Il m’a été demandé d’aborder les relations entre développement durable et droits de l’homme. Ces deux idées ont beaucoup en commun. Ce sont des idées généreuses qui ont en commun d’offrir un contrepoids au court-termisme du marché et de la politique. Elles sont des concepts « civilisateurs », qui nous contraignent à regarder au-delà de notre intérêt étriqué. Mais elles donnent en même temps l’impression d’épouser des conceptions différentes du monde : le développement durable traite du long terme et d’horizons globaux – le sort de la population entière –, alors que les droits de l’homme imposent des exigences immédiates, au bénéfice des groupes les plus vulnérables de la société en particulier ; le développement durable semble appeler à une limitation de la croissance là ou les droits de l’homme paraissent nécessiter, pour leur réalisation, un surcroît de ressources à distribuer.

Ce qu’ils ont en commun importe toutefois beaucoup plus que ce qui les sépare. Développement durable et droits de l’homme partagent en effet l’idéal d’un monde plus équitable et moins obnubilé par l’accumulation de richesse matérielle. Sur cette base, ils sont à même de former une alliance solide. Leurs différences mêmes peuvent se montrer productives et se transformer en dispositifs mutuellement correctifs, s’assurant que la durabilité inclue l’équité sociale et que les droits de l’homme intègrent une perspective de plus long terme. La caractéristique la plus importante que partagent développement durable et droits de l’homme tient à l’exigence qu’ils nous imposent : parcourir la distance séparant la situation actuelle d’un autre point, tellement lointain qu’il paraît utopique – une société à faible carbone dans laquelle tous les droits de l’homme seront assurés pour chacun. Qu’implique donc de s’engager dans cette voie en se servant de la durabilité et des droits de l’homme comme guides ?

« Contraction et double convergence »

Cela implique tout d’abord d’accepter la vérité nue du scénario que nous avons à écrire. Ce scénario, je l’appelle « contraction et double convergence ».

La « contraction » renvoie au fait que, si nous souhaitons léguer à nos petits-enfants une planète viable, il nous faut d’urgence non pas simplement ralentir la croissance du PIB par habitant, mais décroître en vue de limiter la quantité de ressources que chacun d’entre nous consomme dans les pays riches tout au long de sa vie. Les chiffres sont éloquents. Avant l’ère industrielle, la concentration de l’atmosphère en CO2[[La référence à la concentration de CO2 est faite ici par commodité. Il vaudrait mieux évoquer la concentration totale de gaz à effet de serre, rapportés à des équivalents de CO2. Le calcul en terme d’équivalent CO2 tient compte non seulement du dioxyde de carbone, mais également des autres gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement climatique. Ceux-ci incluent le méthane, le protoxyde d’azote et d’autres gaz industriels. Le CO2 émane principalement de la consommation de combustibles fossiles pour l’énergie et le transport (56,6% des émissions de GES liées aux activités humaines) et de la déforestation – 13 millions d’hectares de forêts tropicales sont détruites chaque année, soit l’équivalent de la moitié de l’Angleterre, contribuant, d’après les estimations, pour 17% des GES liés aux activités humaines. Le méthane (CH4) provient des rizières, de la digestion du bétail et de l’enfouissement des déchets : il intervient à hauteur de 14,3 % des émissions. Le protoxyde d’azote (NO2) en représente lui 7,2% : il est produit, en particulier via le processus Haber-Bosch de fabrication d’engrais à base de nitrate. Enfin, les gaz fluorés jouent un rôle relativement mineur (1,1%).

]] était de 280 molécules par million de molécules d’air (280 ppm). Depuis 1750 et l’introduction de la première machine à vapeur, la population mondiale a été multipliée par dix, de même que la production moyenne par habitant. En conséquence, le niveau de l’activité économique mondiale a été multiplié par cent en regard de l’époque préindustrielle[[Jeffrey Sachs, The Common Wealth. Economics for a Crowded Planet, The Penguin Press, New York, 2008, p. 67.

]]. Cette augmentation a entraîné une hausse constante de la concentration de GES dans l’atmosphère, piégeant les rayonnements infrarouges émis par la terre et contribuant donc à la réchauffer. Nous en sommes désormais à 390 ppm. Si nous souhaitons avoir 75 % de chances de nous maintenir en-dessous d’un réchauffement de 2° – que beaucoup d’observateurs considèrent comme la limite entre un changement acceptable et un changement dangereux et incontrôlable – nous ne pouvons nous permettre que l’émission de 1000 milliards de tonnes de CO2 entre les années 2000 et 2050. En 2008, nous avions déjà dépensé un tiers de ce budget[[Myles Allen, David Frame, Chris Huntingford, Chris Jones, Jason Lowe, Malte Meinhausen and Nicolai Meinhausen, « Warming caused by cumulative carbon emissions towards the trillionth tonne », Nature, 458 (2009), pp. 1163-1166 ; Malte Meinhausen, Nicolai Meinhausen, William Hare, Sarah Raper, Katja Frieler, Reto Knutti, David Frame and Myles Allen, « Greenhouse-gas emission targets for limiting global warming to 2°C », Nature, 458 (2009), pp. 1158-1162.

]]. La poursuite de la croissance démographique, l’industrialisation rapide de certaines économies émergentes et le désir des populations des pays en développement ou à revenus moyens d’atteindre le niveau d’opulence que nous connaissons dans les pays de l’OCDE, constituent autant d’indicateurs que cette tendance à la hausse se prolongera de manière exponentielle.

Il est de plus en plus largement admis que, dans les pays industrialisés, l’économie devra se contracter – et les modes de vie se modifier – si nous souhaitons éviter d’atteindre le seuil dangereux à partir duquel le changement climatique entraînera d’imprévisibles réactions en chaîne. La raison n’en est pas seulement à chercher dans les émissions des pays industrialisés, nettement supérieures dans le passé à celles des pays en développement – ce qui justifie, pour des motifs d’équité, que ce soit aux pays riches qu’incombent les efforts de renversement de la tendance. Elle est également à chercher dans le taux de croissance de l’activité, bien plus rapide que le taux de croissance de la population, et qui n’est tout simplement pas soutenable. L’économie a été multipliée par cinq depuis 1950. En 2050, lorsque nous serons 9 milliards d’habitants, elle devrait encore être multipliée par 15 en regard de sa taille actuelle pour fournir à chacun un niveau de richesses équivalant à celui des pays développés[[Tim Jackson, Prospérité sans croissance, De Boeck Etopia, Bruxelles, 2009, p. 30.

]]. Une telle croissance est totalement incompatible avec les objectifs estimés nécessaires en matière de réduction des GES. Aussi essentiel que soit le passage aux technologies « vertes », il ne suffira pas, à lui seul, à atteindre ces objectifs, comme l’a montré Tim Jackson de façon convaincante :

Les intensités en carbone ont baissé en moyenne de 0,7 pour cent par an depuis 1990. C’est bien, mais c’est insuffisant. La population a augmenté au rythme de 1,3 pour cent par an et le revenu moyen par habitant de 1,4 pour cent (en termes réels) au cours de la même période. L’efficacité n’a même pas compensé la croissance de la population, et moins encore la croissance des revenus. Au lieu de cela, les émissions de carbone se sont accrues en moyenne de 1,3 + 1,4 – 0,7 = 2 pour cent par an, ce qui s’est traduit, en 17 ans, par une augmentation des émissions de près de 40 pour cent[[Id., p. 87.

]].

La « croissance verte » – comprise comme conception et usage de technologies propres – s’avère donc importante mais insuffisante : une contraction est requise si nous souhaitons éviter le déclenchement du « worst case scenario ». La tâche ne doit pas effrayer. Il nous faut au contraire saisir cette occasion de guérir nos sociétés du principal mal qui les affecte : une quête effrénée et insatiable du toujours plus. Les études sur la relation entre croissance du PIB par tête et bien-être montrent de façon robuste que si les deux sont corrélés jusqu’à un certain seuil, leurs évolutions cessent d’être parallèles, une fois ce seuil franchi. Dans les pays industrialisés, il l’a été au cours des années ’70 : depuis lors la poursuite de la croissance économique s’est accompagnée d’une réduction en termes de « satisfaction de vie » ou de « bonheur ».

Voilà ce que j’entendais par « contraction ». Quant à la « double convergence », elle insiste sur la nécessité que la décroissance dans les pays industrialisés aille de pair avec, d’une part, la convergence des niveaux de vie dans ces pays et, d’autre part, la croissance dans les pays en développement. Plus d’égalité – ou de justice sociale, en somme – dans nos pays constitue tout à la fois une fin désirable en elle-même et un moyen. Dans un livre paru récemment, les professeurs Richard Wilkinson et Kate Pickett se servent d’un large éventail d’études pour démontrer que dans les pays où les différences de revenus entre riches et pauvres sont plus faibles, la force de la vie communautaire est plus grande, la confiance entre personnes plus élevée, et la violence moindre[[Richard Wilkinson and Kate Pickett, The Spirit Level : Why Equality is Better for Everyone, Penguin Books, 2010.

]]. La santé physique et mentale de la population y est meilleure et l’espérance de vie plus élevée ; le taux de grossesses adolescentes est plus bas ; les enfants réussissent en moyenne mieux à l’école (en prenant comme indicateurs des tests d’aptitude linguistique et mathématique) et la prévalence de l’obésité y est plus faible. Dans les pays riches, la position sociale relative – le statut social – compte en fait bien plus que le niveau de richesse général. Autrement dit, le bien-être ne s’accroît pas quand un pays riche s’enrichit encore un peu plus mais il s’accroît quand les revenus des pauvres convergent vers les revenus plus élevés. En termes politiques la conclusion tient en ceci : rien ne sert de se demander quel équilibre devrait être trouvé entre un supplément d’égalité et un surcroît de croissance. Nos pays ont atteint le niveau à partir duquel la croissance agrégée cesse de contribuer à l’amélioration du bien-être. Cette dernière peut en revanche découler de politiques redistributives se donnant comme objectif l’égalisation de la richesse au sein de nos sociétés.

La justice sociale constitue par ailleurs un des moyens de ralentir les comportements actuels de consommation, qui sont tout simplement insoutenables. La majeure partie de ce que nous consommons ne sert pas à satisfaire nos besoins mais plutôt à projeter une image à l’extérieur et à imiter autrui, selon ce que, voici un siècle, Thorstein Veblen a qualifié de « consommation ostentatoire ». C’est, en bref, une question de position sociale et de statut symbolique. Veblen s’est cependant trompé sur un point : ce type de consommation, qui remplit essentiellement une fonction de signal, n’est pas l’apanage de la « classe de loisir » – la bourgeoisie : ce comportement est surtout adopté en bas de l’échelle sociale par tout qui cherche à dissiper l’impression de pauvreté qu’il pourrait donner, en projetant vers le monde une apparence d’opulence. Plus égalitaire est une société, moins chacun de ses individus se sent contraint à participer à la quête infinie du statut par la consommation.

La « convergence » doit s’établir entre pauvres et riches au sein des pays industrialisés mais également, sur le plan mondial, entre pays en développement et pays industriels. Voici près de vingt ans que le Centre for Science and the Environment en Inde a proposé, suivi en cela par le philosophe Henry Shue, la distinction entre « émissions de luxe » et de « subsistance » ou de « survie »[[Anil Agarwal and Sunita Narain, Global Warming in an Unequal World : A Case of Environmental Colonialism, Centre for Science and Environment, 1991 ; Henry Shue, « Subsistence Emissions and Luxury Emissions », Law & Policy 15, n° 1 (1993), pp. 39-59.

]]. Cette distinction s’appuie sur l’intuition morale selon laquelle les émissions nécessaires à des styles de vie luxueux doivent être traitées différemment de celles servant à satisfaire les besoins de base[[International Council on Human Rights Policy, Climate Change and Human Rights. A Rough Guide, 2008, p. 9.

]]. Par ailleurs, le scénario de « contraction et convergence » présenté en 1996 par le Global Commons Institute à la deuxième Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur la changement climatique constitue également le seul qui soit compatible à la fois avec l’impératif de réduction des émissions mondiales de GES et avec le droit au développement des pays pauvres[[L’article 3(4) de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique stipule que : « Les Parties ont le droit d’oeuvrer pour un développement durable et doivent s’y employer». Ceci constitue une référence implicite au droit au développement reconnu par le droit international depuis la résolution 41/128 adoptée le 4 décembre 1996 par l’Assemblée générale des Nations Unies.

]]. Le droit au développement est « un droit inaliénable de l’homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés »[[ Résolution précitée.

]]. Il ne faut pas le confondre avec la croissance économique : il s’agit du droit, et du devoir, pour les pays pauvres d’être soutenus dans la recherche du développement humain compris comme un « processus d’élargissement des choix disponibles pour chacun ». Ces pays méritent d’être soutenus dans cette tâche : la distribution des efforts de réduction des émissions de GES constitue d’ailleurs un domaine où les politiques de changement climatique gagneraient à être guidées par des considérations inspirées des droits de l’homme.

Améliorer la cohérence des politiques publiques

Esquisser la trajectoire unissant développement durable et droits de l’homme requiert également une amélioration de la cohérence entre différents champs des politiques publiques. Ni la transition vers une organisation plus durable de la société, ni celle vers la pleine réalisation des droits de l’homme ne peuvent se concevoir comme des politiques sectorielles : elles doivent au contraire être transversales.

Toute une série d’exemples pourrait illustrer le besoin d’un surcroît de cohérence entre des domaines politiques trop souvent envisagés de manière isolée. C’est par exemple le cas de la relation entre le développement du commerce international et les efforts d’atténuation du changement climatique par la limitation des émissions de GES. D’un côté, le commerce favorise la diffusion de technologies propres dont l’adoption peut mener à des régimes de croissance moins intensifs en carbone dans le pays importateur. C’est ce qu’on appelle « l’effet technologie » du commerce international. De l’autre, ce commerce favorise la croissance économique et sert l’augmentation des niveaux de consommation, en libérant des ressources préalablement utilisées de manière moins productive pour les réinvestir ou les dépenser ailleurs. C’est ce qu’on appelle « l’effet d’échelle » du commerce. Les recherches convergent désormais pour démontrer que les « effets d’échelle » l’emportent sur les « effets technologie »[[Voir M. Heil et T. Selden, « International Trade Intensity and Carbon Emissions : A Cross-Country Econometric Analysis », Journal of Environment and Development, n° 10(1) (2001), pp. 35-49 ; M. Cole et R. Elliott, « Determining the Trade-Environment Composition Effect : the Role of Capital, Labor and Environmental Regulations », Journal of Environmental Economics and Management, n° 46(3) (2003), pp. 363-383. Pour une excellente vue d’ensemble, voir Climate and Trade. Why climate change calls for fundamental reforms in world trade policies, rapport rédigé par Tilman Santarius pour l’ONG allemande Forum on Environment and Development et la Fondation Heinrich Böll, 2009.

]]. Si ces études sont exactes, nous ne pouvons prétendre tout à la fois continuer à nous inscrire dans un agenda de libre échange menant à l’accroissement des flux commerciaux Nord-Sud, et lutter contre le changement climatique. Le développement du commerce international peut servir la « convergence » en permettant aux pays les moins développés de croître, mais il n’est pas compatible avec l’objectif de « contraction ».

Dès lors, il s’agit de promouvoir l’expansion des pays en développement et l’adoption par ceux-ci de technologies plus propres par d’autres moyens que le commerce international avec les pays industrialisés. Ces moyens existent : la diversification des économies des pays en développement, l’intégration régionale dans le monde en développement ou encore le commerce Sud-Sud, par exemple. L’adoption par les pays pauvres de tels schémas de développement les éloigne du schéma colonial d’exploitation des ressources, en vertu duquel les pays du Sud fournissent des ressources naturelles et ceux du Nord produisent des biens à plus haute valeur ajoutée et plus intensifs en savoir. Pour favoriser la diffusion rapide dans les pays en développement de technologies plus efficientes dans l’utilisation des ressources, les schémas de développement ainsi adoptés devraient être renforcés par des transferts massifs de technologie, via, par exemple, la création d’un fonds financé par les pays de l’OCDE, qui pourrait traiter les technologies propres comme des biens publics globaux.

Prenons l’exemple des « fuites de carbone » ou des « émissions virtuelles », c’est-à-dire les émissions produites au cours de processus de production de biens destinés à l’exportation et donc « externalisées » – ou délocalisées par le pays importateur. Il a été calculé qu’en 2001, « les Etats-Unis ont importé des biens dont les émissions virtuelles s’élevaient à 992 mégatonnes (Mt) de CO2, tandis que les émissions de CO2 liées à la production aux Etats-Unis de biens destinés à l’exportation s’élevaient à 446 Mt. »[[Climate and Trade. Why climate change calls for fundamental reforms in world trade policies, Fondation Heinrich Böll, 2009 p. 9.

]] Des chercheurs du Carnegie Institute ont estimé récemment que 23 % des émissions de GES dues aux biens consommés dans les pays développés – soit un total de 6,4 milliard de tonnes de CO2 – ont en réalité été émises ailleurs, et que 22,5 % des émissions chinoises de GES proviennent de la production de biens d’exportation – destinés à satisfaire les consommateurs du Nord[[Steven J. David and Ken Caldeira, « Consumption-based accounting of CO2 emissions », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 107 no. 12 (2010), pp. 5687-5692.

]]. La procédure de rapportage du Protocole de Kyoto de 1997 ne tient pourtant pas compte de ces « émissions virtuelles » : seules sont enregistrées les émissions provenant de la consommation et de la production à l’intérieur d’un pays donné – et pas celles liées à la production de biens que le pays importe afin de satisfaire la demande des consommateurs. Ce mode de calcul permet aux pays industrialisés de respecter les obligations de réduction d’émissions qui découlent de la CCNUCC tout simplement en délocalisant les industries les plus polluantes vers les pays en développement. Il nous incombe dès lors, soit de réformer la manière dont est organisé le mécanisme de rapportage, soit d’imposer des restrictions aux pays en développement, au moins en ce qui concerne leurs biens d’exportation. À l’heure actuelle, si nous pouvons prétendre limiter les émissions de GES sans changer nos modes de vie, ce n’est pas grâce au développement judicieux de technologies plus propres : c’est parce que nous délocalisons les modes de production les plus polluants.

De tels exemples montrent à quel point il est téméraire de prétendre lutter contre le changement climatique sans réguler le commerce international de manière à tenir compte de ses impacts en matière d’augmentation d’émissions des GES. Les problèmes que posent la fragmentation de la gouvernance internationale et le manque de coordination entre les différents forums de coopération interétatiques ne s’arrêtent toutefois pas ici. Nous assistons aujourd’hui à des efforts extraordinaires de relance de l’agriculture dans des régions où elle a été négligée au cours de ces trente dernières années, en particulier en Afrique subsaharienne. Ces efforts ne tiennent cependant qu’insuffisamment compte des relations entre changement climatique et production agricole. Le changement de température moyenne menace la capacité de régions entières à maintenir les niveaux actuels de production, en particulier dans les régions d’agriculture pluviale. En Afrique subsaharienne, en Asie orientale et en Asie du Sud, le changement climatique affectera les pluies, accroîtra la fréquence des sécheresses et la température moyenne. L’eau douce sera disponible en moindre quantité pour la production agricole tandis que la montée du niveau de la mer provoque déjà la salinisation de l’eau dans certaines zones côtières, rendant les sources impropres à l’irrigation. Le PNUD cite une estimation selon laquelle le nombre de personnes supplémentaires risquant de souffrir de la faim en conséquence directe du changement climatique pourrait atteindre les 600 millions[[PNUD, Human Development Report 2007/2008. Fighting Climate Change: Human solidarity in a divided world, 2007, p. 90 (citant Rachel Warren, Nigel Arnell, Robert Nicholls, Peter Levy and Jeff Price, «Understanding the Regional Impacts of Climate Change », Research Report prepared for the Stern Review on the Economic of Climate Change, Research Working Paper No. 90, Tyndall Centre for Climate Change, Norwich).

]]. En Afrique subsaharienne, les prévisions font état d’une augmentation de 60 à 90 millions d’hectares des zones arides et semi-arides.

Le Giec a quant a lui estimé qu’en Afrique australe, les rendements de l’agriculture pluviale pourraient diminuer de moitié entre 2000 et 2020[[GIEC, Climate Change 2007: Climate Change Impacts, Adaptation and Vulnerability. Working Group II Contribution to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (S. Solomon, D. Qin, M. Manning, Z. Chen, M. Marquis, K.B. Averyt, M. Tignor and H.L. Miller, eds), Cambridge Univ. Press, Cambridge and New York, chapitre 9.

]]. Les pertes de production agricole dans une série de pays en développement pourraient être partiellement compensées par des gains dans d’autres régions, mais le résultat global serait une perte d’au moins 3 % de la capacité productive d’ici aux années 2080, et jusqu’à 16 % au cas où les effets de la fertilisation par le carbone[[La fertilisation par le carbone consiste en l’incorporation du dioxyde de carbone dans le processus de photosynthèse, qui utilise l’énergie solaire pour combiner eau et carbone afin de produire des hydrates de carbone, et de l’oxygène comme « produit dérivé » (cette définition est adaptée de William R. Cline, Global Warming and Agriculture. Impact Estimates by Country, Center for Global Development and the Peterson Institute for International Economics, 2007, p. 24).

]] ne tiendraient par leurs promesses. William Cline estime qu’« une estimation prudente de l’impact sur la capacité agricole globale d’ici 2080 (…) [pourrait] se situer dans un faisceau de réduction de 10 à 25 % »[[William R. Cline, Global Warming and Agriculture. Impact Estimates by Country, Center for Global Development and the Peterson Institute for International Economics, 2007, p. 96.

]]. Les pertes seraient particulièrement importantes en Afrique et en Amérique latine – respectivement 17 et 13 % en cas de fertilisation par le carbone, et 28 et 24 % en son absence[[Ibid. Voir aussi, en confirmation de cette idée, David B. Lobell, Marshall B. Burke, Claudia Tebaldi, Michael D. Mastrandrea, Walter P. Falcon, and Rosamond L. Naylor, «Prioritizing Climate Change Adaptation Needs for Food Security in 2030 », Science, 1 February 2008, vol. 319, pp. 607-610 (montrant sur la base d’une analyse du risque climatique pour les cultures dans douze zones d’insécurité alimentaire, que l’Asie du Sud et l’Afrique australe sont les deux régions qui, sans mesures d’adaptation suffisantes, subiront probablement des effets négatifs sur plusieurs types de cultures, qui sont centrales pour d’importantes population en situation d’insécurité alimentaire).

]]. Comme le résume le Rapport Stern de 2006 : « Dans les régions tropicales, un réchauffement, même faible, entraînera une baisse des rendements agricoles. À des latitudes plus élevées, les rendements pourraient augmenter dans une phase initiale de hausse modérée de la température, mais déclineraient par la suite. Des températures plus élevées provoqueront des baisses substantielles de la production céréalière globale, en particulier si les effets de la fertilisation par le carbone s’avèrent moindres que prévu, comme le suggèrent des études récentes. »[[Stern Review Report on the Economics of Climate Change, par Nicholas Stern, prépublication disponible sur www.hm-treasury.gov.uk, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2007, p. 67.

]]

La résilience agricole peut être améliorée par la combinaison de plusieurs cultures sur la même exploitation, la plantation de plus d’arbres et le développement de techniques de récupération d’eau pour humidifier le sol. Mais les approches classiques de type « Révolution verte » doivent être fondamentalement repensées pour atteindre un tel objectif. La manière dont elles sont actuellement promues en font par ailleurs des vecteurs d’utilisation d’engrais chimiques et de mécanisation lourde. Elles rendent donc la production agricole de plus en plus dépendante des combustibles fossiles, pétrole et gaz, alors même que cette dépendance n’est pas soutenable à long terme. C’est d’ailleurs en grande partie du fait de cette dépendance aux combustibles fossiles et de notre échec à soutenir des moyens d’amélioration de la productivité qui s’appuieraient plus sur des techniques agroécologiques que l’agriculture est devenue un contributeur majeur à l’émission de GES liés à l’activité humaine : on les estime à 33 % en incluant méthane et protoxyde d’azote, produits respectivement par le bétail, les rizières et l’utilisation de fertilisants de synthèse (14 %) et la production de dioxyde de carbone résultant de changement dans l’utilisation des sols – la déforestation pour créer des zones de pâturage ou de culture (19 %). Elément du problème actuellement, l’agriculture devrait se muer en élément de solution. Mais cette mutation suppose de penser conjointement le changement climatique et le développement agricole, alors que les deux questions sont trop souvent traitées de manière isolée par des responsables politiques différents.

L’exigence de cohérence entre les différents champs des politiques publiques signifie non seulement que les actions menées dans des domaines tels que le commerce et la sécurité alimentaire doivent tenir compte de la nécessaire atténuation du changement climatique, mais également que la lutte contre le changement climatique ou en faveur de l’adaptation à ce changement ne peuvent être aveugles à leurs impacts en termes d’équité sociale. Le récent débat autour des agrocarburants l’illustre : alors même que le passage à des sources d’énergie renouvelables constitue un élément clé de nos efforts d’atténuation du changement climatique, la dépendance d’un nombre croissant de régions à l’éthanol ou au biodiesel tirés de la biomasse comme carburant liquide à l’usage du transport a des conséquences particulièrement préjudiciables pour de nombreuses catégories de la population dans les pays en développement, en particulier les petits agriculteurs et les peuples autochtones. La croissance de la demande de telles cultures pousse à la hausse le prix des terres cultivables, les rendant encore moins abordables qu’actuellement, et créant une situation de concurrence entre petits paysans et gros producteurs pour l’accès aux meilleures terres et à l’eau. En résulte l’expulsion des usagers de la terre dont les titres de propriété sont mal assurés, ou encore le déplacement de populations, en particulier autochtones, pour permettre le développement de grandes exploitations agricoles de type plantation vouées à la production d’agrocarburants[[Voir International Institute for Environment and Development (IIED) et Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Fuelling Exclusion? The Biofuel Boom and Poor People’s Access to Land, par Lorenzo Cotula, Nat Dyer and Sonja Vermeulen, www.iied.org/pubs/pdfs/12551IIED.pdf; Rachel Smolker et alii., The Real Cost of Agrofuels: Impacts on food, forests, peoples and the climate, Global Forest Coalition and Global Justice Ecology Project, 2008.

]]. En 2007, une étude estimait que, si les plans d’investissements actuels étaient mis en œuvre, jusqu’à 60 millions de personnes, parmi les populations autochtones, pourraient être chassées de terres occupées sous un régime de propriété coutumière, pour l’expansion de plantations d’agrocarburants[[Voir Victoria Tauli-Corpuz and Parshuram Tamang, Oil Palm and Other Commercial Tree Plantations, Monocropping: Impacts on Indigenous Peoples’ Land Tenure and Resource Management Systems and Livelihoods, Permanent Forum on Indigenous Issues, sixth session, New York, 14-25 May 2007, doc. E/C.19/2007/CRP.6 (7 May 2007)..

]]. Ces prévisions sont corroborées par des évolutions récentes, en particulier la course à l’achat de vastes zones de terres arables, par des investisseurs privés et publics. Il ressort par exemple d’un inventaire récent, effectué par la Banque mondiale (qui a recensé 389 acquisitions d’ampleur ou baux de terrain à long terme dans 80 pays), que si la première destination de ces « projets d’investissement » est bien la production alimentaire (37 %), les agrocarburants en constituent la seconde (35 %).

Il existe également d’autres domaines où même les efforts bien intentionnés pour atténuer le changement climatique n’ont été qu’insuffisamment guidés par des considérations en matière de droit de l’homme. En vertu du Mécanisme de développement propre (MDP) prévu à l’article 12 du protocole de Kyoto à la CCNUCC (Annexe 1), les pays (industrialisés) qui se sont engagés à réduire les émissions de GES reçoivent des crédits d’émission additionnels s’ils aident à mettre en place des projets de réduction des émissions dans les pays en développement. La plantation de forêts destinées à bénéficier du MDP peut toutefois avoir comme conséquences des expulsions contre lesquelles les populations locales concernées sont insuffisamment protégées. De même, le programme REDD (Reduced Emissions from Deforestration and Forest Degradation), qui fut introduit en 2007 afin, non seulement de récompenser la plantation de forêts, mais également d’éviter la déforestation, entraîne des risques pour les groupes résidant dans ces forêts. Leurs droits de propriété coutumière sur les terres dont dépend leur subsistance ne sont que faiblement reconnus lorsque l’État ou d’autres acteurs souhaitent s’approprier les bénéfices de la séquestration de carbone. Dans la mesure où il donne un prix à la conservation de la forêt, le programme REDD est susceptible d’exclure de ce marché les groupes résidant dans ces forêts. La mise en œuvre du REDD pourrait donc voir les forêts être protégées de leurs usagers traditionnels : la clôture d’une forêt peut priver ces usagers de l’accès à la zone où ils chassent, pêchent ou cueillent la nourriture dont ils dépendent.

Une gouvernance pour la durabilité

J’ai présenté la nécessité d’aller vers un scénario de « contraction et double convergence » et d’améliorer la cohérence entre les différents champs des politiques publiques, telles que celles menées en matière de changement climatique, de commerce et de sécurité alimentaire, en se servant des droits de l’homme comme guide. Selon ce point de vue, la « durabilité » s’oppose à terme à la « conservation ». Il ne s’agit pas de préserver mais de changer. Il n’est pas question de refuser le progrès mais d’évoluer vers un autre type de société dotée d’objectifs formulés autrement. C’est de mouvement qu’il s’agit, pas d’immobilité.

La question de la gouvernance doit être centrale dans un projet de cette nature. En matière de droits de l’homme comme d’environnement, de nombreux outils ont été mis à l’épreuve et améliorés. Nous savons qu’il nous faut les développer encore pour nous approcher d’un développement qui soit vraiment durable. Les études d’impact, qui cherchent à évaluer les effets des politiques et des initiatives de réglementation dans une série de domaines – économiques, sociaux et environnementaux – sont, par exemple, devenues la norme dans une série de pays. Elles devraient encore être améliorées par l’inclusion de considérations de long terme qui permettraient de s’assurer que tout choix effectué nous oriente dans la bonne direction et n’entrave pas les actions favorables à la durabilité dans d’autres domaines : en Allemagne, l’évaluation systématique, par le Conseil parlementaire pour le développement durable, du caractère durable de toute législation constitue un pas important dans cette direction.

Mais les efforts en matière de réforme de la gouvernance ne peuvent s’arrêter là. Pour passer de la situation actuelle vers une autre où nos modes de production et de consommation seraient véritablement durables, il nous faut adopter des stratégies pluriannuelles, identifiant les mesures à adopter dans différents domaines, les accompagnant d’un calendrier d’action précis et de la responsabilisation des différentes branches des autorités publiques. Nous serons incapables d’aller vers une société sans carbone assurant la réalisation plus entière de tous les droits de l’homme si nous demeurons otages du court-termisme des marchés et des calendriers électoraux : les attentes immédiates des actionnaires et des électeurs ne peuvent être ignorées, mais il faut permettre aux aspirations des citoyens de s’élargir davantage, en tenant compte de notre dette à l’égard des générations futures et des parties les plus fragiles de la société.

De telles stratégies nationales ont été éprouvées en matière de droits de l’homme. Il est temps de les transposer pour servir l’objectif plus large du développement durable. Idéalement, ces stratégies devraient être participatives et co-conçues par les gouvernements, les syndicats et les organisations de la société civile. Ainsi pensée, l’adoption de stratégies pluriannuelles contraignantes n’appauvrit pas la démocratie : elle l’enrichit au contraire en allant au-delà des rituels électoraux tous les quatre ou cinq ans pour viser tout à la fois plus de permanence et de proximité avec le citoyen. L’introduction du long terme en politique ne se fera pas en évacuant certaines questions en hors du contrôle démocratique : nous n’en ferons au contraire un succès qu’à condition d’offrir aux citoyens des occasions d’investir des formes d’action leur permettant de contribuer à dessiner l’avenir. L’adoption, par des méthodes participatives, de stratégies pluriannuelles n’appauvrit par la démocratie : elle l’enrichit.

Ces stratégies devraient être menées conjointement au choix d’indicateurs et de benchmarks, qui reflètent les différentes dimensions de la durabilité. De tels indicateurs pourraient par exemple renvoyer à la quantité de GES que nous émettons comme producteurs ou consommateurs, y compris de biens importés, au fossé entre riches et pauvres, ou aux impacts de nos politiques sur la capacité des pays en développement à surmonter leurs handicaps. L’indicateur clé devrait en tout cas être une mesure du bien-être, distincte de la croissance du PIB par tête, et qui tienne compte de la durabilité. Depuis 1990, le PNUD utilise un Indicateur de développement humain (IDH), indicateur multidimensionnel composite tenant compte de l’espérance de vie, des niveaux d’étude et de revenu, et permettant la comparaison interétatique. Cette approche a d’ailleurs été affinée dans plusieurs directions depuis lors. Plus récemment, à la demande du gouvernement français, une commission dirigée par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi a réfléchi à l’usage des indicateurs de mesure de la performance économiques et du progrès social, introduisant une distinction importante entre l’évaluation du bien-être présent – le bien-être des individus étant compris comme l’étendue des choix qui leur sont ouverts – et l’évaluation de sa durabilité – autrement dit, de la disponibilité pour les générations futures des stocks de capital (parmi lesquels les ressources naturelles, mais également les capitaux humain, social et physique) dont dépend notre bien-être présent, au vu de leurs niveaux d’utilisation actuels[[Rapport de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès Social, 14 septembre 2009, www.stiglitz-sen-fitoussi.fr.

]].

Disposer de tels outils ne s’avère toutefois utile que dans la mesure où ils influencent la décision politique et augmentent le coût politique encouru par des gouvernements allant dans la mauvaise direction. Lier la mise en œuvre de stratégies de développement durable et les indicateurs et objectifs appropriés permet de contrôler les choix des responsables politiques. Cela constitue, dès lors, un puissant incitant à intégrer des considérations de long terme dans la prise de décision, et à garantir que la feuille de route qui a été adoptée sera effectivement mise en oeuvre. Ce monitoring serait encore renforcé s’il se voyait confié à des organismes indépendants. Le Conseil allemand pour le développement durable, en tant qu’organisme indépendant du gouvernement, rassemblant différentes parties prenantes, pourrait jouer ce rôle en Allemagne. Il s’agirait par là de contraindre le gouvernement à s’acquitter des obligations que lui impose la mise en œuvre densa stratégie de développement durable et de s’assurer que, si certaines politiques s’avèrent mal orientées, elles seront immédiatement corrigées.

L’adoption de stratégies nationales pluriannuelles de développement durable et le contrôle de leur mise en oeuvre par des mécanismes de contrôle indépendants ne servent pas seulement de contrepoids à la tendance de beaucoup de responsables politiques à négliger l’avenir. Elles sont aussi nécessaires pour assurer la continuité au fil des gouvernements : nous ne serons capables d’affronter le défi de la durabilité qu’à la condition de ne pas en faire une question politique, opposant la droite à la gauche et les verts à tous les autres. Nous devons au contraire faire du changement climatique une préoccupation transpartisane, fondée sur le consensus social le plus large. De plus, une stratégie pluriannuelle est nécessaire pour garantir aux acteurs du marché le cadre stable dont ils ont besoin pour effectuer des investissements dont les rendements ne seront pas immédiats. Selon le World Investment Report : Investing in a low-carbon economy de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), 400 milliards de $ seront nécessaires chaque année entre 2010 et 2015 pour effectuer la transition vers une économie faible en carbone, et ce chiffre pourrait grimper à 1300 milliards de $ annuels en 2030. Ce qui est requis, c’est rien de moins qu’un effort massif de mobilisation des investissements publics et, via des incitants appropriés, privés. De tels investissements ne se feront pas par hasard; ils ne peuvent être suscités que par un mobilisation politique, à la fois et crédible sur le long terme. Un effort soutenu sur plusieurs années est donc requis pour promouvoir de nouvelles technologies plus propres dans les industries, développer des sources d’énergie renouvelable et transformer l’agriculture en un élément de solution au changement climatique, plutôt qu’une partie du problème. Ce dont nous avons besoin en somme, c’est une économie de guerre sans guerre.

Il est toujours tentant pour les partisans du business as usual de rejeter comme utopiques les propositions d’une si grande portée qu’elles semblent révolutionnaires, et de rejeter les autres comme tellement secondaires et insignifiantes qu’elles n’auront aucun impact réel. Il nous faut abandonner cette opposition trompeuse. Ce n’est pas chacune des propositions politiques prises isolément les unes des autres qui importent, qu’elles soient réformistes ou plus révolutionnaires : ce qui importe est le chemin, la suite de mesures qui, pièce par pièce, pourront nous amener à repayer peu à peu la dette que nous avons encourue vis-à-vis de l’avenir. Une fois exposées dans une stratégie pluriannuelle, l’ensemble des mesures à adopter pour atténuer le changement climatique, s’adapter à ses impacts inévitables et se rapprocher d’un scénario de « contraction et double convergence » ne pourront plus être balayées d’un simple revers de main : ce qui paraît utopique aujourd’hui pourrait paraître atteignable demain, pour autant qu’un plan de long terme y mène. Et des changements qui semblent triviaux au premier abord prendront une toute autre allure une fois présentés comme éléments d’une stratégie plus large et plus ambitieuse. Nos démocraties se fondent sur l’idée que même les problèmes collectifs en apparence les plus insurmontables peuvent trouver une solution, pour autant qu’on les décompose et qu’on affronte un à un les éléments qui les composent. Cette idée, nous devons la refaire nôtre.

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