaamsparlement.be/Proteus5/showParlInitiatief.action?id=629036).

]].

3.2. Arrêt de la Cour constitutionnelle n°169/2015 du 26 novembre 2015

Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a été saisie, de façon médiate, par le Conseil d’État qui lui a adressé deux questions préjudicielles portant sur la rupture d’égalité potentielle entre candidats et entre électeurs, selon qu’ils font partie d’une circonscription qui disposent de moins de 4 ou 5 sièges ou de plus. A l’origine de cette question, des candidats et élus Ecolo du Luxembourg ont introduit, devant le Conseil d’État, un recours contre l’arrêté du gouvernement wallon du 28 février 2013 portant répartition des membres du Parlement wallon entre les circonscriptions électorales[[M.B., 12 mars 2013

]]. Cet arrêté est pris en exécution de l’article 26, §3 de la loi spéciale du 8 août 1980 et eu égard aux circonscriptions fixées en vertu de l’article 5 de la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure de l’État ainsi que du tableau annexé à cette loi (voir supra). En fait, comme le note le Conseil d’État, « le Gouvernement wallon ne dispose à cet égard d’aucun pouvoir d’appréciation, la répartition des sièges entre les circonscriptions électorales étant fixée selon un calcul mathématique dont toutes les données sont fournies par la législation »[[C.E., n o 229.252 du 20 novembre 2014

]]. Il se situe dans une compétence totalement liée. L’annulation de l’arrêté du 28 février 2013 précité ne peut aboutir qu’à la reprise du même arrêté. Derrière cette disposition réglementaire, les requérants contestent la validité de la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État, en tant que celle-ci aboutit à des différences de seuils électoraux naturels déraisonnables et permet l’existence de circonscriptions électorales disposant de moins de 4 ou 5 sièges. A l’appui de leur argumentation, ils se réfèrent justement à l’arrêt de la Cour constitutionnelle n°149/2007 du 5 décembre 2007, rendu à propos d’une disposition comparable.

La Cour constitutionnelle tient le même raisonnement que celui qu’elle avait tenu en 2007. Certes, elle reconnaît qu’on ne saurait éviter le phénomène des « voix perdues », même dans un système strictement proportionnel. Elle rappelle qu’aucune norme de droit international ou de droit interne n’interdit au législateur qui a opté pour un système de représentation proportionnelle de prévoir des limitations raisonnables afin de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques. Et elle conclut que son pouvoir est circonscrit à la vérification que le législateur n’a pas pris une mesure qui ne peut être raisonnablement justifiée.

A ce sujet, comme dans l’arrêt précédent, elle note les liens intrinsèques entre taille de la circonscription, chiffre de la population et le nombre de siège à pourvoir ainsi que le rapport inversement proportionnel entre le seuil naturel et le nombre de sièges et donc l’importance de la population. Ensuite, elle examine la raison d’être de la taille des circonscriptions électorales, soit la prise en compte des intérêts locaux et le caractère historique de la délimitation des circonscriptions. A ce sujet, le Gouvernement wallon fait valoir que « le maintien de circonscriptions électorales de taille inférieure à celle des provinces poursuit l’objectif de favoriser le contact entre les électeurs et les candidats et qu’il est justifié par le fait que les partis, les candidats et les électeurs ont appris à s’organiser et à se connaître sur la base de ce découpage territorial en circonscriptions, inchangé depuis plusieurs décennies ».

Mais pour la Cour, le législateur doit prendre en considération les différences quant au seuil électoral naturel qui découlent du choix des circonscriptions électorales et les arguments soulevés par le Gouvernement consistant à favoriser la proximité des électeurs et des candidats ou encore la volonté de maintenir un système auquel les uns et les autres sont habitués, ne peuvent justifier les différences quant au seuil électoral naturel qui découlent de la répartition en circonscriptions électorales que si ces différences demeurent dans des limites raisonnables.

En d’autres termes, les écarts entre les différents seuils sont trop importants. Élément neuf par rapport à son arrêt précédent : pour elle, le mécanisme d’apparentement ne saurait suffire à corriger la discrimination constatée dès lors, d’une part, que la mise en œuvre de ce mécanisme ne peut avoir lieu que pour les listes qui font une déclaration préalable de groupement et, d’autre part, que l’apparentement n’est ouvert qu’aux listes qui ont obtenu dans une circonscription au moins un nombre de voix égal ou supérieur à 66 % du diviseur électoral, celui-ci étant directement fonction du nombre de sièges à répartir dans la circonscription.

Les arrêts n°149/2007 et 169/2015 de la Cour constitutionnelle, s’il ne sont pas les premiers à intervenir en matière électorale, sont fondamentaux, d’abord, parce qu’ils fournissent une balise chiffrée minimale à la représentation proportionnelle, en-deçà de laquelle le législateur viole les principes d’égalité et de non discrimination, et ensuite, parce que cette balise est susceptible de s’imposer à l’ensemble des scrutins quelque soit le niveau de pouvoir considéré[[Voir aussi la note d’observations de Frédéric Bouhon, « Le seuil électoral au seuil de l’égalité », JLMB, 2008/15, pp. 645 et s. L’avis de la section de législation du Conseil d’État, rendu sur la proposition de décret spécial visant à assurer la constitutionnalité du scrutin régional et à répondre à l’arrêt 149/2007 de la Cour constitutionnelle, déposée par Marcel Cheron et consorts (doc. Parl, n° 943/1, session 2008-2009), a pu faire douter de l’applicabilité de ce seuil au niveau des élections régionales (doc. Parl., n° 943/2, session 2008-2009).

]]. Il s’agit véritablement d’un seuil minimum d’égalité en-dessous duquel le système de la représentation proportionnelle n’est pas respecté.

Dans sa jurisprudence antérieure[[C.A., n°90/94 du 22 décembre 1994 ; C.A., n°30/2003 du 26 février 2003 ; C.A., n°73/2003 du 26 mai 2003 ; C.A., n°96/2004 du 26 mai 2004 ; C.A., n°103/2004 du 9 juin 2004 ; C.A., n°78/2005 du 27 avril 2005.

]], la Cour avait reconnu au législateur le droit d’apporter des modalités au système de représentation proportionnelle, notamment au travers de seuils électoraux légaux. Toutefois, elle avait fixé des premières limites, à savoir que plus d’un siège doit être attribué à chaque circonscription, et qu’un seuil électoral légal de 5 % est compatible avec les objectifs de la représentation proportionnelle.

Dans le droit fil de l’arrêt de décembre 2007, cet arrêt de novembre 2015 constitue un jalon important pour le renforcement de l’égalité et du pluralisme démocratique en Wallonie. Il enjoint le législateur à revoir les règles de l’élection du Parlement afin d’assurer demain une plus grande égalité entre les listes et surtout entre les électeurs, donc une plus juste représentation des citoyens au Parlement.

4. Les solutions visant à assurer la constitutionnalité des prochaines élections régionales

Plusieurs orientations, dont certaines sont à combiner entre elles, sont de nature à répondre à l’arrêt de la Cour constitutionnelle et, par conséquent, à améliorer la proportionnalité du scrutin de façon suffisante.

En tout état de cause, un élément de calendrier semble s’imposer : d’ici mai 2018, il faudra intégrer ces solutions dans le droit électoral wallon, conformément à l’article 39 ter de la Constitution qui impose désormais que les règles fondamentales du jeu électoral ne soient pas modifiées moins d’un an avant les élections auxquelles ces règles sont censées s’appliquer.

Parmi les solutions à mettre sur la table, figurent la révision de la carte électorale, à tout le moins en vue de fusionner les circonscriptions formant la province du Luxembourg. Pour l’arrondissement de Thuin, encore faut-il l’associer avec l’un des trois autres arrondissements de la province du Hainaut. A côté de ces révisions marginales de la carte électorale, on pourrait imaginer ne révision de plus grande ampleur touchant aux limites des circonscriptions, faisant fi des frontières actuelles des provinces, dans l’objectif de mieux adhérer aux actuelles réalités socio-économiques des bassins de vie de Wallonie. Cette réflexion mériterait d’être menée sereinement, à plusieurs encablures des élections.

Il nous semble aussi résulter de l’arrêt la nécessité de revoir l’actuel mécanisme d’apparentement. En tout état de cause, le quorum légal devrait être soit réduit, soit supprimé[[Une proposition de décret spécial a été déposée en ce sens par M. Hazée et consorts (doc. Parl. 300/1, session 2015-2016).

]]. A nouveau, une vision plus large permettrait d’envisager un système d’apparentement intra-régional, c’est-à-dire entre les différentes circonscriptions de niveau provincial ou assimilé.

Pour le niveau communal, il faudrait une volonté politique forte pour mettre fin à l’effet inégalitaire de la clé Imperiali. Plus encore que la clé d’Hondt, il peut aller jusqu’à donner une majorité en sièges à une minorité en voix. Tout comme les seuils naturels déraisonnablement élevés, l’application du mécanisme Imperiali renforce le sentiment d’injustice des électeurs qui assistent, impuissants, à la perte de leurs voix.

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