La publication d’une étude en août 2015 par la CREG, le régulateur énergétique fédéral, a confirmé l’influence négative qu’a eu la libéralisation de l’énergie pour le portefeuille des consommateurs résidentiels, c-à-d les ménages, l’ensemble des citoyens. La CREG a ainsi évalué qu’entre janvier 2007 et décembre 2014, suite à la libéralisation du marché de l’énergie belge, le prix de l’électricité pour le consommateur a augmenté en moyenne de 20,78%. Le prix du gaz a lui augmenté, en moyenne, de 27,90% pour un client domestique.

Cette situation pose de nombreuses questions sur la libéralisation de l’énergie et sur ses conséquences. Dans un contexte ou le prix de l’énergie subit de fortes influences, tant au niveau de la production que de l’acheminement et de la consommation, il semblait intéressant de se repencher sur cette question de la libéralisation, et d’en analyser les effets et alternatives.

Il s’agit, dans un premier temps, de revenir sur la libéralisation même de l’énergie en Belgique. Celle-ci a eu au moins une vertu : celle de casser le monopole d’Electrabel. Rappelons en effet qu’auparavant, le marché de l’électricité, si il n’était pas libéralisé, n’était pas non plus « nationalisé » ou public : il était déjà totalement privé, du moins au niveau de l’opérateur chargé de la production et de la fourniture. En effet, un seul opérateur commercial privé, Electrabel, issu de la fusion de plusieurs sociétés en 1990, bénéficiait d’un monopole total sur le territoire belge. La libéralisation a dès lors permis l’émergence d’autres opérateurs, dont des producteurs d’électricité verte, certains organisés en coopératives citoyennes. Toutefois, ces dernières sont encore trop peu nombreuses et ne représentent qu’une très faible proportion du marché, les opérateurs classiques disposant de moyens plus importants pour leur promotion et leurs investissements.

Il est néanmoins nécessaire de constater que la libéralisation a entraîné une hausse des coûts pour le consommateur, comme le démontre la CREG. Elle a également entraîné une multiplication des offres, souvent complexes, qui rend la comparaison entre elles fastidieuse, a fortiori car elles changent régulièrement. De plus, ces deux facteurs sont potentiellement liés : l’opacité des offres ne permet pas aux consommateurs d’évaluer facilement quel contrat lui serait le plus favorable, et dès lors de faire jouer correctement la concurrence. Pour bien faire, le consommateur est censé réévaluer sa consommation tous les 6 mois afin de vérifier s’il bénéficie toujours du prix le plus avantageux pour lui, et le cas échéant, s’il doit changer de contrat, en fonction des offres des différents fournisseurs.

Par ailleurs, le marché résidentiel ne représente que 25 % du marché total de l’électricité en Belgique, les entreprises et les grandes institutions publiques représentant la majorité du marché. Celles-ci ont la capacité technique et en termes de masse critique pour négocier d’égal à égal directement avec les fournisseurs.

Signalons également que des groupements de consommateurs ont vu le jour, tels que Wikipower, les groupes d’achat mis en place par Test Achats ou encore Greenpeace et la Ligue des Familles, afin de négocier de façon collective une offre plus intéressante pour les consommateurs. Pourtant, même si ce système est avantageux pour la plupart des participants, certains clients qui ont une faible ou a contrario une très importante consommation pourraient en réalité profiter de prix plus intéressants sur base de certains contrats déjà existant parmi les offres des fournisseurs. Notons aussi que ces groupements ne représentent à ce stade qu’une minorité de consommateurs. A l’extrême opposé, il existe également des centaines de milliers de consommateurs qui n’ont jamais procédé à aucun changement, et qui sont restés par défaut chez « l’opérateur historique », Electrabel. Enfin, l’exception de la régie communale autonome de Wavre, seule commune à avoir maintenu un gestionnaire de réseau sur son seul territoire, est intéressante à mettre en exergue : elle est également la seule à avoir procédé à un appel d’offres afin de déterminer quel serait l’opérateur par défaut des consommateurs sur son territoire.

Sur base de ces différents constats, nous postulons qu’afin de mettre la libéralisation véritablement au service de l’intérêt général, un système d’appel d’offre généralisé pour le marché résidentiel pourrait être mis en place. Avec ce système, plutôt qu’une responsabilité individuelle de chaque citoyen-consommateur, les régions lanceront tous les 5 ans un appel d’offre aux fournisseurs, et sélectionneront la meilleure offre, qui serait ensuite valable pour l’ensemble des ménages sur le territoire. Les enseignements tirés par les opérateurs précités des expériences de groupes d’achat collectifs pourraient également être utiles dans l’élaboration du mécanisme.

La sélection se baserait sur le prix, mais également sur des critères quantitatifs liés à la proportion d’énergie renouvelable proposée, et pourrait inclure un quota minimum d’énergie produite par des coopératives citoyennes et des collectivités locales, inclues dans le consortium. Le modèle ne serait pas figé, et permettrait des variations du « mix » au sein du consortium durant la période donnée, mais également de tendre vers une plus grande proportion d’énergie renouvelable et de coopératives citoyennes entre le début et la fin de la période. Le quota imposé de production renouvelable par période pourra même être fixé sur base d’une stratégie à plus long terme, visant à atteindre 100 % d’électricité renouvelable à l’horizon 2050.

Ce mécanisme peut s’intégrer de façon efficace au scénario élaboré en décembre 2012 par le Bureau du Plan, l’ICEDD et le VITO, qui démontre qu’il est possible financièrement et économiquement d’atteindre un plafond de 100 % de renouvelable dans tous les secteurs en 2050, même s’il est malheureusement certainement nécessaire aujourd’hui de revoir la trajectoire, vu les décisions prises aussi bien au niveau fédéral que régional.

Le coût des investissements est très important, mais il est nécessaire de prendre en compte plusieurs éléments :

1) le fait que ce sont des investissements, qui créent un retour sur investissement, de la valeur ajoutée, des emplois locaux, et une plus-value sociale et environnementale,

2) le fait qu’a contrario les importations d’énergies fossiles en Belgique, qui s’élèvent à 18 milliards par an, alimentent des groupes étrangers et partent en fumée, au propre comme au figuré. En parallèle, en décembre 2014, 258,4 milliards d’euros se trouvaient sur des comptes d’épargne réglementés dans des banques belges. Et cela sans compter les milliards supplémentaires qui sont investis dans des actions ou des fonds de pension non éthiques et non durables, parfois dans les énergies fossiles accentuant ainsi le réchauffement climatique, et souvent dans des produits à risque, dont le capital n’est pas garanti. En cette période de crises multiples et d’incertitude sur les marchés financiers, un investissement massif de l’épargne belge dans des coopératives qui créeraient et géreraient des unités de production de renouvelable permettrait d’économiser de façon sûre et stable, de stabiliser et développer l’économie locale, de maintenir à long terme des emplois durables et de garantir des retours sur investissement raisonnables mais intéressants. Par ce biais, chacun, de façon collective, garantirait également un système de fourniture d’énergie stable et propre.

Nous pouvons également imaginer, ou plutôt souhaiter, que, par souci de sécurité, de préservation de l’environnement mais également de pragmatisme économique et de sécurité d’approvisionnement, la production nucléaire soit d’office exclue de l’appel d’offres. Durant la période, intermittente, qui nous sépare de la fin prochaine du nucléaire en Belgique, les producteurs classiques pourraient se tourner vers le marché non résidentiel afin de vendre leur production nucléaire résiduelle.

Une tarification progressive de l’électricité compléterait utilement le dispositif afin de prendre en compte les différents profils d’utilisateurs, d’inciter à réduire sa consommation et de soutenir les ménages à bas revenus, qui consomment moins (si l’on prend en compte certaines dispositions correctrices, par exemple par rapport aux chauffages électriques).

Par ce biais, les pouvoirs publics pourront réellement faire jouer la concurrence, et garantir le meilleur prix aux citoyens, tout en défendant l’intérêt général via la promotion des énergies renouvelables et de l’épargne citoyenne. Ces différentes pistes sont donc à creuser afin de continuer à assurer à tous le meilleur accès à l’énergie.

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